Un enfant qui rêve d’évasion ne peut la rêver qu’avec ce qu’il trouve tout autour de lui et en lui. Si dérisoires soient ses outils, et finalement si convenus. Le bâton que l’on épluche et taille, quelque flaque d’eau après la pluie, le goût acide de l’oseille, et le chapardage de quelques cerises, de pommes et de radis.
Quel choc alors de franchir le seuil d’une autre maison, d’une autre famille ! C’est comme arriver sur une autre planète, un autre monde, un univers inédit.
Ici les gens parlent une autre langue et dont pourtant l’accent est familier. Un écho ténu de quelque chose qui, dans l’enfance de l’enfance, est reconnu aussitôt et on s’en nourrit avidement.
Pas d’autre élément de comparaison que l’ingestion de nourriture.
cet emportement de la bouche vers la chair ,
se jeter sur de la viande pour la mordre,
la déchirer à pleines dents, presque sans la mastiquer,
mais l’avaler tout rond, goulument.
Comparer les deux maisons, les deux familles, ces deux univers tellement distincts, se rendre compte de cette différence comme d’un gouffre. Sentir dans la poitrine le cœur qui bat et des sueurs froides en parallèles ferroviaires.
Puis constater chez l’autre l’élégance du geste tenant la fourchette, cette précision du geste qui conduit sans faille la nourriture à la bouche, l’absence d’ empressement, le mouvement régulier des mâchoires qui mâchent, malaxent les aliments. Suivre la bouchée qui dépasse la glotte ou la luette puis disparait en faisant trembler un cartilage, une pomme d’Adam.
Et soudain sans comprendre d’où elle vient, se retrouver aux prises avec une envie de meurtre.
Ce besoin de comparer, d’évaluer comme d’avaler, c’est une corde que l’enfant tresse pour s’évader une fois l’issue découverte. Pour s’évader ou pour se pendre.
C’est ne pas accepter ce qui est, tel que cela est. Caresses et brimades, mots d’amour et d’insultes entremêlés.
Voilà comment participer à l’infini. En s’y heurtant continuellement comme pour ne pas cesser de l’éprouver , rester en contact, en s’absentant pour la plus belle part comme la pire.
Publier sur ce blog m’oblige à tenir en joue le ridicule en continu. Ma propre idée de ridicule. De ne jamais la perdre de vue, comme une évidence. Etre au delà du contentement ou de l’insatisfaction aussi, en acceptant le fait que publier c’est réduire en poudre le présent en passé. Ne plus s’en préoccuper ensuite. Comme si j’allais de texte en texte comme à cloche-pied l’instant.
Traversé comme je l’ai déjà dit par le vent. Bien sur que tout cela c’est du vent et en même temps peut-être pas que. Quelques feuilles vives encore, pas tout à fait mortes y trainent.
Mais à peine cette pensée m’effleure qu’elle aussi s’en va, elle n’existe déjà plus à la fin de cette phrase.
Cette pierre philosophale que nombreux cherchent, il me semble qu’elle est en lien avec l’instant présent.
Peut-être aigue au moment du clic sur le bouton bleu.
Qu’avec lui.
Cette pierre est l’instant.
Et si je parviens à sauter ainsi de pierre en pierre comme d’instant en instant, à gué
mon corps entier peut bien pourrir
mon esprit reste vif.
J’y pense et puis j’oublie
comme dans cette vieille chanson de Dutronc.
visage sur papier, Gauthier 7 ans
Ecrire ainsi la nuit, quand tout le monde dort. Les petits enfants sont là pour une semaine. Ainsi les journées sont bourrées à craquer de petits moments qui s’enchainent les uns aux autres sans que la distance ne soit requise. Surtout pas.
Puis quand je me réveille au bout de quelques heures de repos, toute cette distance neuve est là.
J’ai toujours pratiqué ainsi. Entre l’immanence et la distance qui me sert de ligne pour pécher dans le courant des choses quelques éléments à retenir, non pour m’en souvenir, mais parce qu’ils symbolisent quelque chose sur laquelle je n’arrive pas à poser vraiment le doigt. Une sorte d’énigme.
Un peu comme un tableau finalement que je commence en état de transe, en me remettant au hasard, à cette fameuse immanence, dans un premier temps. Puis je pose celui-ci sur le chevalet, je recule de quelques pas et c’est seulement à ce moment là, lorsque j’arrive à une certaine distance que je peux découvrir quelque chose d’insolite. Quelque chose qui ne sera pas un cliché. Et qui va alors si je peux utiliser ce mot : m’inspirer.
Puis la vie reprend ses droits et nécessite d’expirer.
Ecrire ainsi c’est une façon d’expirer. Puis dans quelques semaines, quelques mois quelques années, qu’en sais-je, quand j’aurais pris suffisamment de distance encore, tout cela m’inspirera peut-être. Mon projet s’arrête souvent à cela concernant ces textes. A un peut-être.
Mais cela tient plus de l’incantation, d’une petite chanson que l’on se chante à soi-même.
Pour que la vie passe vite et en même temps intensément, profondément comme une entaille, cette notion de projet a toujours été une sorte de d’étai ou de béquille. Parce que je me sens handicapé de la traverser ainsi sans y penser.
je n’ai pas ce courage là.