mai 2022

Carnets | mai 2022

15 mai 2022

Vachement bien ce plancher qui chante. 16h28 dimanche, enfin quelqu’un entre à l’étage. Je m’étais assoupi et grâce au plancher j’ai pu me recomposer une tête à peu près digne de ce nom. “Je vois un bébé” dit l’homme Et un peu plus loin on dirait un violoniste … est-ce que c’est bien ça un violoniste ? — c’est vous qui voyez ! Un dimanche de permanence. J’avais oublié tout ça pendant dans mon assoupissement. De permanence. J’ai écouté leurs pas qui tentaient de réduire le plancher au silence, en vain bien sûr. La gêne d’une pesanteur ça se met sous cloche.|couper{180}

Auteurs littéraires réflexions sur l’art

Carnets | mai 2022

13 mai 2022

En peinture la définition du contraste est la différence entre deux valeurs. Plus il y a de différence marquée entre le clair et l’obscur plus le contraste est fort et inversement moins on parvient à détecter de différence entre les valeurs moins il y a de contraste. En plaçant un contraste différent à chacun des trois plans d’un tableau, en jouant donc sur la différence des valeurs que l’on utilise pour ce faire on crée ainsi une illusion de profondeur. Cela fonctionne aussi bien pour la peinture dite figurative que pour la peinture abstraite. Maintenant que peut signifier le contraste dans la vie de tous les jours ? Que plaçons nous comme valeurs au premier plan de nos préoccupations et surtout comment les mettons nous en opposition afin qu’elles crèvent l’écran de ce que nous appelons notre réalité ? Peut-on imaginer aussi que certaines personnes ne se préoccupent que très peu des autres plans de l’existence à part le premier et encore que lorsqu’ils y sont acculés. Quels sont les trois plans d’une vie s’il fallait la peindre pour lui donner une profondeur ? Au premier plan on placerait donc les préoccupations quotidiennes comme se nourrir, se reproduire ou se perpétrer, se protéger, qui participent des besoins élémentaires de n’importe quel être vivant. Ces valeurs si on peut utiliser ce terme possèdent des contours, une netteté d’une précision indubitable. Puis une fois ces préoccupations réglées on s’intéresserait seulement au plan moyen, on ferait un pas de coté de cette situation d’urgence et on laisserait aller son esprit à estimer une durée, nécessaire pour effectuer des projets, anticiper l’avenir. Et enfin au troisième plan le contraste entre les valeurs deviendrait faible indiquant tout en même temps une notion de lointain comme de flou. Une sorte de « peut-être », ou encore un « je ne sais quoi », un « presque rien ». Chacun des plans est indissociable des deux autres. On ne peut pas vraiment donner une importance plus grande à l’un qu’à l’autre dans l’absolu. Ils sont interdépendants, on ne peut pas en supprimer un sans que le tableau soit réduit à néant. C’est à dire à de la boue, ce que Cézanne évoque très bien lorsqu’il parle d’un effondrement des plans les uns sur les autres. Comment alors prendre le recul nécessaire pour voir le tableau dans sa globalité ? Cette proximité de cœur ou d’âme, et pourquoi pas de peau. De peau serait plus sûr. Cette sensation qui naît à la lecture d’un poème qui fait mouche. L’espace s’en trouve agrandi comme le large et on peut entendre très précisément ce que murmure le monde et qu’on n’entend jamais. Parce que l’on dit c’est la mer, c’est un oiseau, parce qu’on a besoin de s’appuyer sur des rembardes durant les croisières. Hourra ! pour celles et ceux qui laissent passer au travers ce murmure et qui se désagrègent tout entier pour nous le restituer, intact. Hourra… j’utilise ce mot pour exorciser quelque chose je crois. Je l’ai entendu dire récemment lors d’un défilé guerrier, et encore ailleurs après une chasse à courre, la mort d’un grand cerf. Mais ces hourra là salissent le vrai hourra. Il n’y en a qu’un qui convienne c’est celui qui vient aussitôt aux lèvres à la lecture du poème. Peut-être qu’à la fin d’une vie, on peut avoir cette chance juste avant de mourir. Cependant qu’on ne peut plus rien modifier, on ne peut pas s’amener en pleine exposition, comme Turner avec son petit pot de rouge pour peindre une bouée afin de relever le premier plan. On ne peut pas le faire tant que l’on pense une durée, et que l’on est victime de celle-ci. Mais si on reste aligné, droit dans ses bottes jusqu’à son dernier souffle, on sait que tout ça n’est qu’une formidable illusion, un rêve ni plus ni moins. Alors même à ce moment là, à ce moment unique, bien sur que l’on peut prendre toutes les couleurs que l’on voudra pour réparer les valeurs ou les contrastes mal fagotés, ceux surtout qui ne nous conviennent pas à cet instant car ils gênent la lisibilité d’une profondeur. D’une justesse de cette profondeur. Ce ne sont pour autant pas les couleurs qui comptent le plus dans un tableau, mais leurs valeurs et le contraste subtil si possible dont on se servira pour créer les plans et en même temps leur donner le sens que nous avons saisit de la précision et du flou, de la proximité et du lointain, du dicible et de l’indicible. On parle aussi de personnages au caractères contrastés dans la littérature ou le cinéma c’est à dire avec des intentions souvent contradictoires, des conflits internes. Tout l’art de la narration alors consiste à ne pas tout déballer d’un seul coup concernant ce genre de personnage, mais au contraire d’amener progressivement le lecteur à trouver les indices qui peuvent justifier ou expliquer ce caractère contrasté. Les femmes souvent voient plus loin que le premier plan, c’est mon expérience. C’est à dire qu’au début elles ne veulent pas tenir compte des oppositions d’un caractère impossible, elles se situent presque aussitôt dans un plan moyen, dans un projet, un avenir qui mène leur regard embué vers un flou artistique finalement. Mais le problème de ce genre de caractère dans la vraie vie, c’est qu’il devient aussi prévisible que lassant. Et cette lassitude finit donc par oblitérer l’espérance. Ainsi le couple que formait mes parents d’après ce que j’en ai compris évidemment, et qui n’est que ma petite interprétation personnelle. A la fin on finit par ne plus se dire grand chose, il n’y a plus aucun plan sur la comète, plus de projet vraiment sauf d’attendre l’inéluctable pour encore avoir à créer de la différence, du contraste entre ce qui fut présent et ce qui ne l’est plus.|couper{180}

