juillet 2025
Carnets | juillet 2025
30 juillet 2025
J’avais dit « table rase », pas pour rien. SPIP et MySQL m’ont répondu en chœur. Tout ce que j’avais construit sur mon site local a été mis par terre par l’importation de ma base de données distante vers mon PhpMyAdmin local. Au début, j’ai tempêté. Des heures et des heures de boulot qui s’envolent en un clic. Puis je me suis souvenu de mon envie de faire table rase. Et je me suis dit que cet incident était plutôt une chance, que ça allait m’aider. SPIP a connu pas mal de mises à jour, et c’est là qu’il faut être vigilant. Il ne suffit pas de lancer le fameux spip_loader.php pour mettre à jour la distribution. Il faut aussi aller voir du côté de la base de données et vérifier les versions (table spip_meta). De vieux plugins non mis à jour peuvent également s’accumuler et créer des distorsions. C’est à peu près tout cela qui m’est tombé sur le coin du nez ces derniers jours. Ignorance ou négligence : le débat reste ouvert. Le fait est que SPIP, en contrepartie de sa robustesse et de sa fiabilité (quand tout roule), demande un peu de jugeote, de mémoire et d’attention. La gravité du problème rencontré n’est pas immense. J’avais bien sûr pris soin de sauvegarder mon travail. Mais quand même, devoir tout refaire ne m’amuse pas. Cela m’oblige donc à repenser, une fois encore, ce que je veux — ou ce que je ne veux pas (la seconde option est toujours plus facile). Je reprends donc, encore une fois, la reconstruction des squelettes, os près os — mais sans doute avec un peu plus d’expérience, ce qui se paie d’échecs, comme il se doit. En attendant, je continue à écrire mes textes sur le site en ligne. Je ne donne pas de date pour la mise en ligne de la prochaine version, mais j’ai déjà quelques trouvailles dans la boîte — notamment un JavaScript extra qui permet de disposer d’une imprimerie de poche pour créer des livres numériques. Reste à savoir ce que j’y mets, dans ces livres. Ce n’est pas l’embarras du choix qui manque.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
29 juillet 2025
Contrôler l'accès à la nourriture, c'est contrôler les corps, les territoires, les populations. Impossible de ne pas penser aux famines organisées, aux embargos, aux politiques agricoles. En même temps qu'à la télévision on aperçoit ces parachutages de denrées sur Gaza, on repassait hier La Passion de Dodin Bouffant, du réalisateur Trần Anh Hùng. Il s’est produit quelque chose d’étrange à cet instant. Une attirance et une répulsion dans un même mouvement, pour la nourriture, mais plus encore pour cette culture de la mangeaille. Et ce, malgré la qualité visuelle et sonore — surtout sonore — du film. Ça m’est resté en travers de la gorge. Soudain, cette surreprésentation de la bouffe m’est apparue profondément obscène. Mais pas plus, au fond, que ce qu’on nous fait avaler sur papier glacé, dans les affiches publicitaires, sur les réseaux sociaux. L’importance que la nourriture a prise ces dernières années est considérable. Peut-être que le culte de la boustifaille est vraiment apparu sur les réseaux lors des premiers confinements de 2019 ou 2020. Il y avait là déjà quelque chose d’abject, mais j’y accordais sans doute moins d’importance. Peut-être même en ai-je profité, en recopiant quelques recettes. Mais hier soir, non. En écoutant le frémissement du bouillon clair, les rissolements des foies, les rôtis en train de suer, j’avais plutôt envie de dégueuler qu’autre chose. J’avais déjà vu ce film en 2023, je crois, et je n’avais pas éprouvé la nausée à un tel point. Cette célébration m’avait même laissé admiratif, et en même temps nostalgique, voire envieux. Les souvenirs du culte sont nombreux, ils remontent à l’enfance, aux grandes tablées, aux aurores embaumées par l’odeur de brûlure de pattes de volaille, par l’oignon qui revient vers une tendre transparence. Autant de souvenirs olfactifs que l’on se passe comme un relais dans les familles françaises de classe moyenne depuis des générations. Ce goût de la bouffe, de la “bonne chair”, je le transporte encore dans mes gènes. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, à tant de reprises, de m’en séparer. De traverser des périodes d’austérité, peut-être dans l’unique but de m’en débarrasser. Mais ça revient. Par le nez, par les papilles. C’est plus fort que moi, comme on dit. Un réflexe pavlovien de chien qui revient vers le maître, celui qui, à la fois, le bat et le caresse. Une voix, tout au fond de moi, voudrait me ramener à je ne sais quelle “raison”. Tu confonds tout, me dit-elle. Tu ne peux pas mettre sur un même plan les exactions, les guerres, l'effroi des images que ces événements charrient, avec l'atmosphère tellement chaleureuse d'un film célébrant la gastronomie française. Tu ne peux pas, tu n’en as pas le droit, continue-t-elle. Je l’écoute, je la respecte. Mais pourtant, si je mets cela en parallèle, si je les place sur un même plan, c’est que le plan du dégoût est devenu si vaste, une fois les apparences traversées — les apparences tellement claires — ainsi que les contours fumeux des lendemains qui ne chantent pas.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
