Théorie et critique littéraire

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fictions

Le premier mensonge

Dans "Le premier mensonge", le narrateur nous plonge dans les souvenirs d'enfance d'un protagoniste, où un simple mensonge pour éviter les moqueries à l'école déclenche une série de comportements déviants. Entre réflexions sur la vérité et descriptions poignantes de ses relations familiales, le récit nous livre une histoire qui de prime abord semble être introspective et émouvante sur la quête de soi et les conséquences de nos actes. Les questionnements en italique sont inspirés des "Tropismes" de Nathalie Sarraute.|couper{180}

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Lectures

Bien des années plus tard : l’étrange destin du réalisme magique

"Bien des années plus tard", ce début inoubliable de Cent ans de solitude continue de hanter des générations de lecteurs. Le réalisme magique, ce mélange unique de merveilleux et de quotidien, a marqué l’histoire littéraire mondiale, devenant l’un des courants les plus emblématiques du XXe siècle. En France, il a fasciné, captivé, saturé, avant de s’effacer presque totalement. Cet article revient sur cet âge d’or où Borges, García Márquez, Amado et tant d’autres portaient une voix éclatante venue d’Amérique latine, et explore les raisons de son lent effacement dans la conscience littéraire collective. Que reste-t-il aujourd’hui du réalisme magique, sinon des œuvres intemporelles et une nostalgie douce-amère ?|couper{180}

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Carnets | décembre 2024

16 décembre 2024

Bien des minutes plus tard, alors que j'étais sur le point de disparaître dans cette nouvelle journée, je me suis souvenu que je n'avais rien écrit sur la journée d'hier. Ce serait alors une journée perdue, une journée pour rien, une journée comme tant d'autres que, pour rien au monde, je n'aimerais revivre. Pourtant, tout avait commencé par l'arrivée d'un camion devant le portail de notre maison. C'était la livraison de bois, cette cargaison qui devait nous permettre de passer l'hiver. Le camion effectuait sa manœuvre pour déverser les rondins dans la cour, et moi, pendant ce temps, je comptais mentalement le nombre de cheminées dans la maison. Je les énumérais une à une, comme si le simple fait d'établir cette liste pouvait m'occuper l'esprit et m'empêcher de voir la montagne de travail qui m'attendait. En un clin d'œil, le souvenir de ces foyers m'a fait traverser les deux étages et toutes les pièces de la maison. Puis, tout à coup, il y avait de nouveau ce tas monumental dans la cour. Le chauffeur a refermé les grilles derrière lui, et j'ai vu le camion repartir vers la scierie de La Grave, laissant derrière lui ce monticule de bois, un silence ensuite comme un défi. À cette époque, j'avais environ sept ans. J'avais déjà cette manie d'accorder une attention particulière aux petites choses du quotidien, mais je ne les écrivais pas encore. Elles restaient enfouies quelque part, peut-être dans mon corps. Parfois, elles remontaient vers la surface de la conscience , une