6 mars 2022

Je ne prépare rien. J’aime improviser, j’aime cette sensation de me retrouver soudain suspendu au-dessus du vide, à marcher comme un funambule sur un fil. Si j’ai peur ? Oui, bien sûr, un peu tout de même, c’est-à-dire juste ce qu’il est nécessaire d’éprouver pour être poussé à effectuer le premier pas, et continuer ensuite à avancer.

Je me disais ça en rentrant de mon stage de peinture hier soir. Je me disais que ça avait fonctionné encore une fois, comme par miracle. J’avais encore osé me rendre là-bas les mains quasiment dans les poches. J’avais osé encore me dire : on verra bien.

Car quel enjeu au fond ? Que ça marche ? Que ça rate ? Que je gagne ou pas de l’argent ? Toutes ces questions que l’on se pose sans relâche à chaque pas que l’on effectue dans un sens ou dans un autre… À quoi bon ces questions ?

Si je suis ce que je dis, alors tout ira bien. Et si ça ne fonctionne pas, c’est que je dois continuer à polir mes phrases encore et encore. C’est que je suis encore trop éloigné de moi et du ciel. Donc une leçon nouvelle, des choses à apprendre… Il suffit de l’accepter, d’y prendre plaisir, de conserver l’enthousiasme comme une braise.

Le début de ce stage était assez classique. Quoique la présentation soit originale : trois vignettes en bas, un grand format au-dessus, le tout réalisé à l’encre de Chine avec juste un coin de tableau. Puis on enchaîne avec le fusain. Encore plus classique finalement, sauf qu’à un moment je propose de zoomer, d’agrandir le premier dessin. Mais peu s’égarent de la représentation d’un visage connu.

Et puis vient l’après-midi, la peinture.

Je fais coller des bouts de papier journal, puis on peint en les oubliant : un fond, puis le fameux visage.

Oh, les beaux visages bien peints, superbes…

Et maintenant, retirez donc les morceaux de papier que vous avez collés au tout début…

Horreur, stupéfaction, désolation : les visages sont presque entièrement détruits par les déchirures.

Reprenez le fusain, complétez la partie manquante… Rien de grave, allez, courage…

Pour continuer

Carnets | mars 2022

31 mars 2022

La vérité et le mensonge sont les mots que nous employons dans cette dimension. Pourtant, ces termes nous éloignent souvent de ce point particulier où il est possible de demeurer en paix, à condition de rester silencieux, de ne pas penser avec des mots. Lorsque je fais attention à l’instant présent, je réalise que ce que je perçois n’a souvent rien à voir avec les notions de vérité ou de mensonge telles qu’on me les a inculquées. Dire sa vérité doucement, en la laissant d’abord émerger en soi, constitue le commencement d’une aventure extraordinaire. Mon erreur, sans doute, fut de la proclamer trop fort, à trop de personnes qui ne souhaitaient pas l’entendre. Je saisis donc cet instant pour leur demander pardon si elles estiment encore que je les ai blessées. Depuis toujours, ce qui me guide est une aversion viscérale pour l’injustice, une aversion qui n’a nul besoin du secours du raisonnement. Au contraire, chaque tentative de rationalisation me détourne de mes intuitions premières, de ce qui me paraît juste ou injuste. Je serais bien incapable de dire d’où me vient cette sensation. Elle est présente depuis le commencement. Parfois, je dirais même qu’elle précède ma propre existence, qu’elle appartient à l’être que je suis avant que celui-ci ne se confonde avec cet avatar que je suis contraint de reconnaître comme moi-même.|couper{180}

Carnets | mars 2022

24 mars 2022

Parmi tous les personnages de cette histoire abracadabrante, il est temps d’évoquer le professeur. Et si possible sans porter préjudice à celui-ci. C’est à dire en pesant le pour et le contre comme on le fait d’ordinaire pour se faire une idée à peu près juste de quoique ce soit. Impossible donc de pénétrer dans les extrêmes. Il n’y aura ni louange ni accablement. Juste l’observation la plus objective possible des faits. A très exactement 10h52 minutes le professeur commence à s’agacer et sort précipitamment pour fumer une cigarette. Dehors il fait encore un peu frais mais il fait beau temps. Un bref coup d’œil sur l’ampélopsis squelettique du mur ouest de la cour et qui commence à se peupler de longs bourgeons, inspire au professeur un bref réconfort. Il en profite pour faire le point rapidement car il se trouve aux prises avec un os. Avec cette élève là, la magie du professeur n’opère pas. Elle ne cesse de clamer qu’elle ne sait pas où elle va, que le tableau qu’elle est en train de faire ne veut rien dire, que tout est moche et qu’elle ne sait pas si elle reviendra le mois suivant. A partir de là le professeur a le choix. Soit il rentre à nouveau dans la pièce et il dit : — Effectivement c’est mieux que tu ailles voir ailleurs car tu me gonfles le boudin prodigieusement. ou bien Il peut aussi revenir dans l’atelier en disant : — C’est super ! l’ampélopsis commence à bourgeonner c’est vraiment le démarrage du printemps. Autre possibilité encore : — Tu sais c’est tout à fait normal de se sentir perdu au début, ce n’est que ta troisième séance, accroche-toi. Et même, il pourrait s’asseoir, prendre une feuille et lui montrer comment lui, le professeur, réalise un tableau abstrait sans réfléchir. En ajoutant en guise de préface peut-être : « l’important c’est de bien préparer ses couleurs sur la palette pour ne pas se freiner ensuite ou s’interrompre lorsqu’on peint et qu’il faut en refabriquer dans l’urgence. » Eureka se dit le professeur en éteignant son mégot. Et il fait effectivement ce qu’il a décidé en dernier recours sous le regard de son élève récalcitrante. Elle a les larmes aux yeux la bichette. Puis il dit ; — à toi de jouer ! en ajoutant un petit clin d’œil bienveillant, ça ne mange pas de pain se dit le professeur. Désespoir de l’élève qui reste les yeux rivés sur le tableau du professeur. — C’est vraiment pas compliqué dit encore le professeur. Tu prends le pinceau, tu le trempes dans la peinture et tu peins sans y penser, en t’amusant à poser la couleur. — … — Quels sont les trois mots importants ici et maintenant ? se sent contraint d’ajouter encore le professeur, je vous les rappelle : Accepter Plaisir Enthousiasme. — Maintenant si vous tenez à souffrir absolument, libre à vous, mais sachez que ce n’est pas du tout nécessaire pour réaliser cet exercice. — Moi je ne peux toujours pas m’empêcher de souffrir quand je peins dit une autre élève comme pour rassurer sa voisine éplorée. — c’est parce que tu crois que souffrir te préservera de faire « n’importe quoi » , parce que tu crois que souffrir est la seule solution pour un but une destination, un accouchement… Dit le professeur. Puis il s’adresse au groupe dans son ensemble : — Ce que vous appeler une destination un but c’est du déjà vu, c’est un cliché auquel vous vous accrochez comme une moule à son rocher. Oubliez ces choses idiotes, peignez et surprenez vous.|couper{180}

Carnets | mars 2022

23 mars 2022

Détruire, construire, respiration de peintre|couper{180}