paupière tombante
Voir la honte au moment même où elle vous prend, c’est voir par en-dessous. Par défaut. À rebours. Ce n’est plus une image, c’est un voile. Une membrane lente descend sur la pupille, un clignement avorté, comme une fermeture en suspens. J’ai connu un perroquet honteux. Il chantait à tue-tête auprès de ma blonde, mais sa paupière flanchait à chaque syllabe. Elle s’écroulait sur l’œil, molle, involontaire. Il continuait de chanter, mais à moitié aveugle. Un œil fermé par la honte et l’autre qui insistait. L’entêtement du regard blessé. La honte n’arrive pas de l’extérieur. Elle monte. Elle boursoufle la vue. Elle se glisse entre le monde et soi comme un écran bistre, opaque, figé. Elle ne trouble pas la vue : elle l’arrête. Et quand elle laisse passer un peu de lumière, c’est une lumière malade, caverneuse. Voir par la honte, c’est comme voir à travers un œil d’aiguille : un point, rien de plus. Honte d’être là. Nu, immobile. Pris dans une impudeur si totale qu’elle semble presque tranquille. Et pourtant personne ne voit. Personne ne regarde. L’invisibilité n’apaise rien. Elle épaissit. Elle appuie là où ça brûle. Elle fait mieux que montrer : elle isole. Le regard manque, mais l’essentiel reste. La honte ne dépend pas de l’œil de l’autre. Elle se propage par en dedans, de la peau jusqu’au nerf optique. la honte au centre du paysage n’arrondit pas les angles. Elle tient le milieu comme un pion figé. Autour, les allées blanches dessinent une spirale hésitante, un tourbillon à ras du sol. Le sable crisse sous les pas, sans rythme net. J’avance d’un pas, je recule de trois. Chaque détour me ramène au point d’avant. À la manière d’un patineur sur carton glacé, glissant sans grâce sur un vieux jeu de l’oie. On ne gagne rien, on recommence. Une case vide, une case piégée, une case où l’on attend.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
28 juillet 2025
Peu à peu, il s’enfonce dans ce que l’on peut nommer une certaine morbidité. Les nuits sont agitées. Malgré l’appareil respiratoire, elles restent morcelées, agitées, ces nuits. Et surtout, il n’en loupe pas une pour prendre à partie le ou la première qui entre dans sa périphérie. -- Vous avez vu ce scandale ? Ce mensonge ? Mais c’est l’apothéose, l’apocalypse, ne le voyez-vous pas ? Le technicien Free, cette fois, ne sait pas. Il a fait trois fois le tour du pâté de maisons, soulevé une plaque de bronze dans la rue, sorti de l’eau des paquets de câbles. Puis il a tout refermé en secouant la tête. Il ne sait pas. Il le dit, le répète. Puis, soudain, il te demande où est le n° 3 de la rue. C’est l’épicerie turque, fermée depuis des mois. Le problème est sûrement là. Même si tout fonctionnait encore il y a deux semaines. Bref. Nous restons encore en connexion partagée quelques jours. On a l’habitude. Tellement qu’on se demande pourquoi on garderait cet abonnement fibre, au bout du compte. Ce qu’il y a de rigolo, quand vous prenez à partie les gens, c’est que chacun va parler pour son propre parti. Ainsi, la pharmacienne me fait-elle signer une pétition pour les pharmacies. -- Les petites pharmacies sont en train d’être dévastées, vous savez. Et tout ça pour maintenir le niveau de vie de nos députés à presque 8000 euros par mois. Les pauvres. Eux, ils n’ont pas, eux, de pétition qu’on pourrait aussi signer en passant. Après tout. Bref, tout ça crée une ambiance… Comment dit-on déjà ? Délétère ? Nuisible, donc, qui vient du grec. On peut trouver aussi des synonymes comme étouffante, négative, pesante. Ensuite, tout ça ne vient sans doute que de moi, me dis-je soudain. Ce sur quoi ma moitié renchérit, trop contente : -- De toute façon, tout vient de toi. Il n’y a pas à tortiller. Mais quelle vie, se dit-il en se frappant le front, sans que le moindre eurêka ne sorte de sa bouche. Calme-toi. Le recours au mot d’ordre comme le recours au rituel. Comme si l’espoir qu’il puisse encore résider un espoir dans ces recours convoquait quoi, dans le fond ? Le collectif ? Un sentiment d’appartenance à un collectif ? Presque aussitôt, une bouffée de désespérance face à l’espérance. Toujours ces étranges phénomènes binaires qui t’assaillent. Tu n’en veux pas, mais ils te collent aux basques. Cela fait partie du « c’est plus fort que toi ». Merde. Qu’attends-tu du collectif encore ? Tu dois bien en attendre quelque chose, encore, pour t’enfoncer systématiquement dans cette image en noir et blanc. Les autres et moi, moi et les autres. Tu peux aussi botter en touche. Tu en as parfaitement le droit. Te dire que tu t’en fous. Ce qui, en général, ne résout rien mais crée une sorte de « temps mort ». Quarante ans de temps morts. C’est presque une vie entière. Merde. Est-ce que le fait de dire simplement que tu n’en attends rien te dédouane véritablement ? Il y a une sorte de politesse glacée qui existe pour marquer le fait que tu es bel et bien là, mais pas collé à tous. Pas du tout collé. C’est-à-dire que tu adhères poliment à un certain nombre de règles de bienséance. Sauf quand tu n’y adhères plus. Quand ces règles te paraissent si débiles — surtout