Carnets | mai 2022

12 mai 2022

Entamer un jeûne suite à la perception d’un trop plein ou d’un trop vide, ce qui revient à la même chose. Un pingouin peut tenir 100 jours. On démarre par le glucose, puis les lipides, il faut s’arrêter à temps pour ne pas taper de trop dans les protéines et l’usine se remet en route. La mémoire des cellules c’est quelque chose… 3 petits jours pour passer le cap de l’inconfort, puis ensuite s’installe une stratégie d’économie d’énergie. On ne se nourrit que de l’intérieur. On s’abstient de parler, on esquive les conflits, on se déplace sur coussins d’air, on zigzague entre la réalité et la rêverie dans un état second. On ne jeûne pas pour maigrir évidemment. On jeûne parce qu’on éprouve cette nécessité impérieuse de l’inconnu encore une fois de plus. Et on fait un bras d’honneur à la gabegie organisée, celle de la bouffe, des gadgets qui ne servent à rien, des bavardages et des querelles inutiles. On peint, on écrit un minimum comme de temps à autre on boit un verre d’eau en appréciant la gorgée. L’expérience est une chose, l’expérience d’une experience c’est autre chose. On peut extraire des conjonctures de la première mais la seconde nous échappe. Elle est en tant que principe, elle n’est pas un objet pas plus que rien. Cette évidence nous n’en prenons conscience que dans un présent où quelque chose s’absente, une volonté personnelle de “tirer profit” qui s’évanouit. On ne peut rien en faire ni en dire qui ne nous apparaisse pas aussitôt erroné, voire stupide et en tous cas inutile. Peindre un tableau est une expérience qui produira le tableau, mais l’expérience de cette expérience nous reste étrangère, comme une évidence qui nous aveugle. Que le tableau soit réussit ou raté ne change rien à cet aveuglement. Et c’est peut-être lorsqu’on se dispense de ces deux mots, que l’on s’en délivre ou débarrasse qu’alors la sensation est pour nous la plus “vraie” Il peut exister un plaisir simple de ne rien voir du tout. Que cette volonté au dessus de notre volonté se laisse enfin percevoir de façon fugace. Et que cette nécessité de fugacité s’oppose notre volonté de durée elles seront l’une comme l’autre tout aussi nécessaires Il est nécessaire qu’une œuvre dure pour éprouver en même temps la fugacité, sans doute, de celle ou celui qui en est l’instrument. Et que ces deux nécessités ou volontés, en apparence contraires, dansent dans le moment présent est un mystère pour toujours.|couper{180}

Carnets | mai 2022

11 mai 2022

Les premiers mois de la vie comptent plus que toute la vie. C’est dans cet intervalle que la plupart de nos perceptions, sensations, désirs et peurs se codifient comme des programmes dont nous ne cesseront d’explorer les variations tout au long de notre vie. Il est très difficile de prendre de la distance avec ce programme, d’en étudier les occurrences, les répétitions, les boucles sans en être sorti. Et si l’on parvient à s’en sortir on se trouvera encore plus démuni qu’avant bien souvent car la liberté de choisir soudain sa propre vie est encore une épreuve à dépasser. Combien de tout ce que l’on croyait cher, indispensable doit on laisser derrière soi pour s’extraire du programme ? Une multitude d’êtres, d’objets, de pensées, d’idées… Pour parvenir à encore plus de solitude se dira t’on parfois non sans un certain dépit. Ou bien pour rejoindre les autres plus intimement se dira t’on aussi. Car être vraiment seul est encore un fantasme, une peur, une chimère. Tout est connecté mais lorsque la conscience en prend conscience l’utilité de le déclarer tombe comme un fruit mur de l’arbre. Que ce Je soit un dieu ou un diable quelle importance quand on ne sait même plus désormais ce qu’est d’être tout simplement humain. Cette fille dont je me souviens était un trésor, et aussi le dragon assit sur ce trésor. Depuis sa plus tendre enfance elle avait été aimée, choyée, probablement comme une princesse et évidemment on la destinait à épouser un prince moderne, médecin, chirurgien avocat, etc. Il a fallu qu’elle jette son dévolu sur le miteux que j’étais à 18 ans. Un farfelu total, désespéré d’avoir sans cesse à prouver que j’existe. Vivre sans avoir besoin de preuve c’est quelque chose et ça se voit, ça se sent. Lorsqu’on s’est séparés elle m’a vaguement parlé d’aller je ne sais où pour » faire de l’humanitaire » une fois sa médecine achevée. C’est là que j’ai compris que même les dragons assis sur des trésors peuvent suffoquer et se culpabiliser d’être ce qu’ils sont. Et dans mon for intérieur je me souviens aussi d’avoir espéré qu’elle renonce à ces conneries, qu’elle assume à la fois le dragon et l’or merde ! C’eut été la moindre des choses et je n’aurais pas eu par la suite à m’endurcir autant après une telle insulte à mon intelligence. Je lui en ai énormément voulu, en tâche de fond et durant des années. Cela a occasionné des ravages car au moindre dragon je me transformais en Saint-Georges et je me barrais avec la caisse. Mais heureusement tout finit par m’ennuyer et l’ennui se transforme ensuite, comme le plomb en or, la rage brute en bienveillance, cet antichambre de la grâce. Puis quand la grâce s’amène je la vois clairement et j’y renonce On ne m’y reprendra plus ; c’est ce que je me dis à chaque fois. Et bien sur je recommence, je recommence comme un tableau en balançant des couleurs en pagaille sur la surface blanche.|couper{180}