sorte de capillarité le long des parois tremblantes des rêves ou des cauchemars, mais jamais sous forme de mots. Ces souvenirs, je ne le savais pas encore, finiraient par réapparaître bien des années plus tard, au détour de l'écriture. Je me souviens encore du poids de la brouette remplie de rondins. Chaque trajet jusqu'à l’appentis, au fond du jardin, était une épreuve. Il fallait empiler le bois avec soin, sur plusieurs strates, jusqu’à ce qu’il forme une muraille vertigineuse. Le bois était humide, moussu, visqueux , et nous savions qu’il deviendrait encore plus lourd si nous n’agissions pas avant les pluies. Alors, on me confiait la tâche de travailler avec cette sorte d’urgence. Il fallait soulever, déposer, rouler durant de longues minutes, puis décharger, aligner , accumuler. Sans savoir que, bien plus tard, ces efforts resteraient inscrits quelque part, non pas dans une mémoire immédiate, mais dans le corps. Des années après, je peux encore sentir les ampoules sur mes paumes, les éraflures sur mes mollets, mes genoux, la fatigue de mes bras, et l’odeur entêtante du bois humide, simplement en repensant à ces journées. Cette mission, répétée chaque fois à l'entrée de l' hiver, était une tâche banale. Pourtant, elle laissait en moi des marques plus profondes que je ne l’aurais imaginé. Aujourd'hui, je vois cela différemment. Peut-être qu’une partie de l’écriture commence là, dans cet entrepôt qu'est le corps tout entier , là où les souvenirs s’accumulent sans être conscients d'eux-mêmes. Et un jour, ils ressortent, non pas sous forme de simples réminiscences, mais transformés : en listes de doléances, en inventaires de nostalgies, ou encore en rage, rarement en joies ou satisfactions à coucher sur une page blanche. Sans doute que le peu de joies et de satisfactions qu'on en retient est aussi une sorte de moteur trompeur de l'écriture. Bien des années plus tard, et presque surpris d'avoir écrit ces quelques lignes, je me demande pourquoi ce souvenir particulier a ressurgi aujourd'hui. Désormais, je ne commande plus de bois. La maison où je vis est chauffée au gaz de ville. J’approche de mes soixante-cinq ans, et je ressens de plus en plus cette impression étrange que ma vie s’est écoulée comme un rêve. Cette idée m'obsède, le jour comme la nuit. Les années, que je pensais avoir empilées comme ces tas de bûches destinées à nous réchauffer, m’échappent. Dans mes rêves, je revois souvent ce tas de bois. Il s’effondre sous son propre poids, comme si sa hauteur vertigineuse n’avait été qu’un équilibre fragile, une illusion. Une ivresse éprouvée par le vertige en lui-même. Le temps s’écroule avec lui. Ce qui paraissait solide et continu se brise en fragments. Et ces fragments, je ne peux les relier les uns aux autres que par une sensation : celle de l’effondrement. Une chute, lente mais inéluctable, où je comprends que toutes ces années que j’ai cru accumuler en briguant une sorte de méthode, une autobiographie, un livre, n’étaient en réalité qu’un mensonge. Un tas de bois ordinaire, en apparence, mais dont la fragilité m’échappait.|couper{180}

