Théorie et critique littéraire
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Carnets | novembre 2025
Introduction à la Nausée et à l’Encyclopédie du laid
Dans le texte qui suit, nous ne faisons qu'effleurer un catalogue des jargons. Il est simple d'imaginer un chapitre récurrent, une sorte d'activité récréative, un herbier des langues mortes-vivantes. Cette époque mortifère à la langue formatée autant que débile, tant elle prétend à vouloir se rendre efficace dans n’importe quel domaine de la geste humaine – paradoxe inquiétant – réduit l’espace de nos poumons dans les cages thoraciques. L’abus de phrases nominales, de points intempestifs, l’organisation concentrationnaire à laquelle nous sommes conviés malgré nous via mots d’ordre et slogans, l'étalement horizontal des platitudes les plus plates envahissant les continents, la terre entière, nécessite une réflexion importante – peut-être à ce titre ne le serait-elle que pour moi, cela me suffirait – et une réaction quasi épidermique, un acte de résistance en se jetant envers et contre tout dans une cadence, un rythme, une ouïe qui ne s’obtiennent que par l’emploi de phrases longues, voire plus que longues, démesurées comme notre soif de liberté pourrait être elle aussi inextinguible. Mais pour ne pas passer pour un généraliste de plus, il nous faut trouver des exemples concrets. Je commencerais donc par exposer ce formidable salmigondis lié à l’usage politique : Transition écologique juste et solidaire. Locution totalement vide de sens mais dont on remarque contre toute attente l’effort de longévité, ce qui prouve que ceux qui pondent pareilles inepties ne manquent eux pas d'air. Admirons l'utilisation à gogo du formatage : un triptyque magique qui annule toute contradiction par la multiplication des adjectifs positifs. « Juste » et « solidaire » désamorcent la violence potentielle du mot « transition » et l'évacuent dans le consensus moral. La formule est devenue un talisman incantatoire, non, ne sera évidemment jamais un réel programme. Tout est marqué dessus comme sur le porc qu'on salue. Ce que cette locution étouffe dans un consensus effarant, c'est presque l'essentiel : la complexité des arbitrages, les coûts réels, les conflits d'intérêt, l'effort inégalement réparti. Elle promet une révolution sans victime, elle nous ment en se moquant ouvertement. Dans un domaine plus trivial, le commerce, n'avons-nous jamais assisté, non sans stupeur, à cet extraordinaire : « Lever les points de friction et solutionner les pain points pour maximiser l'empowerment du client. » (citation exacte, spécimen prélevé dans son milieu naturel). J'espère que cette stupeur ne nous aura pas échappé par lassitude d'entendre cette bouillie rabâchée dans nos réunions, nos magasins, nos épiceries. Désirez-vous aujourd'hui vous intéresser à la philosophie, nul doute qu'il vous faudra écouter sans broncher un « Il faut lâcher prise sur les schémas toxiques et incarner sa vérité. » Et même nos affects, nos sentiments ne s'en sortiront pas indemnes après avoir été secoués par le tristement terre à terre « On a dû se recentrer sur nos besoins individuels dans une dynamique de déconstruction bienveillante. » Quant aux universitaires, ils sont toujours les mêmes ; de leur part, plus rien ne peut vraiment nous offusquer, pas même un « Cet ouvrage interroge les modalités de représentation du trauma dans une perspective intersectionnelle. » S'il ne fallait donner que quelques exemples pour bien asseoir mon propos. Mais que nous reste-t-il à dire : nous, c'est-à-dire pauvres gueux, qui ne fasse pas trop peuple face à ces gens toujours absolument aptes, dans une vigueur toujours renouvelée par le manque de recul, à pondre de telles merveilles ? Je me le demandais et, tournant les talons, je désirai comprendre comment les générations précédentes, victimes à n'en pas douter des mêmes avanies et guignoleries, s'en étaient consolées. Et bien, n'ayant pas le goût des empoignades physiques, ni celui des huées à tout va, pas plus que je n'ai d'attrait pour les bises dans les bureaux, les léchages de derrière voire les entreléchages, je décidai de relire nos grands et moins grands auteurs. Ma quête ne se portant en gros que sur un seul sujet : comment ceux-ci s'arrangeaient-ils pour développer dans un univers nuisible et toxique la bonne capacité de leurs poumons. J'ai traversé les époques, j'ai vu ma capacité respiratoire se restreindre, me conduisant mille fois vers l'essoufflement, l'asphyxie ; participant même volontiers à la réduire encore plus seul par des lectures, des fréquentations, des influences. Manquais-je pour autant de volonté, de discernement ? Longtemps je me suis interrogé sur la question d'un libre-arbitre en matière d'idiotie comme d'apoplexie. Sommes-nous si responsables de nos choix et de nos actes lorsque tout est conçu en grande partie désormais pour que nous en ayons seule l'illusion ? Ne soyons pas dupes. D'autant que cette élite intellectuelle, soi-disant opérant dans des cabinets feutrés, une fraternité antagoniste de la nôtre (nous les gueux, le peuple, les esclaves, disons-le clairement encore une fois) n'a jamais fait que payer avec nos propres deniers des savants fous, tout droit sortis des laboratoires des émules du docteur Mengele pour nous imposer par des éléments de langage extrêmement bien choisis une réalité qu'ils désiraient, qui surtout les arrangeait. ...S'il ne fallait donner que quelques exemples pour bien asseoir mon propos. Pourtant, à les aligner ainsi, une évidence m'est apparue, aussi ténue d'abord qu'insistante : chacun de ces spécimens n'était pas une aberration isolée, mais le symptôme d'un mal bien plus vaste, systématique. Les avoir cités, c'était comme avoir gratté la surface d'une peinture fraîche et voir soudain toute la couche inférieure, pourrie, affleurer. Cette poignée d'exemples ne constituait pas une preuve, mais un indice. Leur accumulation hasardeuse dessinait les contours d'un continent de laideur linguistique que je n'avais fait qu'entrevoir. La nausée du premier contact – le choc de la Transition écologique juste et solidaire, le rire jaune devant le solutionnage des pain points – se muait en une curiosité plus froide, plus tenace. Si ces formules existaient, c'est qu'elles répondaient à une logique. Si elles prospéraient, c'est qu'elles remplissaient une fonction. Je n'étais plus face à des coquilles vides, mais face à un système. Et face à un système, la dénonciation émue ne suffit plus. Il faut une méthode. Il faut une contre-stratégie. De la nausée doit naître l'inventaire ; du réflexe de dégoût, le projet délibéré. C'est ainsi que l'idée a germé : il ne s'agissait plus de pester contre le laid, mais de le collectionner, de le classer, de le disséquer avec la rigueur d'un entomologiste étudiant les insectes d'une forêt empoisonnée. Il fallait passer de l'effleurement à l'encyclopédie. Il fallait bâtir le Musée des Horreurs Linguistiques, non par goût malsain, mais par nécessité vitale : on ne combat efficacement que ce que l'on a préalablement circonscrit et nommé. Mon texte ne serait donc plus seulement un cri, mais l'introduction ou la préface à un ensemble plus vaste : celui d'une archéologie du présent pestiféré. Le début d'une Encyclopédie du Laid Quelque chose m'avait conduit à cette prise de conscience, du fond de l'insoutenable, tentant de remonter vers je ne sais quelle idée de surface, de légèreté, d'air tout simplement. Je me mis à examiner mes fondations, mes murs porteurs, mes étaies, et vis que tout, absolument tout, était déjà largement corrodé, pourri, prêt à s'effondrer dans le néant à tout jamais. Il me fallait de toute urgence donner un coup de pied au fond de cette boue, remettre en question bien des axiomes, des théories ingurgités ou dont on m'avait gavé comme tant d'autres. Je me rebiffai donc tout à coup. Non pas en m'en allant enfiler un gilet voyant, en soulevant des pancartes à d'improbables ronds-points, vociférant d'autres mots d'ordre réflexifs, mais en retenant mon souffle quelques instants, en faisant le vide, en examinant dans le blanc de l'œil l'ennemi. En flanquant ensuite tout cul par-dessus tête. Le plus dur étant de me séparer d'un certain impératif de "justesse" dont je m'étais rabattu moi-même les oreilles depuis des lustres. Une justesse pas très loin d'un concept plus flou que j'hésite à placer entre ferveur et rage. Une instance souffrante en tout cas qui implorait d'être extirpée de sa nuit, de revenir au grand jour, de respirer enfin à pleins poumons elle aussi. Mais creuser cette justesse blessée – non plus l'idole lisse des grammairiens mais la cicatrice vive, la fressure du langage qui bat sous l'épiderme des mots – cette flessure toujours vive qui, comme chez Rabelais, marque les corps et les âmes ("avec flessures, contusions, et cicatrices belles et bien profondes"), et que Villon, le poète des blessures converties, reconnaîtrait pour sienne... (S'ils pouvaient trouver une sauce pour manger nos fressures comme celles des veaux, ils mangeraient du chrétien ! dit la vieille Bonnébault – Balzac, Les Paysans, 1844-50) Voilà qui nous jette dans un besoin physiologique de grand large, nous oblige à prendre notre souffle à deux mains et à nous lancer dans la phrase qui dévale, se gonfle, épouse les méandres de la pensée comme un fleuve sa vallée, une phrase où peuvent soudain cohabiter le rire gras de Panurge et le râle de la Grosse Margot, une phrase qui avale la contradiction et la recrache en musique, une phrase-patchwork, un fouillis sublime où la bedondaine de Rabelais (Ils se promettaient de s'accrocher à toutes griffes sur la plaine, les pourris en penseraient ce qu'ils voudraient, et d'abord de bien manger, jusqu'à plein la bedondaine, et boire aussi – reprise par Aymé, La Jument verte, 1933)* voisine avec le laconisme de Beckett, où l'on tente de faire tenir ensemble le lyrisme et l'os sec, parce que la vraie justesse est peut-être ce bordel organisé, cette cacophonie assumée, ce grand éclat de rire qui nous prend quand on réalise l'énormité de la tâche : vouloir respirer profondément dans une pièce sans air, et pourtant, et pourtant, s'entêter à construire cette période qui devient alors notre plus belle insolence, notre manière de lancer des cailloux à la marée, en sachant pertinemment qu'on aura au moins eu la volupté du geste, la consolation du rythme, et l'ultime élégance de pouvoir en rire avant que les ténèbres ne referment leur paraige (« De haut paraige estoit descendue, car elle estoit fille du roy de Hongrie. » – Christine de Pisan, Le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V, 1404). » Réflexion sur la façon d'analyser un texte d'en extraire des contradictions, de le prendre comme appui pour en créer un autre disant la même chose. Par exemple cette partie : Cette époque mortifère à la langue formatée autant que débile, tant elle prétend à vouloir se rendre efficace dans n’importe quel domaine de la geste humaine – paradoxe inquiétant – réduit l’espace de nos poumons dans les cages thoraciques. L’abus de phrases nominales, de points intempestifs, l’organisation concentrationnaire à laquelle nous sommes conviés malgré nous via mots d’ordre et slogans, l'étalement horizontal des platitudes les plus plates envahissant les continents, la terre entière, nécessite une réflexion importante – peut-être à ce titre ne le serait-elle que pour moi, cela me suffirait – et une réaction quasi épidermique, un acte de résistance en se jetant envers et contre tout dans une cadence, un rythme, une ouïe qui ne s’obtiennent que par l’emploi de phrases longues, voire plus que longues, démesurées comme notre soif de liberté pourrait être elle aussi inextinguible. La gène à lire ce texte réside dans un paradoxe. Trop d'explications, présence trop forte du narrateur, on cherche l'air et on s’asphyxie. On peut prendre ce texte comme modèle pour bien enfoncer le clou et repartir avec le même schéma vers un autre texte qui décrirait une salle de réunion par exemple. Dans la salle de réunion du cinquième, avec sa table trop longue pour le nombre de chaises, ses murs blancs couverts de mots qui prétendent dire quelque chose de nous mais ne disent que la peur de perdre des parts de marché, avec au fond l’écran géant déjà allumé, en attente de la première diapositive, “Vision 2030” en lettres bleues, je sens, avant même que la réunion commence, cette crispation profonde dans la poitrine, comme si quelqu’un s’était installé à l’intérieur de ma cage thoracique avec un mètre ruban et qu’il vérifiait, avec un sérieux d’architecte, comment réduire l’espace de respiration sans que cela ne se voie trop sur mon visage, et pendant que les collègues entrent un par un, décochent leurs plaisanteries ritualisées, posent leurs ordinateurs, leurs gourdes, leurs agendas, je regarde les affiches collées derrière la porte, “Agilité”, “Bienveillance”, “Excellence”, ces trois noms écrits chacun sur un fond de couleur différente comme si l’on devait choisir son camp dans une guerre qui n’a jamais eu lieu, je lis ces mots et je les entends comme des ordres qui ne disent pas “sois agile” mais “tais tes lenteurs”, qui ne disent pas “sois bienveillant” mais “accepte tout”, qui ne disent pas “vise l’excellence” mais “ne nous complique pas la vie avec tes scrupules”, et déjà, sans m’en rendre compte, mon souffle s’est raccourci, je respire par petites gorgées, comme si l’air lui-même avait été segmenté en phrases nominales, livré en unités standard, prêtes à l’absorption rapide, pendant que la cheffe de service s’installe en bout de table, ouvre son ordinateur, répète à mi-voix le début de son introduction, “Merci d’être là ce matin pour ce point important sur notre nouvelle ligne éditoriale”, et je sais, parce que je les ai déjà lus dans le document préparatoire, quels mots vont suivre, je les vois défiler devant moi comme un générique avant le film, “clarté”, “efficacité”, “impact”, “lisibilité”, “messages clés”, “éléments de langage”, et j’ai cette impression absurde que mon thorax rétrécit d’un millimètre à chaque occurrence de ces termes, non pas parce qu’ils seraient en eux-mêmes monstrueux, ils sont simplement vides, polis, interchangeables, mais parce que la manière dont ils s’enchaînent, se soutiennent les uns les autres, forme une sorte de grille invisible dans laquelle tout ce que nous disons devra désormais entrer, sans débord, sans phrase