Continuité d’un lieu

C’est le mot le lieu, ou le lieu le mot. Une continuité discrète, immobile, comme une boucle presque imperceptible, un ruban de Möbius que le temps efface sans jamais l’interrompre. Une énergie ténue, une veine électrique qui parcourt un circuit depuis des décennies, toujours la même, inaltérable tant qu’on n’actionne pas l’interrupteur. Qu’on ne change pas de lieu, de mot.
On aurait pu convoquer Leibniz, sa théodicée, un happy-end. Mais l’électricité suffit. Une ampoule au plafond, le filament qui résiste au passage du courant, et la pièce s’éclaire. La lumière est là, sans grandiloquence. Une clarté pauvre qui nous tient. Le mot, c’est maison, chambre. Des lieux auxquels on revient sans que cela n’apporte ni joie, ni profit. Des lieux où l’on sait que des vies se sont usées, sédimentées, sans que cela n’ajoute rien à leur pesanteur. C’est là, c’est tout. Un espace à la fois présent et obsolète, une continuité sans relief.
Les gestes, les actions, les surprises, nous ont longtemps captivés, nous tenant en dehors de la chose même, de ce silence étale qui succède au mouvement. Puis l’âge est venu, le temps s’est épaissi, et les mots comme les lieux ont changé de nature. Ils ont perdu leur évidence. Ils se sont décollés de leur usage, comme les papiers peints d’une chambre jamais réchauffée. On dit maison, mais ce n’est plus cette maison. Le mot flotte, au-dessus des objets qu’il désigne, comme une feuille morte prise dans un tourbillon.
L’écriture cherche à poser une passerelle, à maintenir ce fil tendu entre le mot et la chose, sans obéissance, sans concession. Il ne s’agirait pas d’en faire un outil docile. Il s’agirait de garder cette tension, cette résistance de l’expression face à l’effondrement. À force d’insister, de creuser, on finit par retrouver un point de contact. Pas une révélation. Plutôt une lente érosion du doute.
Le brouillard descend, épais, sur les collines, sur le jardin. Il mange la maison, il dissout la chambre. Il n’y a plus qu’une ombre floue, un amas de pierres informes. Mais la fenêtre reste nette, son cadre bien dessiné, comme un repère planté dans le flou. Un point de vue solide sur l’imprécis. La phrase hésite, contourne, cherche sa place, comme ce regard qui tente de percer la brume sans jamais y parvenir.
La maison est là pourtant, la chambre aussi. On peut encore dire les mots. Ils ont juste pris une autre teinte, comme des outils longtemps abandonnés, dont on redécouvre la prise. Il n’y a plus à s’en servir, juste à les laisser exister, avec cette patine de l’oubli qui les rend plus dignes, plus dociles.
Et puis le printemps arrive, malgré tout. Les prunus, toujours là, toujours neufs. Est-ce qu’on s’habitue à ce retour ? Est-ce qu’on en reste surpris ? Un instant, on est tenté de croire que la nouveauté existe encore, comme une illusion tenace. Le renouveau s’écrit lui-même, sans notre intervention. Il n’y a plus qu’à laisser venir.
Les mots, les lieux ne sont pas ailleurs qu’ici. Ils sont là, dans cette continuité d’écriture qui ne cède pas. Ils habitent la phrase comme les murs de la vieille maison, résistant à l’usure, s’imposant par leur seule présence.
