Je ne supporte pas l’attention. La sollicitation est une torture. Je veux disparaître. Pas qu’on me voie fuir. Juste ne plus être là. Je l’ai tant cherchée, l’ai quémandée, suppliée. Le dégoût est arrivé d’un seul coup. Tout me revient. La fatigue. Tension, gouffre, rien pour s’accrocher. C’est enfantin. Nommer ne sauve pas. Pas de salut. Pas d’explication. Pas d’adieu. C’est perdu. Mais ce matin tu réponds par mail. Tu prends le temps. Tu déroules la liste des auteurs. Tu lis. Pas tous. Tu cherches quelque chose à dire. Pas une formule. Tu termines. Tu envoies. Ce ne sera pas visible. C’est ce que tu veux. Tu estimes en avoir déjà trop montré. Il faudrait que je me calme. Je pars avec ça à la station de lavage. Cinq minutes passent. Puis elle s’énerve. Des mots sortent. Je ne réponds pas. Je dis : à tout à l’heure, quand tu seras calmée. Je sors. Je ne la vois plus. Je m’assois sur un muret, devant l’EHPAD. Un insecte surgit. Un éclat sur son dos attire l’œil. Il file en zigzag. Un mètre cinquante entre lui et la route. Si moi je devais faire ça à son échelle, ce serait un kilomètre. À ce rythme, phénoménal. Relativiser aide. Le vent se lève. Les drapeaux claquent. Des voitures passent. Je pense que je dois avoir l’air bizarre, assis là. Je pense ce qu’ils peuvent penser. Moi, je ne sais pas quoi en penser. Je relis ce passage de C.D. deux fois. Malaise. Je peux être celui qui ne se rend pas compte. Malgré tout ce que j’accumule, je ne vois pas ce que ça produit sur l’autre. Il faut que je me calme. Si je pense à ça, je n’y arriverai pas. L’avant du véhicule apparaît. Elle a dû me voir. Elle roule au pas, s’arrête quelques mètres avant. Puis repart. Alors tu es calmée, je dis. Elle rigole : tu montes, on va faire le plein. On achètera aussi des pommes de terre, plus tard, à Super U. Et des tomates grappes. Et une baguette déjà un peu molle. Elle sortira de son porte-monnaie un ticket de réduction. Un euro vingt-neuf en plus sur la cagnotte. Lire les autres. C’est là qu’il faut mobiliser quelque chose. Une attention, au sens fort. Mais en as-tu encore. Le constat est implacable. Il faut se lobotomiser pour entrer dans le bain. Faire comme si c’était un autre toi, encore capable de lire sans réflexivité, sans jugement, sans l’intolérable qui te talonne. Épuisant. Comme courir autour d’un stade. Encore un tour, dit le moniteur. Toi, tu ne sais même plus ce que tu fous là. Et sitôt que cette incongruité devient palpable, c’est fini. Tu t’arrêtes. Tu te replies. Tu te refermes. Tu rumines. Tu penses qu’une bête est sur ton ventre, en train de te dévorer la cervelle. Manger ce qu’il reste de ton attention. De ton cœur. Une façon d’espérer, peut-être, que tu possèdes encore un cœur. N’espère pas. Essaie seulement de faire le calme. D’être calme.


I can’t stand attention. Solicitation is torture. I want to disappear. Not to be seen running away. Just not be there. I looked for it so much, begged for it, pleaded. Disgust came all at once. Everything comes back. Fatigue. Tension, void, nothing to hold on to. It’s childish. Naming doesn’t save. No greeting. No explanation. No goodbye. It’s lost. But this morning you reply by email. You take the time. You scroll through the list of authors. You read. Not all. You try to find something to say. Not a formula. You finish. You send. It won’t be visible. That’s what you want. You think you’ve already shown too much. I need to calm down. I take this with me to the car wash. Five minutes pass. Then she gets angry. Words come out. I don’t answer. I say : see you later, when you’ve calmed down. I leave. I don’t see her. I sit on a low wall in front of the nursing home. An insect appears. A glint on its back catches my eye. It runs in a zigzag. About five feet from the road to where I sit. If I had to cover that distance at its scale, maybe a kilometer. At that speed, phenomenal. Perspective helps. The wind picks up. The flags with the car wash emblem flap. Cars go by. I think I must look strange, sitting there. I think what they might think. But I don’t really know what to think. I reread that passage from C.D. twice. Unease. I could be the one who doesn’t realize. Despite all I pile up, I don’t see what it does to the other. I need to calm down. If I think about that, I won’t make it. The front of the vehicle appears. She must’ve seen me. She rolls slowly, stops a few meters ahead. Then drives on. So you’re calm now, I say. She laughs : get in, we’re going to fill the tank. Later we’ll buy potatoes at Super U. And vine tomatoes. And a baguette, already a bit soft. She’ll take out a coupon from her purse. One euro twenty-nine more on the loyalty card. Reading others. That’s where you need to summon something. Attention, in the full sense. But do you still have any. The fact is clear. You have to lobotomize yourself to enter the flow. Pretend it’s another you, still able to read without reflexivity, without judgment, without the unbearable always close behind. Exhausting. Like running laps. One more round, says the coach. But you no longer know why you’re there. And the moment that absurdity becomes tangible, it’s over. You stop. You withdraw. You shut down. You brood. You think some beast is on your belly, eating your brain. Feeding on what’s left of your attention. Of your heart. Maybe a way to hope you still have a heart. Don’t hope. Just try to be calm.