la violence qu’elles recouvrent en général — qu’elles te font péter un plomb. À cet instant, plus rien ne peut sortir de ta bouche. Tu restes résolument muet. Comme tétanisé par l’absurdité ou l’injustice. Et si l’injustice est citée, c’est parce que tu trouves véritablement injuste que l’on te prenne pour un imbécile à ce point. Tu veux bien passer pour un imbécile, pas de problème pour ça. Mais en être un véritablement, non. Ça, c’est injuste. Observation en passant. J’ai reçu environ une douzaine de commentaires pour l’atelier Rectoverso. Auxquels j’ai répondu par mail, en m’appliquant à lire les textes de chacun et même en y faisant référence. Une seule personne m’a répondu par mail en retour. Ce qui conforte mon intuition première : que ces commentaires qui s’échangent ne sont que de l’esbroufe, du paraître, et pas grand-chose d’autre. Je prends un malin plaisir à régresser ainsi, parfois. J’observe que le commentaire est un bon déclencheur pour régresser rapidement. Ensuite, est-ce que je m’intéresse à la façon dont je suis perçu par ce collectif ? Non, je m’en fiche. Évidemment que je m’en fiche. Le décalage est tellement énorme entre ces textes qu’on se partage et ces commentaires, souvent ridicules, que je m’étonne que nul n’en parle jamais. Cela me rappelle mon père. Tiens. Des trempes magistrales, puis quelques minutes plus tard le fameux « c’était pour rire », « viens me faire un câlin »… Ce modèle de double bind appliqué aux ateliers d’écriture. Mais je suis peut-être véritablement cinglé. La plupart des gens sont à des années-lumière de mes raisonnements. Il ne faut pas oublier ça aussi. Mais quand même, si on écrit et qu’on ignore ça… merde.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
Tension silencieuse
recto Le bleu de travail. Le plus souvent café, selon ce que dit Talleyrand. Fort. Enfer. Les yeux pochés, jamais de bacon. Raide comme la justice derrière le genou, ce qui n’aide pas à plier. Le pain. Il remplit un trou, temporairement. Un goût de sueur, évidemment. Pas de croix au dos avec un couteau, pas de bénédicité. Le pain nous mène à la baguette. La cuisine. Petit coin étroit, confortable. Il faut rentrer son ventre pour s’asseoir en bout de table. Un peu de dignité : se laver les mains des propos diffusés par le poste. Apercevoir des pigeons, frères et sœurs, à la fenêtre. verso La Clark. Rebelle, elle baille aux corneilles. Démarche souple, un peu trop. Comme une danse auguste, une clownerie résistante. Elle lutte, sans pancarte, contre le cirage de pompes généralisé. L’odeur devient suffocante, sur le tard. La soupe au lait. Elle indique le soir mieux que la pendule. Sa forme dépend de l’humeur, du fond du placard. À boire et à manger. Un tout-en-un qui s’avale chaud, tiède, rarement froid. L’appentis. Il sent la peau de poisson séché, la vieille ficelle, le caoutchouc des bottes. Bardé de bois à nœuds, bon marché. Couvert de tôle ondulée. Une accumulation de choses, qui semble du désordre, mais qui ne l’est pas.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
Amer Caïn
recto Il m’est soudain devenu difficile d’écrire comme de parler. Impression que tout ce que je peux dire ou écrire sera de toute façon faux, inintéressant, ridicule. J’ai l’impression d’être revenu des années en arrière. Peut-être 79 ou 80. C’est si loin. Je ne me souviens que de cette difficulté à dire que j’avais retrouvée dans l’envie d’écrire. La difficulté de dire, en y réfléchissant, remonte à bien plus loin. Elle est associée à l’enfance. C’est qu’on ne prenait pas la parole si facilement. Ou peut-être que la parole des enfants était du pipi de chat. Tiens. C’est venu comme ça. Du pipi de chat. C’est-à-dire rien, ou presque. C’est difficile de ne pas inventer. De dire les choses telles qu’elles sont. Ce que l’on appelle « dire la vérité ». Comme ils disent. Une fois j’ai voulu tuer tout le monde à cause de ça. Quelle vérité. C’est au même moment que je cesse de parler de toi. Je crois qu’il y a un lien avec cette histoire de vérité. De toute façon, on ne me croit pas. On dit que j’invente, quand on ne dit pas que je mens. Je me vois entrer dans une librairie près de la gare de l’Est, acheter ce premier carnet de la marque Clairefontaine, couverture verte à motif écossais, petits carreaux. Et un feutre le plus fin possible, le plus fin cela devait être du 0,5. Et cette envie d’écrire, d’où vient-elle sinon de cette impossibilité de dire qui remonte. Une acidité. Et je crois que tu es associé à tout cela. Je ne m’en rends pas compte encore. Pour l’instant j’ouvre le carnet, est-ce que je dois écrire tout de suite sur la première page ? Ou bien peut-être laisser une page libre, écrire sur celle d’après. C’est une question. C’est un prétexte. Il faut que je mette la date pour ne pas oublier. Quoi. Je n’en sais rien. C’est sans doute une habitude qui revient avec la difficulté. Qui l’accompagne. Inscrire la date du jour, en marge sur un cahier. Je te vois ricaner. Tu te moques de mes velléités d’application. Tu essaies de me dire quelque chose que je ne désire pas entendre. Que je repousse. L’exact contraire de ce que tout