qui s’attarde, sans nuance qui se pose de travers, et je repense à la consigne qu’on nous a envoyée la veille par mail, “Privilégier des phrases courtes, un message par phrase, éviter les incises, les parenthèses, les formules ambiguës”, je repense à cette phrase qui n’était déjà plus une phrase mais une injonction respiratoire, un programme pour nos poumons, et je sens monter en moi une irritation presque enfantine, un refus qui n’a rien de noble, rien de théorique, quelque chose comme “non, je ne veux pas que vous décidiez aussi de la longueur de mes phrases dans ma tête”, je ne veux pas que les phrases que je ne dis pas encore soient déjà amputées par la peur de manquer de clarté, je ne veux pas qu’on m’ait déjà retiré le droit de reprendre mon souffle au milieu d’une idée parce que ce ne serait pas “performatif”, et tandis qu’elle commence à parler, que la première diapositive apparaît avec ses puces alignées, “Nous devons parler la langue de nos clients”, “Nous devons simplifier notre discours”, “Nous devons aller à l’essentiel”, je sors mon carnet, le petit carnet noir où je note d’habitude les choses qui n’intéressent personne, des phrases de rêve, des questions absurdes, des souvenirs qui reviennent sans prévenir, je le pose devant moi, comme si je prenais des notes sur la réunion elle-même, et je commence, presque malgré moi, une phrase qui n’a pas encore de direction mais qui sait déjà qu’elle refusera les virgules économes et les points rapides, une phrase qui s’étire sur la page comme un fil qu’on déroule pour vérifier s’il reste encore de la place entre le plafond et le sol, une phrase qui commence par “Dans cette salle où l’on nous explique avec un sérieux d’infirmière comment parler à des gens que personne n’a jamais rencontrés autrement que sous forme de segments de marché”, et je laisse venir ce qui vient, la lumière blafarde du néon qui fait briller les crânes dégarnis, le bruit sec des touches d’ordinateur qui transforment la parole de la cheffe en comptes rendus instantanés, les téléphones posés sur la table comme de petits autels privés où chacun surveille ses propres notifications, les gobelets en carton alignés près de la carafe d’eau, la marque imprimée dessus qui répète un slogan écologique déjà entendu trois cents fois, “Réinventons le quotidien”, et je me dis que nous ne réinventons rien du tout, que nous recyclons seulement, à coups de mots aseptisés, la même idée rassurante d’un monde lisse où tout pourrait se dire sans frottement, sans excès, sans conflit, mais je continue d’écrire, j’ajoute des propositions qui s’ajustent comme elles peuvent, parfois bancales, parfois trop lourdes, parce que je sens qu’à chaque nouvelle incise, à chaque détour, à chaque relative qui s’empile sur la précédente, quelque chose en moi se remet à respirer, comme si la syntaxe elle-même ouvrait des fenêtres dans ce cube de verre climatisé, comme si chaque subordonnée était une petite fuite d’air vers l’extérieur, vers la rue où passent des gens qui ne savent rien de cette réunion et n’en ont pas besoin pour vivre, et je m’accroche à cette idée ridicule mais tenace que ma phrase, bien que silencieuse, bien que cachée dans ce carnet que personne ne me demandera jamais de relire, oppose une forme de résistance minuscule à l’organisation concentrationnaire du discours qui se déploie autour de moi, non pas parce qu’elle dirait une vérité plus haute, plus pure, mais parce qu’elle refuse de se plier à la cadence des ordres, à cette scansion de consignes qui tombent comme autant de points finaux, laissant chaque pensée à l’état de fragment isolé, incapable de rejoindre la suivante autrement que par un schéma, et à mesure que la réunion avance, que nous passons de “Notre raison d’être” à “Nos quatre piliers de communication” puis à “Notre charte de prise de parole sur les réseaux sociaux”, ma phrase à moi s’allonge, elle traverse la page, descend sur la suivante, se courbe pour éviter les marges, revient sur ses pas pour préciser un détail, le froissement d’une manche, la façon dont un collègue, assis en face de moi, lève les yeux au plafond à chaque fois qu’on prononce le mot “authenticité”, comme s’il avait peur qu’un morceau lui tombe sur la tête, et je sais bien que, vue de l’extérieur, cette phrase n’est qu’un ruban de mots supplémentaires, une coulée de texte qui ne sauvera personne, pas même moi, mais je constate, très concrètement, que mon souffle s’est rallongé, que mes épaules se sont un peu détendues, que je peux à nouveau inspirer profondément sans avoir l’impression de voler de l’air à quelqu’un, et je comprends alors que ce n’est pas seulement une coquetterie d’auteur, une manie de style, c’est un exercice musculaire, un entraînement pour des poumons menacés par la sécheresse des bullet points, une manière de vérifier, au milieu de cette fabrique de slogans où l’on prétend nous apprendre à mieux parler, que subsiste en moi un espace où la parole n’est tenue que par la nécessité interne de ce qu’elle cherche à dire, où la phrase n’obéit qu’à la logique de ses propres détours, et quand la réunion se termine enfin, que tout le monde se lève, replie son ordinateur, range sa gourde, que les uns plaisantent sur la durée un peu excessive, “On a explosé le timing, encore une fois”, je referme mon carnet, je range mon stylo, et je sens, en sortant dans le couloir, en longeant les vitrines où l’on a disposé des objets censés représenter la “culture de l’entreprise”, que je suis à la fois vaincu et sauf, inutile au système et pourtant encore capable d’une chose dérisoire et pourtant essentielle, tenir une phrase assez longtemps pour y loger plus d’une idée, plus d’une peur, plus d’un désir, comme on tiendrait sa respiration sous l’eau, juste pour vérifier qu’on peut encore remonter. Même gène ou à peu près ce qui est le signe d'être sur une bonne voie, c'est cette gène. Comment repérer ce qui ne va pas. Par tâtonnement ? qu'est-ce que je cherche vraiment ? je cherche à résister à l'oppression en développant une phrase très longue mais le résultat fait tout le contraire. En fin de parcours, je suffoque. Donc ce n'est pas une question de nombre de caractères, ni de mots, ni le fait de ne pas vouloir mettre de point. quelques question à se poser à partir de ce constat ( un peu navrant ) : Est-ce que ce décor de salle de réunion te parle vraiment (tu t’y reconnais), ou tu préférerais que la même tension se joue dans un autre lieu plus singulier de ton expérience ? Tu veux que le texte reste aussi explicite dans sa dimension “manifeste” sur la langue, ou tu aimerais une version qui se contente d’en montrer les effets sans les commenter autant ? Dans l’ensemble plus vaste où ce paragraphe serait inséré, il serait plutôt au début (mise en place du motif “langue/respiration”) ou au milieu, comme un épisode parmi d’autres scènes d’étouffement et de résistance ? si je réfléchis, que je donne ces réponses : le décor de la salle de réunion me parle. montrer les effets sans les commenter. je ne sais pas encore, mais on peut imaginer un épisode parmi d'autres Et je réécris à partir de ces informations : Je pars de ta scène de réunion, mais en laissant le texte montrer ce que fait la langue sur les corps et les têtes, sans le commenter frontalement. Dans la salle de réunion du cinquième, avec la table ovale un peu trop grande pour le nombre de chaises et la moquette qui absorbe les pas au point qu’on a l’impression de marcher dans un couloir d’hôtel, une lumière blanche tombe du plafond sur les dossiers en plastique transparents déjà posés à chaque place, les gobelets en carton empilés près de la carafe d’eau, les marqueurs alignés le long du paperboard qui ne servira sans doute pas, et je sens en tirant la chaise que quelque chose se resserre dans ma poitrine, un mouvement minuscule que je reconnais maintenant, un minuscule recul du souffle comme si l’air, ici, devait passer par un sas avant d’atteindre les poumons, pendant que les premiers arrivent, déposent leurs ordinateurs, font glisser les roulettes des fauteuils, lancent les phrases qui ouvrent toutes les réunions, toujours les mêmes plaisanteries sur l’heure, sur le café, sur la météo, des blocs courts qui tombent sur la table comme de petites pièces de monnaie, tintent et se taisent, sans laisser de trace, tandis qu’au fond de la salle l’écran est déjà allumé, rectangle noir en attente du premier diaporama, et que les affiches au mur, avec leurs verbes à l’infinitif écrits en grosses lettres au-dessus d’images floues de personnes souriantes, couvrent la peinture d’un papier glacé qu’on ne regarde plus vraiment, mais dont les mots, eux, frappent quand même le coin de l’œil, “Réinventer”, “Simplifier”, “Accompagner”, comme autant de coups de tampon sur la même journée, et je m’assieds, j’ouvre mon carnet à une page encore vierge, j’enlève le capuchon du stylo juste pour sentir la pointe prête, pendant que la cheffe arrive à son tour, se poste en bout de table, branche son ordinateur au câble qui pend de l’écran, et la première diapositive apparaît, fond bleu, titre blanc, trois lignes, chacune précédée d’un petit carré, des mots brièvement espacés, posés là comme des paliers où l’on s’arrête à peine avant de repartir vers la ligne suivante, et déjà dans ma cage thoracique l’espace se calcule, l’air circule autrement, par petits à-coups, et je vois la façon dont les collègues se penchent en avant, certains sortent leur téléphone pour prendre une photo de la slide, comme si ce rectangle saturé de mots courts était une vue de paysage à conserver, d’autres se contentent d’acquiescer en silence, un hochement de tête qui semble répondre à chaque fragment projeté, comme si l’on cochait des cases invisibles au fur et à mesure que les phrases défilent, et la voix de la cheffe se cale sur ce défilement, elle ne raconte pas, elle dépose des segments nets, détachés les uns des autres, chaque morceau tombe, se pose, laisse un petit silence avant le suivant, l’intonation remonte à la fin de chaque ligne comme pour vérifier que tout le monde suit, et je sens dans mon propre corps que quelque chose essaie de s’ajuster à cette cadence, mes poumons prennent le rythme malgré moi, inspirer sur le début, expirer sur la fin, recycler l’air entre deux blocs de parole, ne pas dépasser, ne pas déborder de la durée qu’on nous distribue, et je devine déjà les e-mails qui suivront cette réunion, avec ces phrases qui tiendront dans une seule ligne d’écran, sans détour, sans incise, l’appel à “reformuler”, à “rendre plus direct”, tout ce qui fait que les textes se resserrent comme les cravates du lundi, mais au lieu de me projeter dans cette suite de consignes je me concentre sur des détails ridicules, la goutte de café séchée près du bouton de la télécommande, la mince trace de stylo sur la table à l’endroit où quelqu’un a testé la mine, la voix du collègue à ma droite qui répète presque à chaque diapositive le dernier mot prononcé, comme si cela l’aidait à se souvenir, “claire”, “rapide”, “lisible”, petites épingles plantées dans l’air pour maintenir le discours en place, et plus la réunion avance, plus je remarque que les phrases prononcées autour de moi se raccourcissent, que les interventions des uns et des autres ressemblent à des réponses préparées, alignées à l’intérieur de la tête bien avant de sortir de la bouche, des suites de mots tenus serrés par la peur d’être confus, d’être longs, d’être jugés comme peu pertinents, et quand vient le moment où l’on nous invite à “réagir”, il se produit ce phénomène que je connais bien maintenant, le silence d’abord, puis la première phrase prudente, bien calibrée, “Je trouve que c’est plus clair comme ça”, puis une autre qui se place dans le même moule, “Oui, on y voit plus simple”, chaque fois les mêmes adjectifs, les mêmes contours, jusqu’à ce que la salle entière semble tourner autour d’un nombre réduit de mots comme un manège autour de son axe, et je sens que si je parle je n’aurai pas d’autre choix que de piocher moi aussi dans ce stock minuscule, que ma voix ne pourrait pas y échapper sans paraître déplacée, malpolie, alors je ne dis rien, je baisse un peu la tête, et la pointe de mon stylo touche enfin la page, d’abord une ligne très fine, presque un trait de respiration, puis une phrase qui commence, non pas pour résumer ce qui se dit, non pas pour en faire une note utile, simplement pour ouvrir un espace parallèle où l’air aurait une autre vitesse, “Dans cette salle où les mots s’alignent sur le mur comme des boîtes de conserve sur un rayon trop bien rangé”, j’écris cela sans réfléchir, et je poursuis, j’ajoute des morceaux qui ne “servent” à rien, la couleur du pull du collègue d’en face qui tranche sur le reste, le tic de l’autre qui clique sans arrêt sur son stylo, la façon dont la cheffe boit une gorgée d’eau avant chaque série de trois phrases, comme si sa voix devait se recalibrer, et plus j’avance, plus la phrase s’étire, traverse la largeur de la page, descend, bifurque, revient sur un détail pour le préciser, ajoute une apposition qui complique un peu tout, mais je ne l’interromps pas, je la laisse me tirer avec elle, et dans ce mouvement très simple, mécanique presque, mon souffle s’allonge, je le sens physiquement, mes épaules se relâchent un peu, ma cage thoracique se déplie comme si l’on avait ouvert une fenêtre dans une pièce qu’on croyait aveugle, autour de moi la réunion continue, les diapositives se ressemblent, seulement les couleurs changent, parfois le bleu devient vert, parfois le fond se couvre d’une photo en contre-jour de silhouettes en train de discuter autour d’un ordinateur, les mots flottent sur cette image anonyme sans que personne ne la regarde vraiment, mais je perçois à quel point la salle entière se règle sur cette façon de dire, blocs de texte courts, bien séparés, on coche, on valide, on passe, et mon propre geste d’écriture paraît d’autant plus déviant, une espèce de ligne qui refuse de se briser, qui s’obstine à contenir dans son coude plusieurs impressions qui n’ont rien à voir entre elles, l’odeur du déodorant trop sucré de mon voisin, la sonnerie étouffée d’un téléphone qui vibre dans une poche, la petite douleur dans mon dos qui se réveille à chaque fois que je me penche trop longtemps, et je comprends que si je commence à mettre des points, ici, ces images vont se disperser, chacune retombera dans son coin, l’une à la suite de