idées

Carnets | mai 2022

10 mai 2022

acrylique sur papier, travail d'élève La valeur est un mot important en peinture. En effet, la valeur est plus que la couleur elle-même, c’est elle qui crée l’illusion d’une profondeur, de par les différents types de contrastes que l’on distribuera dans les plans du tableau. Lorsque j’évoque cette notion de valeur à mes élèves je leur conseille de ne pas en prendre plus de trois ou 4 en incluant parmi celles-ci les basses ombres et les hautes lumières. Au-delà de quatre, la confusion s’installe rapidement, un peu comme dans la vie. Ce que nous nommons des valeurs dans la vie n'est-ce pas ce qui nous importe, ce qui nous guide et nous limite accessoirement. Avec le temps il est possible que le champs de ces valeurs pléthorique au début se réduisent drastiquement avec l'âge, au même titre que se restreignent le superflu, le divertissement commercial facile, l’inutile. Et bien que je n'ai pas encore atteint l'âge avancé où parviennent certains vieillards sages et malicieux il me semble que je peux déja prédire que le meilleur synonyme d'utile sera pour moi un jour le nécessaire.Car n'est-il pas le signe le plus flagrants que l’âge est enfin atteint. On a de moins en moins envie de complication, ni de perdre son temps L’idée que la fin est proche nous rend plus circonspect concernant les hypothèses de s'égarer avant même d'être mort. On pourrait alors l'irrepressible envie, tout en invoquant le besoin de vouloir faire le point, comme un marin cherchant la meilleure route pour rentrer au port. Qu’est-ce qui compte vraiment ? Que dois -je retenir de cette expérience de vivre ? Que laisserai-je derrière moi ? Que me reste t’il de ce qu’autrefois et à tort bien souuvent, j’appelais mes valeurs ? Et surtout ; comment est-ce que je veux vivre ces quelques heures jours, mois ou années qu’il me reste désormais s'il arrive soudain que j'ai enfin vue sur ce que je juge l'essentiel. Même si je sais que l'essentiel fluctue tout au long de la vie bien souvent à force de confondre le but et la valeur. A mon humble avis chaque but que nous nous fixons n’a de véritable raison d’être que pour mieux appréhender les valeurs qui nous fondent. Ou celles qui ne nous fondent en rien justement. Et, cela sera bien sur unique, différent pour chacun. Ainsi, pour explorer la valeur liberté qui m’a toujours été si chère je n’ai pas cessé de me mettre dans des positions d’esclavage. Il en est de même je crois de mon élan vers l’agitation pour étudier cette autre valeur importante qu’est la tranquillité. J’ai étudié la vie comme la peinture de la même façon : par les contrastes. C’est à dire tout simplement en cherchant à percevoir la différence entre deux valeurs. Comme si la seule vérité personnelle ( autre valeur importante) que je pouvais accepter raisonnablement comme follement d’ailleurs, se situait toujours à la jonction, à la frontière des opposés. J’ai expérimenté la liberté ainsi que je l’ai comprise par moi-même seul et à différents âges de mon existence. Je sais parfois, je m'en souviens que la liberté m'ennuie tout autant que si je me retrouvais enfermé dans un cachot. J’ai expérimenté l’enfermement et j’y ai découvert une forme de liberté inédite qui a aiguisé ma curiosité. Puis j’ai perdu de cette curiosité qui n’était poussée que par la volonté d’acquérir du savoir ou du pouvoir pour découvrir la compassion en voyant à quel point tout le monde se débat plus ou moins avec ces histoires de buts et de valeurs. J’ai décidé d’être sans but et sans valeur et je suis devenu soudain plus discipliné et moral que jamais en découvrant le quotidien et la régularité. Ainsi j’ai effectué mon travail de peintre jusqu’au bout je m’en rends compte à présent. Cela ne donne pas un résultat dont je puisse être fier outre mesure. La fierté d’ailleurs ne semble pas ou ne semble plus être une valeur nécessaire plus pas plus que l'orgueil qui se larve dans l'excès de mésestime de soi, son reflet inversé. Au demeurant, remontent mes souvenirs de petit garçon qui s’interrogeait sur la vie, les questions essentielles : Qui suis-je ? d’où est ce que je viens et ou est ce que je vais ? Autant de questions qui font faire cette moue presque méprisante aux bouches adultes. J’ai tenté de trouver maintes fois des réponses à ces questions et il faut bien aujourd’hui accepter le fait qu’aucune de celles ci n’est réellement satisfaisante. Et peut-être - est-ce seulement temporaire - il me semble que je perds peu à peu ce besoin de vouloir partager les réponses à ces vieilles questions. Je n’ai pas de honte, je n’en rougis pas, pas plus que je ne suis fier. Il n’y a pas là de défaite pas plus que de victoire. Ce que j’ai appris je l’ai appris avec chacun de mes organes différemment que ce soit la cervelle, le cœur, le colon, les reins, le foie, les couilles, et bien sur le pénis sans oublier le trou du cul. Chacun de ces organes possède une science particulière de la vie. J’aurais aimé pouvoir en rendre compte au travers de mes peintures et de mes textes. Mais même cela me semble inutile aujourd’hui. J’aurais poussé l’absurdité à l’extrême de ce que je pouvais la supporter, et surement bien au delà de ce que les proches qui m’ont côtoyé l’acceptèrent ou l’acceptent encore. Evidemment j’ai étudié aussi le proche et le lointain par la même occasion ainsi. Au bout de ce périple, j’ai vraiment parfois la sensation très nette de parvenir à un bout, au bas du tableau, comme au bas de la page, à la marge ; mais peut-être n’est-ce encore qu’une peur ou un désir, au bout de ce périple donc, je m’aperçois qu’il n’y a pas de réelle différence entre deux valeurs que celle que l’on choisit de leur attribuer. Dans l’absolu et sans ce choix aucune différence ne saurait les distinguer l’une de l’autre. Il n’y a qu’une immanence face à l’immanence, une immanence face à elle-même et ce n’est restituable ni par la peinture ni par l’écriture évidemment. Ce que l'on restitue c'est sans le sentier que nous empruntons pour tenter d'y parvenir. C’est à la fois un secret et un silence que l’on emporte avec Soi pour rejoindre les feuilles dans le vent et les oiseaux du ciel.|couper{180}

Carnets | mai 2022

8 mai 2022

Acrylique sur papier travail d'élève 2022 S’enfoncer sous la terre pour aller peindre, c’était déjà la tradition il y a 35000 ans. Rien de facile, rien de tapageur, pas d’esbroufe. Je me sens dans cette proximité là avec ces femmes et ces hommes, avec leur progression dans l’obscurité des galeries, des boyaux, des grottes. Humble face à leurs intentions. Ici désormais plus de tigre à dent de sabre, plus de mammouth, et la grotte doit être, elle aussi repensée, réinventée. Tout obstacle doit être rafraîchit. La jungle des clichés, des mots d’ordre, des slogans dans laquelle des furieux sont tapis, prêts à bondir sur leur proie pour survivre. Le danger comme le mystère, l’effroi sont une nécessité pour la paix, la lumière la sécurité , les uns ne vont pas sans les autres. Et parvenir à identifier en chaque occasion en soi le pleutre comme la tête brûlée se côtoyant dans cette danse est une étape. Un virage qui mène vers encore plus d’obscurité, et plus de nécessité aussi. acrylique sur papier travail d'élève 2022 La notion d’impeccabilité dont parle Castaneda, ce leurre nécessaire pour tisser de l’étrange, du mystérieux lorsqu’on est jeune…et comment la compréhension d’un mot peut, elle aussi , se transformer avec le temps, avec l’âge jusqu’à évincer au final tous ces mots, les reléguer dans l’inutile. Quand l’attirance nous renvoie comme une brindille, après un long voyage de l’esprit, au travers de tout le compliqué que l’on s’invente , vers la berge, le clapotis permanent du simple. C’est un équilibre constitué de petits déséquilibres. Comme on tient le volant d’une voiture, on corrige l’axe par de petits gestes, des micro mouvements des bras et des poignets, sans même en être conscient. Pendant ce temps on pense à tout un tas de choses, on attribue de l’importance, une hiérarchie, des priorités. On pense à côté de ses roues pour ne pas dire à côté de ses pompes. Sortir de ses gonds c’est ce qu’on nous propose de ne surtout pas faire, et c’est justement pour cela que je n’hésite jamais. C’est spontané, limpide. Sinon la réserve l’ulcère l’encaissement, le faux fuyant pour revenir comme un boomerang… Donc comme lorsque je commence un tableau je n’hésite pas à dire merde ou bite cul, con, couille ! tout haut. Puis je recule, un mètre ou deux, une journée ou une semaine pour laisser reposer les choses, ou se dissiper l’aveuglement. C’est par ce mouvement seulement que j’ai appris une certaine bienveillance et à créer de la profondeur. Et ma foi si c’était à refaire j’emprunterais sûrement le même chemin pour parvenir au même but, même si je voulais faire autrement. Il y a une nature en toute chose, une fois qu’on la découvre l’évidence est un baume. Il faut que le point gris saute par dessus lui-même dit Paul Klee. C’est applicable partout… On peut se complaire dans la tristesse et la boue comme dans la frénésie de l’hystérique, et ce durant un moment, ou sur les réseaux sociaux, appartenir au concert général bon an mal an… Et tout à coup s’avancer et jouer sa propre partition en se fichant totalement des avis du chef d’orchestre qui d’ailleurs s’en fiche tout autant en tournant le dos au public. Et puis il y a ce type buvant demi sur demi dans cette éternité de l’instant, d’où surgit la mémoire, et qui dit : — le cul est le point noir de l’esprit Et qui se tait à nouveau.|couper{180}

