mars 2025
Carnets | mars 2025
31 mars 2025
Invasion visqueuse Stupéfiante, la vitesse du glissement. Comme une trappe qui s’ouvre sous les pieds : on croyait marcher sur du béton, c’était de la vase. D’un instant à l’autre, ça bascule. L’horreur s’écoule dans le grotesque, l’un nourrit l’autre, et ce qui monte alors, ce n’est pas la peur, non, c’est une nausée rampante, acide, tenace. Une marée interne. Le monde régurgite. Et moi, aspiré. Le fil d’actualités — un effleurement suffit. L’écran s’allume — ils sont déjà là. À cracher. Leur lumière sale. La voix dans les haut-parleurs vous injecte la lie du siècle. Alors je ferme. Je m’évide. Je m’extrais. Citadelle bricolée : un livre, un crayon, des pas réguliers sur le trottoir mouillé. Rien d’autre. L’occupation ? Elle est douce, elle est flasque. Un silence de feutre. Pas de bottes. Pas de cris. Juste une présence qui vous imprègne. Et on l’appelle comment ? « Nazie », faute de mieux, faute d’un mot plus précis. Parce que le vieux mot fait encore peur. Il sent encore quelque chose. Mais qui croire ? Pas eux. Surtout pas eux. Ceux qui protestent à grands gestes, ceux qui jouent l’alternative comme on jouerait un rôle. Mêmes ficelles, même théâtre. Même odeur. Et là-haut ? Ils rigolent, eux. Ils attendent que ça se crève, que ça suppure. La Bourse, le Golem financier. L’Intérêt calculé à la décimale. Ça ronge, ça digère. Et en renfort, les machines. L’algorithme. Froid, parfait, sans faute ni foi. Ils n’ont plus besoin de nous haïr : ils n’ont même plus besoin de nous voir. Et moi, là-dedans ? Parano ? Peut-être. Mais si la lucidité était aussi vérolée que le reste ? Si cette impression d’y voir clair n’était qu’un résidu du même venin ? La lumière elle-même falsifiée. Étiquetée. Capitaliste, marxiste, maoïste — étiquettes délavées sur des bocaux vides. Alors je serre. Je ferme. Le dedans. Le petit. Le net. Le chaud. Le seul possible. sous-conversation — …c’est là, oui… ça suinte… — ne pas penser, surtout pas penser… — regarde pas, regarde pas, regarde pas — mais si tu vois ! tu vois trop bien justement… — non c’est trop, c’est trop… — boue chaude… dans les veines… pas dehors, non… dedans… — ferme. — plus fort. — encore. — tiens-toi. — les objets… un ordre… ne plus vaciller… — mais ça appuie, tu sens ? sur les tempes, sur la cage, partout… — et eux, là… — ils savent ? — ils attendent. — ils veulent que tu exploses. — que tu y crois. — ou que tu n’y crois plus. — ça revient au même. — chute. — silence. — c’est eux qui parlent dans ta tête. — ou bien c’est toi ? — impossible de trier maintenant. — ça devient visqueux. note de travail – Entrée clinique n°317 : « Celui qui se referme » Patient : non identifié formellement, se présente sous la forme d’un texte à la première personne – fragments de carnet, rythme irrégulier, ton inquiet. Date de la séance : inexacte, mais contemporaine d’un état du monde saturé d’écrans, d’ondes, de chiffres. Il vient sans venir. Il s’écrit, plutôt. Se déploie sur la page comme un filet de voix dont les contours restent flous. Ce patient-là ne me parle pas : il s’adresse au vide, ou à lui-même, ou à une présence qu’il suppose hostile – société, machine, voix médiatique – il n’est pas certain. Son discours oscille entre l’indignation lucide et l’implosion paranoïde. Il dit que le monde va trop vite. Il dit que le grotesque et l’horreur s’échangent comme des fluides. Il dit que tout cela le dégoûte, physiquement. Ce n’est pas une métaphore : il parle de nausée, de gorge serrée, de marée qui monte. Comme si penser le monde aujourd’hui équivalait à l’ingérer de force. Ce que je note – et qui m’interpelle – c’est sa stratégie de survie. Il