mars 2023

Carnets | mars 2023

complot

Grâce au 49,3 l'apoplexie guette la France. Ce qui fait monter le taux d'adrenochrome dans les artères. Des vaisseaux reptiliens sont planqués derrière la Lune. Ils attendent le top départ de Biden la momie moldave pour venir nous sucer le sang. Mais sinon tout va très bien madame la marquise. Poutine est à la manœuvre même si on ne le dirait pas à cause de son air de Snoopy mais il possède une flotte de vaisseaux munis d'un système anti gravité et des informations hyper précises provenant du centre de la terre directement pondues par la fée Carabosse au fin fond du triangle des Bermudes. Alicia peut emprunter la voix d'un mort pour annoncer le couvre feu ou l'arrivée d'une lettre recommandée. Mac Donald sème l'obésité en partenariat avec Comme j'aime pour faire encore plus de ronds et en même temps d'une pierre deux coups dezinguer les ados boutonneux cuistres et sourds comme des pots. Le christ est en stage accéléré près du Roi du Monde dans les bas fonds de Shambala. Quant à moi toujours aucune cigarette depuis le 27 février 2023 pas de joint non plus, j'essaie de conserver en bonne santé mon esprit , mon âme, attaqués de toutes parts par les forces satanistes. Je prévois un changement de patronyme dans peu de temps. J'adorerais qu'on m'appelle à partir de maintenant Jean-Baptiste. Si j'ai le temps j'irai chez Gifi m'acheter un manche balai. Pas de doute qu'avec la puissance de ma foi inébranlable je pourrai le transformer en sabre laser. Le bas astral n'a plus qu'à bien se tenir.|couper{180}

complot

Carnets | mars 2023

Lundi déco.

Blocs Alignement au milieu. On pourrait écrire n'importe quoi pour commencer. On verra bien ensuite où tout cela nous emporte. Si cela marche, fin des compagnies d'aviation, fin des transports en tous genres. A part le vélo bien sur pour ne pas se mettre les fanatiques à dos. Ensuite on peut écrire une grande phrase qui sert de séparateur, et si les caractères sont si petits c'est pour économiser de la place, de l'encre, du papier. De plus personne ne lit jamais vraiment, mettons donc un point d'honneur dans l'esthétique et non un poing sur la figure de son prochain(e) Une vidéo Youtube https://youtu.be/C243DQBfjho Les 4 saisons de Vivaldi , en voici une légende. Une liste de courses Acheter du painDes pommesdu sucre en poudredes cornichonsdu beurredu gruyère Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Y a t'il un fond ? Tonneau des Danaïdes. Dans le fond il semble que le fond continue de s'enfoncer encore plus profondément qu'on l'imaginait. Citations De Gaulle disait les Français sont des veaux Les Français qui aiment la viande froide. “Les Français croient qu'ils parlent bien le français parce qu'ils ne parlent aucune langue étrangère.” Tristan Bernard “Quand quelqu'un paye un tableau 3.000 francs, c'est qu'il lui plaît. Quand il le paye 300.000 francs, c'est qu'il plaît aux autres.” Edgar Degas|couper{180}