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Traversée du ghetto de Venise

Au début c'est inconscient, alors on cherche des raisons, parce qu'on a à la fois peur de sa propre peur comme de son propre désir.|couper{180}

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Carnets | novembre 2024

10 novembre 2024

Le fait de n'avoir pris que peu de photographies de ce week-end passé au-dessus d'Albertville ne signifie pas que je n'ai pas trouvé le paysage somptueux, les gens très agréables. Au contraire, c'est sans doute pour cette raison que je n'ai guère osé sortir mon iPhone. Les seules photographies dont je dispose au retour, dimanche soir, ne semblent pas être autre chose que volées, à la sauvette, comme si, quand même, et comme malgré moi, il fallait que je prenne quelque chose à témoin. Désormais, que ce soit un nouveau paragraphe lu, de nouvelles expériences, un nouveau goût, une nouvelle odeur, une poignée de main, un regard, il apparaît que chacune de ces expériences puisse se dévider à l'infini, que je puisse devenir intarissable sur chacune d'elles. Ce qui pourrait me ravir si je ne trouvais pas cela un peu effrayant. Comme si la réalité et la fiction que je peux en tirer n'avaient de limites que le temps pris pour m'asseoir et les noter. Ce qui me renvoie soudain à la raison possible pour laquelle, un jour dans ma vie, après avoir été très amoureux de la photographie, à l'époque où elle était essentiellement argentique, je l'ai laissée choir comme une vieille chaussette, probablement aux alentours de 1995. Après avoir vendu mon dernier appareil, un précieux Leica, et tout le laboratoire qui allait avec, ainsi que le personnage du photographe que j'avais construit à l'aide de ces éléments. Personnage aussitôt jeté que je m'emparai d'une autre peau derechef, celle de l'écrivain. Sans doute à fin de me déporter d'un point de vue vers un autre, inconnu, inédit—celui du contact avec une réalité plus brute— sans la nécessité que je m'étais forgée de l'imaginer, la capturer au travers d'un oeilleton. L'abandon de la photographie correspond alors à une forme de réticence, à une forme de respect aussi, qui ne diminue en rien les moments vécus, mais souligne une vision nouvelle pour la fragilité de l'existence, des rencontres, que ce soit la rencontre d'un lieu ou des êtres qui le peuplent. Ainsi, tous les efforts effectués afin d'acquérir une technicité dans la prise de vue, le développement, la réalisation d'épreuves positives sur papier baryté, m'auront conduit à d'autres façons d'observer cette réalité, de la modifier sans doute, de modifier mon rapport à celle-ci surtout. Comme il s'agissait d'exposer des tableaux, je me suis en outre contenté de n'être que le personnage du peintre que les gens ici m'attribuèrent, tout comme ils s'étaient attribué le rôle de berger, de président d'association, du Lyonnais en retraite, de poète déclamant, de musicien revenant dans ses pénates, de compagne, d'amie arrivant les mains pleines avec des plats à gratin de crozets, de chien observant tout cela d'un air mi-figue mi-raisin, dans l'expectative qu'on jouât avec lui, qu'on lui donnât un bout de gras, une caresse sur le crâne.|couper{180}

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Carnets | octobre 2024

Joan Didion : Chroniqueuse du Chaos et de la Désillusion Américaine

Joan Didion, figure emblématique de la littérature américaine, a marqué son époque par une écriture à la fois froide et profondément humaine. À travers ses romans et essais, elle a dressé le portrait d'une Californie en déclin, d'une Amérique en crise et d'une vie personnelle marquée par la perte. Du chaos des années 60 à la douleur du deuil, Didion a observé le monde avec une lucidité implacable, laissant une œuvre inoubliable, fragmentée et essentielle.|couper{180}