se replie. Il cartographie son espace de respiration comme on poserait des amulettes : le crayon, la page, le rangement, la marche. Des rituels simples, rassurants. Il ne cherche pas la guérison, ni même la compréhension. Il cherche à tenir. Mais alors, moi, là-dedans, que suis-je ? Je veux dire : moi, analyste, lecteur, scripteur de notes ? Je suis le témoin d’une subjectivité qui se défend comme elle peut, mais qui doute déjà de ses propres défenses. Quand il parle de lucidité, il dit qu’il la hait. Qu’elle est peut-être elle-même une émanation du système qu’il vomit. Il commence à douter de la seule chose qui le tenait debout : son regard critique. Et c’est là que je vacille. Car je le comprends trop bien. Il y a chez lui un refus de la folie spectaculaire – celle qui s’agite dans le vacarme politique, dans les flux algorithmés, dans les postures d’opposition recyclée. Mais il n’est pas pour autant indemne. Il se méfie de tout, même de ses propres pensées. C’est un homme qui vit sous scellé, dans une conscience à double fond. Ce qui m’émeut (car j’ai le droit, je ne suis pas que psy), c’est qu’il ne cherche ni à convaincre ni à séduire. Il n’est pas poseur, il est usé. Il écrit pour se taire un peu mieux. Il parle pour ne pas exploser. Alors, faut-il diagnostiquer ? Si oui, alors disons : paranoïa diffuse à composante dépressive, défense obsessionnelle par la ritualisation du quotidien, tendance à la déréalisation exacerbée par la surstimulation médiatique. Mais si je suspends le geste médical, si j’écoute au lieu de décrypter, alors je dirais qu’il est… contemporain. Lucide jusqu’au malaise, et pourtant encore capable de gestes minuscules pour rester vivant. Et peut-être que ce refus de la normalité est, paradoxalement, la forme la plus poignante de santé mentale aujourd’hui.|couper{180}
Carnets | mars 2025
30 mars 2025
Porte refermée. Soulagement. Le dibbouk n’a pas attendu : il s’est mis à tournoyer, cabossé, ravi. « On va s’en mettre jusqu’au collet », qu’il a dit. Moi, j’avais juste faim. Une faim grise, logistique. Chez l’épicier turc : lamelles de kébab surgelées, les mêmes que la dernière fois. Trois baguettes chez le boulanger. Congélation immédiate. Prévision : quatre jours de paix. « À nous deux », j’ai soufflé — pas à lui, évidemment. Ensuite ? Rien. D’abord rien. Allumé la télé. Noir et blanc, Gabin-Bardot. Vieillerie datée. Mon père, un peu. Les expressions : « ma petite fille » — insupportable. Sommeil. Réveil 17 h. Écriture. Lecture : Le Roi des Rats, Miéville. Le concept de dibbouk s’effondre, comme tout le reste. Pas surpris. Ou alors juste pour la forme. Puis la sonnette. Frisson. Recommandé ? Non. La mère de L. Venue s’excuser. Négociations. Diplomatie de palier. Accord trouvé : L. viendra le mercredi, 13 h 30 à 14 h 30. Avec sa sœur. Et moi, je referme. Je range. Je note. Je respire. C’est déjà pas mal.|couper{180}
Carnets | mars 2025
Moments et traversées du temps michaldiens
Des arrachements à l'idée du temps, du moment en les traversant, les retraversant, dans l'immobilité de l'écriture. Le texte se nourrit journalièrement, ne pas hésiter à y revenir.|couper{180}
Carnets | mars 2025
29 mars 2025
