mars 2022
Carnets | mars 2022
31 mars 2022
La vérité et le mensonge sont les mots que nous employons dans cette dimension. Pourtant, ces termes nous éloignent souvent de ce point particulier où il est possible de demeurer en paix, à condition de rester silencieux, de ne pas penser avec des mots. Lorsque je fais attention à l’instant présent, je réalise que ce que je perçois n’a souvent rien à voir avec les notions de vérité ou de mensonge telles qu’on me les a inculquées. Dire sa vérité doucement, en la laissant d’abord émerger en soi, constitue le commencement d’une aventure extraordinaire. Mon erreur, sans doute, fut de la proclamer trop fort, à trop de personnes qui ne souhaitaient pas l’entendre. Je saisis donc cet instant pour leur demander pardon si elles estiment encore que je les ai blessées. Depuis toujours, ce qui me guide est une aversion viscérale pour l’injustice, une aversion qui n’a nul besoin du secours du raisonnement. Au contraire, chaque tentative de rationalisation me détourne de mes intuitions premières, de ce qui me paraît juste ou injuste. Je serais bien incapable de dire d’où me vient cette sensation. Elle est présente depuis le commencement. Parfois, je dirais même qu’elle précède ma propre existence, qu’elle appartient à l’être que je suis avant que celui-ci ne se confonde avec cet avatar que je suis contraint de reconnaître comme moi-même.|couper{180}
Carnets | mars 2022
24 mars 2022
Parmi tous les personnages de cette histoire abracadabrante, il est temps d’évoquer le professeur. Et si possible sans porter préjudice à celui-ci. C’est à dire en pesant le pour et le contre comme on le fait d’ordinaire pour se faire une idée à peu près juste de quoique ce soit. Impossible donc de pénétrer dans les extrêmes. Il n’y aura ni louange ni accablement. Juste l’observation la plus objective possible des faits. A très exactement 10h52 minutes le professeur commence à s’agacer et sort précipitamment pour fumer une cigarette. Dehors il fait encore un peu frais mais il fait beau temps. Un bref coup d’œil sur l’ampélopsis squelettique du mur ouest de la cour et qui commence à se peupler de longs bourgeons, inspire au professeur un bref réconfort. Il en profite pour faire le point rapidement car il se trouve aux prises avec un os. Avec cette élève là, la magie du professeur n’opère pas. Elle ne cesse de clamer qu’elle ne sait pas où elle va, que le tableau qu’elle est en train de faire ne veut rien dire, que tout est moche et qu’elle ne sait pas si elle reviendra le mois suivant. A partir de là le professeur a le choix. Soit il rentre à nouveau dans la pièce et il dit : — Effectivement c’est mieux que tu ailles voir ailleurs car tu me gonfles le boudin prodigieusement. ou bien Il peut aussi revenir dans l’atelier en disant : — C’est super ! l’ampélopsis commence à bourgeonner c’est vraiment le démarrage du printemps. Autre possibilité encore : — Tu sais c’est tout à fait normal de se sentir perdu au début, ce n’est que ta troisième séance, accroche-toi. Et même, il pourrait s’asseoir, prendre une feuille et lui montrer comment lui, le professeur, réalise un tableau abstrait sans réfléchir. En ajoutant en guise de préface peut-être : « l’important c’est de bien préparer ses couleurs sur la palette pour ne pas se freiner ensuite ou s’interrompre lorsqu’on peint et qu’il faut en refabriquer dans l’urgence. » Eureka se dit le professeur en éteignant son mégot. Et il fait effectivement ce qu’il a décidé en dernier recours sous le regard de son élève récalcitrante. Elle a les larmes aux yeux la bichette. Puis il dit ; — à toi de jouer ! en ajoutant un petit clin d’œil bienveillant, ça ne mange pas de pain se dit le professeur. Désespoir de l’élève qui reste les yeux rivés sur le tableau du professeur. — C’est vraiment pas compliqué dit encore le professeur. Tu prends le pinceau, tu le trempes dans la peinture et tu peins sans y penser, en t’amusant à poser la couleur. — … — Quels sont les trois mots importants ici et maintenant ? se sent contraint d’ajouter encore le professeur, je vous les rappelle : Accepter Plaisir Enthousiasme. — Maintenant si vous tenez à souffrir absolument, libre à vous, mais sachez que ce n’est pas du tout nécessaire pour réaliser cet exercice. — Moi je ne peux toujours pas m’empêcher de souffrir quand je peins dit une autre élève comme pour rassurer sa voisine éplorée. — c’est parce que tu crois que souffrir te préservera de faire « n’importe quoi » , parce que tu crois que souffrir est la seule solution pour un but une destination, un accouchement… Dit le professeur. Puis il s’adresse au groupe dans son ensemble : — Ce que vous appeler une destination un but c’est du déjà vu, c’est un cliché auquel vous vous accrochez comme une moule à son rocher. Oubliez ces choses idiotes, peignez et surprenez vous.