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Carnets | juin 2024

3 juin 2024

Retrouvé au grenier, un sac plastique tout sale de la poussière des ans contenant des effets militaires de mon père. Je n’ai pas eu le cœur ni le courage de le jeter, alors je l’ai posé sur une poutre sous la toiture. Un peu de hauteur après tant d’années au sol. On verra. Ce n’a jamais été une gloire, même petit enfant. Je tiens à me le rappeler. À l’inventer peut-être. Un genre d’héroïsme inversé, une guérilla contraire. Et surtout bien plisser les yeux, les yeux en fente, pour voir très loin dans les déserts, les ergs ; regard touareg, mongol ou coréen. Non, je ne serai pas gendarme, cow-boy, américain et pas non plus le chat. Je resterai résolument indien. Comme si c’était si différent de scalper son prochain que de l’occire à coups d’obus, de rafales de plomb, à grands jets de napalm, d’armes chimiques, de bombes H. Comme si ce n’était pas tout aussi vache. Encore que je ne sais pas ce que nous ont fait les vaches pour qu’on leur emprunte le mot et la vacherie qui va avec. Encore que jamais je n’entendis le père s’enorgueillir du moindre de ses exploits guerriers. En avait-il honte ou bien n’était-ce pas un secret à conserver « entre couilles », c’est-à-dire entre « vrais hommes », pour ne pas voir en face toute l’iniquité de leur jeunesse, la lâcheté crasse que provoquèrent l’irréflexion, l’emballement, l’ignorance et qui soudain s’évanouit au premier Viet, Fellag qui tombe. La figure de l’ennemi, crainte objectivement, amoindrie de manière grégaire, parfois méprisée, souvent ridiculisée, avant d’être transformée en bouillie. Comme ce doit être un choc, au bout de tout ça, de voir un enfant, une femme, un homme, un vieil homme mort et de se dire que l’on est directement responsable de cette mort. Non, il n’en parla jamais vraiment. Sauf pour évoquer une fois ou deux, la nostalgie d’anciennes camaraderies, celle notamment de mon parrain auquel je dois mon second prénom, Michel. Était-il si honteux que je le pensais alors, ou bien était-ce cette hypothèse plus récente, inventée par moi, d’un secret, d’une sorte d’initiation ? Ou bien encore avait-il pris la mesure de toute l’inutilité d’en raconter quoi que ce soit ? Je ne le saurai jamais. Cependant, comme le temps passe vite, il fallait que j’effectue un choix pour donner sens à ce silence. D’année en année, j’explorais les raisons plausibles de la violence d’un tel silence. Je découvris sur le tard qu’il n’y en avait pas. La violence est la plupart du temps sans raison. Et c’est pour cela qu’elle traverse le temps en se renouvelant sans cesse. Le père de mon père, lui, avait pris le parti de narrer sans arrêt et d’une façon ridicule, se positionnant toujours comme acteur malheureux et pourquoi pas innocent, sa drôle de guerre. À la popote qu’il poussait à bout de bras sur les champs de bataille de son imagination, c’était ça qui lui revenait le plus souvent, le dimanche quand nous étions tous autour de la table. J’écoutais gentiment, je voulais être à l’époque le gentil de l’histoire pour compenser, je crois, l’intolérable silence qui l’entourait à ces moments-là. Car ils avaient eu plus de pratique, ceux qui, depuis toujours, se farcissaient les aventures pathétiques de pépé parmi les doryphores, les chleuhs, les boches. Cependant, dans son récit, une série de pages manquaient systématiquement. Les mois durant lesquels, embarqué dans le STO, le service du travail obligatoire, il se retrouva chez une fermière quelque part en Bavière, la vache ! Probablement à se la couler douce, oubliant la famille et, plus grave encore, la France. Sauf qu’il ne faut quand même pas oublier que le père du père de mon père, son père à lui, fut le dernier soldat à tomber dans les Ardennes l’ultime jour de la Grande Guerre. Le pauvre, le jour même de l’armistice, faut le faire. Pendant ce temps, les femmes, que disaient-elles ? Pas grand-chose. Entre le silence du père, la logorrhée du grand-père, pas grand-chose. Elles leur opposaient un silence ménager constitué de bruits de vaisselle, de chocs de petites cuillères dans les cuisines, de froissements de tissus, de raclements de toile cirée. Ou encore des parfums, des odeurs, des fragrances montant du four, des fourneaux, de la table sur laquelle on tranche, on taille l’ail, l’oignon, le persil, la coriandre et les poireaux. Alors, de ce risque d’étouffement magistral, il fallut se prémunir. Ouvrir la porte des maisons, sortir, parfois courir, aller vers la colline là-bas qu’on devinait dans la brume matinale, ou encore les forêts, les fleuves, les rivières, tout ce qui semble immuable dans une jeune cervelle qui n’en peut déjà plus de l’éphémère atroce auquel tous, autant que nous sommes, tentons tant bien que mal de nous accrocher comme des bestiaux morts sur les crochets des abattoirs. Cette vacherie-là, que nul n’emportera au paradis.|couper{180}