On n’a pas besoin de grand-chose : un pas, un petit écart, rien qu’un pas de côté. On quitte la route, on s’enfile dans un sentier, un de ceux qu’on ne trouve pas sur les cartes, et très vite, voilà, c’est comme si on tombait dans une réserve d’humilité, une sorte de clairière intérieure, sans panneau indicateur. C’est plus simple que prévu, cette posture-là, d’autant qu’on peut être sûr que personne ne regarde. Il y a bien des arbres, des bêtes discrètes, des herbes diverses et variées, mais ce sentiment-là – l’humilité donc – ne semble pas très concerné. Je voulais me fondre. Pas disparaître, non, je tenais encore à certaines textures, à l’odeur de la terre mouillée. Je voulais me mêler au mystère. Ce mystère sans majuscule, cette matière vague qui palpite derrière les choses. Je rêvais de devenir un arbre. Une fougère. Un oiseau. Pas un faucon, trop majestueux. Un de ceux qu’on entend sans les voir. Un oiseau de doute. Peut-être qu’un oiseau rêve aussi de devenir homme. Peut-être que rien n’est jamais satisfait de son sort. Que cette insatisfaction fait tourner les saisons. Il y a des mots qui reviennent sans qu’on les convoque. Ces temps-ci, le mot seuil. Pas un concept. Une vibration. Quelque chose à franchir. Ou à habiter. Un endroit entre. Entre moi et l’autre. Entre l’avant et l’après. Ce texte n’est peut-être que cela : une tentative de rester un peu plus longtemps au bord, sans fuir. D’observer ce qui bouge quand on ne bouge plus. Changer de style, ou croire qu’on le peut, c’est sentir que le langage n’est pas une cage mais un terrain modulable. Peut-être que le style profond est justement le seuil lui-même. Et chaque variation est une manière de l’explorer. De se chercher en traversant. Écrire comme on change de fréquence. Les deux femmes sont arrivées à dix heures trente. J’avais rassemblé leurs toiles dans la bibliothèque, pas question de les laisser entrer plus avant. Pas dans l’atelier. J’aurais pu, bien sûr. Je n’étais pas opposé à l’idée. Jusqu’à ce dernier message, sec, nerveux, saturé de colère. Je n’ai pas été malade. Je n’ai pas été soulagé. J’ai noté l’événement, avec une certaine distance. Leurs visages étaient tendus. J’ai dit : approchez la voiture, ce sera plus simple. J’ai aidé à charger. Y. a tenté un mot, un appel, une relance. J’ai dit peu. J’ai dit que tout cela était sûrement pour le mieux, mais qu’on ne le voyait pas encore. Puis je leur ai dit au revoir. Sept ans. Surprendre une telle rancœur, ça m’a frappé. Mais je n’ai rien montré. J’ai gardé cette manière calme d’être là. Comme si la vie avait ses plans. En voyant le camélia en fleur j'ai eu envie de prendre une photographie. Une véritable orgie de fushia et de rose, presque obscène. Peut-être demain.|couper{180}
Carnets | mars 2025
28 mars 2025
Réveil vers deux heures. Reprise du code en local. Peut-être que, finalement, tout ne doit pas être « justifié », notamment dans les descriptions des cartes. Petit clin d’œil à D.H. Ensuite, pas mal de galères pour installer le build Tailwind correct : la dernière version a trop de bugs. Le *output* se trouve dans le répertoire `dist`, le *input* dans le `rc`, le fichier `config.js` à la racine du site. À peine le temps de lever la tête, d’aller me faire un café, qu’il était déjà quatre heures. Puis, assez vite, la vidéo journalière de F. Me suis rendormi vers six heures pour me relever à huit. Ensuite, cours jusqu’à midi. S. a pris la Dacia pour aller à RDG : spectacle enfant, puis adulte, jusqu’à pas d’heure. Appel dans l’après-midi : seulement cinq réservations. Mangé une tartine beurrée, bu un café, reparti vers l’association jusqu’à dix-sept heures. Parti à pied, car impossible de démarrer la Twingo, qui était sur la réserve. Il faut voir dans la remise si j’ai des jerricans de cinq litres pour aller chercher du 95 demain. J’espère que ce n’est que ça. S. part une semaine à Paris, car M. part en formation. Elle appréhende de s’occuper de MX : il a encore refait le coup de se rouler par terre pour ne pas aller à l’école. On cherche. Peut-être une école pour « gros », un psy… S. est psy, ça devrait aller. Si elle ne s’énerve pas. Gros à parier que si. Peut-être que