Des notes sur un personnage réel puis fictif évidemment.
Quand la vie se retire de lui le voici il est mûr pour l’œuvre- il faut oublier cette première déception Il espérait- (l’espérait-il vraiment ?) que les choses se déroulent plus tôt- disons vers trente, mais ça n’arrive (hélas) qu’après soixante. Ce qui prouve ( pour ainsi dire ) qu’on ne met pas la charrette avant les bœufs ou encore que lorsqu’il faut y aller il faut y aller ou encore quand c’est l’heure c’est l’heure ou mieux avant l’heure c’est pas l’heure, après l’heure c’est plus l’heure ou enfin, que les poules commencent à faire leurs dents et vice versa avec ces histoires de Pâques et de la Trinité.
Le fait de protester silencieusement, sans jamais le montrer à personne, de protester intérieurement dans son coin, de ronger son frein en cherchant bien ses mots. Un fond raciste réactionnaire mais qui ne vient pas d’une fièvre politicienne , d’un emballement idéologique, il n’est pas un intellectuel non plus. sa protestation provient du dégout qu’il éprouve physiquement désormais au contact des rues de la ville. D’autant plus dégouté qu’à son arrivée il ne tarissait pas d’éloge pour celle-ci. ( ou comment du merveilleux on passe derechef à l’effroyable )
Comment ? celui qui appartient à la crème de la crème blanc bien éduqué poli ne trouve pas de travail malgré tous les efforts qu’il fournit ( un gentleman devrait-il fournir autant d’efforts pour se rendre utile et obtenir une rétribution- c’est à dire de l’argent ?) Comment gagner sa vie quand elle nous dégoute tellement. La peur nait quand il aperçoit cette engeance grouillante – les chimpanzés graisseux– dans les rues de la ville splendide-elle était splendide tant qu’il ne les avait pas vus, et qu’il mangeait à sa faim.
Comme Lautréamont il va chercher dans des ouvrages de botanique, de paléontologie – Des livres de Science- le vocabulaire nécessaire à créer sa poétique. La latitude et la longitude deviennent des outils pour copier et transmuter cette réalité qu’il déteste comme autant de détails pris à l’anatomie, à la mathématique , à la physique quantique- Tout ce soi-disant progrès qui- il le sait- n’empêchera pas l’inéluctable d’arriver.
Il voudrait ne jamais avoir à pratiquer le sexe ni le commerce, ne pas avoir à se vautrer dans les bas instincts de l’humain ni plus que ceux de l’animal. Pour lui seul le merveilleux et l’indicible valent l’effort qu’il fournit pour les écrire. Ce qui est sain c’est d’assumer sa réserve, de ne pas vouloir biaiser avec ce qu’il éprouve comme dégout, de ne pas faire semblant. Et malgré tout paradoxalement il est le plus charmant des hommes, toujours affable, ne s’énervant jamais, toujours prêt à aider qui le lui demande.
Quand la vie le quitte- tout le décorum de ce que l’on nomme communément la vie – il peut enfin se concentrer sur le travail. Plus rien ne l’en empêche. La pauvreté n’est pas un obstacle, tout au contraire elle lui sert de guide, il ne se dispersera plus, il n’en n’aura plus l’occasion ni la possibilité.
Ce qui reste quand on est sans un, ce sont les sens. Il peut les aiguiser à loisir en pratiquant de longues promenades à travers la ville, développer son odorat, classifier les odeurs leur qualité nauséabonde, méphitique, par catégorie de puanteur de la plus subtile à la plus infecte. Idem pour l’ouïe par laquelle il se rend compte que la musique n’est qu’au final une sorte de pansement qu’on place sur une plaie purulente creusée sans relâche par le bruit.
Cette position , ce lieu, où l’orgueil devient de l’humilité et son contraire il en est parfaitement conscient et s’il assiste ( en spectateur ) à une sorte d’affrontement intérieur / parfois il le met sur le compte de l’espèce , de l’animal, il lui est possible de l’observer hors de son propre corps hors de sa ( petite ? ) personnalité.
Il est au contact permanent de l’indicible ce qui lui rend toute vie impossible—il est en contact perpétuel avec le mythe qu’il invente peu à peu- un mythe malgré lui, un mythe qui nait de son néant personnel et qu’il ne cesse de vouloir creuser encore plus profondément chaque jour.
Et cependant et malgré tout, il reste poli, sociable quand il le faut, toujours prêt à aider ses étudiants, c’est un enseignant, peut-être un universitaire,( l’idée d’une fonction qu’il n’aura jamais la chance d’atteindre dans la vraie vie ) ou comment à partir de la plus grande des frustrations on devient un Hitler ou un écrivain de fiction horrifique
Et cependant il épouse une juive une divorcée . Il est pétri de contradictions et c’est justement ce qui le rend bien plus humain qu’on l’imagine de prime abord, ce qui le rend sympathique —c’est probablement la raison pour laquelle on découvre à sa mort tout un continent de lettres, toute une correspondance échangée aux quatre coins du monde.
Dans les caves de cette université où ne sont pas encore cataloguées toutes les œuvres qu’il a écrites, le mystère reste intact. Sans doute de la même façon que l’histoire de Jésus de Nazareth et de Marie-Madeleine restent intactes ( pour l’instant) dans les caves du Vatican.
Le mythe, la religion, nécessaire à chaque époque, des placébos pour ne pas regarder l’horreur qu’inspire le néant en face.
Créer un mythe de façon personnelle, s’enfouir dedans, puis parvenir à y croire au final ? finalement, on se retrouve dans le pari de Pascal. Le risque moindre de croire plutôt que de ne pas. Et le gain qu’on en retire importe franchement peu.
Concernant les traits du personnage il faudrait qu’il ressemble un peu à K. un peu à J. un peu à L. Quelque chose de longiligne, de sec, aux joues creuses aux yeux légèrement exorbités. Un autre détail surgit pendant que j’y pense, les manches de son veston, elles sont un peu trop courtes.