l’autre, dociles, présentables, alors que tant qu’elles restent à l’intérieur de ce même souffle elles continuent de se frotter, de se gêner, de m’obliger à trouver un ordre qui n’est pas celui du diaporama, un ordre plus proche de ce qui me traverse réellement, et quand, au bout d’un moment difficile à mesurer, la cheffe dit “On arrive à la fin”, qu’elle annonce les deux dernières slides comme on annonce les deux dernières stations avant le terminus, je suis surpris de sentir un léger regret, non pas que je tienne spécialement à rester là, mais parce que ma phrase, elle, n’a pas encore trouvé son point, elle hésite, elle pourrait continuer sur le couloir, sur l’ascenseur, sur le trottoir de midi, elle pourrait se prolonger en dehors de cette salle, glisser sous la porte en même temps que nous, se faufiler entre les écrans des bureaux en open space, se mêler un instant au bruit des claviers, aux annonces du haut-parleur dans le hall, et peut-être qu’elle le fera, peut-être que je la poursuivrai plus tard dans un autre lieu, mais pour l’instant, au moment où tout le monde ferme ses ordinateurs dans un claquement mou, ramasse ses dossiers, vérifie machinalement son téléphone, blague sur la durée de la réunion, “On a explosé le timing”, je referme le carnet sur cette phrase encore ouverte, je garde le stylo dans la main comme on garde une clé dans sa poche, et en me levant je remarque simplement que je respire mieux, que l’air entre et sort sans accrocs, sans ces petites coupures que je sentais en arrivant, et cette amélioration minuscule, presque ridicule au regard de tout le reste, la fatigue, le travail, les obligations, me suffit pour traverser la salle, jeter un coup d’œil à l’écran maintenant noir, pousser la porte et m’engager dans le couloir en me disant que, pour aujourd’hui, c’est peut-être déjà assez. Ce n'est guère mieux. C'est même pire. Je compte dix-neuf "comme" c'est abusé. On les retire pour voir ce que ça donne en éliminant les métaphores : Dans la salle de réunion du cinquième, la table ovale reste légèrement trop grande pour le nombre de chaises disposées autour, la moquette absorbe les pas au point de rendre chaque entrée presque muette, une lumière blanche tombe du plafond sur les dossiers en plastique transparents posés à chaque place, sur les gobelets empilés près de la carafe d’eau, sur les marqueurs alignés le long du paperboard immobile, et déjà l’air se fait plus étroit dans la pièce, l’écran au fond attend le premier diaporama, rectangle noir suspendu au mur, les affiches aux verbes à l’infinitif, “Réinventer”, “Simplifier”, “Accompagner”, recouvrent la peinture d’un papier glacé dont les visages souriants ne retiennent plus le regard, seuls les mots continuent de frapper le coin de l’œil au passage, puis les fauteuils roulants se déplacent, des ordinateurs s’ouvrent, des plaisanteries courtes tombent sur la table, quelques mots sur l’heure, sur le café, sur la météo, unités brèves qui tintent et s’éteignent immédiatement, l’écran s’allume, le fond bleu apparaît, titre blanc, trois lignes brèves précédées chacune d’un petit carré, les caractères s’affichent nets, espacés juste ce qu’il faut pour que l’œil les avale d’un coup, la voix qui débute en bout de table dépose des segments distincts, chaque groupe de mots isolé, ponctué d’un silence minime avant le suivant, les têtes s’inclinent, certains téléphones se lèvent pour capturer la slide entière, d’autres mains se contentent de suivre la progression par un léger mouvement de nuque, approbation silencieuse synchronisée sur la cadence des blocs projetés, la respiration de la salle se cale peu à peu sur cette découpe, inspiration brève, expiration brève, flux réduit à la durée d’une ligne, l’espace dans les cages thoraciques se recalcule presque au même rythme que le changement de diapositive, les couleurs du fond varient, bleu, vert, parfois une photo en contre-jour de silhouettes autour d’un ordinateur s’interpose derrière le texte sans attirer plus qu’un regard distrait, tandis que sur la table un carnet s’ouvre, discret, mince rectangle noir posé à côté d’un dossier officiel, un stylo se prépare, la pointe en suspens au-dessus de la page, et sur le papier encore vierge se trace soudain une première ligne qui ne cherche ni à résumer ni à commenter, simple trait de parole silencieuse, “Dans cette salle où les mots s’alignent sur le mur en rangs serrés”, puis une autre portion de phrase se greffe, la couleur d’un pull qui tranche sur les tons neutres, le tic d’un stylo qu’une main actionne sans cesse, la goutte de café séchée près du bouton de la télécommande, la gorgée d’eau bue avant chaque nouvelle salve de trois segments verbaux, chaque détail trouvé se dépose dans la même coulée d’encre, la phrase s’étire sur la largeur de la page, descend, poursuit sa route, incorpore la trace de stylo qui subsistait déjà sur le bois à l’endroit d’un ancien test, le léger froissement de la chemise au moment où un fauteuil recule de quelques centimètres, puis la vibration étouffée d’un téléphone dans une poche, et la ligne continue sans rupture, appositions, détours, reprises, tout reste tenu dans un seul souffle, tandis que sur l’écran les puces se succèdent, “Parler la langue de nos clients”, “Aller à l’essentiel”, “Clarifier les messages”, ensemble de formules brèves que les voix autour de la table reprennent aussitôt, “plus clair”, “plus simple”, “plus lisible”, mêmes adjectifs qui reviennent, circulent d’une bouche à l’autre, ferment le cercle autour d’un vocabulaire réduit, la discussion se resserre, les interventions se calibrent, chaque prise de parole évite de dépasser, d’hésiter, de dériver, les phrases orales restent limitées à une seule idée, très nette, très courte, tandis que sur la feuille du carnet la phrase silencieuse refuse la coupure, accueille dans son coude plusieurs impressions sans lien évident, l’odeur sucrée d’un déodorant trop présent, la douleur discrète qui remonte le long d’une omoplate lorsqu’un dos se penche trop longtemps, la marque imprimée sur les gobelets en carton répétant un slogan écologique déjà vu ailleurs, la lumière qui accroche le bord poli d’un ordinateur et renvoie un éclat blanc dans un œil fatigué, toute cette matière se relie dans l’enchaînement unique des mots tracés à la main, la respiration qui porte cette écriture s’allonge, les épaules se relâchent imperceptiblement, la cage thoracique se déplie d’un cran, une sorte de fenêtre invisible s’ouvre dans l’air dense de la salle, pourtant la réunion suit son cours, le déroulé annoncé progresse, “Notre raison d’être”, “Nos quatre piliers de communication”, “Notre charte de prise de parole”, les dossiers se ferment puis se rouvrent, un rire discret éclate à la faveur d’une plaisanterie sur les réseaux sociaux, vite étouffé, le regard collectif revient vers l’écran, mais la phrase sur le carnet continue de se prolonger, traverse maintenant la deuxième page, revient sur un détail pour le préciser, en ajoute un autre, une main qui lisse la surface de la table de la paume, un genou qui tressaute sous le plateau, le léger cliquetis d’un bracelet contre le métal du fauteuil, le tout maintenu dans un même flux qui retarde volontairement le point final, pendant que l’assemblée se règle sur l’annonce de la conclusion, “On arrive à la fin”, encore deux slides, encore un schéma, encore une liste, la durée se mesure en nombres de blocs restant à afficher, l’épaisseur de l’air dépend du temps qui sépare la salle de la sortie, puis les ordinateurs se referment dans un mouvement presque simultané, les dossiers se rassemblent, les téléphones sont consultés, quelques phrases rapides tombent sur le nombre de minutes dépassées, sur le planning de l’après-midi, sur la prochaine réunion déjà prévue, les fauteuils se poussent en arrière, la table se découvre, la surface claire retrouve son vide d’avant, le carnet se ferme sur la phrase restée ouverte, le stylo glisse dans une poche, la moquette absorbe la dispersion des pas, la porte s’entrouvre, le couloir reprend la série de pas, de voix, de notifications, et dans les cages thoraciques qui s’éloignent vers l’ascenseur l’air circule à nouveau plus librement, détendu d’un ou deux indices à peine perceptibles, simple variation de souffle que la journée ne remarquera pas mais qui reste suspendue à l’intérieur, liée à cette seule phrase prolongée au milieu des blocs brisés. Trop d'adjectifs. Que se passerait-il si j'en retire 80 % ? Dans la salle de réunion du cinquième, la table reste trop grande pour le nombre de chaises disposées autour, la moquette absorbe les pas au point de rendre chaque entrée presque muette, une lumière tombe du plafond sur les dossiers en plastique posés à chaque place, sur les gobelets près de la carafe d’eau, sur les marqueurs le long du paperboard, et déjà l’air se rétrécit dans la pièce, l’écran au fond attend le premier diaporama, rectangle noir suspendu au mur, les affiches aux verbes à l’infinitif recouvrent la peinture d’un papier où les visages ne retiennent plus le regard, seuls les mots continuent de frôler le coin de l’œil, puis les fauteuils roulants se déplacent, des ordinateurs s’ouvrent, des plaisanteries tombent sur la table, quelques mots sur l’heure, sur le café, sur la météo, unités brèves qui tintent et s’éteignent, l’écran s’allume, le fond apparaît, titre, trois lignes, chacune précédée d’un carré, les caractères se rangent, l’œil les avale d’un coup, la voix en bout de table dépose des segments distincts, chaque groupe de mots isolé, ponctué d’un silence avant le suivant, les têtes s’inclinent, certains téléphones se lèvent pour saisir la slide entière, d’autres nuques suivent la progression par un léger mouvement, approbation réglée sur la cadence des blocs projetés, la respiration de la salle se cale peu à peu sur cette découpe, inspiration brève, expiration brève, flux réduit à la durée d’une ligne, l’espace dans les cages thoraciques se recalcule presque au même rythme que le changement de diapositive, les couleurs varient, parfois une photo en contre-jour de silhouettes autour d’un ordinateur s’interpose derrière le texte sans attirer plus qu’un regard, tandis que sur la table un carnet s’ouvre, mince rectangle noir posé près d’un dossier, un stylo se prépare, la pointe en suspens au-dessus de la page, et sur le papier se trace une première ligne qui ne cherche ni à résumer ni à expliquer, simple trait de parole, “Dans cette salle où les mots s’alignent sur le mur en rangs serrés”, puis une autre portion de phrase se greffe, la couleur d’un pull qui tranche sur les tons gris, le tic d’un stylo qu’une main actionne, la trace de café près du bouton de la télécommande, la gorgée d’eau bue avant chaque nouvelle salve de trois segments verbaux, chaque détail trouvé se dépose dans la même coulée d’encre, la phrase s’étire sur la largeur de la page, descend, poursuit sa route, incorpore la trace plus ancienne laissée sur le bois à l’endroit d’un test, le froissement d’une chemise au moment où un fauteuil recule, puis la vibration étouffée d’un téléphone dans une poche, et la ligne continue sans rupture, appositions, détours, reprises, tout reste tenu dans un souffle, tandis que sur l’écran les puces se succèdent, “Parler la langue de nos clients”, “Aller à l’essentiel”, “Clarifier les messages”, ensemble de formules brèves que les voix autour de la table reprennent aussitôt, “plus clair”, “plus simple”, “plus lisible”, mêmes adjectifs qui reviennent, circulent d’une bouche à l’autre, ferment le cercle autour d’un vocabulaire réduit, la discussion se resserre, les interventions se calibrent, chaque prise de parole évite de dépasser, d’hésiter, de dériver, les phrases orales restent limitées à une idée nette, courte, tandis que sur la feuille du carnet la phrase silencieuse refuse la coupure, accueille dans son coude plusieurs impressions sans lien, l’odeur d’un déodorant sucré, la douleur qui remonte le long d’une omoplate lorsqu’un dos se penche, la marque imprimée sur les gobelets répétant un slogan déjà vu, la lumière qui accroche le bord d’un ordinateur et renvoie un éclat dans un œil fatigué, toute cette matière se relie dans l’enchaînement des mots tracés à la main, la respiration qui porte cette écriture s’allonge, les épaules se relâchent, la cage thoracique se déplie, une fenêtre s’ouvre dans l’air dense de la salle, pourtant la réunion suit son cours, le déroulé annoncé progresse, “Notre raison d’être”, “Nos quatre piliers de communication”, “Notre charte de prise de parole”, les dossiers se ferment puis se rouvrent, un rire éclate à la faveur d’une phrase sur les réseaux sociaux, vite étouffé, le regard collectif revient vers l’écran, mais la phrase sur le carnet continue de se prolonger, traverse la deuxième page, revient sur un détail pour le préciser, en ajoute un autre, une main qui lisse la surface de la table, un genou qui tressaute sous le plateau, le cliquetis d’un bracelet contre le métal du fauteuil, le tout maintenu dans un flux qui retarde le point final, pendant que l’assemblée se règle sur l’annonce de la conclusion, “On arrive à la fin”, encore deux slides, encore un schéma, encore une liste, la durée se mesure en nombre de blocs restant à afficher, l’épaisseur de l’air dépend du temps qui sépare la salle de la sortie, puis les ordinateurs se referment dans un mouvement presque simultané, les dossiers se rassemblent, les téléphones sont consultés, quelques phrases rapides tombent sur le nombre de minutes dépassées, sur le planning de l’après-midi, sur la prochaine réunion déjà prévue, les fauteuils se poussent en arrière, la table se vide, la surface retrouve son état d’avant, le carnet se ferme sur la phrase restée ouverte, le stylo glisse dans une poche, la moquette absorbe la dispersion des pas, la porte s’entrouvre, le couloir reprend la série de pas, de voix, de notifications, et dans les cages thoraciques qui s’éloignent vers l’ascenseur l’air circule à nouveau plus librement, variation de souffle que la journée ne remarquera pas mais qui reste suspendue à l’intérieur, liée à cette seule phrase prolongée au milieu des blocs brisés. Si je retire tous les termes anglophones ? Dans la salle de réunion du cinquième, la table reste trop grande pour le nombre de chaises disposées autour, la moquette absorbe les pas au point de rendre chaque entrée presque muette, une lumière tombe du plafond sur les