l’expérience de lecture des carnets de HPL avec F. m’apprend quelque chose. Des notes très courtes, cryptées. Pour soi. Pourquoi continuer à publier, dans ce cas ? Pour le rythme ? Pour ne pas perdre le rythme. On s’accroche à un rythme, difficile de le changer ? Pas de littérature dans ces carnets. Je l’ai déjà dit. Il faut se concentrer sur la fiction, je me dis. S’évader dans la fiction. Moins facile. Il faut beaucoup réécrire, pouvoir dire les phrases à haute voix, voir si ça sonne. Et plus je réécris, plus cela devient un véritable casse-tête, exactement comme ce code Tailwind que je compile et recompile sans arrêt. Je vide quelque chose avec ces phrases courtes. Hachées. C’est une purge. Une façon de faire place nette. Avant. Peut-être un préalable. Une étape nécessaire. Comme un moteur diesel. Il faut attendre que tous les voyants s’éteignent avant de tourner la clef de contact. Rien d’autre ne m’intéresse. Alors je vais boire un café, manger un morceau. Puis revenir devant l’écran. Voir ce qui arrive. Et m’y accrocher fermement. En passant j'ai découvert le modèle de génération d'images qui remplace désormais Dalle3 sur ChatGpt. Je lui ai demandé de me faire un visuel à partir de ma page d'accueil. Comment améliorer ? Sidération.|couper{180}
Carnets | mars 2025
27 mars 2024
Ce monde est une maison qui fuit. On colmate comme on peut, avec un peu de quiche, un carnet, une page d’agenda, un morceau de tendresse. Et parfois, le plombier arrive vraiment.|couper{180}
Carnets | mars 2025
26 mars 2025
Il faut faire son truc. On ne sait pas trop lequel, au début, mais ça suffit. L’idée seule du faire, sans programme ni plan de carrière. Ça tient. Et puis, à force, on se demande : pourquoi ? À quoi bon ? Dans quel but ? Toujours cette fringale de sens, ce besoin de comprendre. Surtout à vingt ans, ou alors bien plus tard, quand on a traversé des années sans bien savoir ce qu’on y cherchait. Entre les deux, les rails. La famille, les enfants, la connexion fibre, l’administratif. Tout ça remplit le temps et empêche les grandes questions. On avance mécaniquement, sans trop savoir de quelle gare on vient ni vers laquelle on file. Et puis un jour, le train freine. Il y a un frottement, une secousse. Et la question revient, en douce : pourquoi j’ai fait ce truc, bon sang ? C’est dans ce genre d’humeur que j’ai surpris une conversation dans un replay de Zoom. À propos de la prise de notes. Faut-il faire des fiches de lecture ? L’un avait essayé deux jours, puis avait laissé tomber. Une autre avouait qu’elle oubliait. La discussion a bifurqué vers les outils, les applis, les méthodes. Mais la vraie question, à mon sens, c’était : est-ce qu’on en a besoin, vraiment, maintenant, de ces notes-là ? J’en ai pris, autrefois. Beaucoup. Avant l’informatique. Trente carnets Clairefontaine au bas mot, écriture serrée, feutre à pointe fine. J’y mettais tout : états d’âme, blagues oubliées, extraits d’auteurs, poèmes de comptoir, débuts d’histoires morts-nés, listes de dettes. Tout ça, un jour, est parti en fumée dans une prairie suisse. Mais c’est une autre histoire. Peut-être qu’écrire ici, dans ce coin du site, c’est une manière de reprendre. Mais sans l’idée de mémoire. Je ne cherche plus à tout garder. Ce n’est plus cette obsession. Ce n’est même plus un projet. C’est juste un truc. J’écris, je fais ce truc. Je pars de ce que j’ai : une idée, un mot, une peur, un reste de rêve. Peu importe. Et puis les choses s’enchaînent. Je convoque un personnage, le jeune homme, le dibbouk, le double flou. Il parle, il objecte. Moi, je fais semblant d’écouter. Parfois je prends note, souvent non. Ce n’est pas pour lui que j’écris. Ni pour me convaincre. Ni même pour comprendre. Je fais le truc. Peu importe lequel. Je le fais parce que c’est ça qu’il faut faire. Et pourtant — ce serait mentir que de ne pas l’avouer — ce billet m’inquiète un peu. Pas dans son contenu, non. Mais dans ce qu’il dit sans le dire. Il me paraît louche. Comme un retour en arrière déguisé en bond en avant. Comme un chat qui hésite avant le saut, sauf que je ne suis pas un chat.|couper{180}
