Double voyage 09 | Wittig

Il faudrait remonter assez loin dans ce blog pour retrouver la trace de l’inspecteur Blanchard. Non pas un homme unique, mais une silhouette mouvante, effacée par le temps, décomposée en fragments épars. De même, quelque part entre deux chroniques, Dali, enlevé dans un vaisseau de l’Alliance Galactique, disparu comme un reflet sous la pluie. Alonso Quichano aussi s’efface, englouti par le tourbillon des jours. Les moulins à vent eux-mêmes, dressés un temps contre le ciel, se sont effondrés, usés par les années, réduits à quelques pierres moussues dispersées dans l’herbe.
C’est ainsi que les personnages s’enfoncent dans l’oubli, happés par la durée qui ronge les contours des souvenirs. Ce site n’est-il pas un voyage lui aussi, une déambulation incertaine où l’on croise des pays, des figures, des objets sans fil conducteur ? On passe de l’un à l’autre sans prévenir, de la chronique d’un jour à l’évocation d’une nuit, comme si la continuité elle-même était un leurre, une illusion patiemment entretenue par la succession des jours et des nuits, qui se répondent sans jamais se rejoindre.
Sur un fichier reçu, on distingue les blocs noirs sur fond blanc, pareils à des stèles anonymes. Ce sont les traces d’une parole, mais une parole que le silence ronge. On pourrait prendre un paragraphe au hasard, ils parlent tous du même oubli, d’une lutte vaine pour fixer ce qui échappe, comme si la répétition elle-même n’était qu’un simulacre de résistance. Il y a là des voix de femmes, qui racontent, des noms familiers qui émergent de l’ombre pour replonger aussitôt, signes fragiles d’une mémoire qui vacille. On croyait ces souvenirs rangés dans l’aval, mais voilà qu’ils proviennent d’un amont obscur, d’un temps antérieur à la perte.
Homère racontait une guerre qui n’en finit pas. Pas de début, pas de fin. Le livre se ferme sur la fatigue des corps, mais la guerre elle, demeure, infinie comme une rumeur lancinante, et l’on ne sait jamais vraiment quand elle a commencé, ni pourquoi elle se prolonge dans cet état d’indécision, ce balancement perpétuel entre violence et accalmie. C’est peut-être cela, l’histoire humaine : une lutte sans cesse reprise, une suite de justifications qui, en se heurtant les unes aux autres, n’en produisent aucune.
On se souvient mal du début du récit, de ce voyage qui devait mener quelque part et qui s’enroule maintenant sur lui-même, un cercle concentrique, une spirale sans fin autour d’un centre mort. Comme les corbeaux tournant autour de la carcasse d’un animal, l’histoire revient sans cesse sur le même point, sans parvenir à s’en détacher. Peut-être est-ce là la nature même de ce récit : une montée interminable sur un escalier dont on ne perçoit ni le départ ni l’issue, une quête obstinée vers un autel de pierre où le sacrifice attend sans jamais s’accomplir.
Il y a ce vendredi aussi, compagnon de Robinson, jour des stages de peinture, où l’on tente de faire surgir quelque chose du néant. On pose des formes, des couleurs, des éclats de lumière, mais c’est toujours le même geste qui revient, la même quête d’un sens qui se dérobe, la même recherche d’un espace où le regard pourrait enfin se poser. On s’efforce de saisir l’air du temps, mais l’impression d’y être ne tient jamais longtemps.
Circe transforme les marins en cochons, mais qu’en est-il de ceux qui l’étaient déjà ? Peut-être l’évidence est-elle si criante qu’on la contourne. Peut-être les lions, les taureaux, les ânes sont-ils ce qu’ils sont depuis toujours, et les métamorphoses, des pièges de l’esprit.
Borges aussi jouait avec les ombres et les reflets, jonglant avec l’érudition pour en faire surgir la poésie brute, comme une lumière soudaine dans la cécité du monde. Il attirait les mots comme on appâte les mouches, sans illusion sur leur valeur réelle, mais en sachant que, parfois, dans cette errance textuelle, un éclat de vérité pouvait se produire, aussi fugitif qu’un rai de soleil sur un mur défraîchi.
On cherche un point de repère, une boussole qui dirait où est le Nord, mais le retour à l’intuition, au geste premier, semble plus juste. Peut-être que lire ce texte avec la rigueur d’un typographe permet de toucher du doigt ce qui importe vraiment : la tension entre la colonne et le mot, la manière dont les blocs se dessinent sur la page, comme des souvenirs alignés dans l’oubli, une justification graphique qui tient les choses ensemble.