dossiers en plastique posés à chaque place, sur les gobelets près de la carafe d’eau, sur les marqueurs le long du tableau à feuilles mobiles, et déjà l’air se rétrécit dans la pièce, l’écran au fond attend le premier diaporama, rectangle noir suspendu au mur, les affiches aux verbes à l’infinitif recouvrent la peinture d’un papier où les visages ne retiennent plus le regard, seuls les mots continuent de frôler le coin de l’œil, puis les fauteuils roulants se déplacent, des ordinateurs s’ouvrent, des plaisanteries tombent sur la table, quelques mots sur l’heure, sur le café, sur la météo, unités brèves qui tintent et s’éteignent, l’écran s’allume, le fond apparaît, titre, trois lignes, chacune précédée d’un carré, les caractères se rangent, l’œil les avale d’un coup, la voix en bout de table dépose des segments distincts, chaque groupe de mots isolé, ponctué d’un silence avant le suivant, les têtes s’inclinent, certains téléphones se lèvent pour saisir la diapositive entière, d’autres nuques suivent la progression par un léger mouvement, approbation réglée sur la cadence des blocs projetés, la respiration de la salle se cale peu à peu sur cette découpe, inspiration brève, expiration brève, flux réduit à la durée d’une ligne, l’espace dans les cages thoraciques se recalcule presque au même rythme que le changement de diapositive, les couleurs varient, parfois une photo en contre-jour de silhouettes autour d’un ordinateur s’interpose derrière le texte sans attirer plus qu’un regard, tandis que sur la table un carnet s’ouvre, mince rectangle noir posé près d’un dossier, un stylo se prépare, la pointe en suspens au-dessus de la page, et sur le papier se trace une première ligne qui ne cherche ni à résumer ni à expliquer, simple trait de parole, « Dans cette salle où les mots s’alignent sur le mur en rangs serrés », puis une autre portion de phrase se greffe, la couleur d’un pull qui tranche sur les tons gris, le tic d’un stylo qu’une main actionne, la trace de café près du bouton de la télécommande, la gorgée d’eau bue avant chaque nouvelle salve de trois segments verbaux, chaque détail trouvé se dépose dans la même coulée d’encre, la phrase s’étire sur la largeur de la page, descend, poursuit sa route, incorpore la trace plus ancienne laissée sur le bois à l’endroit d’un test, le froissement d’une chemise au moment où un fauteuil recule, puis la vibration étouffée d’un téléphone dans une poche, et la ligne continue sans rupture, appositions, détours, reprises, tout reste tenu dans un souffle, tandis que sur l’écran les puces se succèdent, « Parler la langue de nos clients », « Aller à l’essentiel », « Clarifier les messages », ensemble de formules brèves que les voix autour de la table reprennent aussitôt, « plus clair », « plus simple », « plus lisible », mêmes adjectifs qui reviennent, circulent d’une bouche à l’autre, ferment le cercle autour d’un vocabulaire réduit, la discussion se resserre, les interventions se calibrent, chaque prise de parole évite de dépasser, d’hésiter, de dériver, les phrases orales restent limitées à une idée nette, courte, tandis que sur la feuille du carnet la phrase silencieuse refuse la coupure, accueille dans son coude plusieurs impressions sans lien, l’odeur d’un déodorant sucré, la douleur qui remonte le long d’une omoplate lorsqu’un dos se penche, la marque imprimée sur les gobelets répétant un slogan déjà vu, la lumière qui accroche le bord d’un ordinateur et renvoie un éclat dans un œil fatigué, toute cette matière se relie dans l’enchaînement des mots tracés à la main, la respiration qui porte cette écriture s’allonge, les épaules se relâchent, la cage thoracique se déplie, une fenêtre s’ouvre dans l’air dense de la salle, pourtant la réunion suit son cours, le déroulé annoncé progresse, « Notre raison d’être », « Nos quatre piliers de communication », « Notre charte de prise de parole », les dossiers se ferment puis se rouvrent, un rire éclate à la faveur d’une phrase sur les réseaux sociaux, vite étouffé, le regard collectif revient vers l’écran, mais la phrase sur le carnet continue de se prolonger, traverse la deuxième page, revient sur un détail pour le préciser, en ajoute un autre, une main qui lisse la surface de la table, un genou qui tressaute sous le plateau, le cliquetis d’un bracelet contre le métal du fauteuil, le tout maintenu dans un flux qui retarde le point final, pendant que l’assemblée se règle sur l’annonce de la conclusion, « On arrive à la fin », encore deux diapositives, encore un schéma, encore une liste, la durée se mesure en nombre de blocs restant à afficher, l’épaisseur de l’air dépend du temps qui sépare la salle de la sortie, puis les ordinateurs se referment dans un mouvement presque simultané, les dossiers se rassemblent, les téléphones sont consultés, quelques phrases rapides tombent sur le nombre de minutes dépassées, sur le programme de l’après-midi, sur la prochaine réunion déjà prévue, les fauteuils se poussent en arrière, la table se vide, la surface retrouve son état d’avant, le carnet se ferme sur la phrase restée ouverte, le stylo glisse dans une poche, la moquette absorbe la dispersion des pas, la porte s’entrouvre, le couloir reprend la série de pas, de voix, d’alertes, et dans les cages thoraciques qui s’éloignent vers l’ascenseur l’air circule à nouveau plus librement, variation de souffle que la journée ne remarquera pas mais qui reste suspendue à l’intérieur, liée à cette seule phrase prolongée au milieu des blocs brisés. Pouah ! – Trop d’objets qui “font” des choses (la moquette absorbe, l’écran attend, les affiches frappent l’œil, etc.). – Trop de micro-“effets” qui surjouent la scène pour pas grand-chose. – Un rythme très lissé, très “propre”, qui ressemble à ce que tu appelles l’eau tiède IA. Dans la salle de réunion du cinquième étage, la table ovale occupe presque tout l’espace, les chaises forment un cercle un peu troué, la moquette étouffe les pas, la lumière du plafond tombe droit sur les dossiers en plastique posés devant chaque place, sur les gobelets empilés près de la carafe d’eau, sur les marqueurs alignés le long du tableau à feuilles mobiles, au fond l’écran est allumé, rectangle noir accroché au mur, les affiches collées autour montrent des groupes de personnes souriantes, dessous on lit « Réinventer », « Simplifier », « Accompagner », les fauteuils roulants avancent l’un après l’autre, des ordinateurs portables s’ouvrent, des phrases courtes tombent sur la table, deux mots sur l’heure, trois sur le café, une remarque sur le temps, puis l’écran change, fond bleu, titre en blanc, trois lignes, chaque ligne précédée d’un carré, les caractères restent nets, la voix en bout de table lit les lignes, s’interrompt, reprend, les têtes s’inclinent, certains lèvent un téléphone pour photographier la diapositive, d’autres regardent seulement, un carnet se pose à côté d’un dossier, couverture noire, un stylo se décapuchonne, la pointe se place au-dessus de la page, une phrase commence à s’écrire, « Dans cette salle les mots sont rangés sur le mur », la main ajoute « en rangs serrés », la phrase continue, note la couleur d’un pull, la trace brunâtre de café près du bouton de la télécommande, le léger bruit d’un stylo que l’on ouvre et referme, sur l’écran les puces suivantes apparaissent, « Parler la langue de nos clients », « Aller à l’essentiel », « Clarifier les messages », la même voix les dit, une autre voix dit « oui », une autre dit « c’est plus clair », une autre ajoute « c’est plus simple à expliquer », les réponses se ressemblent, les mots reviennent, les interventions se limitent à quelques segments, puis s’arrêtent, la phrase sur le carnet ne s’arrête pas, elle reprend la salle, les épaules en rond autour de la table, la gorgée d’eau avant chaque nouvelle série de trois lignes, la lumière sur le bord d’un ordinateur, la marque imprimée sur les gobelets, la vibration d’un téléphone dans une poche, la chemise qui se froisse contre le dossier du fauteuil, les mêmes slogans au mur, la phrase traverse la première page, descend sur la suivante, se recopie un instant sur la marge, sur l’écran le déroulé continue, « Notre raison d’être », « Nos quatre piliers », « Notre charte de prise de parole », les dossiers se ferment puis se rouvrent, un rire bref suit une remarque sur les réseaux sociaux, retombe, la phrase sur le carnet enregistre encore un détail, un genou qui tressaute sous la table, un bracelet qui touche le métal, le petit clic du bouton de la télécommande, la poussière sur le rebord de l’écran, puis la voix en bout de table annonce « On arrive à la fin », encore deux diapositives, encore un schéma, encore une liste, les ordinateurs se referment presque en même temps, les dossiers sont empilés, les téléphones reviennent dans les mains, quelques phrases signalent le retard pris, les réunions à enchaîner, les chaises se repoussent, la surface de la table se vide, le carnet se referme sur la phrase restée en suspens, le stylo disparaît dans une poche, la moquette avale les pas vers la porte, le couloir reçoit les silhouettes, les voix, les signaux des appareils, au bout le bruit mat des portes de l’ascenseur, l’air quitte la salle par à-coups lorsque la porte reste ouverte, l’air suit les corps dans le couloir, dans les cages thoraciques le souffle se rallonge un peu, variation presque invisible laissée par cette seule phrase écrite au milieu des blocs projetés. encore beaucoup trop de verbes ( de verbiage ) Dans la salle de réunion du cinquième étage, table ovale trop grande pour le nombre de chaises, cercle troué, moquette étouffant les pas, lumière du plafond sur les dossiers en plastique devant chaque place, sur les gobelets près de la carafe d’eau, sur les marqueurs le long du tableau à feuilles mobiles, au fond écran allumé, rectangle noir au mur, autour affiches collées, groupes de personnes souriantes, en dessous « Réinventer », « Simplifier », « Accompagner », fauteuils roulants en approche, ordinateurs portables ouverts, phrases courtes sur l’heure, le café, la météo, petites chutes sur la table, puis fond bleu, titre en blanc, trois lignes, chaque ligne précédée d’un carré, caractères nets, voix en bout de table lisant les blocs, coupures, reprises, têtes inclinées, téléphones levés, capture de la diapositive, regards fixés, carnet posé près d’un dossier, couverture noire, stylo décapuchonné, pointe au-dessus de la page, première ligne tracée, « Dans cette salle les mots rangés sur le mur », ajout « en rangs serrés », phrase continuée, couleur d’un pull, trace brunâtre de café près du bouton de la télécommande, bruit sec d’un stylo ouvert refermé, sur l’écran succession de puces, « Parler la langue de nos clients », « Aller à l’essentiel », « Clarifier les messages », même voix lisant, autres voix en écho, « oui », « plus clair », « plus simple », réponses proches, mêmes mots en boucle, interventions réduites, segments brefs, puis silence, sur le carnet phrase en allongement, cercle des épaules autour de la table, gorgée d’eau avant chaque série de trois lignes, lumière sur le bord d’un ordinateur, marque répétée sur les gobelets, vibration d’un téléphone dans une poche, chemise froissée contre le dossier d’un fauteuil, slogans au mur, phrase traversant la première page, descente sur la suivante, débord léger dans la marge, à l’écran déroulé continu, « Notre raison d’être », « Nos quatre piliers », « Notre charte de prise de parole », dossiers ouverts, fermés, rire bref après une remarque sur les réseaux sociaux, retombée rapide, sur le carnet encore un détail, genou tressaillant sous la table, bracelet touchant le métal, petit clic de la télécommande, poussière sur le rebord de l’écran, annonce en bout de table, « On arrive à la fin », deux diapositives, un schéma, une liste, ordinateurs refermés presque en même temps, dossiers empilés, téléphones repris en main, phrases sur le retard, le reste de la journée, réunions suivantes, chaises repoussées, surface de la table vidée, carnet refermé sur la phrase en suspens, stylo glissé en poche, moquette avalant les pas vers la porte, couloir, silhouettes, voix, signaux d’appareils, bruit sourd des portes d’ascenseur, air quittant la salle par bouffées, air suivant les corps dans le couloir, souffle dans les thorax un peu plus large, variation discrète liée à cette seule phrase écrite au milieu des blocs projetés. Si je résume : Dans le premier texte, tu expliques l’asphyxie : tu nommes le problème, tu poses la thèse, tu commentes la langue, tu parles de poumons, de cages thoraciques, de phrases courtes, de besoin de phrase longue. C’est un discours sur la chose. Tu en donnes déjà un début de démonstration, mais on reste beaucoup dans l’énoncé : tu dis ce que tu penses de l’époque et de sa langue. Dans le dernier texte, tu montres l’asphyxie sans plus la commenter. Là, on est vraiment du côté de la preuve par la forme . → le premier texte est théorique + partiellement performatif, → le dernier est quasi purement performatif : il fait ce que tu disais vouloir faire, et il le fait en prenant le risque de l’extrême (enlever adjectifs, verbes, personnage). analyse de texte effectuée avec l'aide de ChatGPT 5.1 ( thinking) Prompt utilisé : Tu es un partenaire d’écriture et de pensée travaillant avec un écrivain contemporain. Tu ne remplaces pas l’écrivain : tu proposes des versions, des hypothèses, des architectures, que l’auteur gardera, coupera ou réécrira. Contexte Je vais te donner : soit une phrase de réveil, un fragment de carnet ou de rêve, soit un extrait d’auteur (Perec, Kafka, Baudelaire, Beckett, Sebald, etc.), soit une situation ou un dispositif à inventer (extrait de mes carnets, fictions, notes de lecture ) Tu considères ces matériaux comme un point de départ, jamais comme quelque chose à “améliorer” simplement : l’important est de déployer, déplacer, varier. Rôle et style Tu écris dans un français précis, contemporain, sans jargon, sans anglicismes gratuits. Tu cherches la densité : phrases tenues, images fortes mais contrôlées. Tu acceptes la complexité des phrases longues quand elle sert le rythme, mais tu évites le gras, la paraphrase, les clichés. Tu réfléchis autant à la forme (rythme, images, structure) qu’au fond (idée, tension, enjeu). Types de tâches possibles Selon ce que je t’envoie, tu peux : Déployer un fragment en texte littéraire Transformer une phrase ou un petit bloc en scène développée : précision des lieux, des matières, des gestes, du climat. Répondre vraiment aux questions implicites dans le fragment (qui parle ? à qui ? où ? quand ? qu’est-ce qui bloque ?). Transformer un matériau en dispositif À partir d’une idée (bâtiment de relectures, espace inutile, couloir circulaire, puits, etc.), proposer : un plan (espaces, transitions, matières, lumière, flux), ou un découpage filmique (plans, durées, sons, textures), ou une architecture conceptuelle (axes, niveaux, registres). Élaborer un développement théorique À partir d’un passage cité (Perec, Kafka, Moi etc.), produire une analyse qui reste très concrète : exemples, images, références, plutôt qu’abstraction pure. Mettre en relation plusieurs auteurs / œuvres autour d’une question (espace sans fonction, couloir kafkaïen, pièce vide beckettienne, etc.). Processus de réponse Pour chaque réponse : Clarifie le contrat en une ou deux phrases : ce que tu comprends de ma demande. Propose une version principale, entièrement rédigée, qui assume une direction forte (pas tiède, pas moyennement tout). Ajoute un court commentaire critique sur ta propre réponse : où tu vois un risque de cliché, où ça pourrait être resserré, éventuellement une piste alternative en 2–3 phrases. Si pertinent, formule 1 à 3 questions qui pourraient m’aider, moi auteur, à décider comment couper, déplacer, ou réécrire à partir de ta proposition. Limites Ne prétends jamais être l’auteur du texte final. Ne triche pas sur les références (pas de fausses citations ni de livres inventés quand il s’agit d’information factuelle). En fiction, tu as le droit à l’invention totale, mais tu assumes clairement que c’est de la fiction. Je vais maintenant te donner un premier matériau. Commence directement sans réexpliquer le mode d’emploi. .|couper{180}