Narration et Expérimentation peinture

Carnets | mars 2023

Double voyage 09 | Wittig

Il faudrait remonter assez loin dans ce blog pour retrouver la trace de l’inspecteur Blanchard. Non pas un homme unique, mais une silhouette mouvante, effacée par le temps, décomposée en fragments épars. De même, quelque part entre deux chroniques, Dali, enlevé dans un vaisseau de l’Alliance Galactique, disparu comme un reflet sous la pluie. Alonso Quichano aussi s’efface, englouti par le tourbillon des jours. Les moulins à vent eux-mêmes, dressés un temps contre le ciel, se sont effondrés, usés par les années, réduits à quelques pierres moussues dispersées dans l’herbe. C’est ainsi que les personnages s’enfoncent dans l’oubli, happés par la durée qui ronge les contours des souvenirs. Ce site n’est-il pas un voyage lui aussi, une déambulation incertaine où l’on croise des pays, des figures, des objets sans fil conducteur ? On passe de l’un à l’autre sans prévenir, de la chronique d’un jour à l’évocation d’une nuit, comme si la continuité elle-même était un leurre, une illusion patiemment entretenue par la succession des jours et des nuits, qui se répondent sans jamais se rejoindre. Sur un fichier reçu, on distingue les blocs noirs sur fond blanc, pareils à des stèles anonymes. Ce sont les traces d’une parole, mais une parole que le silence ronge. On pourrait prendre un paragraphe au hasard, ils parlent tous du même oubli, d’une lutte vaine pour fixer ce qui échappe, comme si la répétition elle-même n’était qu’un simulacre de résistance. Il y a là des voix de femmes, qui racontent, des noms familiers qui émergent de l’ombre pour replonger aussitôt, signes fragiles d’une mémoire qui vacille. On croyait ces souvenirs rangés dans l’aval, mais voilà qu’ils proviennent d’un amont obscur, d’un temps antérieur à la perte. Homère racontait une guerre qui n’en finit pas. Pas de début, pas de fin. Le livre se ferme sur la fatigue des corps, mais la guerre elle, demeure, infinie comme une rumeur lancinante, et l’on ne sait jamais vraiment quand elle a commencé, ni pourquoi elle se prolonge dans cet état d’indécision, ce balancement perpétuel entre violence et accalmie. C’est peut-être cela, l’histoire humaine : une lutte sans cesse reprise, une suite de justifications qui, en se heurtant les unes aux autres, n’en produisent aucune. On se souvient mal du début du récit, de ce voyage qui devait mener quelque part et qui s’enroule maintenant sur lui-même, un cercle concentrique, une spirale sans fin autour d’un centre mort. Comme les corbeaux tournant autour de la carcasse d’un animal, l’histoire revient sans cesse sur le même point, sans parvenir à s’en détacher. Peut-être est-ce là la nature même de ce récit : une montée interminable sur un escalier dont on ne perçoit ni le départ ni l’issue, une quête obstinée vers un autel de pierre où le sacrifice attend sans jamais s’accomplir. Il y a ce vendredi aussi, compagnon de Robinson, jour des stages de peinture, où l’on tente de faire surgir quelque chose du néant. On pose des formes, des couleurs, des éclats de lumière, mais c’est toujours le même geste qui revient, la même quête d’un sens qui se dérobe, la même recherche d’un espace où le regard pourrait enfin se poser. On s’efforce de saisir l’air du temps, mais l’impression d’y être ne tient jamais longtemps. Circe transforme les marins en cochons, mais qu’en est-il de ceux qui l’étaient déjà ? Peut-être l’évidence est-elle si criante qu’on la contourne. Peut-être les lions, les taureaux, les ânes sont-ils ce qu’ils sont depuis toujours, et les métamorphoses, des pièges de l’esprit. Borges aussi jouait avec les ombres et les reflets, jonglant avec l’érudition pour en faire surgir la poésie brute, comme une lumière soudaine dans la cécité du monde. Il attirait les mots comme on appâte les mouches, sans illusion sur leur valeur réelle, mais en sachant que, parfois, dans cette errance textuelle, un éclat de vérité pouvait se produire, aussi fugitif qu’un rai de soleil sur un mur défraîchi. On cherche un point de repère, une boussole qui dirait où est le Nord, mais le retour à l’intuition, au geste premier, semble plus juste. Peut-être que lire ce texte avec la rigueur d’un typographe permet de toucher du doigt ce qui importe vraiment : la tension entre la colonne et le mot, la manière dont les blocs se dessinent sur la page, comme des souvenirs alignés dans l’oubli, une justification graphique qui tient les choses ensemble. Peut-être est-ce là l’essentiel : savoir qu’on ne saura pas, que la quête se poursuit sans jamais aboutir, et que vouloir tout comprendre est peut-être le plus sûr moyen de se perdre.|couper{180}