Peut-être est-ce là l’essentiel : savoir qu’on ne saura pas, que la quête se poursuit sans jamais aboutir, et que vouloir tout comprendre est peut-être le plus sûr moyen de se perdre.
Pour continuer
Carnets | mars 2023
peuple
Illustration James Ensor Il est dans la rue. Le peuple appelé aussi gueux et chienlit, à l'image exacte de ceux qui prétendent le gouverner. On a du mal aujourd'hui à faire coïncider une certaine idée de culture, d'humanisme avec le foutage de gueule de tous les chefs d'états vis à vis de leurs peuples respectifs. Quand on se fout de la gueule du peuple c'est qu'on le considère comme une bête ; ce qu'il devient car un contenant vide se remplit de tous les noms qu'on veut bien lui donner. Autant de ridicule dans la vocifération des uns que dans la morgue des autres. Et non le ridicule ne tue toujours personne, désormais il fait même exister, il distribue les identités. Ensuite la soi disant misère ou pauvreté... Il n'y a qu'à se rendre dans la zone commerciale juste à côté pour voir avec quelle avidité certains remplissent leurs paniers leurs caddies avec au ventre l'affreuse peur de manquer, l'obsession de remplir d'amasser de collectionner. La queue aux pompes. L'absurde. Si on voulait vraiment marquer un refus politique descendre dans la rue n'est pas le moyen. Il faudrait utiliser les réseaux sociaux et dire n'achetez plus rien, ne buvez plus ne fumez plus, ne roulez plus, ne consommez plus. Contentez vous de peu voire de rien, et d'une pierre deux coups, non seulement l'état ses banques seraient en faillite, mais chaque citoyen retrouverait la joie de vivre, car il y a une vraie richesse, une jubilation dans la nudité.|couper{180}
Carnets | mars 2023
Ce n’est pas encore ça.
Un rêve, non c'est plutôt une blague de rêve, mais je le fais régulièrement et à différents moments de la journée. Un peu comme une séance d'analyse, avant que tu comprennes ce qu'est vraiment une séance d'analyse. C'est à dire que tu parles à quelqu'un qui ne te répond jamais. Un phénomène long d'érosion, parfois assez pénible mais qui soulage en final par l'autonomie formidable qu'on y gagne. Et à chaque fois tu te creuses la tête pour trouver LA bourde, L'ineptie la plus minable qui te mettra minable absolument définitivement. Mais l'autre reste de marbre. Ce n'est pas encore ça tu te dis. Tu te le dis 10 fois, 100 fois, 1000 fois. Bon Dieu comme tu apprends grâce à cette projection de ton bourreau intérieur. Puis le dernier jour tu t'amènes avec une brouette pleine de pièces de 5 cts pour payer ta séance. Tu la renverses sur le tapis persan. Et tu fais un petit signe de la main comme la vieille dame dans la piscine de ce roman de Kundera. Ciao ! Mais évidemment le lendemain tu y reviens, tu sais pertinemment que ce n'est pas encore ça.|couper{180}
Carnets | mars 2023
complot
Grâce au 49,3 l'apoplexie guette la France. Ce qui fait monter le taux d'adrenochrome dans les artères. Des vaisseaux reptiliens sont planqués derrière la Lune. Ils attendent le top départ de Biden la momie moldave pour venir nous sucer le sang. Mais sinon tout va très bien madame la marquise. Poutine est à la manœuvre même si on ne le dirait pas à cause de son air de Snoopy mais il possède une flotte de vaisseaux munis d'un système anti gravité et des informations hyper précises provenant du centre de la terre directement pondues par la fée Carabosse au fin fond du triangle des Bermudes. Alicia peut emprunter la voix d'un mort pour annoncer le couvre feu ou l'arrivée d'une lettre recommandée. Mac Donald sème l'obésité en partenariat avec Comme j'aime pour faire encore plus de ronds et en même temps d'une pierre deux coups dezinguer les ados boutonneux cuistres et sourds comme des pots. Le christ est en stage accéléré près du Roi du Monde dans les bas fonds de Shambala. Quant à moi toujours aucune cigarette depuis le 27 février 2023 pas de joint non plus, j'essaie de conserver en bonne santé mon esprit , mon âme, attaqués de toutes parts par les forces satanistes. Je prévois un changement de patronyme dans peu de temps. J'adorerais qu'on m'appelle à partir de maintenant Jean-Baptiste. Si j'ai le temps j'irai chez Gifi m'acheter un manche balai. Pas de doute qu'avec la puissance de ma foi inébranlable je pourrai le transformer en sabre laser. Le bas astral n'a plus qu'à bien se tenir.|couper{180}