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Carnets | juin 2022

14 juin 2022

La voiture Google passe au sud du mémorial Raymond Carver, on ne peut s’y rendre à pied via le petit bonhomme, et il n’est proposé qu’une vue aérienne puis dans un encart, en haut à droite de l’écran , deux photographies, l’une prise en avril 2021 par Neil w et la seconde par MeA en juin 2022. Un peu plus loin on peut repérer la présence de deux grands bâtiments au toits gris, l’un à dominante mauve l’autre vert tirant vers le kaki qui forment, d’après l’indication la bibliothèque municipale de Clatskanie, ville de naissance de l’auteur. On dirait un parc enclavé dans l’un des coudes de la rivière qui a donné son nom à la petite ville. On peut la regarder cette rivière dont l’eau semble presque noire par endroit, serpenter ici dans cette partie de l’´Oregon, anciennement territoire des Yakumas, peuple amérindien dont il ne reste que de vagues allusions sur le site de Wikipédia et une réserve un peu plus loin, au nord de la petite ville de Yakumis, on peut la regarder et dézoomer aussi pour la regarder encore un peu plus, la voici là- bas enfin, elle rejoint le fleuve Columbia Si on revient aux photographies prises par ces deux inconnus, on peut constater la présence d’un bosquet d’arbres près du mémorial, ce sont des prunus. Sur la dernière photographie, celle de juin, ils sont en fleurs. On peut aussi lire sur la plaque du monument une phrase appartenant à l’un des recueils de nouvelles de Carver, quelque chose de férocement ou de désespérément poli, du style : Pourrais tu te calmer s’il te plait. Près de cette phrase gravée dans le marbre, le portrait de l’auteur, ce n’est pas une photographie, ça semble fait à la main, dessiné visiblement. L’artiste lui a flanqué des cheveux crépus de couleur grise ou blanchâtre ce qui lui confère en même temps tête de nègre et négritude. Sur la légende de Google Earth ce lieu semble être la seule l’attraction touristique de la petite ville de Clatskanie, Orégon, Etats-Unis. A droite les bâtiments de la Carver middle School,quelque part dans le Missisipi, à gauche au delà d’un terrain boisé des bungalows blancs, au milieu une route qui s’élève, le tout strié par les lignes électriques, le dynamisme de leurs obliques apaise l’ennui, l’immobilité procuré par les verticales. Il faut beau, peut-être froid, le soleil est sur la gauche, à l’est. Les arbres correspondent à leurs ombres, sans doute un milieu d’après midi. A part cette voiture au loin on ne voit personne. Un bouquet de lilas au premier plan sur le sol aux dalles disjointes et un homme qui se tient derrière les mains dans les poches près d’un parcmètre. Derrière lui objet en bois, une sorte de petite palette et un baluchon à carreaux blancs et bleus, et derrière encore la vitrine, des livres sur des rayonnages qui se confondent avec les reflets des immeubles la place Clichy. Sur la façade encore à la gauche de l’homme, des carreaux de couleur beige, sorte de faux marbre, deux petites photographies sont collés là en diagonale. Encore plus loin une femme adossée à une paroi de verre, près de l’entrée, robe orange qui s’arrête à mi cuisses, elle semble photographier quelque chose ou bien se remaquiller. Une autre tourne au coin de la rue manteau rouge sombre foulard bleu, tandis qu’une passante surgit ou disparait de l’image, en jean et baskettes consultant son portable. Etrange que Google Earth me propose la librairie de Paris, Place Clichy, comme résultat de recherche sur Raymond Carver ? Peut-être pas vraiment en fin de compte. L'intelligence artificielle en connait désormais un sacré rayon sur chacun de nous, elle se gave de nos souvenirs les plus intimes. Ce lieu m'est familier, j'y ai vécu dans une chambre d'hôtel proche pendant presque une année. J'allais diner au self pas loin, de temps en temps j'y retrouvais une nonne qui venait spécialement là par gourmandise, elle adorait les têtes de nègre. On parlait de l'amour, c'est quoi l'amour pour vous ? m'avait-t 'elle demandé.— L'amour c'est tous les jours ! j'avais répondu du tac au tac, ce qui nous avait bien fait rire. Parlez moi d'amour, ce bouquin de Carver je l'ai acheté dans cette librairie, probablement aussi les vitamines du bonheur, et jours tranquilles à Clichy de Miller pendant que j'y étais|couper{180}