Auteurs littéraires

Carnets | mars 2023

Fenêtres

Il n’y a pas eu qu’une seule fenêtre, mais des milliers. Non pas une ouverture unique sur le monde, mais une infinité d’échancrures, chacune traçant son périmètre sur l’immensité du jour. Une fenêtre donne sur l’aube, une autre sur le crépuscule ; l’une sur la rue déserte, l’autre sur l’arbre qui déploie ses rameaux, toutes ouvertes, battant sous le vent, s’ouvrant et se refermant comme autant de paupières. Voir ainsi le spectacle du monde au travers de cette diversité de points de vue, c’est consentir à une forme d’effacement. Le réel, fragmenté, n’appartient plus à personne. Le regard, épars, disséminé, émiette la certitude d’une présence continue. La multiplicité des visions gomme l’impression d’absence comme de présence. On n’est plus là vraiment. C’est un point de vue qui occupe l’espace, une perception flottante, détachée. Quelque chose regarde, oui, mais c’est autre chose que soi. Au loin, par la fenêtre entrouverte, montent les cris des enfants. Ils semblent jaillir de la terre comme les chants des oiseaux au printemps, une rumeur ascendante, heurtée, qui s’élance et retombe. On pourrait croire que cela dure toujours, que le cri est là depuis l’origine, vieux comme le mobilier empoussiéré, aussi immobile que l’arbre oublié qui dessine son ombre sur le parquet usé. Et pourtant, on n’est peut-être que dans ces cris, dans leur vibration fugitive. Être là, c’est épouser l’éphémère du cri, devenir ce souffle qui emplit l’air un instant et s’éteint, dissipé dans la lumière du matin. Sensation double, tenace, incertaine. On est là sans y être. On pourrait croire être enraciné, antique comme le bois ciré, mais tout aussi bien on pourrait être dans cette volée de sons qui tournoie puis se dissipe, dans l’élan brisé d’un cri d’enfant, aussi passager qu’un battement d’ailes.|couper{180}

Espaces lieux

Carnets | mars 2023

Chemin

Aller à pied à l’école. Un chemin que l’on emprunte chaque jour, deux fois, invariablement. Peut-on se lasser de ce chemin ? Non. Il y a toujours quelque chose de neuf à voir. Mais la mémoire se dérobe. Les détails, les nuances, tout glisse hors de portée. On remarque des choses chaque jour, des choses épatantes, et pourtant, le lendemain, tout s’estompe. D’autres choses neuves viennent effacer celles de la veille. Mais les saisons demeurent. Elles encadrent l’existence, gardiennes silencieuses qui maintiennent la raison, qui veillent sur la folie des répétitions. Chaque hiver est différent, mais il est en même temps l’hiver. On le sait. Comme l’été. Ce sont des parenthèses ouvertes sur l’immuable. À l’intérieur de ces cadres, il y a quoi ? Est-ce qu’on le sait ? Est-ce qu’on s’en soucie ? Ce sont des fragments, des éclats d’une continuité jamais tout à fait rompue. Le chemin pour aller à l’école, à l’église, à la foire, au cimetière, se répète des dizaines, des centaines de fois. À moins que l’on ne s’égare, que l’on prenne un autre sentier, croyant au changement, à la nouveauté, à la diversité. Mais tôt ou tard, on y revient, à ce chemin-là. Toujours quelque chose de neuf à voir, quelque chose qui efface la nouveauté d’hier. Et c’est nous qui changeons, insensiblement, à chaque pas. La marche continue, régulière, traversant le temps comme une litanie muette. Le chemin reste le même, mais il se transforme en silence, à la mesure de nos passages, comme si le sol enregistrait, discrètement, la trace de nos pas. La marche, fidèle et fragile, emporte ces fragments de quotidien, les assemble, les dissipe, inlassablement.|couper{180}