Auteurs littéraires peintres

Carnets | mai 2022

7 mai 2022

L’esclavage. On ne saurait dire à quel point il est toujours présent. Sous différentes formes souvent insidieuses. Par exemple la bonne pensée serait de lire chaque jour tout ce que chacun des abonnés de ce blog publie. Il y a des jours où je me demande si cette bonne pensée n’est pas un joug aussi serré finalement que les fers anciens auquel on attachait les boulets. En parallèle bien sûr la mauvaise pensée, qui est cette rébellion permanente depuis l’enfance envers toute forme d’autorité. 1848 la date de l’abolition de l’esclavage … croit-on. Entre les deux, cet espace, un aquarium où vit le poisson rouge. Le voici le voilà qui monte à la surface pour plaquer ses lèvres contre la membrane ténue du moment. Peut-être bien que oui, peut-être bien que non. Et puis l’envie furieuse et jouissive de dire merde à l’algorithme, associée à celle, séduisante, de repartir une fois encore de zéro.|couper{180}

Carnets | mai 2022

6 mai 2022

Et bien même si j’ai beaucoup d’affection, de tendresse, tout ce que l’on voudra, en ce qui concerne la chatte , je crois qu’elle n’est pas plus avancée que je ne le suis sur le plan pratique. Après quelques échanges avec le voisin l’autre jour, il a bien voulu placer une poubelle sous l’auvent de son toit afin qu’elle puisse sauter sur celle-ci et rejoindre la maison comme le ferait n’importe quel félin normalement constitué. Mais c’est en vain. Elle tourne en rond dans la cour voisine en miaulant au secours aidez-moi, ou quelque chose que je traduis comme « viens me chercher » évidemment. Ce que je fais en pleine nuit , avec cette fois un escabeau. Je me retrouve à nouveau debout sur le compteur EDF dans la rue à vouloir basculer l’escabeau par dessus le mur du voisin. Mais l’engin est plus lourd que l’échelle que j’avais utilisée ( voir les épisodes précédents ) Donc je bascule le fichu escabeau qui pèse un âne mort, et je m’aperçois qu’il est trop court, que les pieds de l’autre coté ne touchent pas le sol. La chatte est assise au milieu de la cour du voisin et me regarde faire en miaulant faiblement comme pour dire, c’est quoi ce bidule, tu comptes vraiment que je monte là dessus ? j’essaie de l’appeler toujours avec au bout du bras l’engin en espérant qu’une lueur lui vienne pour sauter sur la première marche et me rejoindre. Mais non. On se regarde dépités tous les deux. Je ramène l’escabeau coté rue, je pousse un juron de plus. Car tout de même zut, elle pourrait faire un effort. Le voisin a bien placé la poubelle sous son versant du toit. Il ne suffirait que d’un bond pour qu’elle grimpe dessus et de là revienne vers la maison. Mais non, rien à faire. Penaud, désespéré, je reviens à la maison mon escabeau au bout du bras. Il ne faut pas faire de bruit car dans la chambre au rez de chaussée dort la petite fille. Ce serait la totale. Je me resserre un café, allume une nouvelle cigarette. Puis je me dis que ça n’arrive qu’à moi ce genre de péripétie et que ce n’est surement pas par hasard. Qu’il y a quelque chose à comprendre, surtout lorsque cela se représente plusieurs fois. Soit je me complique trop la vie, soit pas assez. Mais ce qui est sur de plus en plus c’est que pas plus la chatte que moi n’avons inventé le fil à couper le beurre, ni l’eau chaude. On est aussi nigaud l’un que l’autre. Ou peut-être que ça nous plait de nous sentir prisonniers, enfermés dans ce genre de situation à la noix. Peut-être que c’est juste une caricature de prison qui nous permet de nous habituer à d’autres petit à petit, à mieux nous familiariser avec cette idée… Enfin, je suis allé chercher le paquet de croquettes que j’ai froissé pour qu’elle reconnaisse le bruit par delà les murs et les toits. L’appel du ventre… Encore faut-il être suffisamment affamé pour y prêter la moindre attention. Voilà peut-être la raison ultime, une faim véritable qui nous fera, à elle comme à moi, retrouver le chemin du bercail, en finir avec la stupidité, ce prétexte. L’impression première de désordre sur la toile ne provient que d’une relation avec un ordre appris, ingurgité péniblement. Un ordre qui serait commun mais étranger à une notion toute personnelle de ce que peut être véritablement l’ordre. Et qui est d’ailleurs à terme un fantasme. L’ordre est une idée, une injonction mentale qui se résume à vouloir contrôler, donner du sens, supprimer l’aléa, évincer le hasard tout en le faisant exister encore plus comme une entité gênante, ennemie. Mais comment peut- on vraiment nommer un désordre sans effectuer le constat de notre ignorance ? Et cette ignorance peut à la fois tenir à une incompréhension des règles sur lesquelles s’appuie une communauté et simultanément à ce refus de s’y attacher, puisque justement on, je, ne les comprend pas. Le désordre peut donc provenir d’une révolte bien sur, comme d’un doute, d’une inaptitude à faire confiance au groupe. Se démarquer par un désordre personnel et maintenir cet écart systématiquement et longtemps dans une durée exige plus que de la colère, de la tristesse, mais une ténacité qui vient d’un but dans l’avenir. Ce but on ne le connait pas d’une origine. C’est juste la certitude qu’il y en a un qui joue le rôle de combustible. Je remarque que ce blog est dans le même désordre que mon atelier et que ce désordre est toujours la porte d’entrée de chacun de mes tableaux. Cependant lorsque je veux » ranger » c’est à dire la plupart du temps éliminer le superflu, résumer, simplifier, ça ne fonctionne que sur les tableaux. Parce que j’accepte que ce soit ma façon personnelle, naturelle si je peux dire de ranger les choses à ma sauce, sans me préoccuper des autres. D’où pas mal de sueurs froides, de maux en tous genres sitôt que je dois mettre en place des expositions. Le doute revient à la charge, surtout quand je ne dors pas suffisamment comme ces derniers jours. Et si je m’étais trompé ? Et si tout cela n’était que de la merde ? Et si j’étais tout simplement une grenouille qui veut se faire aussi grosse qu’un bœuf ? C’est bien ce que je disais plus haut, sans la foi rien n’est tenable. Et il est probablement nécessaire aussi d’en douter fortement, par période, pour remettre un peu d’ordre aussi dans une confusion incessante entre attirance et répulsion. Car s’extraire de la gravité, trouver le point exact où s’effectue la sortie, l’évasion… l’antigravité demande de se tenir à une certaine distance de ces deux trous noirs tout en faisant partie intégrante de l’observation. On peut résumer les choses plus simplement. Il n’y a que la conscience, mais sans le doute, sans le désordre elle ne peut asseoir aucune certitude quant à elle-même. Tout comme l’infini s’appuie pour s’élancer plus avant sur le fini. Et quand le dialogue entre la toile et le peintre se nourrit comme par jeu de cette réalité c’est de la poésie en couleur. Une poésie personnelle qui ne se partage peut-être pas. Il faut aussi beaucoup de ténacité pour accepter le fait qu’elle puisse ne pas se partager, qu’elle puisse ne jamais se partager et continuer. La certitude qu’un tableau ne pourra jamais se partager totalement, que nul n’y trouvera ce que le peintre lui-même y a déposé et n’a pas trouvé.|couper{180}