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14 juin 2022

Carnets | décembre 2023

4 décembre 2023

se relire ou pas, c’est moins une question de méthode que la façon dont on accepte — ou non — de se voir tel qu’on a été. Je connais par cœur toutes les raisons de ne pas me relire. La première, c’est la superstition : croire qu’un texte posé d’un coup garde la trace sacrée de l’instant, et que le retoucher le ferait tomber dans le vulgaire. Ne pas y toucher, c’est protéger un enfant imaginaire, la toute-puissance de celui qui écrit sans se corriger. Une autre raison, c’est la fuite en avant : le temps file, je préfère rouvrir un nouveau fichier, un nouveau carnet, me dire que j’écris “du neuf”. En réalité, je recommence souvent la même chose, mais changer de page donne l’illusion d’avancer. Il y a aussi le confort de l’inachevé. Laisser un texte brut, c’est se dire qu’il n’est “pas encore ça”, donc qu’on n’est pas responsable de ce qu’il est vraiment. On confond l’achèvement avec la mort : un texte fini, ce serait un texte condamné, on ne pourrait plus se cacher derrière le “pas tout à fait”. Je me suis surpris plus d’une fois à glisser des pages dans une chemise, à les ranger dans un tiroir avec l’idée vaguement noble de “laisser reposer”. Ce que je fais surtout, c’est oublier jusqu’à leur existence. Des années plus tard, je retombe sur un carnet dont je ne me souvenais plus, je lis deux lignes et je reconnais immédiatement la même obsession, la même tournure, la même faute que j’écris encore aujourd’hui. Ne pas se relire sert aussi à ça : se protéger de la déception, de cette phrase qui vous saute au visage et qui dit “tu tournes en rond”. Alors je bricole d’autres justifications : ne pas se relire pour rester libre, ne pas faire “reliure”, ne pas entrer en “religion” du texte, garder son statut d’électron libre. Derrière ces grandes déclarations, il y a très simplement la peur de passer pour moins intelligent que l’image que je me fais de moi. Quand je me relis pourtant, les raisons inverses apparaissent. Je vois tout ce que je n’avais pas su lire au moment d’écrire. Je repère les trous, les facilités, les mots que j’utilise trop souvent. Il y a parfois une vraie douleur, presque physique, à constater ce que j’ai raté, ce que j’ai répété pendant des années sans m’en apercevoir. On peut vite basculer dans la pénitence : peser chaque mot, chaque virgule, tenter de “recoller les morceaux” comme si l’on pouvait réparer sa vie en corrigeant une phrase. Mais il arrive aussi que la relecture ouvre un peu d’air. Je tombe sur une formule maladroite, je la réduis, je garde trois mots, et d’un coup quelque chose se tend, se clarifie. Relire devient alors une manière de comprimer un ressort, de concentrer en quelques lignes ce qui s’éparpillait sur des pages entières. Il y a les relectures de pur plaisir, aussi : revenir à un texte parce qu’on se souvient d’une phrase, d’un rythme, et retrouver ou non ce plaisir. Là, relire sert de support à la rêverie plus qu’au jugement. La liste pourrait continuer, mais elle tourne autour d’un seul point : je me relis quand j’accepte de voir ce que j’ai vraiment écrit, pas ce que j’aurais voulu écrire. Je ne me relis pas quand je préfère garder intacts mes fantasmes d’auteur “spontané”, ou mes peurs d’être médiocre. Entre les deux, il y a peut-être un usage plus simple de la relecture : non pas se juger, non pas se vénérer, mais se relire comme on relit un livre qu’on n’a pas bien compris la première fois, pour voir ce qui s’y trouve vraiment, quitte à découvrir que c’est moins brillant, ou plus humble, qu’on ne le pensait.|couper{180}