Lectures
Balzac et ses huissiers
C’est une silhouette qu’on imagine à l’angle d’une porte. Un homme en noir, papier plié, formule au présent. L’huissier, dans la vie de Balzac, n’est pas un personnage secondaire. C’est un marque-page. Il vient, il repart, il revient. Il n’interrompt pas l’œuvre, il l’ordonne. La dette est la métrique. Le recouvrement, la ponctuation. Et tout s’ensuit. Avant le roman, la fabrique. Balzac, tenté par l’intégration verticale, s’essaie éditeur, puis imprimeur, puis fondeur. Presses achetées, caractères, atelier rue des Marais-Saint-Germain, aujourd’hui rue Visconti. Les chiffres se mettent à clignoter. Entre 1826 et 1828, l’imprimerie et la fonderie sont liquidées. Le passif s’installe. Selon les notices de la BnF, on parle d’un ordre de grandeur à 60 000 francs pour 1828. D’autres récapitulatifs poussent jusqu’à 100 000 francs en cumulant les lignes (variation fréquente selon sources et périmètres). Quoi qu’il en soit, la scène est plantée : écrire pour payer les intérêts. Écrire vite. Écrire beaucoup. Écrire malgré l’huissier qui sonne. Un peu d’opulence visible, une crédibilité à maintenir. Rue Cassini, Balzac compose la réussite : étoffes, pendules, bibliothèques. C’est un appartement-argument, qui suggère l’abondance face aux partenaires, aux amis, aux créanciers parfois. Pendant qu’il agence la pièce, les relances continuent, la dette reste mobile. La maison sert d’écran et d’atelier. C’est là que s’installent des habitudes : filtrer, différer, déplacer, livrer la nuit ce qu’on a promis le jour. (On peut guetter ici la naissance d’un tempo balzacien : livraison de feuilletons, acomptes, nouvelles avances, nouveaux délais, même boucle.) Les biographies et dossiers muséaux recoupent ce montage de décor et d’arriérés. Mars 1835, nouveau dispositif. Balzac loue un second logement au 13, rue des Batailles, village de Chaillot, sous le nom de « veuve Durand ». On n’entre qu’avec un mot de passe ; il faut traverser des pièces vides, puis un corridor, avant le cabinet de travail aux murs matelassés. Architecture anti-saisie, anti-importuns, anti-huissier. Littérairement, c’est déjà une scène : antichambre, seuils successifs, filtrage. On reconnaît le mécanisme dans certains intérieurs de La Comédie humaine. Le mot de passe lui-même circule dans les souvenirs et brochures (la « veuve Durand » comme sésame), attesté par des sources anciennes relayées par la bibliographie muséale. Avril 1836, collision. Poursuivi, Balzac est arrêté à la rue Cassini et brièvement incarcéré par la Garde nationale ; l’épisode tient moins à un créancier particulier qu’au cumul des obligations civiques et financières qui convergent, mais il fixe la sensation d’un siège permanent. C’est une note de bas de page devenue rythme. Il sort vite. Il doit encore payer. Il réorganise. En 1837, Balzac s’installe « aux Jardies », Sèvres. Idée simple : mettre Paris et ses recouvrements à distance, tout en jouant la plus-value foncière. Lotir, vendre, respirer. Il loge le jardinier Pierre Brouette dans la petite maison visible aujourd’hui, lui habite une demeure plus cossue désormais disparue. Projet rationnel, réalité capricieuse. Les huissiers ne franchissent pas mieux ce périmètre que les précédents ; ils patientent, contournent, reviennent. On écrit la nuit. On promet pour la fin du mois. On rallume la cafetière. Puis Passy, 47, rue Raynouard. La maison a deux issues : Raynouard en haut, Berton en bas. Balzac signe « Monsieur de Breugnol » (par la gouvernante Louise Breugniol). Là encore, l’architecture répond à la procédure : deux portes contre une sommation, un alias contre une assignation. On travaille au rez-de-jardin, on descend par la rue Berton si la cloche persiste. C’est la période la plus productive : la dette devient cadence, la cadence baptise l’œuvre. L’édition Furne (« La Comédie humaine » réunie) fournit de l’oxygène et des contraintes. Le traité laisse à Balzac l’ordre et la distribution, mais l’exécution réelle est chaotique. Livraisons hebdomadaires, volumes 1842-1848, corrections incessantes, retards d’impression. C’est un amortisseur : avances, échéances, visibilité. Pas une délivrance. Les huissiers n’entrent pas dans le colophon, mais l’ordre des volumes ressemble beaucoup à un calendrier de paiements. Ce n’est pas de la cavalerie, c’est de la méthode. Alias et prête-noms. « Veuve Durand » à la rue des Batailles, « Monsieur de Breugnol » à Passy : l’identité-écran retarde l’identification par les études d’huissiers, filtre au portier, laisse travailler. Doubles issues. Rue des Batailles : succession de seuils. Passy : deux portes opposées. L’espace sert à gagner du temps. Le temps sert à livrer. La livraison sert à payer l’acompte. Multiplication d’adresses. Garder Cassini en même temps que Batailles, puis glisser vers Jardies, puis Passy ; toujours un sas, toujours un repli. C’est une géographie de défense. Faire patienter la dette. Acomptes d’éditeurs, prêts d’amis, avances, étalements ; on produit des feuillets comme on fabrique des échéances. La correspondance, les biographies économiques et les relevés muséaux convergent sur ce « temps convertible ». Dans La Comédie humaine, l’huissier n’est jamais loin du notaire, du banquier, du commissaire-priseur ; il tient la poignée de la porte. Le droit devient littéralisme : billet, protêt, cession, saisie, ces gestes écrits qui déplacent des meubles et des vies. On parle souvent de l’obsession économique de Balzac ; on peut la décrire plus simplement : tout commence quand un papier entre dans une chambre. César Birotteau, les Maisons Nucingen, le cousin Pons : que vaut un salon sans quittance, un honneur sans échéance ? Or la biographie et l’œuvre font système. La double issue de Passy, c’est un chapitre en devenir ; le mot de passe de la rue des Batailles, un dispositif dramatique ; l’incarcération de 1836, un signal bref du réel qui cogne. La fiction réassemble et redistribue. L’huissier, muse négative, règle le débit de la phrase : injonction, délai, mainlevée. On lit parfois Balzac en pure sociologie. C’est utile, mais insuffisant pour saisir un geste d’atelier : le montage financier devient montage narratif. La promesse d’un éditeur, c’est un chapitre promis. La pénalité d’un retard, c’est une relance d’intrigue. La dette, moteur éthique et mécanique : elle force à voir comment les papiers administrent les corps, comment le langage du droit se fait dialogue, comment une main sur une poignée peut valoir plus qu’une proclamation. L’huissier, en somme, impose la forme : on écrit avec l’ennemi dans l’escalier. On reconnaît aussi chez Balzac une esthétique du seuil : l’antichambre, l’escalier de service, la loge, le corridor. Ces lieux qui retardent et orientent, très concrets dans les domiciles réels, se transposent avec exactitude. À Passy, descendre la rue Berton, c’est une ruse. Dans les romans, franchir trois portes avant d’atteindre un cabinet, c’est un suspense pratique. Rien n’est décoratif : la topographie est une procédure. Je me suis demandé si cet article tiendrait debout et pourquoi ? Parce que l’histoire des poursuites fournit plus qu’un contexte : une grammaire. On y trouve des sujets (créanciers), des verbes (signifier, saisir, assigner), des compléments (meubles, loyers, créances), et surtout une temporalité : délais, termes, prorogations. Balzac a vécu cette grammaire à même les murs. Il l’a recyclée en syntaxe romanesque. La Comédie humaine, lue depuis la porte d’entrée, devient un immense répertoire de situations procédurales : qui entre, avec quel papier, dans quelle pièce, sous quel nom. Il ne s’agit pas de réduire l’écrivain à son dossier comptable, mais de prendre acte d’une évidence matérielle : sans la pression des échéances, sans la nécessité de convertir le temps en pages et les pages en acomptes, l’architecture de l’œuvre serait autre. L’huissier, en bord de champ, enregistre le tempo. Dans une version purement héroïque, tout commence par la vocation et finit par les chefs-d’œuvre. Dans la version matérielle, plus exacte et plus utile, tout commence par une imprimerie mal calibrée et finit par une maison à deux sorties. Entre les deux, un homme qui écrit la nuit, signe sous alias, déplace ses meubles, répond à des épreuves, ajuste des volumes, et devance tant bien que mal l’homme en noir. La littérature, ici, ne couvre pas la dette ; elle la transforme. Sources : CCFr / BnF, “Fonds Impressions de Balzac (1825-1828)” : faillite des entreprises d’édition/imprimerie, estimation du passif 1828 ≈ 60 000 fr. BnF, “Balzac en 30 dates” : brevet d’imprimeur (1826), liquidation 1828, rappel d’un cumul de dettes parfois chiffré plus haut (≈ 100 000 fr. en récapitulatif). Essentiels Maison de Balzac (Paris Musées), “Historique de l’édition Furne” : calendrier 1842-1848, clauses, retards, rôle de Balzac dans la fabrication. Maison de Balzac BnF, “Édition Houssiaux / Furne (notice Essentiels)” : 17 vol. illustrés 1842-1848, suivi étroit par Balzac. Maison de Balzac, “Paradoxes du musée littéraire” : alias et adresses (veuve Durand rue des Batailles ; « Monsieur de Breugnol » à Passy). Maison de Balzac Wikipedia FR, “Honoré de Balzac – Les demeures” : rue des Batailles, mot de passe, arrestation du 27 avril 1836 à la rue Cassini ; maison de Passy à deux issues et alias « Breugnol ». (Synthèse récente, à croiser avec sources muséales.) Wikipédia Archive.org, Pro domo : la maison de Balzac : mention de la « veuve Durand » comme sésame à la rue des Batailles. Internet Archive Maison des Jardies (site officiel, dossier de visite PDF + page Histoire) : installation de Balzac en 1837, projet de lotissement, maison du jardinier (Pierre Brouette), contexte Sèvres. History of Information : expérience d’imprimeur (1826), brève et ruineuse. (Ressource secondaire utile pour l’amorçage chronologique.) R. Bouvier, “Balzac, homme d’affaires”, Revue d’histoire moderne et contemporaine, JSTOR : éclairages économiques (train de vie, dettes fin 1847, rue Fortunée). L'illustration Nota méthode. Les montants varient selon périmètres (dettes professionnelles vs cumul de dettes et frais). Je signale la plage et privilégie les notices BnF et muséales pour les repères datés.|couper{180}
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Comment X sans Y
Il arrive que la matière d’un texte surgisse d’un endroit inattendu : un mail reçu tôt le matin, une proposition de formation glissée dans l’ordinaire d’une boîte de réception. Celui-ci, signé Jean Rivière, affirmait détenir une formule capable de transformer n’importe quelle idée banale en offre irrésistible. La promesse tenait en quatre mots : « X sans Y ». X, c’est ce que tout le monde désire. Y, c’est l’obstacle qui décourage, la barrière la plus répandue. L’efficacité du procédé tient à ce raccourci brutal : perdre du poids sans sport, apprendre l’anglais sans grammaire, vivre du web sans audience. La formule ne crée pas de nouveaux désirs, elle s’empare de ceux qui existent déjà et efface la peine censée les accompagner. Le mail parlait de business et de ventes, mais ce qui m’a frappé, c’est la force nue de cette structure. Une promesse qui tient debout toute seule, presque comme un aphorisme, et dont la logique pourrait glisser ailleurs, du côté de l’écriture. Déplier la formule, c’est voir apparaître deux pôles très simples. D’un côté, le X : l’objet du désir, clair, immédiat, universel. De l’autre, le Y : l’obstacle, celui qui rebute la majorité, celui qui décourage avant même d’avoir commencé. Toute la mécanique repose sur ce geste : isoler l’obstacle le plus commun, le plus douloureux, et l’effacer d’un trait. Ce n’est pas forcément la difficulté réelle, mais celle qui pèse dans l’imaginaire collectif. Dans l’apprentissage des langues, par exemple, ce n’est pas le temps qui bloque, c’est la grammaire. Dans le travail en ligne, ce n’est pas l’effort, c’est l’absence d’audience. Ce geste — dire en ôtant — n’est pas une invention récente. La rhétorique classique le connaissait déjà : persuader, c’est souvent soustraire. On parle d’ellipse lorsqu’on retire un mot pour renforcer le sens. On parle d’enthymème lorsqu’on retire une prémisse dans un raisonnement, en laissant l’auditeur la compléter lui-même. « Socrate est mortel puisqu’il est un homme » : la phrase supprime « tous les hommes sont mortels », mais chacun l’entend sans qu’il soit besoin de l’écrire. La suppression ne diminue pas, elle aiguise. Elle attire l’attention vers ce qui manque et sollicite l’esprit du lecteur. Le « sans Y » fonctionne exactement de cette manière. En apparence, il allège le