Carnets | mai 2022

5 mai 2022

le cerisier Collection privée 2018 huile sur toile Un enfant qui rêve d’évasion ne peut la rêver qu’avec ce qu’il trouve tout autour de lui et en lui. Si dérisoires soient ses outils, et finalement si convenus. Le bâton que l’on épluche et taille, quelque flaque d’eau après la pluie, le goût acide de l’oseille, et le chapardage de quelques cerises, de pommes et de radis. Quel choc alors de franchir le seuil d’une autre maison, d’une autre famille ! C’est comme arriver sur une autre planète, un autre monde, un univers inédit. Ici les gens parlent une autre langue et dont pourtant l’accent est familier. Un écho ténu de quelque chose qui, dans l’enfance de l’enfance, est reconnu aussitôt et on s’en nourrit avidement. Pas d’autre élément de comparaison que l’ingestion de nourriture. cet emportement de la bouche vers la chair , se jeter sur de la viande pour la mordre, la déchirer à pleines dents, presque sans la mastiquer, mais l’avaler tout rond, goulument. Comparer les deux maisons, les deux familles, ces deux univers tellement distincts, se rendre compte de cette différence comme d’un gouffre. Sentir dans la poitrine le cœur qui bat et des sueurs froides en parallèles ferroviaires. Puis constater chez l’autre l’élégance du geste tenant la fourchette, cette précision du geste qui conduit sans faille la nourriture à la bouche, l’absence d’ empressement, le mouvement régulier des mâchoires qui mâchent, malaxent les aliments. Suivre la bouchée qui dépasse la glotte ou la luette puis disparait en faisant trembler un cartilage, une pomme d’Adam. Et soudain sans comprendre d’où elle vient, se retrouver aux prises avec une envie de meurtre. Ce besoin de comparer, d’évaluer comme d’avaler, c’est une corde que l’enfant tresse pour s’évader une fois l’issue découverte. Pour s’évader ou pour se pendre. C’est ne pas accepter ce qui est, tel que cela est. Caresses et brimades, mots d’amour et d’insultes entremêlés. Voilà comment participer à l’infini. En s’y heurtant continuellement comme pour ne pas cesser de l’éprouver , rester en contact, en s’absentant pour la plus belle part comme la pire. Publier sur ce blog m’oblige à tenir en joue le ridicule en continu. Ma propre idée de ridicule. De ne jamais la perdre de vue, comme une évidence. Etre au delà du contentement ou de l’insatisfaction aussi, en acceptant le fait que publier c’est réduire en poudre le présent en passé. Ne plus s’en préoccuper ensuite. Comme si j’allais de texte en texte comme à cloche-pied l’instant. Traversé comme je l’ai déjà dit par le vent. Bien sur que tout cela c’est du vent et en même temps peut-être pas que. Quelques feuilles vives encore, pas tout à fait mortes y trainent. Mais à peine cette pensée m’effleure qu’elle aussi s’en va, elle n’existe déjà plus à la fin de cette phrase. Cette pierre philosophale que nombreux cherchent, il me semble qu’elle est en lien avec l’instant présent. Peut-être aigue au moment du clic sur le bouton bleu. Qu’avec lui. Cette pierre est l’instant. Et si je parviens à sauter ainsi de pierre en pierre comme d’instant en instant, à gué mon corps entier peut bien pourrir mon esprit reste vif. J’y pense et puis j’oublie comme dans cette vieille chanson de Dutronc. visage sur papier 2018 gauthier 7 ans visage sur papier, Gauthier 7 ans Ecrire ainsi la nuit, quand tout le monde dort. Les petits enfants sont là pour une semaine. Ainsi les journées sont bourrées à craquer de petits moments qui s’enchainent les uns aux autres sans que la distance ne soit requise. Surtout pas. Puis quand je me réveille au bout de quelques heures de repos, toute cette distance neuve est là. J’ai toujours pratiqué ainsi. Entre l’immanence et la distance qui me sert de ligne pour pécher dans le courant des choses quelques éléments à retenir, non pour m’en souvenir, mais parce qu’ils symbolisent quelque chose sur laquelle je n’arrive pas à poser vraiment le doigt. Une sorte d’énigme. Un peu comme un tableau finalement que je commence en état de transe, en me remettant au hasard, à cette fameuse immanence, dans un premier temps. Puis je pose celui-ci sur le chevalet, je recule de quelques pas et c’est seulement à ce moment là, lorsque j’arrive à une certaine distance que je peux découvrir quelque chose d’insolite. Quelque chose qui ne sera pas un cliché. Et qui va alors si je peux utiliser ce mot : m’inspirer. Puis la vie reprend ses droits et nécessite d’expirer. Ecrire ainsi c’est une façon d’expirer. Puis dans quelques semaines, quelques mois quelques années, qu’en sais-je, quand j’aurais pris suffisamment de distance encore, tout cela m’inspirera peut-être. Mon projet s’arrête souvent à cela concernant ces textes. A un peut-être. Mais cela tient plus de l’incantation, d’une petite chanson que l’on se chante à soi-même. Pour que la vie passe vite et en même temps intensément, profondément comme une entaille, cette notion de projet a toujours été une sorte de d’étai ou de béquille. Parce que je me sens handicapé de la traverser ainsi sans y penser. je n’ai pas ce courage là.|couper{180}