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Carnets | janvier 2023

20 janvier 2023

Mais non, ce n'est pas une question d'organisation ; ça, tu vas l'entendre tout le temps. Tu vas trouver plein de formations qui vont t'apprendre à organiser ton temps pour faire encore plus de choses que tu n'en fais déjà... mais ça ne changera pas la qualité que tu donnes toi à ton propre temps. Tu te souviens quand tu étais gosse que tes parents t'emmenaient en voiture pour aller chez tes grands-parents, ta tante, en vacances, etc., comment tu n'en pouvais plus de trouver le temps long ? Tu te souviens de cette après-midi où tu as été capable d'attendre trois heures la fille dont tu étais amoureux fou, et comment ces trois heures ont été fébriles, intenses, et l'explosion d'émotions quand tu l'as vue arriver au loin ? Tu te souviens de ce livre que tu as dévoré d'un seul trait et ton dépit quand tu es arrivé soudain à la fin ? Toutes ces expériences du temps, de ton temps à toi, tu les fais depuis longtemps déjà. Tu l'as bien compris, ton temps à toi n'est pas forcément le temps de tout le monde. Alors pour peindre, tu vas te dire : 'je n'ai pas le temps' parce que tu ne sais plus retrouver la magie de créer ton propre temps et savourer l'instant d'être seul avec ta toile, avec toi-même, avec le cosmos... L'inquiétude liée au temps, la hantise permanente de ne pas avoir le temps ; puis, pour lutter contre cette inquiétude, le fantasme de l'organisation, de l'emploi du temps, des to-do listes qui ne fonctionnent pas ; tu n'arrives pas à t'ôter de l'esprit qu'il s'agit de s'occuper, de passer le temps pour ne pas voir que le temps te manque, qu'il te manquera toujours ; enfantine résistance que celle qui conduit à ne rien vouloir ou pouvoir faire, comme pour s'opposer à ce que tu considères comme un mensonge du faire. Le désir de réaliser, le but, l'objectif, le challenge, ne sont pas de poids, de taille pour te faire oublier la mort. Il n'y a que l'écriture qui te procure un peu de repos, elle sert à perdre, de jour en jour, une idée d'importance, ta propre idée d'importance ; il y a donc un but, contre toute attente, l'urgence d'écrire pour se tenir prêt à toute fin. La qualité du temps ; la conjugaison des verbes, l'écriture seule te permet d'étudier cette approche ; en aveugle souvent ; mais es-tu vraiment honnête lorsque tu penses que celle-ci est même supérieure à la qualité du temps que tu étudies aussi lorsque tu fais l'amour, lorsque tu es en train de passer un agréable moment entre amis, lorsque tu avales une bouchée d'un plat succulent ? Donc tu étudies tout le temps, tu ne cesses jamais d'étudier le temps quelle que soit son occupation et cela représente une énigme, la seule énigme à résoudre. Mais pourquoi étudier, se cantonner toujours à l'exercice, à l'étude ? N'est-ce pas plutôt pour ne jamais parvenir au chef-d'œuvre, à une idée d'achèvement ? Tu te tiens hors du temps pour l'étudier, c'est aussi pour cette raison que tu écris. Pour ensuite tout oublier dans la journée, pour entrer dans l'oubli sans plus y penser. Mais l'écriture t'attire, tu y passes de plus en plus de temps, tu sens que c'est une erreur, cependant tu persistes. Est-elle devenue elle aussi une occupation, c'est-à-dire pour toi un prétexte ? S'enfuir dans une occupation, se concentrer dans une activité, oublier la mort un instant ; c'est elle encore qui produit ce que tu penses n'être qu'une agitation, c'est-à-dire le simple fait ou la sensation d'être en vie, qui se produira toujours, se reproduira jusqu'à la fin de ta vie. Le fait de l'écrire change-t-il quelque chose ? Tu écris pour réinventer une notion du temps et cette découverte te brouille la vue, tu es comme un gamin qui découvre la mer et qui ne veut plus sortir de l'eau. Sur la berge, des personnes t'appellent que tu n'écoutes plus. En une phrase : tu te pourris la vie en ne cessant de penser à la mort, tu t'obstines à vouloir penser l'impensable, et dans quel but sinon acculer toute pensée à ce que tu crois être son but véritable, le même qu'un pansement : recouvrir, protéger une blessure. Quelle blessure ? Tu ne t'en souviens même plus tant elle est profonde. On meurt seul, même entouré, c'est aussi cela, comme on vit seul quelle que soit l'illusion que l'on s'invente pour oublier cette réalité. Et quel est le plus gênant, de mourir ou de mourir seul ? C'est noué serré et difficile de décider de tel ou tel moment, d'un dénouement ; le fait de se répandre ainsi, de tant écrire, est-ce une recherche de dénouement ou au contraire repousser systématiquement celui-ci ? La fatigue, le découragement, la déception de vouloir reprendre ces textes de 2018 six ans plus tard. Tu voulais réduire, ne retenir qu'une phrase ou deux et tu rajoutes tout à coup mille mots. Qu'est-ce que tu ne comprends pas, refuses de comprendre dans le mot réduire ? Quelle force s'oppose à toute tentative de vouloir te raisonner, d'être raisonnable ? La peur d'un quelconque achèvement, tellement quelconque. Encore un peu d'orgueil ou de vanité sans doute et rien de plus."|couper{180}

