juillet 2022

Carnets | juillet 2022

Peinture, capitale iconoclaste du 21 ème siècle.

Une ville qui serait l’image d’une ville, une image capitale détruisant toute idée de Capitale. Introduction à la constitution d’une table des matières. Toute cette fantasmagorie désormais, comme toujours, qui recouvre le mot peinture. Même la peinture en bâtiment. Il s’agirait pour avancer, c’est à dire peindre, de la repérer, de prendre au moins conscience de son impact sur le peintre comme sur la société entière. Puis de la déposer de son piédestal, imaginaire tout autant. Pour reprendre une phrase de Walter Benjamin au début de Paris Capitale du 19eme siècle, lorsqu’il évoque l’essence de l’histoire au 19eme siècle via Schopenhauer : « L'OBJET de ce livre est une illusion exprimée par Schopenhauer, dans cette formule que pour saisir l'essence de l'histoire il suffit de comparer Hérodote et la presse du matin. C'est là l'expression de la sensation de vertige caractéristique pour la conception que le siècle dernier se faisait de l'histoire. Elle correspond à un point de vue qui compose le cours du monde d'une série illimitée de faits figés sous forme de choses. Le résidu caractéristique de cette conception est ce qu'on a appelé “l'Histoire de la Civilisation”, qui fait l'inventaire des formes de vie et des créations de l'humanité point par point. Les richesses qui se trouvent ainsi collectionnées dans l'aerarium de la civilisation apparaissent désormais comme identifiées pour toujours. Cette conception fait bon marché du fait qu'elles doivent non seulement leur existence mais encore leur transmission à un effort constant de la société, un effort par où ces richesses se trouvent par surcroît étrangement altérées. Notre enquête se propose de montrer comment par suite de cette représentation chosiste de la civilisation, les formes de vie nouvelle et les nouvelles créations à base économique et technique que nous devons au siècle dernier entrent dans l'univers d'une fantasmagorie. Ces créations « subissent cette “illumination” non pas seulement de manière théorique, par une transposition idéologique, mais bien dans l'immédiateté de la présence sensible. Elles se manifestent en tant que fantasmagories. » Extrait de Paris, capitale du XIXe siècle Walter BENJAMIN S’il fallait désormais imaginer une « capitale » de la peinture c’est à dire quelque chose d’assez proche de l’idée première que nous nous faisons aussitôt du mot, comme celle d’une ville en tête de nombreuses autres quel en serait le plan, la table des matières, la structure, Le fragment, l’accumulation de fragments par thèmes et catégories, par mots clefs, semble être désormais une solution viable, non pour présenter l’exhaustivité d’ailleurs fallacieuse d’une nouvelle « exposition universelle » mais pour montrer au visiteur l’absurdité d’un tel but. Celui là même qui perpétuerait l’illusion d’exhaustivité. Tout au contraire par la multiplicité des thèmes, des catégories, des fragments indiquer la présence d’une histoire présente depuis toujours mais occultée car tordue, utilisée par une minorité qui se sert du mot histoire comme du mot peinture, du mot Art pour protéger ses privilèges, ses mensonges, comme un capital dont elle ne possède nul désir d,en dévoiler les tenants et aboutissants. Des premières peintures rupestres jusqu’au graffitis, le street art d’aujourd’hui il serait intéressant de revenir aux faits, à une réalité objective, si tant est qu’on puisse ne pas considérer cette objectivité comme une nouvelle fantasmagorie. Quelle ville pourrait tenir lieu de Capitale de la peinture… aucune de toutes celles qui par réflexe nous viendraient aussitôt à l’esprit. Ni Paris, ni New York, ni Tokyo ni Shanghai, pas même Venise ni Florence,. Aucune de ces villes ne laisse un espace suffisamment « vierge » de toute fantasmagorie pour être le creuset d’une histoire différente de toutes les autres à propos de la peinture. Pour la constitution d’un tel ouvrage le format du livre serait presque aussitôt risible. Le livre tel qu’on l’aurait imaginé jusqu’ici en tant qu’objet que l’on pourrait s’approprier afin de l’avoir dans une bibliothèque. Puis que l’on pourrait vénérer comme on vénérait autrefois les mannes et les idoles. Internet pourrait être un bon support dans ce qu’il propose une image assez fidèle à la monstruosité d’un tel projet. Un site qui, a chaque fois qu’on y pénétrerait on en serait aussitôt comme expulsé par la puissance de ses possibilités analogiques. Dont les idées se propageraient comme autant de traînées de poudre dans l’œil du lecteur, et qui en ferait ainsi le co créateur anonyme. Un site sur la peinture mais iconoclaste dans l’idée de détruire des on dit, des rumeurs, des fables, en un mot l’outil favori d’un système arrivant à son terme et dont la survie ne tient qu’aux images qu’il détourne, iconoclaste lui-même, selon son bon vouloir, son profit.|couper{180}

Peinture, capitale iconoclaste du 21 ème siècle.