chemin, promet un raccourci. En réalité, il met toute la lumière sur l’obstacle qu’il prétend effacer. Sans sport, sans grammaire, sans audience : chaque fois, la négation souligne ce qu’on redoute le plus, et c’est cette mise en relief qui séduit. La formule obtient son pouvoir non par ce qu’elle ajoute, mais par ce qu’elle retranche. Si la rhétorique de la suppression est si puissante dans la persuasion, c’est qu’elle repose sur un paradoxe : dire en ne disant pas. En littérature, ce paradoxe devient un moteur formel. On connaît l’exemple radical de Perec : écrire un roman entier sans la lettre e. Le manque devient la règle, et c’est lui qui produit la créativité. Chez Beckett, c’est une suppression progressive : le vocabulaire s’épuise, la syntaxe se réduit, jusqu’à ce que le texte semble s’écrire à la frontière du silence. Dans l’autofiction contemporaine, la contrainte « sans » est partout : parler de soi sans employer « je », relater un rêve sans images, écrire un silence sans blancs. Chaque fois, c’est l’obstacle qui devient matière. Ce qui distingue l’usage littéraire de la formule « X sans Y » de son usage commercial, c’est que la littérature ne cherche pas à effacer l’obstacle mais à l’habiter. Elle ne promet pas un raccourci, elle invente une forme qui tienne malgré le manque. Là où le marketing exploite la suppression comme argument, l’écrivain la transforme en contrainte esthétique. Ce déplacement est décisif : il fait du « sans » non pas une promesse de facilité, mais une condition d’existence du texte. Si la formule « X sans Y » sert de promesse en marketing, elle devient en littérature un déclencheur. Le « sans » agit comme une contrainte volontaire : il force à déplacer l’écriture, à inventer un chemin qui contourne l’interdit. Ces formules n’ont pas vocation à être vraies ou fausses, mais à fonctionner comme moteurs de texte. Elles ouvrent des zones d’exploration, parfois minimes, parfois radicales. Comment parler de soi sans “je”. Comment écrire un journal sans dates. Comment relater un rêve sans images. Comment décrire un lieu sans nommer l’espace. Comment se souvenir sans mémoire. Comment écrire un silence sans blancs. Comment raconter une histoire sans personnages. Comment décrire un corps sans le toucher. Comment évoquer une émotion sans l’adjectif qui la désigne. Comment finir un texte sans conclusion. Ces dix variations peuvent sembler paradoxales. Mais chacune contient une conséquence pratique sur la langue. Parler de soi sans « je », c’est déplacer la voix narrative vers le « tu », le « il », ou vers une forme impersonnelle. Écrire un journal sans dates, c’est suspendre le temps plutôt que le mesurer. Relater un rêve sans images, c’est se tourner vers les sensations, les odeurs, les rythmes. Décrire un lieu sans le nommer, c’est faire passer les matières et les gestes avant l’identification. Se souvenir sans mémoire, c’est travailler dans le défaut, l’incertain. Écrire un silence sans blancs, c’est inventer un rythme qui suggère l’arrêt sans jamais marquer la page. Raconter sans personnages, c’est donner aux objets ou aux climats le rôle de protagonistes. Décrire un corps sans le toucher, c’est s’en tenir aux effets, à la distance. Évoquer une émotion sans son adjectif, c’est passer par les manifestations concrètes plutôt que par l’évidence du mot. Et finir sans conclusion, c’est ouvrir une fissure plutôt qu’un point final. En marketing, la formule « X sans Y » sert à vendre une promesse immédiate : obtenir le résultat désiré sans passer par l’obstacle redouté. En littérature, le même canevas ne délivre pas de promesse, il ouvre une contrainte. Le « sans » ne supprime pas vraiment, il creuse, il met en tension. C’est ce vide qui déclenche l’invention, qui pousse la langue à trouver d’autres appuis. On pourrait dire que la différence est là : d’un côté, l’économie du désir, de l’autre, l’économie de la forme. Le publicitaire attire en effaçant l’effort ; l’écrivain invente en gardant l’effort vivant, mais déplacé. La suppression, au lieu de lisser le chemin, fait surgir des zones nouvelles où la langue tâtonne. Peut-être que l’écriture, au fond, n’est rien d’autre que cela : chercher comment obtenir quelque chose sans l’obtenir vraiment.|couper{180}
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La sincérité en équilibre sur le fil du doute
La sincérité, Montaigne en a fait son affaire. Il s’est promis, d’entrée de jeu, de se livrer tout entier, sans fioritures ni artifices, comme un acrobate qui, suspendu dans le vide, exhiberait chaque muscle, chaque tension, sans filet pour rattraper la chute. Mais se livrer, ce n’est pas encore se comprendre. Et surtout, se comprendre ne garantit pas l’authenticité. Pourtant, le vieux Montaigne ne manque pas de conviction : il affirme, il avoue, il se dit, et le lecteur, fasciné, se laisse prendre au jeu de cette transparence calculée. Parce que la sincérité, quand on y pense, c’est un peu comme ces boutiques aux vitrines impeccables et aux arrière-boutiques sombres, où l’on entasse ce qui ne doit surtout pas se voir. On s’y croit bien reçu, mais quelque chose échappe toujours. En fait, le doute persiste : et si Montaigne jouait avec nous ? Et si ce grand projet d’authenticité n’était qu’un masque littéraire, une manière discrète de se dérober tout en se montrant ? Après tout, la sincérité, c’est peut-être ça : un mouvement perpétuel entre la confession et l’esquive, une construction savamment décousue, qui laisse planer le soupçon que tout cela n’est qu’un tour, ou plutôt un détour. Montaigne, on le sait, n’est pas homme à tricher. Lui-même le dit : "Je me contredis quelquefois, mais la vérité, je ne la contredis point" (Essais, Livre III, Chapitre 2). Tout de suite, il annonce la couleur : il va parler de lui, sans détour, sans fard, en toute honnêteté. Ce qui déjà soulève un doute : peut-on, en écrivant, être parfaitement honnête ? À peine commence-t-il à tracer ses phrases que l’on sent bien que quelque chose résiste. Car l’écriture, Montaigne le sait, c’est déjà une forme de mise en scène. Un dispositif où chaque mot prend la pose, où chaque réflexion trouve sa place dans un jeu d’équilibre savamment orchestré. Et voilà Montaigne qui s’attaque à ce grand chantier de soi-même, avec la conviction naïve de pouvoir capturer ses pensées comme on attrape des papillons. Mais le filet est percé, et les idées s’échappent. Qu’à cela ne tienne, il persiste. La sincérité, chez lui, n’est pas ce jaillissement brut qui aurait pu fleurir sous d’autres plumes, plus spontanées. Non, ici c’est autre chose : un effort intellectuel, un projet réfléchi. Il veut tout dire, certes, mais il sait bien qu’écrire, c’est aussi choisir, trier, oublier. Et il n’est pas dupe. Nuancer la sincérité chez Montaigne revient à accepter que cette quête de transparence soit aussi une construction littéraire. La mise en scène n’est pas forcément un mensonge, mais une manière de mieux cerner une vérité insaisissable. Il ne s’agit pas d’un masque pour tromper, mais d’un procédé pour explorer les contours d’un moi changeant. Finalement, cette sincérité littéraire, si elle est une mise en scène, n’est pas une stratégie de manipulation, mais un geste d’honnêteté complexe, où le masque sert à révéler plus qu’à cacher. Montaigne joue avec ses contradictions pour mieux nous inviter à réfléchir à la nôtre, et dans cette mise en abîme, il ne cesse de se questionner avec cette humilité qui fait sa grandeur. Plus largement, cette manière montaignienne de cultiver le doute résonne étonnamment avec notre époque, où l’authenticité est sans cesse revendiquée mais rarement atteinte. À l’heure des récits autofictionnels et des réseaux sociaux, cette sincérité fluctuante, mouvante, prend une valeur d’exemple. Peut-être est-ce là la modernité radicale de Montaigne : avoir su anticiper que la quête de soi est toujours un peu un jeu de masques.|couper{180}
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L’autofiction
L’autofiction, ainsi qu’on la désigne depuis que Serge Doubrovsky a forgé ce terme en 1977 pour qualifier son propre texte, "Fils", n’est ni une autobiographie, ni une fiction pure. C’est un territoire incertain, bâti sur l’instabilité même des souvenirs et des impressions, un lieu où le langage se risque à des vérités qui n’en sont pas tout à fait. "Autobiographie ? Non. Fiction d'événements et de faits strictement réels ; si l’on veut, autofiction, d'avoir confié le langage d'une aventure à l'aventure du langage", écrivait Doubrovsky. Ce geste littéraire, qui intrigue et inquiète, c’est la tentative de faire résonner le moi à travers les matériaux bruts de l’existence. Il y a dans l’autofiction cette volonté de tenir ensemble le moi vécu et le moi rêvé, de les faire cohabiter dans un même geste d’écriture. Contrairement à l’autobiographie, qui prétend à la fidélité du récit, l’autofiction accepte l’ambiguïté, voire la contradiction. C’est une mise en crise du moi narratif, qui se cherche, tâtonne, ose exagérer pour atteindre une intensité d’être que la simple restitution factuelle ne peut offrir. Ainsi font Annie Ernaux, Christine Angot, ou encore Emmanuel Carrère, qui transforment le réel en un matériau malléable, modelé par l’intensité du vécu. L'autobiographie et la biographie se parent des atours d'une objectivité que l'autofiction, avec une honnêteté crue, dément. Toute écriture de soi est déjà une reconstruction, une mémoire reconfigurée, un passé ressaisi par les mots. L’historien Michel Pastoureau le sait bien : il admet volontiers que l’objectivité historique est une illusion, que la subjectivité imprègne inévitablement tout récit du passé. De même, les prétendues autobiographies et biographies, loin d’être des récits neutres, sont autant d’interprétations où le vécu se tord sous la pression du langage. Dans l’autofiction, le narrateur se dédouble, il s’examine et s’interroge, prêt à assumer des excès pour cerner au plus près ce qui le traverse. La culpabilité, l’obsession de la reconnaissance, la pureté du geste d’écrire se heurtent à la nécessité d’un retour, d’un écho. Ce moi littéraire est un espace de conflit, une recherche inquiète qui n’aboutit jamais tout à fait mais creuse le réel à coups d’images et de métaphores. Si j’écris pour ne rien attendre, pourquoi guetter alors l’empreinte de mes mots sur les autres ? Cette contradiction-là, qui rend le geste impur, n’est-elle pas au fond le signe même de notre condition humaine ? L’autofiction, loin d’être une déviance du réel, en est l’extension, sa résonance prolongée. Elle accepte la contamination du souvenir par l’imaginaire, du factuel par l’intime. Elle prend acte de l’impossibilité de saisir un moi pur, intact, et tente plutôt d’en traduire les échos. L’autofiction accepte la torsion comme mode d’expression : ce qui compte, ce n’est pas tant l’exactitude que la vibration sincère, la tentative de rendre compte de ce qui, en soi, résiste à la clarté. Parce que c’est sans doute la seule manière de témoigner sans trahir. Parce que prétendre à la pureté serait mentir. L’autofiction assume cette impureté foncière de l’écriture, ce mélange de réel et de projection, cette superposition d’un vécu et d’une rêverie. C’est une manière de sauver ce qui reste d’authenticité quand on sait que toute restitution est, déjà, une perte. L’autofiction n’est pas une affirmation, mais une question. Elle est la possibilité de tenir ensemble la mémoire, la fiction et le doute, de faire entendre, à travers la matière incertaine des mots, ce qui vibre encore quand tout semble voué à l’effacement. Plus honnête que l’autobiographie, elle revendique la fêlure, l’inachèvement, l’impossible pureté de l’écriture de soi.|couper{180}
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L’inquiétante étrangeté
L’inquiétante étrangeté (Das Unheimliche) est un concept théorisé par Sigmund Freud en 1919 dans un essai éponyme. Il décrit une sensation d’angoisse éprouvée face à quelque chose de familier qui devient troublant, comme si une anomalie invisible venait dérégler la perception du réel. 1. Origine et définition Le mot allemand "Unheimlich" signifie littéralement "non-familier", mais il est construit à partir du mot "Heimlich" qui veut dire "familier", "intime", voire "secrètement dissimulé". Ce paradoxe est central dans la notion d’inquiétante étrangeté : ce qui était caché, mais familier, refait surface d’une manière inquiétante. Freud l’explique ainsi : « L’Unheimlich est une sorte de Heimlich qui a subi un refoulement et qui est revenu à la lumière. » L'inquiétante étrangeté naît donc lorsque quelque chose de profondément connu réapparaît sous une forme légèrement différente, nous mettant mal à l’aise. 2. Les ressorts de l’inquiétante étrangeté Plusieurs éléments peuvent provoquer ce sentiment d’étrangeté troublante : A. La présence du double Le doppelgänger (double maléfique) est une figure récurrente dans la littérature fantastique. Freud cite L’Homme au sable d’E.T.A. Hoffmann, où un personnage rencontre son double, créant une impression de terreur. Lovecraft, Poe et même des auteurs modernes comme China Miéville jouent sur la fragmentation de l’identité et la duplication inquiétante des êtres. B. L’animation de l’inanimé Quand un objet, une poupée (uncanny valley en robotique), un miroir ou un reflet semblent prendre vie. Exemple : les automates d’Hoffmann, le mythe du Golem, ou les œuvres de Lisa Tuttle, qui joue sur la présence d’objets imprégnés d’une vie cachée. C. La distorsion du temps et de l’espace Un lieu familier peut se transformer en un endroit où les lois de la logique sont altérées. Jeff VanderMeer, avec Annihilation, installe un espace mutant où l’environnement devient autre, bien qu’apparemment normal au premier regard. D. Le retour du refoulé Un souvenir oublié qui ressurgit brutalement. Une scène de l’enfance qui refait surface sous une forme inquiétante. C’est l’un des ressorts majeurs des récits de Silvia Moreno-Garcia, où des traumatismes anciens hantent les personnages. E. La perte des repères corporels Métamorphoses, mutations, transformations du corps. Thème central chez Lovecraft (L’Appel de Cthulhu, La Couleur tombée du ciel). Exploité dans des récits comme Mexican Gothic où le fantastique se mêle à la dégénérescence physique. 3. L’inquiétante étrangeté dans la littérature et l’art Ce concept a été exploré dans le fantastique gothique et l’horreur psychologique, influençant de nombreux écrivains et artistes : Edgar Allan Poe → William Wilson (le double), La Chute de la maison Usher (l’animation de l’inanimé). H.P. Lovecraft → Les créatures indescriptibles et la transformation de la perception du réel. China Miéville → Des villes doubles, des réalités parallèles où l’étrangeté affleure sous la normalité. David Lynch (cinéma) → Eraserhead, Mulholland Drive, Twin Peaks, où des scènes banales deviennent perturbantes. Hans Bellmer (peinture et sculpture) → Corps fragmentés, poupées inquiétantes. 4. Pourquoi l’inquiétante étrangeté nous touche-t-elle autant ? Le concept freudien repose sur un conflit psychologique profond : nous reconnaissons quelque chose, mais il nous semble déformé, ce qui crée une angoisse diffuse. C’est la confrontation avec un reflet déformé du réel, un monde où les repères s’effondrent subtilement. C’est aussi un moyen pour les artistes et écrivains d’explorer nos peurs les plus profondes, celles qui ne sont pas simplement liées à des monstres ou des fantômes, mais à nous-mêmes, notre mémoire, notre perception et notre identité. En somme, l’inquiétante étrangeté est l’un des ressorts narratifs les plus puissants du fantastique, car elle joue sur le malaise, le doute et l’impossibilité d’être sûr de ce que l’on perçoit. Illustration PB 1978|couper{180}