Post-scriptum
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Carnets | mars 2023
peuple
Illustration James Ensor Il est dans la rue. Le peuple appelé aussi gueux et chienlit, à l'image exacte de ceux qui prétendent le gouverner. On a du mal aujourd'hui à faire coïncider une certaine idée de culture, d'humanisme avec le foutage de gueule de tous les chefs d'états vis à vis de leurs peuples respectifs. Quand on se fout de la gueule du peuple c'est qu'on le considère comme une bête ; ce qu'il devient car un contenant vide se remplit de tous les noms qu'on veut bien lui donner. Autant de ridicule dans la vocifération des uns que dans la morgue des autres. Et non le ridicule ne tue toujours personne, désormais il fait même exister, il distribue les identités. Ensuite la soi disant misère ou pauvreté... Il n'y a qu'à se rendre dans la zone commerciale juste à côté pour voir avec quelle avidité certains remplissent leurs paniers leurs caddies avec au ventre l'affreuse peur de manquer, l'obsession de remplir d'amasser de collectionner. La queue aux pompes. L'absurde. Si on voulait vraiment marquer un refus politique descendre dans la rue n'est pas le moyen. Il faudrait utiliser les réseaux sociaux et dire n'achetez plus rien, ne buvez plus ne fumez plus, ne roulez plus, ne consommez plus. Contentez vous de peu voire de rien, et d'une pierre deux coups, non seulement l'état ses banques seraient en faillite, mais chaque citoyen retrouverait la joie de vivre, car il y a une vraie richesse, une jubilation dans la nudité.|couper{180}
Carnets | mars 2023
Ce n’est pas encore ça.
Un rêve, non c'est plutôt une blague de rêve, mais je le fais régulièrement et à différents moments de la journée. Un peu comme une séance d'analyse, avant que tu comprennes ce qu'est vraiment une séance d'analyse. C'est à dire que tu parles à quelqu'un qui ne te répond jamais. Un phénomène long d'érosion, parfois assez pénible mais qui soulage en final par l'autonomie formidable qu'on y gagne. Et à chaque fois tu te creuses la tête pour trouver LA bourde, L'ineptie la plus minable qui te mettra minable absolument définitivement. Mais l'autre reste de marbre. Ce n'est pas encore ça tu te dis. Tu te le dis 10 fois, 100 fois, 1000 fois. Bon Dieu comme tu apprends grâce à cette projection de ton bourreau intérieur. Puis le dernier jour tu t'amènes avec une brouette pleine de pièces de 5 cts pour payer ta séance. Tu la renverses sur le tapis persan. Et tu fais un petit signe de la main comme la vieille dame dans la piscine de ce roman de Kundera. Ciao ! Mais évidemment le lendemain tu y reviens, tu sais pertinemment que ce n'est pas encore ça.|couper{180}
Carnets | mars 2023
complot
Grâce au 49,3 l'apoplexie guette la France. Ce qui fait monter le taux d'adrenochrome dans les artères. Des vaisseaux reptiliens sont planqués derrière la Lune. Ils attendent le top départ de Biden la momie moldave pour venir nous sucer le sang. Mais sinon tout va très bien madame la marquise. Poutine est à la manœuvre même si on ne le dirait pas à cause de son air de Snoopy mais il possède une flotte de vaisseaux munis d'un système anti gravité et des informations hyper précises provenant du centre de la terre directement pondues par la fée Carabosse au fin fond du triangle des Bermudes. Alicia peut emprunter la voix d'un mort pour annoncer le couvre feu ou l'arrivée d'une lettre recommandée. Mac Donald sème l'obésité en partenariat avec Comme j'aime pour faire encore plus de ronds et en même temps d'une pierre deux coups dezinguer les ados boutonneux cuistres et sourds comme des pots. Le christ est en stage accéléré près du Roi du Monde dans les bas fonds de Shambala. Quant à moi toujours aucune cigarette depuis le 27 février 2023 pas de joint non plus, j'essaie de conserver en bonne santé mon esprit , mon âme, attaqués de toutes parts par les forces satanistes. Je prévois un changement de patronyme dans peu de temps. J'adorerais qu'on m'appelle à partir de maintenant Jean-Baptiste. Si j'ai le temps j'irai chez Gifi m'acheter un manche balai. Pas de doute qu'avec la puissance de ma foi inébranlable je pourrai le transformer en sabre laser. Le bas astral n'a plus qu'à bien se tenir.|couper{180}