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Demande

Frappe aux portes ? Non, pas ton truc, pour qu'on t'ouvre et qu'on t'en mette une. Non, passée l'époque masochiste. Tu n'es plus aussi jeune pour encaisser tout ça, tu es devenu méfiant. Ça frappe encore à l'intérieur, pas mal fort d'ailleurs, mais ça te regarde. Plus rien à l'extérieur, que dalle. Une résistance rompue à toutes les formes de la question, de la torture. Mais tout doucement, tu sais bien comment ça marche. Demande la nuit, le jour, plusieurs fois, en boucle, une insistance. Demande comme ça, pour rien, demande pour voir, pour apercevoir le signe qui te ferait signe, un rire, un sourire. Demande pour t'exercer à demander – et quand on te répond, si on te répond, admets-le : rien d'important, mais tout de même quelque chose. Ni précieux, rien de grave, même si tu ne sais que faire des réponses, surtout quand tu ne sais qu'en faire. Demande alors ce que tu peux faire des réponses, ça répondra peut-être. Ou pas. C'est toujours comme ça : oui ou non. L'idée, c'est de tout demander et de ne pas te plaindre, trop te réjouir non plus ensuite du tout et rien de la réponse. Demande par réflexe, comme un batch, une tâche de fond permanente, et ensuite creuse ce rien, creuse ce tout. Il est tard, c'est bientôt la nuit, je t'en prie, demande.|couper{180}

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Carnets | janvier 2023

19 janvier 2023-2

Giacometti, bien sûr : ce qui reste après l'effort, la ténacité, la volonté, l'effacement du superflu, de la fioriture, du trouble qui brouille la vue, et de tant d'autres raisons bien plus obscures encore. De celles nécessaires, indispensables pour éliminer. Ce n'est pas facile d'éliminer. Boire des litres d'eau ne suffit pas. Courir autour d'un stade, en forêt, sur la plaine peut aider, à condition que l'on s'y tienne régulièrement, car il n'y a guère d'autre mot que celui-ci qui vaille. Prendre l'habitude d'éliminer, facile selon les dires : à peine un mois, une trentaine de jours pour que ça devienne comme une drogue dont on ne peut plus se passer. Mais est-ce vraiment suffisant ? Physiquement sans doute, mais pour écrire, une autre paire de manches. Un véritable parcours de combattant. Ce qui, bien sûr, te fait songer à ces tueurs à gages dans les polars, ceux qui ont pour charge d'éliminer, ceux à qui l'on confie un contrat, et qui le remplissent sans ciller, sans émotion. Tout ce que tu as tant de difficultés à accepter. Le crois-tu vraiment ?|couper{180}

réflexions sur l’art Théorie et critique littéraire