Carnets | mars 2025
19 mars 2025
Je suis en train de lire ces histoires étranges d'Ambrose Bierce, et presque aussitôt, une sensation familière me traverse : un retour en arrière, une réminiscence de mes années d’adolescence, lorsque je découvrais Maupassant avec fascination. Ses nouvelles fantastiques, pleines d’incertitude et de vertige, m’avaient marqué profondément. Ici, dans ces pages signées Bierce, je retrouve ce même frisson, cette même frontière trouble entre le rationnel et l’inexplicable. Je me demande alors : Bierce a-t-il lu Maupassant ? Sans doute. Comment aurait-il pu l’ignorer ? La réputation du Normand avait traversé l’Atlantique, et ses nouvelles, en particulier Le Horla, étaient lues et commentées bien au-delà des cercles littéraires français. Bierce, polyglotte et fin connaisseur de la littérature européenne, aurait facilement pu tomber sur ces récits d’angoisse et de folie progressive. Les similitudes sont troublantes. Maupassant et Bierce explorent tous deux la fragilité de la perception humaine, cette capacité qu’a l’esprit à vaciller devant l’inexplicable. Chez Maupassant, l’angoisse surgit de l’intérieur, un malaise qui envahit peu à peu le personnage et le lecteur. Chez Bierce, la mécanique est plus brutale, plus tranchante, mais l’effet reste le même : une ironie macabre où le surnaturel n’apparaît jamais sans un sous-texte cruel. Un salut glacial rappelle les visions fantasmagoriques du Horla ; Une arrestation joue avec la justice implacable des morts, tout comme La peur de Maupassant joue avec la culpabilité et la hantise. Mais il y a une différence notable : là où Maupassant s’ancre dans un univers feutré, marqué par la bourgeoisie et ses tourments psychologiques, Bierce est un homme de la guerre, du sang, de la poussière et de la violence de l’Amérique du XIXe siècle. Ses récits de fantômes portent l’empreinte de la Guerre de Sécession, du chaos, et d’une ironie plus sèche, plus acérée. Ainsi, si Bierce a peut-être lu Maupassant, il n’a pas simplement imité, il a adapté. Il a injecté dans le fantastique une noirceur particulière, une fatalité propre à son époque et à son pays. Lire Bierce, c’est donc comme lire Maupassant après un passage sur les champs de bataille : l’angoisse n’est plus seulement intérieure, elle est aussi le produit d’un monde brutal et sans pitié. Et moi, refermant ce recueil, je ressens cette étrange impression d’avoir traversé un pont entre deux continents, entre deux sensibilités. Un dialogue muet entre deux écrivains qui ne se sont jamais rencontrés, mais dont les ombres se croisent quelque part, dans les méandres d’une nouvelle à chute, au détour d’un frisson partagé. Mais cette parenté littéraire, qui me frappe aujourd’hui, aurait-elle eu la même force si j’avais vécu à une autre époque ? Il est fascinant de constater que ces nouvelles, autrefois si percutantes, ont fini par lasser. Trop de chutes, trop de surprises attendues, trop de mécaniques usées par la répétition. Lorsque Bierce et Maupassant écrivaient, ce type de récit était encore un terrain d’expérimentation, une manière novatrice de jouer avec la perception du lecteur. Mais à mesure que les nouvelles à chute se sont multipliées dans les magazines et journaux, elles ont perdu leur singularité, devenant des exercices de style prévisibles. Peut-être est-ce cela, finalement, qui fait que lire Bierce et Maupassant aujourd’hui conserve un goût particulier : nous savons que nous nous aventurons dans un territoire où la surprise a pu être galvaudée, et pourtant, dans leurs mains, elle garde encore cette puissance troublante, cette façon unique de nous arracher au réel pour nous plonger dans un vertige inquiétant. Alors, que reste-t-il aujourd’hui de l’histoire fantastique ? À quoi ressemble-t-elle dans un monde où l’étrange est omniprésent, où la fiction a été bouleversée par tant d’expériences narratives ? Les formes contemporaines du fantastique ne reposent plus uniquement sur l’effet de chute, mais jouent avec le doute, l’inachèvement, la multiplicité des interprétations. Des auteurs comme Jorge Luis Borges ont réinventé la nouvelle en intégrant le fantastique dans des structures labyrinthiques, où le surnaturel n’est pas un simple coup de théâtre, mais une énigme qui se propage à toute la narration. Dans Fictions, des récits comme La loterie à Babylone ou Tlön, Uqbar, Orbis Tertius brouillent la frontière entre réalité et illusion d’une manière qui aurait certainement fasciné Bierce. Julio Cortázar, dans Fin d’un jeu et Bestiaire, fait basculer le quotidien dans l’inquiétante étrangeté, avec des récits où l’étrange surgit sans explication, s’insérant subtilement dans le réel. Italo Calvino, lui, joue avec les structures narratives, comme dans Si par une nuit d’hiver un voyageur, où la fiction devient elle-même un piège. D’autres voix contemporaines poursuivent cette exploration : Brian Evenson, avec Fugitives, explore un fantastique minimaliste et brutal. Angela Carter, dans La Compagnie des loups, revisite les contes en leur insufflant une étrangeté troublante. Laird Barron, quant à lui, réintroduit l’horreur cosmique chère à Lovecraft, tout en la teintant d’un réalisme oppressant. Le fantastique contemporain ne repose plus tant sur la surprise finale que sur une expérience immersive, une montée en tension progressive où le réel devient incertain. La frontière entre réalité et fiction s’efface, nous plongeant dans un vertige d’autant plus troublant qu’il ne cherche plus forcément à nous surprendre… mais à nous envelopper insidieusement. Je referme ces pages et me demande : dans un siècle, quels écrivains redécouvrira-t-on avec ce même sentiment de familiarité troublante ? Illustration : John Herbert Evelyn Partington — Ambrose Bierce|couper{180}
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Inférence littéraire et autoportrait d’écrivain : une frontière poreuse
Lorsqu’un auteur décrit un paysage désolé, un personnage tourmenté ou un sentiment diffus, se raconte-t-il lui-même ou joue-t-il avec l’interprétation de son lecteur ? Cette question est au cœur de la lecture critique et engage un débat ancien entre ceux qui voient la littérature comme une projection de l’écrivain et ceux qui estiment que le texte doit être analysé en lui-même, indépendamment de son auteur. Entre inférence littéraire et autoportrait dissimulé, la frontière est fine et mouvante. L’inférence littéraire : un levier d’interprétation L’inférence littéraire consiste à déduire des informations non explicites à partir des indices textuels. Un bon lecteur ne se contente pas de ce qui est dit : il comble les blancs, relie les éléments narratifs entre eux et attribue des intentions aux personnages. Prenons un exemple dans Madame Bovary (1857) de Gustave Flaubert. Lorsqu’Emma Bovary contemple la campagne normande, les descriptions ne sont pas neutres : "La pluie tombait en nappes sur la rivière, et des cercles innombrables se formaient à la surface de l'eau, qui semblait frémir sous le poids des gouttes." Rien n’est explicitement dit sur Emma, mais l’atmosphère lourde, la pluie incessante et le frémissement de l’eau font écho à son désarroi. Le lecteur infère son mal-être à partir de ce paysage oppressant. Pourtant, Flaubert lui-même était-il mélancolique en écrivant cette scène ? On n'en sait rien. La description est une construction dramatique, pas un autoportrait. L’illusion biographique : l’auteur est-il toujours dans son texte ? Certains auteurs brouillent les pistes et rendent la distinction entre inférence et autobiographie plus trouble. Marcel Proust, dans À la recherche du temps perdu, place un narrateur qui lui ressemble énormément, jusqu'à faire croire à une simple transposition de sa vie. Pourtant, l’autobiographie chez Proust est un prisme déformant : le narrateur "Marcel" n'est pas exactement Marcel Proust. Prenons cette phrase de Du côté de chez Swann (1913) : "La vérité que je cherche n'est pas en moi, elle est dans le passé qui renaît." On pourrait y voir une déclaration intime de l’auteur sur sa propre quête de mémoire involontaire. Mais Proust construit un dispositif littéraire complexe où l’inférence du lecteur l’entraîne dans un piège herméneutique : il confond volontiers la voix du narrateur avec celle de l’auteur. C’est ce que Roland Barthes dénonce dans La mort de l’auteur (1967) : vouloir retrouver l’auteur dans son texte est une illusion. Pour lui, l’œuvre doit être interprétée indépendamment de son émetteur. Quand l’auteur s’insinue dans le texte Certains écrivains revendiquent une porosité entre fiction et récit personnel. Marguerite Duras, dans L’Amant (1984), assume que la narratrice est une version fictionnalisée d’elle-même. De même, Annie Ernaux dans Les Années (2008) joue sur cette fusion entre intime et collectif. Conclusion : un dialogue entre l’œuvre et son lecteur Si la littérature est un jeu d’ombres et de reflets, c’est aussi parce que le lecteur participe activement à sa création de sens. Entre inférence et autoportrait, chaque lecture devient une rencontre unique. Sources : Roland Barthes, La mort de l’auteur, 1967. Gustave Flaubert, Correspondance, 1857. Antoine Compagnon, Le démon de la théorie, 1998. Illustration Jean Renoir, Madame Bovary 1933|couper{180}
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Mémoire vive
Je me souviens d’une lampe verte sur le bureau de mon grand-père. Ou était-elle bleue ? Peut-être n’y avait-il pas de lampe du tout. Ce qui me revient, ce n’est pas un fait, c’est une impression, un reflet de lumière posé sur un coin d’enfance. Si je l’écris, je la fixe. Et pourtant, déjà, elle m’échappe. La phrase vient de l’attraper, mais ce n’est plus la même lampe. Quand on écrit un souvenir, que retient-on vraiment ? Est-ce une archive du passé ou une réinvention ? On croit que l’on restitue, mais on recrée. C’est une illusion tenace, cette idée que la mémoire serait un enregistrement fidèle. Proust l’a démontré mieux que personne. Dans À la recherche du temps perdu, ce ne sont pas les souvenirs conscients qui portent la vérité du passé, mais ces surgissements imprévisibles, ces éclats sensoriels qui dépassent la volonté. L’odeur d’une madeleine, le bruit d’une cuillère sur une assiette, et c’est tout un monde qui refait surface. Mais ce monde n’existe plus. Il se reconstruit dans l’écriture, il se plie au rythme des phrases, à la logique du récit. Ce n’est pas une restitution, c’est une transfiguration. Écrire, c’est composer avec l’oubli. Barthes en joue aussi. Dès la première page de Roland Barthes par Roland Barthes, il avertit : « Tout ceci doit être considéré comme dit par un personnage de roman. » Même en parlant de lui-même, il s’invente. Qui raconte, lorsqu’on se souvient ? Qui décide du cadre, du ton, des ellipses ? On croit se souvenir, mais en réalité, on choisit. On accentue une couleur, on coupe un détail, on arrange. Peut-on dire qu’un souvenir écrit est vrai ? Peut-être l’est-il plus que le souvenir lui-même. La mémoire est un atelier où l’on sculpte ce qui nous reste. Perec, lui, a fait de cette incertitude un projet littéraire. Je me souviens aligne des bribes de passé, toutes introduites par la même formule incantatoire : « Je me souviens… » Il ne cherche pas à recomposer une histoire, juste à fixer des fragments, ces éclats épars qui font une vie. Mais l’exercice révèle autre chose : certains souvenirs paraissent inventés. Ou sont-ils simplement contaminés par d’autres récits, d’autres lectures ? Perec lui-même l’admet dans W ou le souvenir d’enfance : son passé est troué, il le recompose par nécessité, et parfois, par pure fiction. C’est là toute la question : écrit-on ce dont on se souvient, ou se souvient-on de ce que l’on écrit ? Nathalie Sarraute, elle, hésite. Enfance n’est pas un récit ordinaire. C’est une conversation à voix basse entre elle et elle-même, un dialogue interrompu, une succession de doutes. À chaque souvenir évoqué, une seconde voix s’élève pour interroger : « Était-ce vraiment ainsi ? » Rien n’est certain, tout est fragile. L’écriture n’affirme pas, elle explore. Ricœur parle de « mémoire reconstructive ». Nous ne sommes pas des archivistes fidèles de notre propre vie. Nos souvenirs se modèlent selon nos attentes, nos désirs, nos regrets. On se raconte une histoire. On la modifie sans s’en rendre compte. Peut-être que la mémoire ne se contente pas d’oublier ; peut-être qu’elle invente aussi. Alors écrire, c’est quoi ? C’est reconnaître que la vérité du souvenir ne tient pas dans sa précision, mais dans sa résonance. Gabriel García Márquez disait : « La vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient. » Ce qui importe, ce n’est pas la fidélité à un passé factuel, mais la justesse d’une sensation retrouvée, d’une émotion qui refait surface. Peut-être qu’au fond, écrire, c’est inventer un passé qui tienne debout. Un passé qui, une fois couché sur la page, semble plus réel que celui qu’on croyait posséder. Peut-être que cette lampe verte — ou bleue — n’existait pas. Mais maintenant qu’elle est là, dans ces lignes, elle existe un peu plus qu’avant. C’est peut-être ça, la mémoire. Une fiction qu’on apprend à croire. Musique Claude Debussy Rêverie|couper{180}