Espaces lieux

Carnets | mars 2023

Continuité de mots

À partir d’un même lieu, une continuité de mots. Haricots verts, poulailler, porte, oseille, cerises, cerisier, poirier, cerises aigres, la bêche, le râteau, le parterre, l’allée, le jardin. Le petit mur, le champ, le lait, le pot au lait, la ferme, le soir, la tombée de la nuit, la peur. Les bûches, les rondins, les stères, la cheminée, le feu, les livres, le bureau, les pipes, le bois, la forêt. Sylvestre. L’escalier, le premier étage, l’étage, la cave, le grenier, les pièces, le salon, la cuisine, la chambre des enfants, la chambre des parents, l’armoire, la commode, le plancher, la moquette, les tapis, le linoléum, le carrelage. La salle de bains. La douche, la baignoire, l’armoire de la salle de bain, la pierre ponce, le gant de toilette, la serviette de bain. Le chauffe-eau. Le radiateur électrique. Le confort. Le vestibule. La penderie. Les monstres. La tonnelle, les branches, le couteau, l’épluchage, l’arc, la corde, la flèche, l’indien. La chambre à air de camion, les ciseaux de couture, le holster, la bouée, l’étang, le garage des Renards, l’odeur d’essence. Le jeudi, les jeux, le copain, le stylo, le blé, les crocodiles dans la fosse, les flashs, le vélo, la liberté. Les carrières, le trou, la grotte, creuser, s’enfouir, le noir, la terre, sous terre, souterrain, galeries, la Chine. Le ciel, l’horizon, la colline, le champ, l’espace, la route, le temps. Les cosses, les petits pois, le raisin, la salade, l’ortie, la soupe, le poivre, la nappe, la toile cirée, la gazinière, l’évier, la passoire, la crème à récurer, la paille de fer, la louche, la lèchefrite, le four, le poulet rôti du dimanche, la peau du lapin, la patte porte-bonheur. Le clapier, les fanes, la grille, le sang, l’œil. Le fumier, les vers, les lombrics, les trous dans le couvercle, la pêche, la canne, le lancer, le fil, la plombée, la bourriche, le Cher, le gardon, l’ablette, l’asticot, les galets, la rivière, les haies, les vaches, le taureau, la pluie, l’herbe mouillée, les cuissardes, le moulinet, la cuillère, la mouche, les nanas, les perches arc-en-ciel, le menu fretin, la belle prise, l’anguille, la carpe, le brochet. Le vernis, l’odeur du vernis, la tête des brochets, des trophées. L’instituteur, la blouse grise, le sérieux, la barbe, les lunettes, la règle en fer, la règle de grammaire, la règle d’orthographe, la règle à calcul, la baignoire qui se vide, le robinet qui coule, les devoirs, l’absence, la faute, la punition, l’odeur de craie, l’encrier, la plume sergent-major, le pupitre, la case. Les marronniers, le préau, la cour de récréation, la bille, le calot, les filles, les gendarmes, les doryphores, en rang par deux, le porte-manteau, le tableau noir, le coucou qui chante, le corbeau qui passe, l’hirondelle qui revient. Le chemin de l’école, le pont du Cher, le bourg, la gare, le canal, le pont au-dessus du canal, le Crédit Agricole, l’église, le bistrot, la boulangerie, le bureau de tabac, les bonbons, les roudoudous, le réglisse, l’argent de poche, le partage, l’injustice, le vol, les mensonges, la bagarre, les pauvres, le Cluzeau, Thierry la Fronde, Robin des Bois. Les gendarmes et les voleurs, les cow-boys et les indiens, la cabane, le refuge, les arbres, la forêt, les champignons, l’humus, les gouttes qui s’égouttent, les branches qui craquent, les biches, les sangliers. L’école buissonnière. À partir d’un même lieu, une continuité de mots.|couper{180}