le monde autour me dit. Applique-toi et… tu obtiendras, tu auras, tu pourras. Cette fois tu ris franchement. Je le retrouve, ce rire. Non, je ne dis pas que tu ris de bon cœur. Ce ne serait pas la bonne expression. Tu ris tristement. C’est une chose que je n’avais encore jamais relevée. Et maintenant je peux accoler ces deux mots, rire et tristement. Et c’est toi. C’est tellement toi. Cela je ne peux pas l’exprimer la première fois. J’éprouve une peur inouïe en entendant ce rire. Il y a quelque chose qui ne va pas. C’est évident. Cela saute aux yeux — ou à l’oreille plutôt. Cette fausseté apparente qui vient briser l’idée de justesse apprise. verso Tu m’as laissé tomber l’été 1967, pour être précis. Ça s’est passé en fin de journée, vers 18 heures, je m’en souviens comme si c’était hier. Tu étais en train de tailler des flèches en vue de tuer le plus de monde possible. J’arrangeais les plumes des empennages, nous étions là tous les deux juchés sur la tonnelle, concentrés sur notre colère. Cette colère qui, le croyais-je, nous soudait. Et puis tu as détourné le regard, il y a eu ce bruit dans l’escalier de l’autre côté du grillage, chez Muguette, la voisine. Des gens arrivent. Ce sont des étrangers. Des Américains. Tu te souviens de ce mot. Américains. Je n’arrive toujours pas à comprendre l’effet que ce mot a pu avoir sur toi. Est-ce que c’est parce qu’il contient âme, ce mot. Amer. Caïn. Est-ce que c’est parce qu’on vient d’enterrer l’arrière-grand-père. L’œil dans la tombe. L’Hypnose de vouloir croire en quelque chose. Ces choses étranges que tu apprends au catéchisme. Je te rappelle les choses telles que je les ai vues et entendues. Rien de moins, rien de plus. D’ailleurs, Jennifer, si tu veux le savoir, je nie faire est beaucoup moins fort qu’Amer Caïn J’espère que tu t’en rends compte toi aussi à présent. Mon pauvre vieux, tu es tombé dans tous les panneaux. Heureusement que j’étais là, sinon je n’aurais pas donné cher de tes os. Il fallait que j’en aie, de la patience. Pourquoi ai-je eu tant de patience. Tu pourrais trouver ça suspect un jour. Une patience suspecte, c’est aussi bizarre qu’un rire triste, tu ne trouves pas.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
25 juillet 2025
Pas possible d’écrire durant ces trois derniers jours. D’une part parce que j’étais en déplacement, d’autre part même lorsque j’obtiens, en jouant des coudes, un peu de solitude, la teneur de la proposition d’écriture, qui s’appuie sur Enfance de Nathalie Sarraute, me paralyse. Je ne cherche pas à brusquer les choses. Patienter plutôt. Tenter de remonter à l’origine du malaise. Le silence. Nous sommes beaucoup moins volubiles que les années précédentes. Comme une lassitude. Nous sommes capables désormais de partager un repas à quatre sans pratiquement dire un mot. Ce qui m’effrayait beaucoup les années précédentes, ce silence, ne me fait plus rien. Je crois même être parmi les premiers à me jeter dedans. S’il fallait conserver en mémoire deux spectacles de ces trois jours passés en Avignon, je placerais Pour un oui pour un non en tête de liste, puis Enfance de Nathalie Sarraute. Pour le reste, plutôt que d’en dire du mal, je préfère me taire. Nous sommes rentrés hier dans l’après-midi. Il fait frais. Ciel couvert. C’est pareil ce matin. Allongé dans le lit, j’ai même eu froid au petit matin. Des sensations d’automne ont pénétré dans la chambre. Des sensations d’automne associées à l’enfance, sur lesquelles on serait bien en peine de poser des mots. Le seul, surnageant à peu près net quand tous les autres se réfugient à présent dans le flou : inéluctable. Enfin, après avoir tourné toute cette masse confuse, j’ai rallumé l’ordinateur. Je me suis assis et j’ai pu écrire ma proposition 08. C’est venu d’une façon tellement bizarre que j’ai bien le sentiment que ce soit juste. En tout cas pour moi.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
22 juillet 2025
Arrivés près de la gare. Rue de la République, la bible, les pass. Repas rue des Teinturiers. Formule à 18. Flâné un peu. Cherché un square. Attendre. Pas avant 17 heures pour entrer dans les lieux. Montfavet. Rase campagne. Petit chemin défoncé, encore inondé. Maison vaste, propre, tranquille. Le propriétaire parle beaucoup. Accent supportable. S. et J. aux courses. Spectacle choisi : L’ouverture des Hostilités. Quatre places. 56 euros avec les cartes. D. paie. Parking des Italiens. Bondé. Marche. Théâtre des Doms, bas des escaliers. Salle pleine. Jeunes. Belges. Pas dormi. Assez admiratif. Envie de me laisser emporter par la transe collective, presque, séance de Gospel. Mais non. Tenu bon. Retour tard. Pas faim. Salade tomates, pâtes. Couché 1h30. Machine, casque, sommeil direct. matin, Montfavet, frais à froid. Petit vent. Égouttement de la rosée. Croassements. Coq enroué. Colombes. Moineaux.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
21 juillet 2025