Carnets | mai 2022

4 mai 2022

Dans le journal de Kafka, qui écrivait lui aussi pas mal de conneries, il faut bien le dire, j’avais été ravi de découvrir une page sur laquelle il n’y avait que deux mots. « Aujourd’hui, rien. » C’est drôlement tentant. Et mensonger. Mais comme je ne suis plus vraiment à un mensonge près… je crois que j’ai plus peur de Google que du mensonge en général, qui m’accuserait de plagiat. Mais même cette peur là à quoi bon ? La nouvelle abrupte qu’en moins de 2 minutes la fin du monde serait pliée m’atterre je n’ai même plus envie de me mettre en rogne, de trépigner. Je me demande juste comment dépenser chaque seconde qui reste un peu moins bêtement que d’habitude lorsque je me croyais éternel. mais, même ça me parait suspect. Comme s’il fallait trouver du profit dans tout même le pire, surtout dans le pire Tout ça à cause des Grecs anciens et d’une pensée pratique à la mords moi le nœud. Y a des jours où j’adorerais être né chinois hindou, modeste. Et ça ne me rassure même pas de constater que je ne suis pas le seul. En ce moment c’est à la quantité de blancs que je peux estimer un tableau. Ces blancs qui recouvrent la couleur surtout. Et qui n’ont pas la même charge émotionnelle que le blanc de réserve. Ainsi ce tableau de Miro qui est censé être une maternité. Constater que d’autres sont déjà passés par là est une émotion aussi.|couper{180}

Carnets | mai 2022

3 mai 2022

Résolution. Autrement dit : tarte à la crème, ailleurs, demain. Au moins une à la minute en période de crise. -- Ouvrir un blog sur le jazz. -- Étudier le sanskrit. -- Couper les griffes de la chatte. -- Tout plaquer, partir en forêt. -- Relire Jack London. Jules Verne. Un long moment devant le mur de jasmin me remet un peu d’aplomb. Mais voilà que ça me reprend. Créer des fiches personnages. Que de l’action, pas de blabla. Il marche. Il saute. Il ou elle hurle. Et les expos ? Faire les listes. Revoir les prix. Noter les dates. Ne pas s’embrouiller. Retourner devant le mur de jasmin — et de chèvrefeuille. C’est mélangé. Payer l’électricien. Arrêter l’abonnement podcast. Vider la mémoire de l’iPad. Peut-être apprendre le chinois… Refaire le site. Retailler les images. Écrire des choses moins connes. Acheter du pain. Des œufs. Du lait — pour la pâte à beignets. Prévoir le cinéma jeudi. Rester calme. L’enfant a dit à son père qu’il avait peur de s’ennuyer chez nous. Réparer la trottinette. Atelier tarte aux poires : mardi, donc cet après-midi. 15-17h. Arrêter de fumer. Arrêter de prendre des résolutions. Prendre les choses comme elles viennent. Surtout celles qui ne viennent pas. Scolaires. Voilà le mot. J’avais tenté : timorés, engoncés, orgueilleux… Non. Scolaires. Hourra. Vous êtes beaucoup trop scolaires. Vous devez déborder, nom de Dieu.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | mai 2022