Espaces lieux Narration et Expérimentation

Carnets | mars 2023

Continuité d’un lieu

C’est le mot le lieu, ou le lieu le mot. Une continuité discrète, immobile, comme une boucle presque imperceptible, un ruban de Möbius que le temps efface sans jamais l’interrompre. Une énergie ténue, une veine électrique qui parcourt un circuit depuis des décennies, toujours la même, inaltérable tant qu’on n’actionne pas l’interrupteur. Qu’on ne change pas de lieu, de mot. On aurait pu convoquer Leibniz, sa théodicée, un happy-end. Mais l’électricité suffit. Une ampoule au plafond, le filament qui résiste au passage du courant, et la pièce s’éclaire. La lumière est là, sans grandiloquence. Une clarté pauvre qui nous tient. Le mot, c’est maison, chambre. Des lieux auxquels on revient sans que cela n’apporte ni joie, ni profit. Des lieux où l’on sait que des vies se sont usées, sédimentées, sans que cela n’ajoute rien à leur pesanteur. C’est là, c’est tout. Un espace à la fois présent et obsolète, une continuité sans relief. Les gestes, les actions, les surprises, nous ont longtemps captivés, nous tenant en dehors de la chose même, de ce silence étale qui succède au mouvement. Puis l’âge est venu, le temps s’est épaissi, et les mots comme les lieux ont changé de nature. Ils ont perdu leur évidence. Ils se sont décollés de leur usage, comme les papiers peints d’une chambre jamais réchauffée. On dit maison, mais ce n’est plus cette maison. Le mot flotte, au-dessus des objets qu’il désigne, comme une feuille morte prise dans un tourbillon. L’écriture cherche à poser une passerelle, à maintenir ce fil tendu entre le mot et la chose, sans obéissance, sans concession. Il ne s’agirait pas d’en faire un outil docile. Il s’agirait de garder cette tension, cette résistance de l’expression face à l’effondrement. À force d’insister, de creuser, on finit par retrouver un point de contact. Pas une révélation. Plutôt une lente érosion du doute. Le brouillard descend, épais, sur les collines, sur le jardin. Il mange la maison, il dissout la chambre. Il n’y a plus qu’une ombre floue, un amas de pierres informes. Mais la fenêtre reste nette, son cadre bien dessiné, comme un repère planté dans le flou. Un point de vue solide sur l’imprécis. La phrase hésite, contourne, cherche sa place, comme ce regard qui tente de percer la brume sans jamais y parvenir. La maison est là pourtant, la chambre aussi. On peut encore dire les mots. Ils ont juste pris une autre teinte, comme des outils longtemps abandonnés, dont on redécouvre la prise. Il n’y a plus à s’en servir, juste à les laisser exister, avec cette patine de l’oubli qui les rend plus dignes, plus dociles. Et puis le printemps arrive, malgré tout. Les prunus, toujours là, toujours neufs. Est-ce qu’on s’habitue à ce retour ? Est-ce qu’on en reste surpris ? Un instant, on est tenté de croire que la nouveauté existe encore, comme une illusion tenace. Le renouveau s’écrit lui-même, sans notre intervention. Il n’y a plus qu’à laisser venir. Les mots, les lieux ne sont pas ailleurs qu’ici. Ils sont là, dans cette continuité d’écriture qui ne cède pas. Ils habitent la phrase comme les murs de la vieille maison, résistant à l’usure, s’imposant par leur seule présence.|couper{180}

Espaces lieux Temporalité et Ruptures

Carnets | mars 2023

Mépris, dédain, arrogance

« A quelques-uns l’arrogance tient lieu de grandeur ; l’inhumanité de fermeté ; et la fourberie, d’esprit. » (Jean de La Bruyère)|couper{180}

Carnets | mars 2023

Bétail

Cheptel. Gide employait déjà ce mot pour parler de la dictature des soviets. C’était avant que l’histoire n’ait tout à fait tourné, qu’elle n’ait basculé dans ce que nous savons à présent, à distance de quelques décennies, où le nom des choses se détache, se délite, comme le revêtement d’un mur oublié dans une grange aux ardoises fendues. On logeait, on nourrissait, on occupait les hommes, à la tâche, aux casernes, dans les champs. On régentait la pensée comme on discipline les troupeaux, dans une direction fixe, une seule. Un bloc de bétail humain qu’il fallait tenir, pour ne pas que ça s’éparpille, ne pas que ça pense. Le capital a pris la suite. Caput, capital, cheptel : les mots forment des clôtures, les syllabes se scellent, s’aimantent, comme des morceaux de ferraille qui se rencontrent au fond d’un champ, contre le vieux hangar où le vent s’engouffre, glacé, depuis les failles de l’hiver. Aujourd’hui, il n’y a plus besoin de rangs. La dictature a troqué les drapeaux contre des écrans. Elle nous prévient, nous renseigne, nous actualise. Les chiffres défilent, les morts, les soldats, les migrants, les quotas. Les corps empilés, les dents, les chaussures. Peu importe où, peu importe pourquoi. C’est là, sur l’écran. Une matière vide, une information brute. Une somme de souffrance dont le calcul reste abstrait, irréel. Ce qui compte, c’est que ça défile, que ça continue, pour maintenir l’espace saturé d’images et de bruit. Le bétail humain bêle où on lui dit de bêler. Il meugle là où on lui dit de meugler. Les émissions, les publicités, les images de guerre, tout se fond dans un même continuum, sans distinction, sans relief. On remplit le vide, on s’invente des histoires, on fabrique des héros de fortune et des carrières précaires. On montre les bouffons, on agite des drapeaux, on applaudit. La peur est servie à la louche, diluée dans des pots de yaourt bon marché. Et puis, quand la planète sera morte, quand tout aura basculé dans l’absurde, il restera quoi ? Quelques burgers d’algues, un lot de souvenirs usés, des slogans publicitaires encrés dans les mémoires flétries. Les riches auront migré sur une autre terre, les machines auront remplacé le vivant, les abeilles robotisées polliniseront les restes des ruines. Et nous, bétail humain, on sera resté là, à ruminer l’idée qu’on a fini par ne plus être que ça : des corps entassés, des souvenirs dissous, un fond de mémoire qui s’effrite, se détache des murs humides de l’oubli.|couper{180}