voix d'os Souffle dans un tibia. Suis l’intention d’origine. Va plus loin. Attrape l’os, brise-le. Vois s’il reste un peu de moelle. Quelle est l’espérance de vie de la moelle dans l’os ? Bonne question. Mais pense : plus de soixante-cinq ans ont passé. La moelle s’est durcie, desséchée, recroquevillée. Ce n’est plus que poussière. Un fantôme de moelle. Et même une fois la comédie traversée, au-delà du vrai, il faut encore descendre. Sous la parole, sous le ridicule, sous l’inertie, sous la mort. S’il te reste un peu de force dans les doigts, dans les poignets, utilise-la pour briser les os encore intacts. Hume la moelle. Goûte-la si tu veux. Cendre ? Ou bien une étincelle, vaine ? Prends ce risque. Ouvre l’œil. Sans comédie. Même si ça en devient une. Ça l’est toujours, pour ceux de dehors. Et dehors, ce n’est que ça : la comédie. Un pansement sur une jambe de bois. Personne n’est dupe. On sent bien. C’est le naufrage collectif dans le ridicule. Tu crois t’en sortir. Plus tu t’agites, plus tu es risible. Pauvre chose. Regarde-toi. Tu te débats. Ne cligne pas. Ne bouge pas. Devient inerte. Tu crois savoir ce que c’est ? Tu n’as encore rien vu. Tant que tu n’es pas un tas d’os brisés, tu n’as rien vu. Il faudra être prêt à tuer encore, encore. Combien de bains de sang ? De nausées ? Pourquoi ? Que veux-tu résoudre ? Le savoir ? La gloire ? Non. Trouve une pierre. Assieds-toi. Attends. Essaie le minéral. Pas de jeu de mots, je t’en prie. Ça ne compte plus. Les jeux, les blagues, les calembours : finis. Il ne reste que ça : le corps, la pierre, l’attente. Et quand tu y seras, dans ce futur rêvé depuis des décennies, tu seras déçu. À cause de tous tes espoirs. Des espoirs comme des girls, distractions bourgeoises pour tromper l’ennui de ton ventre. L’Amérique, le Nouveau Monde : toujours cette idée sale de découverte. De ne pas supporter la virginité. De tout vouloir déflorer. Ignorance insupportable, mystère misérable. Tu flottes dans le vide, entouré de graines muettes. Chaque graine : un monde que tu n’atteindras jamais. Ton temps s’épuise. Il s’achève. Il est fini. Il faut encore tuer cette tendance-là : la psychologie. Tu l’as encore plein la bouche. Crache-la. Vomis-la. Sors toute ta psychologie de bazar. Entre dans l’idiotie. Danse avec elle. Baise-la. Meurs en elle. Laisse-la t’emporter. Te dissoudre. Entièrement. Idiot. Le réel nu, comme un corps, de chair, de sang, d’os. Désir incarné. Tangible. Non réconfortant, mais violent. Répugnant. Vomitif. Hors de toi. Fusion. Totalité. Juste une fois : pousse un cri de bête. Laisse-le sortir. Qu’il envahisse l’espace. Que le son se rue vers la limite, l’enclos, le mur. Regarde ce qui se passe là, au pied du mur. La trompette n’est pas ce qu’on croit. Ni Jéricho. Ni ce qu’elle contient. Peut-être rien, qu’un vide cerné de murs. Souffle dans un tibia. Ne joue pas du clairon. Va vers la flûte, le fifre. Deviens bois mort, déjà silex avant même d’avoir été tourbe. Souffle dans le creux, dans le vide. Remplis-le de ton propre vide. blow into a tibia Blow into a tibia Track the original intention. You’ll still have to go further. Grab the bone. Break it. See if any marrow’s left. What’s the life expectancy of marrow inside bone ? Good question. But think : it’s been over 65 years. The marrow has hardened, dried, curled inward. It’s powder now. Marrow dust. A ghost of marrow. And even once the comedy’s been crossed, even beyond truth, you still have to go down. Beneath speech. Beneath ridicule. Beneath inertia. Beneath death itself. If there’s still any strength left in your fingers, in your wrists, use it to shatter the bones still intact. Sniff the marrow. Taste it if you must. Is it all ash, really ? Or is there still some vain flicker left ? Risk that risk. Open your eye. Without comedy. Even if it becomes one. It always is one—for anyone on the outside. And the outside is nothing but comedy. Comedy, that bandage on a wooden leg. Nobody’s really fooled. We feel it clearly. Collective shipwreck in ridicule. You think you’ll make it out. The harder you try, the more ridiculous you get. Poor thing. Look at yourself. You’re flailing. Don’t even blink. Don’t move. Go inert. You know inertia. Or you think you do. Wait. You haven’t seen anything yet. Until you’re a pile of broken bones, you haven’t seen anything. You’ll have to be ready to kill again and again. How many more bloodbaths ? How many more nauseas ? What for, exactly—what is it you think you’re solving ? Knowledge ? Glory ? Of course not. Find a stone. Sit on it. Wait. Try the mineral. No wordplay, I beg you. I know, it was tempting. But it doesn’t matter. It doesn’t do anything anymore. Wordplay, jokes, grubby spoonerisms—over, finished. Nothing left. Just that : the body, the stone, the waiting. And once you’re there, in that future you’ve dreamed of for decades, you’ll be disappointed. Because of all the hopes you entertained. Hopes like showgirls. Bourgeois pastime to smother the boredom of lugging around your fat belly. America, the New World. Always that filthy idea of discovering something else. Of finding virginity unbearable. Of deflowering everything that moves. Intolerable ignorance, miserable mystery. You float in the void, surrounded by mute seeds, and you know each is a world you’ll never reach, because your time is running out, your time