|couper{180}
Carnets | mars 2022
23 mars 2022
Détruire, construire, respiration de peintre|couper{180}
Carnets | mars 2022
13 mars 2022
à propos du libre-arbitre en peinture|couper{180}
Carnets | mars 2022
07 mars 2022
2022, mon vieux Platon, nous y voilà, et rien de ce que tu disais n’a changé. Nous sommes toujours dans une caverne, à gribouiller sur les murs des vérités qui nous arrangent. Des vérités pour expliquer le monde, les événements, pour nous conforter, nous réconforter, autant qu’il est possible de le faire avec les bribes qu’on nous jette. Les restes, les miettes, comme à des chiens sous la table d’un banquet. Les grands de ce monde ? Ils ne se salissent toujours pas les mains. Leur priorité reste immuable : conserver leur avantage, préserver leur belle image, arroser leurs profits avec la sueur et les larmes des autres. Et de ce terreau, tout découle : l’école, l’usine, le bureau, le bureau de placement, l’EHPAD, le crématorium, et ces petites urnes dont le contenu est dispersé à tous vents. Nous sommes dans l’ère des simulacres. Même le film Matrix ressemble à un conte de fées à côté de la réalité. Tout ce qui nous reste, c’est un fantôme : un fantôme de rêve, un fantôme de liberté. Un espoir aussi ténu que la racine de la dernière dent que j’ai perdue en mordant dans mon pain dur. Il faut 21 jours pour que le souvenir d’un membre amputé s’estompe. Que la cervelle, enfin, soit au diapason de l’absence. 21 jours à voir passer de la viande rouge comme Tantale regardait l’eau. Et ensuite ? On passe joyeusement à la purée. Dans 21 jours, nous en serons où ? Encore vacillants ? Encore à nous demander ce qui a bien pu se passer ? Vacillants, hésitants, et à faire appel à des experts pour nous dire quoi penser ? Le cadre ne tient plus la route. Aucun cadre ne peut supporter autant d’ineptie. Alors moi, je vais m’adapter. Je ne monterai plus mes toiles sur châssis. Je les roulerai dans des tubes et les enverrai ainsi à mes collectionneurs. Pas de frais de port, pas de cadres, pas de contraintes. Ils les monteront sur châssis ou pas, comme bon leur semblera.|couper{180}
Carnets | mars 2022
6 mars 2022
Je ne prépare rien. J’aime improviser, j’aime cette sensation de me retrouver soudain suspendu au-dessus du vide, à marcher comme un funambule sur un fil. Si j’ai peur ? Oui, bien sûr, un peu tout de même, c’est-à-dire juste ce qu’il est nécessaire d’éprouver pour être poussé à effectuer le premier pas, et continuer ensuite à avancer. Je me disais ça en rentrant de mon stage de peinture hier soir. Je me disais que ça avait fonctionné encore une fois, comme par miracle. J’avais encore osé me rendre là-bas les mains quasiment dans les poches. J’avais osé encore me dire : on verra bien. Car quel enjeu au fond ? Que ça marche ? Que ça rate ? Que je gagne ou pas de l’argent ? Toutes ces questions que l’on se pose sans relâche à chaque pas que l’on effectue dans un sens ou dans un autre… À quoi bon ces questions ? Si je suis ce que je dis, alors tout ira bien. Et si ça ne fonctionne pas, c’est que je dois continuer à polir mes phrases encore et encore. C’est que je suis encore trop éloigné de moi et du ciel. Donc une leçon nouvelle, des choses à apprendre… Il suffit de l’accepter, d’y prendre plaisir, de conserver l’enthousiasme comme une braise. Le début de ce stage était assez classique. Quoique la présentation soit originale : trois vignettes en bas, un grand format au-dessus, le tout réalisé à l’encre de Chine avec juste un coin de tableau. Puis on enchaîne avec le fusain. Encore plus classique finalement, sauf qu’à un moment je propose de zoomer, d’agrandir le premier dessin. Mais peu s’égarent de la représentation d’un visage connu. Et puis vient l’après-midi, la peinture. Je fais coller des bouts de papier journal, puis on peint en les oubliant : un fond, puis le fameux visage. Oh, les beaux visages bien peints, superbes… Et maintenant, retirez donc les morceaux de papier que vous avez collés au tout début… Horreur, stupéfaction, désolation : les visages sont presque entièrement détruits par les déchirures. Reprenez le fusain, complétez la partie manquante… Rien de grave, allez, courage…|couper{180}