Carnets | juillet 2022

Disparitions

Je ne vois plus Bernard. Chaque jour pourtant, il postait un extrait d’article politique, quelques nouvelles du temps du côté de Salon, et deux ou trois astuces informatiques — utiles pour un néophyte comme moi. Nous n’étions pas d’accord sur grand-chose, politiquement parlant, mais on échangeait quelques commentaires, de ci de là. Une manière de s’accompagner dans le fil des jours. On se souhaitait bon week-end, on plaisantait parfois. Mais je ne vois plus Bernard. Du moins, plus ses billets. Je ne vois plus non plus untel ou unetelle, dans la vraie vie. Non que j’aie quelque grief à leur encontre. On s’habitue, je crois, à ces absences, ces effacements. Avec l’âge, on cesse de tenir les comptes. Il y a mille raisons, bonnes ou mauvaises. Et les gens disparaissent sans fracas. Même ceux qui partent en claquant la porte s’effacent, et au bout d’un moment, tout se vaut. Mon épouse, elle, entretient les liens. C’est naturel chez elle. Elle s’étonne, évidemment, que je ne sois pas fait de la même étoffe. Elle dit que je suis comme un seigneur figé sur son trône, attendant que le monde vienne à lui. Si c’était possible — magique, disons —, que des gens apparaissent là, dans mon salon (modeste, soit dit en passant), je ne serais pas très à l’aise. On ne choisit pas vraiment son goût pour les autres, ni le soin que cela demande. Autrefois, je me forçais un peu, mais ça ne donnait rien. Je me retrouvais à dîner chez des gens qui, pour la plupart, m’étaient aussi étrangers que je le reste à moi-même. Socrate, déjà, posait un drôle de paradoxe : “Connais-toi toi-même”, mais aussi “je sais que je ne sais rien”. On peut avoir des affinités sans être liés à la vie à la mort. Et si ces affinités exigent d’être cultivées dans le sens du poil, je préfère encore les laisser à d’autres. C’est mon défaut, sans doute : je ne sais pas profiter des relations humaines. La plupart du temps, je m’efforce d’en ressentir le besoin, comme ces envies qu’on nous inocule à coups de marketing. Et dès que je m’en rends compte, je supprime — comme les mails indésirables du matin. Un de ces jours, je disparaîtrai aussi. C’est dans l’ordre. Me regrettera-t-on ? Même les plus proches ? Illusoire, sans doute. Chacun gardera ce qu’il voudra de moi. Ça ne me regarde plus. Ce sera leur affaire, une affaire de mémoire, miroir de leur propre disparition.|couper{180}

Carnets | juillet 2022

05 juillet 2022

Je regarde la vidéo de François Bon, mais quelque chose cloche. La trame, la cadence, les mots qu’il prononce – tout cela m’apparaît comme un reflet brouillé, un écho de quelque chose de plus ancien, un fichier corrompu dans l’infrastructure de mon cerveau. Il faut que je vérifie. Je mets en pause, j’ouvre un éditeur, et les mots se déversent sur l’écran, un flot automatique, comme s’ils avaient déjà été tapés ailleurs, il y a longtemps. Subversion. Latin : subvertere : renverser, bouleverser. C’est ce que dit Wikipedia, c’est ce que dit la troisième entrée de la requête Google. Une définition qui n’a aucun sens, ou plutôt, qui en a trop. Un protocole de dissolution, un virus programmé pour miner un système de l’intérieur, une ligne de code injectée dans l’organisme de la société pour l’amener à s’autodétruire. Mais alors, qui l’a écrit ? Qui a planté l’idée dans mon cortex ? C’est là que l’image du mot explose, se fissure. Et ce qui en sort, ce n’est pas une insurrection, ni un manifeste, mais quelque chose de plus insidieux, une reprogrammation douce. La subversion, ce n’est pas brûler des drapeaux ou saboter des systèmes. C’est altérer imperceptiblement la structure même du réel, jusqu’à ce que plus personne ne puisse dire avec certitude ce qui est vrai et ce qui est simulé. L’effet Mandela, les fausses mémoires, les glitchs dans le langage – tout cela fait partie du même champ d’action. Je me souviens d’une époque où la création était censée être authentique, où l’artiste était une entité isolée, presque divine, créant ex nihilo. Une fiction romantique. Aujourd’hui, nous ne faisons que recycler, resampler, copier-coller. Jonathan Lethem le sait. Kenneth Goldsmith le sait. Ils ont compris que l’originalité est un bug dans le système, un reliquat d’une époque obsolète. J’essaie de visualiser un monde où l’information est accessible à tous sans restriction, sans contrôle. Mais immédiatement, un protocole d’urgence s’active dans mon esprit. Une voix me souffle : la propriété intellectuelle est une illusion nécessaire. Qui me parle ? Est-ce moi ou est-ce un fragment d’un texte absorbé inconsciemment, une ligne de code infiltrée dans ma conscience ? Je cherche un point d’ancrage. Une rencontre. Quelque chose de tangible. Mais la seule chose qui me vient en tête, c’est une file d’attente à la cafétéria, une transaction banale, un échange de monnaie physique – une relique. L’agent en face de moi, un homme en uniforme avec une étiquette portant un nom générique, me tend ma monnaie et me regarde une fraction de seconde trop longtemps. Dans ses yeux, je crois voir un clignement imperceptible, comme un écran qui se rafraîchit. Il sait. Et je sais qu’il sait. Illustration : Magritte, le fils de l'homme|couper{180}

Autofiction et Introspection