is ending, your time is done. You still have to kill off that tendency. Psychology. Your mouth’s still full of it. Spit it. Vomit it. Heave out all your dime-store psychology. Enter idiocy. Dance with idiocy. Fuck idiocy. Come, die in it. Let it take you. Let it unmake you. Entirely. Idiot. The real, naked, like a body of flesh and blood and bone, incarnated desire, tangible, not comforting in the least but instead stunning, triggering disgust, vomiting, outside-yourself, union, totality. Just once—scream like an animal. Let it out. Let it flood the space. Let the sound rush toward the boundary, the fence, the wall. See what happens, there, at the foot of the wall. The trumpet isn’t always what you think. Nor Jericho. Nor whatever Jericho contains. Maybe there’s nothing in Jericho but emptiness surrounded by walls. Blow into a tibia. Don’t play the bugle. Lean toward the flute, the fife. Become dead wood, truly dead, already flint before ever having been peat. Blow into that hollow, that void. Fill it with your own emptiness.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
20 juillet 2025
Je ne supporte pas l’attention. La sollicitation est une torture. Je veux disparaître. Pas qu’on me voie fuir. Juste ne plus être là. Je l’ai tant cherchée, l’ai quémandée, suppliée. Le dégoût est arrivé d’un seul coup. Tout me revient. La fatigue. Tension, gouffre, rien pour s'accrocher. C’est enfantin. Nommer ne sauve pas. Pas de salut. Pas d’explication. Pas d’adieu. C’est perdu. Mais ce matin tu réponds par mail. Tu prends le temps. Tu déroules la liste des auteurs. Tu lis. Pas tous. Tu cherches quelque chose à dire. Pas une formule. Tu termines. Tu envoies. Ce ne sera pas visible. C’est ce que tu veux. Tu estimes en avoir déjà trop montré. Il faudrait que je me calme. Je pars avec ça à la station de lavage. Cinq minutes passent. Puis elle s’énerve. Des mots sortent. Je ne réponds pas. Je dis : à tout à l’heure, quand tu seras calmée. Je sors. Je ne la vois plus. Je m’assois sur un muret, devant l’EHPAD. Un insecte surgit. Un éclat sur son dos attire l’œil. Il file en zigzag. Un mètre cinquante entre lui et la route. Si moi je devais faire ça à son échelle, ce serait un kilomètre. À ce rythme, phénoménal. Relativiser aide. Le vent se lève. Les drapeaux claquent. Des voitures passent. Je pense que je dois avoir l’air bizarre, assis là. Je pense ce qu’ils peuvent penser. Moi, je ne sais pas quoi en penser. Je relis ce passage de C.D. deux fois. Malaise. Je peux être celui qui ne se rend pas compte. Malgré tout ce que j’accumule, je ne vois pas ce que ça produit sur l’autre. Il faut que je me calme. Si je pense à ça, je n’y arriverai pas. L’avant du véhicule apparaît. Elle a dû me voir. Elle roule au pas, s’arrête quelques mètres avant. Puis repart. Alors tu es calmée, je dis. Elle rigole : tu montes, on va faire le plein. On achètera aussi des pommes de terre, plus tard, à Super U. Et des tomates grappes. Et une baguette déjà un peu molle. Elle sortira de son porte-monnaie un ticket de réduction. Un euro vingt-neuf en plus sur la cagnotte. Lire les autres. C’est là qu’il faut mobiliser quelque chose. Une attention, au sens fort. Mais en as-tu encore. Le constat est implacable. Il faut se lobotomiser pour entrer dans le bain. Faire comme si c’était un autre toi, encore capable de lire sans réflexivité, sans jugement, sans l’intolérable qui te talonne. Épuisant. Comme courir autour d’un stade. Encore un tour, dit le moniteur. Toi, tu ne sais même plus ce que tu fous là. Et sitôt que cette incongruité devient palpable, c’est fini. Tu t’arrêtes. Tu te replies. Tu te refermes. Tu rumines. Tu penses qu’une bête est sur ton ventre, en train de te dévorer la cervelle. Manger ce qu’il reste de ton attention. De ton cœur. Une façon d’espérer, peut-être, que tu possèdes encore un cœur. N’espère pas. Essaie seulement de faire le calme. D’être calme. I can't stand attention. Solicitation is torture. I want to disappear. Not to be seen running away. Just not be there. I looked for it so much, begged for it, pleaded. Disgust came all at once. Everything comes back. Fatigue. Tension, void, nothing to hold on to. It's childish. Naming doesn't save. No greeting. No explanation. No goodbye. It's lost. But this morning you reply by email. You take the time. You scroll through the list of authors. You read. Not all. You try to find something to say. Not a formula. You finish. You send. It won’t be visible. That’s what you want. You think you’ve already shown too much. I need to calm down. I take this with me to the car wash. Five minutes pass. Then she gets angry. Words come out. I don’t answer. I say : see you later, when you’ve calmed down. I leave. I don’t see her. I sit on a low wall in front of the nursing home. An insect appears. A glint on its back catches my eye. It runs in a zigzag. About five feet from the road to where I sit. If I had to cover that distance at its scale, maybe a kilometer. At that speed, phenomenal. Perspective helps. The wind picks up. The flags with the car wash emblem flap. Cars go by. I think I must look strange, sitting there. I