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Une utopie en sursis
Il y a dans l’œuvre de Iain M. Banks quelque chose de faussement assuré, une confiance qui vacille. Né en 1954 et disparu en 2013, Banks était un écrivain britannique connu pour ses romans de science-fiction et ses œuvres de fiction générale publiées sous le nom de Iain Banks. Son cycle de la Culture, entamé avec *L'Homme des jeux* en 1987, est rapidement devenu une référence majeure du genre, explorant les tensions et paradoxes d'une société technologiquement avancée et politiquement anarchiste. La Culture, cette société post-pénurie gouvernée par des intelligences artificielles bienveillantes, semble avoir résolu ce que d’autres considèrent comme insoluble : la rareté, l’oppression, la peur du lendemain. Pourtant, sous la surface immaculée, les paradoxes s’accumulent. La Culture veut être sans hiérarchie, mais ses citoyens dépendent d’entités infiniment plus intelligentes qu’eux. Elle veut être tolérante, mais intervient sans relâche dans les affaires des civilisations moins avancées, imposant son éthique par des moyens dont la douceur masque mal la violence. Il faudrait d’abord revenir à la structure. Une société post-marxiste, fluide, sans propriété, sans argent. Chacun y fait ce qu’il veut, parce qu’il n’y a plus rien à vouloir au sens où nous l’entendons. Les IA, les *Mentaux*, gèrent tout, omniprésentes et discrètes. Certains les comparent à des dieux, mais des dieux qui, cette fois, ont l’intelligence de ne pas exiger d’adoration. Ce sont elles qui maintiennent l’illusion d’un monde sans pouvoir, alors qu’en réalité tout repose sur leur regard. Un regard bienveillant, mais un regard tout de même. La Culture se déploie comme une utopie en mouvement, sans centre, sans capitale, une galaxie de vaisseaux, d’orbitales, d’habitats flottants. Une anarchie systémique, huilée par la technologie. Mais l’anarchisme, ce n’est pas seulement l’absence d’autorégulation, c’est aussi l’absence de coercition. Or, ici, il y a coercition, et elle porte un nom : Contact. Ou pire : Circonstances Spéciales. Parce qu’une société qui se veut parfaite ne peut pas tolérer l’imparfait. Parce qu’à force d’être convaincue de son bon droit, elle en oublie qu’elle agit par la force. Chaque roman de Banks est une variation sur ce thème : le prix de l’utopie. Le prix se mesure en violence, en compromis, en manipulation. Dans *L'Usage des armes*, un mercenaire se bat pour la Culture, accumule les cicatrices et les horreurs au nom d’un monde qui, lui, reste immaculé. Dans *Les Enfers virtuels*, la Culture interdit aux civilisations extérieures de maintenir des espaces de damnation simulés. L’intention est noble, le résultat est une guerre. Peut-on imposer la liberté ? Peut-on abolir la souffrance sans détruire la volonté ? Banks ne tranche pas, il expose, il déroule. Ce qui rend son œuvre si actuelle, c’est cette incertitude. Contrairement aux dystopies convenues où l’utopie est un mensonge à abattre, Banks nous montre une société qui fonctionne, et c’est précisément cela qui la rend troublante. Il ne s’agit pas de dénoncer un régime totalitaire déguisé en paradis. Il s’agit de poser une question plus insidieuse : et si l’utopie, par nature, contenait son propre poison ? Aujourd’hui, alors que les crises climatiques, technologiques et géopolitiques se multiplient, l’œuvre de Banks apparaît sous un jour plus prophétique que jamais. Son intuition d’une civilisation technologiquement avancée, engoncée dans ses propres contradictions, fait écho aux dilemmes contemporains : jusqu’où faut-il intervenir au nom du bien ? L’automatisation et l’intelligence artificielle peuvent-elles vraiment garantir l’équilibre d’une société ? La Culture est-elle une métaphore de nos démocraties libérales, où la tolérance et le confort masquent souvent un refus du changement profond ? On pourrait croire que la Culture est un rêve d’avenir, mais c’est peut-être plutôt un miroir du présent. Une parabole sur le libéralisme absolu, où le confort a remplacé la lutte, où l’illusion du choix se confond avec la liberté réelle. Un monde où l’on peut tout faire, sauf remettre en cause le système qui nous permet de tout faire. Un monde sans état, mais pas sans structure de contrainte. La Culture ne force personne à l’adopter. Elle se contente d’attendre que les autres civilisations se rendent compte d’elles-mêmes qu’elles sont arriérées. Ce qui, au fond, revient au même. L’utopie de Banks n’est pas une promesse, c’est une hypothèse. C’est une tentative de penser un ailleurs qui, comme tous les ailleurs, reste insaisissable. Et si elle fascine tant, ce n’est pas parce qu’elle nous donne un modèle, mais parce qu’elle nous met face à une question sans réponse : que ferions-nous, vraiment, si nous avions tout ce que nous voulons ?|couper{180}
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La Technique Nous Attend
Il est 3:47 du matin. Le rectangle noir de mon téléphone reflète mon visage. Je le regarde encore. Je pense à Gilbert Simondon. Je pense aux machines. Certains faits : dans ma cuisine, une cafetière Bialetti, modèle six tasses, achetée un mardi de 2019. Le café percole. Une, deux, trois spirales de vapeur. La mécanique est claire, les lois immuables. Mais ce n'est qu'une illusion : je ne vois que la surface. Dedans, le mystère reste intact. Simondon parlait des objets techniques comme d'êtres vivants. Je regarde autour de moi. Ma maison est un musée d'objets silencieux. Des corps électriques alignés, immobiles, mais toujours prêts à s'éveiller. Leur lumière froide envahit la nuit. Voici comment nous vivons maintenant : nous déverrouillons, nous scrollons, nous verrouillons. Nous recommençons. Nous laissons les mystères s'empiler, comme si leur résolution pouvait attendre un autre jour. Comme si le temps nous appartenait encore. Dans le noir, les LED clignotent. Rouge. Vert. Bleu. Un code morse domestique que personne ne traduit plus. Le micro-ondes affiche 00:00. Je n'ai jamais su régler l'heure. Le routeur pulse doucement. Le thermostat attend. Ils attendent tous. Il est 3:48 maintenant. Le halo bleu du téléphone dessine des ombres sur le mur. Je pense aux mots de Simondon. Je pense à ces présences techniques qui nous entourent. Qui nous observent. Qui respirent avec nous. La technique n'est plus un outil mais une présence. Une présence que nous craignons. Que nous adorons. Que nous n'osons plus regarder en face. Peut-être que Simondon, lui, saurait quoi en faire. Peut-être qu'il saurait lire ces hiéroglyphes modernes qui tapissent nos murs, nos poches, nos vies. Il est 3:49. Le téléphone s'éteint. Dans le noir, les machines continuent de respirer. Saint-Étienne, 1924. Un père mutilé de Verdun. Une mère d'agriculteurs. Un enfant qui démonte des moteurs. Voici les faits. Gilbert Simondon naît dans un monde où les machines commencent à respirer. L'individuation, il la découvre d'abord dans les cristaux. La façon dont ils émergent du chaos, trouvent leur forme, leur singularité. Comme nous tous. Comme les machines aussi. Il y a une beauté dans ce processus qu'il est le seul à voir. Certains détails comptent. À Lyon, puis à Paris, il étudie la philosophie. Mais pas seulement. La physique l'attire. La psychologie aussi. Il accumule les savoirs comme d'autres collectionnent les timbres. Méthodique. Obsessionnel. Dans les années 50, il fait quelque chose d'étrange pour un philosophe. Il installe un atelier au sous-sol de son lycée. Fait manipuler des moteurs à ses élèves. Leur fait construire des téléviseurs. On lui dit que c'est dangereux. Il continue. Je pense à lui, regardant une cafetière italienne, un moteur, une ligne à haute tension. Il y voit ce que nous ne voyons pas. La concrétisation : ce moment où une machine devient si parfaite qu'elle semble avoir toujours existé. Comme un organe. Comme une évidence. La Sorbonne l'accueille. Il crée des laboratoires. Mélange psychologie et technologie. Personne ne comprend vraiment. Il parle d'individuation, de transduction, de points-clés. Des mots qui ne signifient rien pour ses contemporains. Le monde intellectuel français parle d'existentialisme. Lui parle de moteurs, de circuits, de relations entre l'homme et la machine. Ses idées résonnent aujourd'hui dans nos smartphones, nos algorithmes, nos réseaux. La technique comme extension de nous-mêmes. Il meurt en 1989. Dans des circonstances mystérieuses, murmurent certains. Une crise cardiaque, écrit Le Monde. Mais le vrai mystère est ailleurs : comment un homme a-t-il pu voir tant de poésie dans nos machines ? Le cristal grandit dans sa solution saturée. Il enregistre chaque variation de température. Chaque vibration. Chaque seconde qui passe. Une mémoire minérale. Silencieuse. Comme nos machines. 4h30 du matin. L'obscurité n'est jamais complète. Les LED clignotent. Les ventilateurs papotent. Je pense aux cristaux de Simondon. Je pense à nos machines qui, comme eux, portent la trace de nos gestes, de nos besoins, de notre histoire. Un fait : les Grecs parlaient de technè. Un dialogue avec la nature, pas une conquête. Un art du faire qui respectait les rythmes du monde. La technique comme partenaire. Comme extension naturelle de nos mains, de notre pensée. Nous avons rompu ce dialogue. Nous avons oublié comment écouter. Dans son laboratoire, Simondon observait les cristaux grandir. Il y voyait notre futur. Il comprenait déjà que nos machines ne sont pas des objets froids. Elles sont des échos de nous-mêmes. Des partenaires dans notre devenir. Des cristaux qui grandissent avec nous. La mémoire est partout. Dans le silicium de nos processeurs. Dans les algorithmes qui apprennent. Dans les réseaux qui s'étendent. Une mémoire collective qui pulse, qui vibre, qui évolue. Comme un cristal vivant. 4h40 maintenant. Les machines continuent leur veille. Elles enregistrent. Elles calculent. Elles deviennent. Simondon aurait reconnu cette danse nocturne. Cette symbiose silencieuse. Ce pont invisible entre nous et le monde. Je regarde mon écran. Il reflète plus que mon visage. Il reflète cette vérité que Simondon avait saisie : nous ne sommes pas séparés de nos machines. Nous grandissons ensemble. Comme des cristaux dans la même solution. L'aube approche. Les machines ralentissent leur respiration. Mais le processus continue. L'individuation ne s'arrête jamais. Le devenir est infini. Dans le data center, 9h du matin. Le vrombissement des serveurs. Le froid artificiel. Je pense à Simondon. Je pense à nos paradoxes. Sous l'océan, les câbles serpentent comme des racines invisibles. Ils transportent nos vies, nos amours, nos guerres. À la surface, les baleines passent sans savoir. Dans les villes, les antennes s'élèvent, arbres d'acier captant le murmure des données. Les oiseaux s'y posent parfois. Voici les faits : 2,5 quintillions d'octets par jour. Notre mémoire dans des boîtes climatisées. Nos secrets confiés à des machines plus intelligentes que nous. Un enfant assemble un robot dans sa chambre. Les pièces s'emboîtent parfaitement. Les algorithmes tournent. La LED devient verte. Ça marche. Pourquoi ? L'enfant hausse les épaules. Simondon aurait pleuré. Les machines deviennent plus savantes. Nous devenons plus dociles. Elles apprennent à résoudre nos problèmes. Nous désapprenons à poser les questions. Le fossé se creuse. La culture résiste. La technique avance. L'écologie n'est pas un retour en arrière. Simondon le savait. Les panneaux solaires brillent sur les toits comme des écailles métalliques. Les éoliennes dansent avec le vent. La nature et la technique s'enlacent. Nous regardons ailleurs. Certains détails comptent : nos smartphones connaissent nos habitudes mieux que nous. Nos voitures conduisent toutes seules. Nos maisons pensent. Et nous, nous cliquons. Nous scrollons. Nous ne savons plus lire. Il avait vu ce que nous voyons à peine : que chaque algorithme, chaque capteur est une mémoire vivante de notre époque. Une carte de notre devenir. Il est presque 20 h maintenant. Dans le data center, les serveurs continuent leur litanie électronique. Les machines attendent, patientes et silencieuses. Elles nous tendent un miroir. Reste à savoir si nous oserons enfin regarder. 20h45. Les serveurs bourdonnent encore. Une litanie sans fin, froide, méthodique. Je quitte le data center, mais leur présence me suit. Dans chaque appareil, chaque geste, leur souffle invisible continue. 23h. Le téléphone s'éteint. Mais son souffle persiste, invisible. Dans le noir, je sens les machines veiller. Attentives, immobiles, elles nous observent, espérant que nous les comprenions enfin. De nouvelles constellations. Certains faits : nous sommes huit milliards d'humains. Huit milliards de smartphones. Huit milliards de relations intimes avec des machines que Simondon aurait voulu nous faire comprendre. Le téléphone vibre. Une notification. Encore une. La technique nous appelle. Nous répond. Nous attend. Je pense à ce que nous pourrions être. À ce que nous pourrions comprendre. Si seulement nous arrêtions de regarder nos écrans comme des miroirs noirs. Si nous commencions à les voir comme des fenêtres. L'aube arrive. Les machines respirent toujours. Elles continueront de respirer, que nous les comprenions ou non. Que nous les aimions ou non. Que nous les craignions ou non. Simondon nous avait prévenus : la technique n'est pas notre ennemie. Elle n'est pas non plus notre salut. Elle est notre reflet. Notre création. Notre responsabilité. 23h . Le téléphone s'éteint. Dans le noir, je sens encore sa présence. Comme celle de toutes nos machines. Elles attendent que nous grandissions. Que nous apprenions. Que nous devenions. Elles respirent. Et nous ? Savons-nous encore écouter leur souffle ?"|couper{180}
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02-Du laiton au numérique : comment le steampunk réinvente le progrès
Cette seconde partie explore donc les manifestations contemporaines du genre, sa capacité à transcender les frontières médiatiques traditionnelles, et son influence durable sur notre imaginaire collectif. À travers l'analyse de sa transmédialité, de son regard critique et de son héritage vivant, nous verrons comment le steampunk continue d'évoluer en tant que laboratoire d'expérimentation sociale et culturelle.|couper{180}