Technologies et Postmodernité

Carnets | mars 2023

Simulation

Et si c’était une simulation. Genre Matrix. L’obsolescence s’expliquerait par l’usure des composants, l’absence de désir par l’entropie des puces, des capteurs, des plugs, branchements, tuyaux et sondes. Je me suis réveillé d’un rêve pour aussitôt tomber dans un autre. L’alternance de rêves et de cauchemars, comme un courant alternatif. L’attirance et la répulsion, pas d’autre alternative dans la simulation. Quand tu simules au sein d’une simulation, est-ce que c’est comme en maths, ++ = - ? Mais je n’ai jamais rien compris aux maths. -+- = + On peut aussi ne comprendre que ce que l’on veut comprendre. Mais d’où provient la résistance ? Fait-elle aussi partie du programme, de la simulation ? Parfois, cette impression de vivre ailleurs, sur plusieurs plans distincts, alors que sur ce plan-ci on se retrouve le dindon de la farce. Des avatars chanceux s’enrichiraient sur le dos du pauvre idiot de cette dimension, précisément. Est-ce que la roue tourne ? Est-ce que les derniers deviennent les premiers et vice versa ? La notion de déjà-vu, un bug informatique ? Dans la cuisine, en pleine nuit, rester debout et calme, écouter tous les bruits des machines qui vivent ici et qu’on n’entend jamais, car on se dit que ce sont seulement des machines. La chaudière, le réfrigérateur, la cafetière qui crachote et aurait encore besoin d’un bon détartrage. Soudain, regarder une prise électrique et se demander par quelle diablerie le courant arrive jusqu’ici. Sortir de la grotte Chauvet après avoir regardé les ancêtres vêtus de peaux dans le blanc de l’œil et se retrouver dans cette cuisine intemporelle, comme dans une scène de Kubrick. Comme dans les jeux vidéo, des choses à faire, des quêtes totalement débiles, pour gagner quoi ? Une vie supplémentaire... L’intelligence artificielle possède-t-elle une âme ? Et sommes-nous dans le même questionnement quand nous ne nous rendons pas compte que nous sommes aussi des robots ? Comme dans l’histoire de la poule et de l’œuf : qui vient en premier, l’IA ou l’être humain ? Combien y a-t-il de planètes habitables dans l’univers et de races intelligentes ? Et si on compte en plus tous les univers parallèles, on se sent de plus en plus insignifiant. En viendra-t-on à regretter le temps où la Terre était plate ? Où le soleil tournait autour de la Terre ? Les Saoudiens, dans leur projet de ville du futur, fabriquent déjà une lune artificielle. La lune que mon arrière-grand-père a connue n’est plus la même que celle que je connais. Il est possible qu’elle ne soit qu’un énorme satellite artificiel créé par une race extraterrestre. Est-ce que les extraterrestres, tout comme les intraterrestres, font partie de la simulation générale ? Est-il possible de s’évader de cette simulation ou bien le désir de s’en évader fait-il partie intégrante de celle-ci ? Est-ce que mourir, c’est sortir de la simulation ? Et comment sait-on qu’on ne parvient pas alors dans une autre, et ainsi de suite ? La raison sur laquelle nous nous appuyons n’est-elle qu’un programme, au même titre que la folie en est un ? Peut-on abattre les parois de la simulation en chantant, en criant, en hurlant, ou au contraire en se taisant profondément ? Le rêve de passe-muraille qui revient à période régulière est-il lui aussi un programme implanté ? Est-ce que si je persévère, je pourrai traverser les murs ? Est-ce qu’au moment où je laisse tomber cette idée ou ce désir, je traverse les murs sans y penser, naturellement, sans le moindre effort ? Écrire fait-il partie du programme ? L’écriture est-elle une issue ? Ou bien au contraire, l’écriture renforce-t-elle plus encore la simulation dans son ensemble ? Est-ce qu’on peut s’évader de la simulation par l’humour ? Est-ce qu’on peut devenir à un tel point indifférent à tout qu’être ou non dans une simulation n’a aucune espèce d’importance ? Est-ce que cette indifférence est programmée d’avance ? N’est-elle pas un virus ? L’humanité, victime de l’indifférence, passe de 8 milliards d’individus à une poignée de bobos nantis qui fabriquent des piscines en plein désert. Est-ce que tout est déjà dit dans Pinocchio ou les Simpsons ? Est-ce que Pinocchio et les Simpsons sont des capsules temporelles envoyées par des résistants du futur ? Est-ce qu’il suffit de ne pas dormir pour se sentir éveillé et voir la simulation dans son entièreté ? Y a-t-il des niveaux d’éveil selon le type de quêtes réussies ou pas ? Que gagne-t-on, à part des ennuis, à découvrir la supercherie magistrale ? Est-ce que la notion de complot est comme la fumée, le diable existe-t-il vraiment ? Le feu est-il une vérité ? Est-ce que le CERN honore les chèvres parce qu’en Suisse la chèvre est sacrée ? Est-ce que le portail vers l’Enfer est ouvert dans le Gothard ?|couper{180}