2 mai 2022

“Bien sûr que si, que je suis réelle !” protesta Alice en se mettant à pleurer. “Ce n’est pas en pleurant que vous vous rendrez plus réelle, fit remarquer Tweedledee ; et il n’y a pas là de quoi pleurer.” “Si je n’étais pas réelle, dit Alice – en riant à demi à travers ses larmes, tant tout cela lui semblait ridicule –, je ne serais pas capable de pleurer.” “J’espère que vous ne prenez pas ce qui coule de vos yeux pour de vraies larmes ?” demanda Tweedledum sur le ton du plus parfait mépris. De l’autre côté du miroir, chapitre IV Lewis Carroll — La tristesse comme la joie sont des pièges qui ne servent qu’à capturer l’attention de l’autre. Et c’est avec la plus grande froideur qu’il faut désormais considérer toutes ces fichues émotions, déclara tout à coup Charlie. — Et le savez-vous, cher ami, dit-il en se retournant vers son cadet, savez-vous que la compassion obtenue ainsi par la ruse est un nectar, que sa robe est d’un rouge plus chatoyant que celle du sang ? Puis, faisant encore mine de réfléchir un peu plus loin et comme pour lui-même : Tout bien peser la compassion possède aussi un bien meilleur gout que celui du sang. Quoique l’un n’aille vraisemblablement pas sans l’autre. Le soleil descendait sur l’horizon et les champs de tournesols de chaque coté de la départementale avaient pris des tonalités couleur de rouille. Les deux jeunes gens n’étaient pas seuls ils étaient accompagnés de leurs ombres qui cherchaient à s’abreuver en s’allongeant à leur cotés projetant leurs petites têtes dans l’ombre des fossés. La pluie avait cessé depuis quelques minutes et le clapotis de l’eau filant sa pente, seul, signalait sa présence avant de disparaitre tout en bas dans le vallon. — Est-ce que c’est encore loin Charlie ? demanda le plus jeune à son ainé. — Ne me dites pas que vous êtes déjà fatigué Louis, un peu de nerf ! C’est tout à fait le genre de question qu’il ne sert à rien de se poser . Puis, se reprenant. Nous arriverons avant la nuit je vous le promets, et cela devrait être suffisant pour ne plus vous inquiéter. — Mais j’ai mal aux pieds et j’ai faim tenta à nouveau le plus jeune des deux garçons. Mais cette fois l’ainé resta silencieux et sans même tourner le regard vers lui il accéléra le pas. Ils étaient partis de la maison à peine une heure avant l’aube. Charlie avait noué les draps de leurs lits ensemble, puis il avait balancé cette corde de fortune par la fenêtre du 1er étage tout en prenant mille précautions en l’ouvrant pour ne pas la faire grincer et ne pas éveiller les autres habitants des lieux. Il avait soulevé son jeune frère par les aisselles pour l’aider à descendre le premier tout en le rassurant qu’il ne risquerait rien s’il voulait bien lui faire confiance. Mais c’était une recommandation inutile. Louis était en admiration totale pour son grand frère. Ils étaient ensuite arrivés au bout de l’allée de graviers au grand portail et c’est encore Charlie qui s’était occupé de l’ouvrir avec minutie puis qui l’avait soigneusement refermé derrière eux. L’éclairage public dans le quartier où ils vivaient était chiche, un lampadaire sur deux possédait encore son ampoule intacte. — C’est par là dit Charlie à Louis n’ayez pas peur, vous n’avez qu’à attraper la sangle de mon sac-un petit sac tube dans lequel il avait rangé quelques victuailles chipées la veille à la cuisine pendant que les autres étaient affalés à moitié endormis devant la télévision. Puis ils avaient gravi la pente en s’enfonçant de plus en plus dans l’obscurité. Après avoir marché un moment ils virent le soleil se lever doucement alors qu’ils parvenaient au sommet de la colline. Le spectacle était grandiose, des nappes de brumes montaient de la terre laissant distinguer entre leurs volutes d’autres collines plus lointaines et tout près d’eux quelques arbres à l’aspect fantomatiques. Puis soudain la lumière avait jaillit pour repousser tous les doutes et les à priori. La merveilleuse campagne du pays Bourbonnais leur apparut. Cela leur avait donné du baume au cœur, ils avaient pris le temps de grignoter quelque chose que Charlie avait tiré de son sac tout en énonçant son plan d’action. — Nous allons devoir marcher toute la journée probablement, c’est une épreuve qui demande du courage, de l’endurance Louis. Si vous ne vous sentez pas capable il est encore temps de rebrousser chemin. De plus une fois parvenus là-bas, le plus dur nous attendra encore. Je vous prie de bien vouloir réfléchir à tout cela avant de prendre définitivement votre décision. — C’est bon Charlie, je vous suivrais en enfer s’il le faut ! avait répondu le jeune homme en essayant de mettre le plus de conviction possible dans cette réplique qui appartenait à l’un des protagonistes de l’une de ses bandes dessinées favorites. Blek le Rock. Tu as pris de l’eau , ajouta t’il en oubliant le vouvoiement. — Vous avez pris de l’eau ! Le repris son frère ainé. Et il extirpa du sac une gourde de plastique qu’il lui tendit avec une pointe de mépris. — Le tutoiement c’est pour les faibles et les hypocrites cher ami, souvenez-vous en ! Louis regarda son frère attentivement, mais le regard qu’il trouva n’appelait pas le moindre doute, il ne plaisantait pas, il croyait vraiment à ce qu’il disait. Pour la première fois depuis qu’ils étaient partis il éprouva un léger frisson qui n’était pas du à la température. La fin de l’été approchait et quelques instants auparavant il venait de s’éponger le front après avoir gravit la grande cote du Cluzeau à la sortie de Vallon en Sully. Les parents des jeunes gens s’étaient levés comme à l’ordinaire. La femme avait préparé le café et en attendant qu’il coule, elle était allée allumer la télévision pour suivre une émission dans laquelle le couple de présentateurs présentait pèle mêle : une recette de cuisine, quelques conseils de jardinage, et bien sur les divers outils et ustensiles nécessaires pour réaliser toutes ces choses. Sans omettre d’indiquer le plus de facilités et de marches à suivre possibles pour les acquérir soit en magasin, par téléphone ou par correspondance. Vers 10 h ne voyant aucun des deux enfants apparaitre la femme poussa la porte de leur chambre et resta bouche bée en apercevant les deux lits jumeaux vides et la fenêtre grande ouverte. Puis elle appela son mari. — Claude je crois que nous avons un problème. Elle adorait cette expression sans doute parce qu’à chaque fois qu’elle la disait son mari lui répondait qu’il n’y avait jamais pas de problème mais que des solutions. Elle était assez curieuse de voir comment cette fois il allait trouver la solution. — Mais c’est pas vrai dit l’homme, quels petits cons ! Puis il s’en retourna vers la cuisine et s’assit pour avaler son bol de café, le front barré de grosses rides qui signifiait ostensiblement l’inquiétude qui à cet instant même devait être en train de le ronger. La femme s’installa aussi et tout en beurrant les tartines ils commencèrent à échanger quelques hypothèses. — tu y as été un peu fort avec Charly, tu n’aurais pas dû le frapper autant et avec ta ceinture en plus, ça laisse des traces. Et puis quand tu commences tu ne sais pas t’arrêter, ce n’est pas la première fois. Il a failli s’évanouir encore la dernière fois. On aurait l’air fin de devoir appeler le médecin. — Il m’agace tellement que c’est plus fort que moi. Et quand il me tient tête ça me rend carrément dingue. — Ce n’est qu’un gamin voyons Claude, tente de temporiser la femme. Il ne comprend pas, il ne comprend rien. tu ne peux pas lui demander autant, il n’a pas vécu ce que tu as vécu à son âge. Les temps ont changé les enfants ne sont plus les mêmes. — Je vais prendre la voiture pour aller voir au canal s’ils n’y sont pas dit l’homme en allumant une cigarette et exhalant lentement une première bouffée. — tu crois qu’ils sont partis pécher ? L’homme ne répond pas il hausse les épaules. — Il faut qu’ils choisissent spécialement le week-end pour m’emmerder dit il d’un ton fatigué. Puis il enchaina avec un « on ne va tout de même pas appeler la gendarmerie » … comme s’il se parlait à lui-même cette fois. Le père avait refermé le portail et rejoint son véhicule garé devant la maison. Une Ami 8 flambant neuve, une voiture de service que lui prêtait la