Carnets | mars 2022
4 mars 2022
Tout à l’heure, je repars pour une longue journée de stage à la MJC. Ces derniers temps, je réfléchis beaucoup au temps, à la façon dont je l’utilise, et surtout à ce que je cherche à accomplir. Comme tout le monde, ma priorité est de payer les factures. Mais cette priorité s’accompagne d’une peur constante. En tant qu’indépendant, je ne peux jamais vraiment savoir quel chiffre d’affaires je vais réaliser ce mois-ci. C’est la raison pour laquelle j’ai gardé un job d’enseignant. Par peur. Parce que je ne suis jamais certain que la vente de mes œuvres suffira à couvrir mes besoins. Mais ce compromis a son revers. Il est difficile de se donner l’espace et le temps nécessaires pour créer, rêver, et en même temps rester concentré sur une tâche pragmatique comme l’enseignement. Je me suis souvent dit que c’était une question d’organisation, qu’il suffisait de définir un emploi du temps clair. Mais ce n’est pas si simple. L’énergie dépensée dans l’un ou l’autre finit par s’épuiser. Au fond, j’oscille toujours entre deux états : l’enthousiasme, quand j’arrive à dépenser mon énergie dans une direction utile, et la dépression, quand je vois que je n’y arrive pas. Si je regarde de près, l’échec vient souvent d’un problème de timing, d’organisation. Mais je m’accable moi-même, je ne rejette jamais la faute sur l’extérieur. C’est toujours une question de responsabilité – ou plutôt d’irresponsabilité. Parfois, j’ai l’impression d’être plusieurs personnes en même temps. Il y a l’ouvrier en moi, qui abat le travail. L’architecte, qui rêve de projets ambitieux mais flous. Et puis le patron, qui pense aux factures et aux commandes. Une équipe chaotique où chacun tire la couverture à lui, jusqu’à la déchirer. Si je devais les reconnaître, je leur donnerais des casquettes : L’ouvrier serait vert, les mains dans le cambouis. L’architecte serait bleu, toujours tourné vers l’avenir. Le patron serait rouge, tendu par l’urgence. Mais même avec ces casquettes, la cacophonie reste la même. L’ouvrier se plaint : « Je ne vais pas passer ma vie à bosser pour un salaire de misère. » L’architecte proteste : « Je déborde d’idées, et personne ne m’écoute. » Et le patron, agacé, rétorque : « Je dois couvrir les factures, sinon tout s’écroule. » C’est alors que je l’entends. Pas Dieu. Une voix plus trouble, plus basse, qui gronde à l’intérieur. Le dibbouk, ou ce que j’imagine qu’il serait. Une voix qui n’a rien de rassurant, mais que je ne peux pas ignorer. « Vous êtes divisés parce que vous ne savez pas ce que vous voulez. Vous croyez être trois, mais c’est pire : vous êtes un chaos sans visage. Et ce chaos, c’est moi. Croyez-moi, si vous continuez comme ça, il ne restera que moi. » Je reste figé. La voix continue, moqueuse, presque amusée : « Réunissez-vous autour d’une table. Dites ce que vous voulez vraiment. Soyez honnêtes. Faites une liste de ce qui vous réunit et virez tout le reste. Mais faites vite, parce que chaque jour où vous tergiversez, je gagne un peu plus de terrain. » Le dibbouk ricane, et je l’imagine s’accouder sur ma table, jouant avec une allumette. Il ajoute : « Si vous ne faites rien, je vais finir par prendre toute la place. Ce sera mon entreprise, mon temps, mes choix. Alors, au boulot. Pendant que vous hésitez, moi je construis mon royaume. » Et là, je comprends que ce n’est pas un avertissement. C’est une promesse.|couper{180}
Carnets | mars 2022
5 mars 2022