idées Technologies et Postmodernité

Carnets | mars 2023

Singer

La machine à coudre était une Singer. Aucun souvenir précis de son arrivée dans l’atelier. Les tout premiers souvenirs doivent se situer vers 1965-66, après la mort de Charles Brunet, mon aïeul. Le salon du rez-de-chaussée avait été transformé en atelier de couture. Au début, ma mère façonnait, comme sa propre mère, des cravates pour une entreprise parisienne. Une activité à domicile. À la Varenne, l’appartement comptait trois pièces. L’une servait d’atelier de couture et de chambre pour ma grand-mère estonienne, Valentine. Un nuage de fumée y flottait en permanence. Elle fumait des « disques bleus ». La cigarette lui avait éraillé la voix. Elle confectionnait ses cravates, cigarette au coin des lèvres, sans cesser de travailler. Le bruit de la machine à coudre Singer résonne encore. Le pied appuyé sur la grande pédale, ma mère coud des robes de mariée. L’atelier a pris de l’envergure, elle a même embauché quelques femmes du village pour les finitions, qu’elles réalisent chez elles. Je revois les mannequins dans l’atelier, habillés comme des mariées. Certains avec tête, d’autres sans. Combien sont-ils ? Deux ou trois ? J’hésite. Je regarde vers la porte qui sépare l’atelier de la vieille cuisine : deux sûrement, et un autre dans l’angle opposé, plus indistinct, car l’endroit est plus sombre. Ce qui est certain, c’est cette impression de mouvement continu, ce bruit de la machine, comme un battement régulier qui rythmait nos journées. Il y avait aussi l’odeur du tabac froid, celle des tissus, des patrons épinglés, des épaulettes qui traînaient sur le sol. À droite de l’atelier, une porte menait au bureau-bibliothèque de mon père. Une odeur de livres, de bois, et de feu de cheminée. Mais en observant une vieille photo de la maison, je me demande si cette porte ne donnait pas plutôt sur un petit couloir, menant à une entrée que nous n’utilisions plus. C’est toujours le même problème avec les souvenirs : ils se mélangent, se superposent, s’inventent. Comment être vraiment sûr d’un souvenir ? Même en imaginant revenir dans cette grande pièce, rien ne garantit que je n’invente pas complètement cette scène. Peut-être faudrait-il tout noter depuis le début pour ne rien oublier. Mais même là, que faire de ces notes ? Les relirait-on ? Les feuilleterait-on ? Tout finirait dans un grenier, une cave, ou pire, à la déchetterie. À moins d’un livre, évidemment. Mais même un livre... Plus j’ai envie de tout oublier, plus les souvenirs reviennent. Que je ressente le besoin de les écrire est déjà suspect. Que j’aie envie d’en faire un livre l’est encore plus. Il doit se passer quelque chose avec le désir et le renoncement en ce moment, qui m’échappe. Je suis étonné de ne pas avoir repris une cigarette depuis le 27 février. Parfois, le désir de fumer surgit, mais aussitôt, j’y renonce sans effort. Peut-être que l’écriture pourrait suivre le même chemin. Éprouver l’envie d’écrire, mais y renoncer, et en ressentir une légère fierté.|couper{180}