société dans laquelle il travaillait. L’odeur de cuir et de plastique neuf le rassura un peu, puis il démarra pour se rendre dans la direction du canal. Avec un peu de chance ils seraient là se disait-il tout en n’y croyant pas beaucoup. Il avait prit le temps de regarder le hangar où était rangé le matériel de pèche et visiblement personne n’y avait pénétré depuis plusieurs jours. Néanmoins il rejoint le pont puis tourna vers l’Allée des soupirs et gara son véhicule pour se rendre à l’endroit favori des deux enfants lorsqu’ils allaient pécher. Bien sur il ne vit personne. Et il poussa un nouveau juron. Puis il prit encore un petit moment avant de tourner la clef de contact de l’Ami 8, il alluma une cigarette pour faire le point. Qu’allait il pouvoir dire aux gendarmes pour expliquer cette fugue car c’était désormais une évidence il s’agissait de ça ni plus ni moins. Il s’en voulait de tout un tas de choses soudainement, ce genre de choses auxquelles on ne pense guère mais qui reviennent par la bande en certaines occasions désagréables. Comme le fait d’être colérique et impulsif par exemple. Comme le fait de ne pas savoir s’arrêter lorsqu’il commençait à frapper Charlie. Il n’y avait personne à l’accueil lorsque l’homme fit irruption dans le poste de gendarmerie. Au loin il lui sembla entendre des voix en train de discuter dans un bureau et il s’engagea aussitôt dans le couloir qui menait vers celui-ci. Deux hommes en uniforme étaient attablés en train de boire un café et ils furent surpris de le voir pénétrer dans la pièce. — Je veux parler au responsable dit Claude avec un ton bourru. Il avait pris cette habitude de toujours vouloir s’adresser au responsable. Que ce soit dans un magasin, dans une société où il se rendait pour prospecter de nouveau clients pour son travail, au centre des impôts, à la banque, il ne semblait pas pouvoir supporter de s’adresser à qui que ce soit d’autre. Comme s’il désirait adresser convenablement son effort que ce soit celui de placer ses produits ou de se déverser sa colère à la bonne personne. Et la plupart du temps ça fonctionnait plutôt assez bien. D’ailleurs pouvait il y avoir quelqu’un d’autre que la personne responsable qui pouvait réellement agir, prendre la moindre décision, dans une situation une configuration donnée ? C’était pour lui d’une logique élémentaire. — Il n’est pas là c’est le week-end lui répondit-on tout en l’enjoignant de rejoindre l’accueil ou l’un des brigadier reprit son poste derrière le comptoir puis lui demanda quel était son problème. — Quel est vôtre problème Monsieur. Et c’était dit avec un ton tellement méprisant eut il l’impression qu’il sentit la colère s’emparer de lui immédiatement. — Comment ça il n’y a pas de responsable ? vous devez avoir un numéro de téléphone où le joindre oui ou non ? appelez le. Lança t’il excédé. — Et bien c’est sa journée de congés répliqua l’autre qui visiblement faisait un effort de patience. Mais si vous voulez bien m’énoncer les faits… — Ecoutez c’est moi qui vous paie oui ou merde ? je ne vous demande jamais rien en général mais là je ne veux m’adresser qu’à votre responsable — Calmez vous s’il vous plait je comprends que vous ayez un problème monsieur ce n’est pas nécessaire d’être impoli pour autant et je vous garantis que je peux tout à fait m’en occuper aussi bien que le responsable, nous sommes là pour ça. — Vous êtes vraiment une bande de branquignoles lâcha l’homme soudainement. Puis il se souvint de la raison pour laquelle il avait poussé la porte de la gendarmerie. Il allait s’en aller en claquant la porte lorsque tout à coup il s’en souvint. Peu avant 15 heures le temps se mit à changer brutalement. Les deux enfants avaient trouvé un coin paisible au bord de l’Aumance à la hauteur d’Hérisson pour déjeuner. Ils eurent à peine le temps de se réfugier sous le pont que de grosses gouttes se mirent à tomber. — On ne peut pas rester bloqué ici trop longtemps dit Charlie, il faut qu’on y aille, et il fit un clin d’œil à Louis en extirpant du fond de son sac deux Kway roulés en boules compactes. Toujours se renseigner sur la météo ajouta t’il en tendant le vêtement à Louis. Et ils repartirent sous la pluie — On a encore combien de kilomètres à faire demanda Louis — Une bonne vingtaine encore il faut pas trainer et puis si on marche à une bonne cadence si on se concentre sur la marche vous verrez qu’on ne sentira bientôt plus la pluie. Il ne faut pas se laisser impressionner par les émotions pas plus que par les intempéries. Vers 22 heures le véhicule de la gendarmerie se gara devant l’Amy 8. La mère était à la fenêtre derrière les rideaux, c’était presque la fin du film sur la une. Son regard alternait entre le poste de télévision et ce qui était en train de se passer dehors. Elle vit les hommes en uniforme ouvrir les portes pour faire sortir les deux enfants en même temps que John Wayne embrassait enfin Maureen O’Hara. Et elle poussa un soupir de soulagement. Puis secoua le bras de son époux assoupi sur le canapé. — Réveille toi on les a retrouvés. — C’est une dame de Saint-Bonnet qui nous a téléphoné en les voyant errer dans le bourg dit l’un gendarmes dont la moustache pensa t’elle ressemblait à celle d’Errol Flynn. Il y eut des remerciements de la part des parents mais l’un des deux gendarmes ajouta qu’il y aurait une suite, que forcément une enquête serait ouverte, car ce n’était pas normal que des enfants si jeunes commencent à fuguer. — Vous vous rendez compte 8 et 6 ans… c’est complètement absurde ajouta le gendarme qui avait l’âge du père. Ils se regardèrent un instant en silence puis les flics saluèrent les parents et retournèrent à leur véhicule. Les deux enfants étaient là au milieu du salon devant la télé. — Charlie que tu fasses des conneries … mais qu’en plus tu entraines ton frère, ce n’est pas possible dit le père en dégrafant sa ceinture. Puis il agrippa le gamin et comme d’habitude il ne connut plus aucune limite. Mais Charlie tint bon. Il serra les dents aussi fort aussi longtemps qu’il put. — La tristesse comme la joie, et toute la cohorte des émotions ne sont que des pièges pour capturer l’attention se répéta t’il encore une fois avant de s’évanouir encore une fois, de ne plus rien sentir du tout Il y a des cons qui savent tout sur tout. Parce qu’ils se pensent « riches » nantis d’une expérience particulière dont ils font une généralité. De là à asséner leur vérité à tout bout de champs pour un oui pour un non, comme pour toujours mieux la conforter, se rassurer, se barricader derrière celle-ci. Nous sommes tous cons plus ou moins de cette même façon. Et ce qui nous hérisse n’est rien d’autre que ce reflet projeté par une intention trouble que nous apercevons à la surface de ceux que nous nommons les autres. Mais ce ne seront jamais les autres vraiment, ce ne seront jamais autre chose que des satellites de nous mêmes tant que nous restons enfermés dans cette pseudo vérité. Le réseau social est le lieu idéal dans lequel tournent en rond toutes ces petites vérités qu’on ne cesse d’assener dans le vide finalement. Il n’a de social qu’une apparence car ce n’est pas autre chose qu’un agglomérat de solitudes retournées contre elles-mêmes, de singularités mal digérées, une grégarité de colères, d’élans fumeux, d’ignorances enfouies dans le péremptoire le mot d’ordre, le slogan. A de très rares exceptions près, suffisantes pour valider la règle ou pour donner l’illusion qu’il est possible de s’évader de cette taule communautaire. Il ne suffit pas d’être seulement , il faut encore beaucoup le paraitre. Mettre son grain de sel à toutes les sauces, se donner la sensation de participer à la manœuvre. Je retrouve une saine fatigue enfin. Celle qui me guide depuis toujours à me débarrasser de tout ce qui ne convient pas, de ce qui m’entrave pour voir, tout en sachant déjà que j’y verrais encore moins. Que la moindre clarté perçue me vaudra de plus grandes opacités encore. Il suffit juste de prendre une bonne respiration, un peu de blanc et de nettoyer tout le bavardage, et tant pis si rien n’en sort qu’une pauvre image qui ne veut rien dire au monde sinon que je n’ai pas grand chose à lui dire.|couper{180}

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