Elle est revenue. Je ne m’en rendais pas compte. Tout à fait le genre d’évidence qu’on ne saurait voir d’emblée. Cette ombre furtive qui entre dans le champ de vision et que l’attention ne parvient pas à identifier. L’attention se dresse, tendue comme un serpent prêt à mordre ou à cracher. Puis son long cou retombe mollement dans la torpeur. Cela se répète, plusieurs fois par jour, par nuit. Comme une image subliminale, imprimée, répétée. Cette bête. Elle incarne toute l’horreur de mon enfance. La bête du Gévaudan. Toujours prête à bondir. Elle n’attend que ma lassitude. Que je me couche, que j’abdique. Pour me donner du courage je repense à Marie-Jeanne Valet quelques instants puis je vois Jeanne la Pucelle d'Orléans, étalée de tout son long sous les coups de semonce vicelards de l'abbé Cochon. Donc, elle arrivera, comme d’habitude. Rapide comme l’éclair. La bête efroyable. Montée sur des patins à roulettes, glissant sans bruit sur le seuil de ma capitulation. Mon regard soutiendra le sien, vide contre vide. Je remarquerai encore une fois la bave qui perle de ses babines, sa longue langue rouge. Et ces dents, acérées, blanches. La seule clarté dans toute cette noirceur. Puis par habitude ou réflexe , je me laisserai aller. Je capitulerai encore une fois. Chair, muscles, nerfs, tendons, abandonnés à l’avidité de sa faim. Une faim si étrangère à la mienne, en apparence. Je me laisserai dévorer. Depuis une bonne semaine, tout s’accumule. La guerre. La mère Michèle qui a perdu son chat. L’embrayage de la Dacia qui lâche. Une mise en demeure de la Cipav. L’ongle de mon petit doigt qui casse. Et, pour couronner le tout, dans les parterres, les premières jonquilles. Cette sensation bizarre de ne pas se sentir prêt à accueillir le printemps. D’être « out ». J’ai déjà parlé de ma nausée du bleu, qui a surgi aux alentours du début de février. Voilà que désormais, j’en veux au jaune des jonquilles. Comme s’il fallait absolument que je m’accroche à une hargne, désespérément, pour enjamber les journées et les nuits blanches. Je me sens résidu. Suif. Relique des chaleurs qui refluent. Il m’arrive d’avoir froid aux pieds, de plus en plus souvent. Moi qui n’ai jamais connu cette sensation. J’ai toujours eu les extrémités bouillantes, merde ! Impression d’être un météore en train de se refroidir. La chute de température, liée à la perte d’énergie, à la perte de vitesse, d’agilité, me glace jusqu’au centre même de mon noyau. Jusqu’à devenir aussi froid que l’environnement au sein duquel je file. Oh, le beau mariage ! Oh, la belle union ! Ce sont les retrouvailles du froid avec ce qui l’a un jour produit. De bien tristes épousailles. Sans témoin. Sans lune de miel. Sans jarretelle. Pas de petit bouquet. Pas de dragées à jeter aux chiens. Hier, dans le grand parc qui s’étend au-delà des baies vitrées de la MJC, j’ai vu une nappe — non, une déferlante — de pâquerettes et de violettes. Elles m’ont laissé pantois. La surprise du printemps encore. Comme l’arrivée de cette bête sur le seuil de mon enfermement. Vient-elle me délivrer ? Vient-elle m’achever ? J’ai l’intuition très forte qu’il ne faut pas résister, cette fois. Juste fermer les yeux. Prendre une bonne respiration. Comme lorsqu’on s’enfonce dans un liquide quelconque, en apnée. Se laisser dévorer par l’altérité. Tout simplement. Parce que ce sera, sans doute, la seule preuve tangible qu’il ait pu y avoir quelque chose, ou quelqu’un, qui ne fut pas, depuis l’origine du tout, seulement moi. Se laisser dévorer comme on se laisse aller à genoux, dans une vraie prière. Et voilà tout.|couper{180}
Carnets | mars 2022
03 mars 2022
Dans cet atelier, une table. Pas n’importe laquelle : celle d'un peintre, des objets , du désordre...des doutes... Ce texte explore la méthode de l’inventaire à la manière de Perec, entre précision des objets et réflexion sur l’espace du travail artistique.|couper{180}
Carnets | mars 2022
01 mars 2022
D'abord des listes ? L’inventaire : Saint-Bonnet, un départ Lieu : Une étendue d’eau, un étang bordé de châtaignes d’eau. Personnages : Mon père, ma mère, mon frère, et moi. Parfois, en arrière-plan : Charles Brunet, la mère Picard, le grand-père. Objets : Une Simca 1000, une pipe, une Benson & Hedges, un panier d’osier, un vélo rouge. Gestes : Le père nage, le père s’éloigne. La mère prépare tout. Je guide la voiture.|couper{180}