think what they might think. But I don’t really know what to think. I reread that passage from C.D. twice. Unease. I could be the one who doesn’t realize. Despite all I pile up, I don’t see what it does to the other. I need to calm down. If I think about that, I won’t make it. The front of the vehicle appears. She must’ve seen me. She rolls slowly, stops a few meters ahead. Then drives on. So you’re calm now, I say. She laughs : get in, we’re going to fill the tank. Later we’ll buy potatoes at Super U. And vine tomatoes. And a baguette, already a bit soft. She’ll take out a coupon from her purse. One euro twenty-nine more on the loyalty card. Reading others. That’s where you need to summon something. Attention, in the full sense. But do you still have any. The fact is clear. You have to lobotomize yourself to enter the flow. Pretend it’s another you, still able to read without reflexivity, without judgment, without the unbearable always close behind. Exhausting. Like running laps. One more round, says the coach. But you no longer know why you’re there. And the moment that absurdity becomes tangible, it’s over. You stop. You withdraw. You shut down. You brood. You think some beast is on your belly, eating your brain. Feeding on what’s left of your attention. Of your heart. Maybe a way to hope you still have a heart. Don’t hope. Just try to be calm.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
19 juillet 2025
Méthode 1- j'écris d'abord ce qui me pousse. Le ou les récits déclenchés par une information glanée ici ou là et qui continuent leur progression dans une durée. Ce qui fournit une sorte d'explication, voire de validation à l'idée de durée. Si le temps n'existe pas il ne peut y avoir de récit, pas d'histoire. C'est en essayant d'améliorer encore une fois la navigation du site en local que cette idée surgit au travers du mot « Labyrinthe ». La légende de la caverne du purgatoire de saint Patrick (Lough Derg) renforce cette idée : il y aurait un passage vers l’au-delà découvert par Patrick, qui évoque une traversée difficile, un passage initiatique, très proche du mythe du labyrinthe A gauche deux voies de navigation, en haut les rubriques, en bas les pages thématiques. La rubrique la plus complexe à afficher étant pour l'instant celle des carnets après plusieurs essais fumeux j'ai repris l'ancien affichage avec la pagination des années puis en dessous celle des sous-rubriques mois et enfin par mois la liste des articles selon un modèle très simple du site Ubuweb. J'avais été tenté par le modèle que propose Guillaume Vissac sur son site « Fuir est une pulsion » mais je n'ai pas vu comme l'adapter vraiment à ce que je voulais. Ce que je veux se détermine par la prise de conscience progressive de ce que je ne veux pas. Et donc cela prend du temps. C'est ce que j'appelle un parcours labyrinthique. J'ai voulu reprendre sur une aside droite l'idée dun affichage conditionnel de mots clés, ou encore un « lire aussi » selon l'endroit du site où le visiteur se trouve. Ce qui ouvre de nouvelles galeries insoupçonnées jusqu'à présent, notamment le fameux « lire aussi » car il ne servirait à rien de proposer des articles taggés avec le même mot clé, c'est ce que propose déjà la logique conditionnelle. Non, il faudrait que ce « lire aussi » fabrique un autre récit à partir d'un premier. Peut-être même quelque chose de totalement aléatoire. Comme si pour en revenir à la peinture c'était sur le hasard seul qu'on puisse vraiment compter pour progresser dans ce labyrinthe. Il y a donc dans cette navigation une sorte de reflet de ce que je pratique quand je peins, une sorte de lutte pour réaliser une synthèse entre rationnalité et hasard. Le hasard étant toujours au dessus de la rationnalité car c'est tout ce qu'elle a encore à parcourir comme prise de conscience d'elle-même. Tout cela pour aller non pas vers une raison dogmatique mais un espace plus vaste. Le moteur Tailwind ronronne désormais, de nombreux obstacles ont encore été traversés notamment grâce à une dernière version que j'ai installée. J'ai aussi repris la page article mais après avoir lu récemment quelques articles de Carl Dubost très tenté par la quiétude de ses pages très aérées ... ponctuée de notes, de passages en anglais, de notations techniques cotoyant des citations littéraires Ce que je tire comme leçon de tout cela ? ces longs passages à vide ne sont pas là pour rien. Ils ne peuvent pas être là pour rien. Et me disant cela l'opiniatreté, la tenacité sont des acteurs mis en scène par ce mystère que je tente de percer peu à peu : la patience. récriture Une image revient : le labyrinthe C’est en améliorant encore une fois la navigation du site en local que le mot s’est imposé. Labyrinthe. Non pas comme échec ou confusion, mais comme structure d’exploration. Une méthode. Saint Patrick dans la boucle La légende de la caverne du purgatoire de saint Patrick (Lough Derg) renforce cette idée : il y aurait un passage vers l’au-delà découvert par Patrick. Traversée difficile. Passage initiatique. Très proche du mythe du labyrinthe. Navigation et durée À gauche deux voies : en