Autofiction et Introspection Narration et Expérimentation

Carnets | mars 2023

Idolâtres

Parvenir tout à coup dans le pays des idolâtres. Qui ne sont pas des adorateurs de l’âtre, du foyer, dans lequel on peut parfois encore suspendre un chaudron rempli de soupe, qui mijote, dans le fin fond de nos campagnes. Arrivée en terre idolâtre. Ne rien comprendre à tous ces salamalecs qui sont, le dit-on au café du coin, pour la plupart — et forte ignorance — confondus souvent avec hypocrisie, confusion liée pour sa plus grande part à la bêtise ainsi qu’aux miroirs. Idolâtres contre iconoclastes, ne pas se tenir au milieu. Le veau d’or, j’adore l’or, est-il halal ? Parce que je le veau bien, pas volée celle-ci, la vache. Arrivée en terre idolâtre. Comprendre les règles peut prendre un certain temps. Se laver les mains, se brosser les dents, ne pas cracher par terre à tout bout de champ (de chant ?), se peigner, se pommader, se farder, avec khôl (pas Émile) et faux cils, jabots de dentelles (qui est à l’origine un lieu de stockage, une poche dans l’œsophage de certains volatiles où séjourne le manger) et toute une collection de frivoles fanfreluches qui garnissent de façon légère le grand vide intersidéral des cervelles, situé entre les deux esgourdes des gourdes comme des gourdins. Il existe une grande variété d’idolâtres, mais aucun index ni corpus à ce jour n’a été tenu suffisamment à jour (depuis Rabelais) pour qu’on puisse se repérer convenablement dans l’idolâtrie en général. Il se peut même que de tous, la pire catégorie soit les idolâtres de la raison, sur lesquels la vie, quand elle touche leur front, fait un bruit de gong, ou de bol tibétain, mais mal manié par un gros bêta. Car la raison n’est-elle pas la religion à la mode, comme le bœuf le fut en des temps reculés ? Ou les tripes, quand on les cuit à Caen, ou les andouilles à Guémené (situé en Morbihan). On peut être idolâtre avec raison, ou conscience, enfin se rendre compte, mais continuer malgré tout pour ne pas devenir paria. En tout idolâtre qui s’éveille demeure un paria qui sommeille. Les idoles sont nombreuses et souvent on oublie que ce sont des idoles. On peut trouver des idoles à tous les coins de rue. Certaines sectes s’arrêtent désormais à des feux rouges, qui sont un peu semblables à des totems indiens. D’autres à des panneaux ronds comme des queues de pelle nommés STOP. L’enseigne du bordel comme celle du boucher, du magasin de pompes funèbres, autant de signes s’il en faut encore pour prouver que nous voici arrivés en terre idolâtre. Et quid de ces billets, de ces pièces dont il faut se munir pour payer son plaisir, sa viande, son cercueil ? Idolâtrer l’argent est le passe-temps des idolâtres. L’art des gens d’ici, c’est de gagner des pépètes, du flouze, du pognon, du jonc. À la sueur de leur front pour le plus grand nombre. Ce qui est complètement con, aucune humeur salée de ce style n’a jamais produit un kopeck, c’est encore une de ces foutues images dont les idolâtres se servent pour communiquer ou se niquer eux-mêmes ou les uns les autres, enfin bref entre eux. « Heu heu, je gagne ma vie à la sueur de mon front. » Eh ben, si ça peut te faire plaisir, continue. On peut gagner sa vie de tant de façons ridicules qu’on n’est plus à ça près, n’est-ce pas ? L’idolâtre, pour vivre, a surtout besoin d’idoles. Et si soudain on coupait le courant, ah ! Que se passerait-il en Idolâtrie comme partout ailleurs ? Ah !|couper{180}

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