haut, les rubriques ; en bas, les pages thématiques. Et au centre, la plus insaisissable : les carnets. Plusieurs essais, puis retour à une forme plus nue. Années, mois, articles. La simplicité d’Ubuweb. Ce que je veux Ce que je veux se détermine par la prise de conscience de ce que je ne veux pas. Ce que je veux est lent. Labyrinthique. Hasard ou structure Le “Lire aussi” devient une galerie latente, un récit dérivé. Il ne doit pas reproduire. Il doit bifurquer. Comme un pinceau dans la peinture qui trouve une forme imprévue. C’est le hasard qui oriente. Pas la raison. Synthèse lente Rationalité et hasard ne s’opposent pas. Le second est une leçon adressée à la première. Ce n’est pas un système. C’est une prise de conscience en cours. Moteur Tailwind ronronne. Enfin. Chaque obstacle a été un détour, une station dans le labyrinthe. Patience Il n’y a pas de vide inutile. Juste des espaces à traverser. Des temps morts nécessaires. La ténacité est mise en scène par un mystère plus vaste : la patience. texte final Encore un gros travail de refonte du site en local. Beaucoup à ingurgiter. Des heures à démêler les subtilités entre flex et grid, juste pour aligner deux barres latérales. Des heures encore pour trouver les bonnes classes, les épingler dans le input.css, faire ronronner le moteur Tailwind. Et ce matin, sans prévenir, le mot labyrinthe. Il m’a ramené à Lough Derg, au purgatoire de saint Patrick. Un carnet ancien, une page annotée, perdue. Et pourtant l’image revient. Il faut parfois du temps, de la patience, de la chance, pour comprendre qu’une note oubliée n’était pas inutile. Qu’elle travaille encore. Qu’elle tisse un récit dans la durée. Ce qui réconcilie, un peu, avec l’idée même de durée — tout en sachant que dans l’absolu, le temps n’existe pas. Et pourtant on est là. Écran allumé, classes CSS, agencements. Des éléments qui refusent de tenir ensemble. On cherche la forme, comme on cherche un passage. Lough Derg n’est pas une image choisie : c’est un lieu réel, austère, où l’on tourne, où l’on veille, sans rien attendre. Et c’est ça qui agit. J’ai repris la structure des carnets : années, mois, articles. Simple. Ubuweb. Épuré. J’avais regardé le site de Guillaume Vissac, Fuir est une pulsion, mais je n’ai pas su comment l’intégrer. Très admiratif de la sérénité apportée par les pages de Carl Dubost. Parfois c’est en échouant qu’une forme se décide. J’ai remis une aside à droite. Pas pour dupliquer, mais pour bifurquer. « Lire aussi » : pas une redite, un décalage. Comme un accident de parcours qui crée un sens neuf. Le hasard devant, la raison derrière. Tailwind fonctionne. Tout roule. Mais ce n’est pas ça qui compte. Ce sont les détours, les impasses, les pages vides. Ce qu’on appelle lenteur ou perte. C’est là que ça travaille. C’est là que ça prend forme. Lentement. Par patience.|couper{180}
Carnets | juillet 2025
Stewen Corvez
Il y a des artistes qu’on découvre par hasard et qui vous imposent aussitôt une forme d’attention neuve. Stewen Corvez en fait partie. Flûtiste, compositeur, musicologue, ce breton discret mêle les traditions instrumentales à des recherches électroniques d’une rare subtilité. Né en 1980, formé à la flûte traversière, il a choisi des chemins de traverse : la musique à l’image, les expérimentations sonores, les compositions pour solos, ensembles, paysages. Mais toujours avec cette tension particulière : un pied dans la tradition (le souffle, l'acoustique), un autre dans l’abstraction contemporaine (le glitch, le silence, le cut). Son album Le troisième personnage (2020) en est un bon exemple. Des nappes électroniques frémissantes, des respirations instrumentales entre deux strates de mémoire. Une sorte de narration sans mot, mais chargée de signes. Il y a chez lui quelque chose de cinématographique sans image, ou plutôt d’image mentale sans scénario. Chercheur en musicologie, il a soutenu une thèse sur la musique fictive dans Le Docteur Faustus de Thomas Mann, à travers le prisme d’Adorno. Cette rigueur théorique irrigue sans doute son travail de compositeur, mais ne le fige jamais. On reste dans l’expérience, l’écoute ouverte, l’hésitation du sens. On peut écouter ses œuvres sur Bandcamp, YouTube ou SoundCloud. Certaines compositions se rapprochent de l’univers d’un Sylvain Chauveau ou d’un Éliane Radigue, par leur dépouillement attentif, leur lenteur méditative. Corvez est de ceux qui ne cherchent pas à séduire. Il propose. Il dérange parfois. Il interroge, souvent. Et dans un monde saturé de contenus, c’est déjà un geste précieux. Ces derniers temps, je suis sa chaîne YouTube, et ce que j’y découvre est passionnant. Modulation d’un son, cadre, forme, composition… autant de mots qui résonnent bien dans la période actuelle. J’ai toujours pensé que l’interdisciplinarité était essentielle pour pratiquer un art. Mais pas seulement : le moindre artisanat l’exige tout autant. L’ennemie, c’est la spécialisation. Alors bien sûr, certains diront qu’on n’a qu’une vie, qu’on ne peut pas tout faire sous peine d’être considéré comme un touche-à-tout. C’est dommage que cette pensée ait envahi le monde.|couper{180}