Carnets | mars 2025
25 mars 2025
Couché tard, levé tôt, sans y voir d'héroïsme. Lecture rapide, pain acheté. Printemps dans l’air, tiédeur approximative. À l’intersection d’un parfum de lilas et de gaz d’échappement, l’idée vague d’une odeur naturelle du monde. Mais existe-t-elle vraiment, cette odeur ? L’hypothèse reste suspendue, comme les particules fines en suspension. Pas de correspondance, pas de commentaires – ou alors, en mode bouffon, comedia dell’arte version réseau social, le masque comme dernier recours. Repli stratégique et farouche, donc. Retour de F., toujours aussi elliptique. Une phrase, une seule, qui donne envie de la décortiquer pendant des heures pour en extraire du sens – avant de lâcher prise. Tout comprendre n’est pas obligatoire. Faire le boulot et se taire : telle pourrait être la devise non officielle de l’époque. Apprendre ? Oui, non, peut-être. Si c’est pour devenir prof, tout le monde peut. Mais qui veut encore vraiment apprendre ? Et pourquoi ? Le seuil, cette zone de clarté trouble, revient hanter l’angle de vue. Peut-être une réponse vivante à toute question abstraite. Avancer, donc. Progresser dans un livre comme on avance dans une rue qu’on ne connaît pas. Ne pas chercher midi à quatorze heures. Faire l’oie. Halcyon Ridge, île secrète ou fiction mal ficelée ? Enquête floue, opacité intrigante. Trop d’infos tue le mystère, ou le confirme. À voir. (Rubrique lectures). Article de Diakritik sur « qu’est-ce qu’aimer » chez les écrivains". Intéressant. Suite de celui sur P.V., suite attendue, comme une nouvelle saison d’une série sentimentale. Passage sur Liminaire de P.M article sur Artemisia Gentileschi à l'occasion d'une exposition au Musée Jacquemart André très troublé par la photographie au rayon X de Kathleen Gilje Grande question : une histoire peut-elle être vécue sans devenir récit ? Longtemps, j’ai vécu mes histoires comme des récits dont je n’étais qu’un figurant vaguement principal. C’était rassurant. Et puis j’avais ce sentiment un peu idiot mais utile d’être un personnage au courant de sa nature fictive, ce qui me donnait un avantage. Peut-être. Aujourd’hui, nous sommes tous des personnages, jetables comme des gobelets compostables. Les auteurs, eux, s’ils existent, rient sans doute doucement depuis leur banquet céleste, hydromel à la main, regard tendre sur notre agitation. Dis-moi quel personnage tu fabriques, je te dirai quel genre d’auteur tu es. Le rebondissement comme problème narratif. Les trente-six situations dramatiques ? Lassantes. Franchir le seuil, c’est aussi laisser tomber cette vieille mécanique. Avancer à tâtons. Homère, s’il a existé, devait déjà le savoir. Beethoven aussi, dans ses silences. Illustration : Kathleen Gilje : Suzanne et les vieillards au rayon X- Musée national des femmes artistes|couper{180}
Carnets | mars 2025
24 mars 2025
*Stage de peinture sur le minimalisme.* Mission accomplie. Tout le monde ravi et si crevé que partis une heure avant la fin. Repos jusqu'à 18h. Puis écouté FB, Boost 7, et me suis lancé dans la foulée. Ce que ça donne... Boost #07 | Deux formes inédites de conjurations CONJURATIONS 1 Je serai on, il y aura un top de départ, une date, une heure, on sera tous réunis ici dans ce même point, toutes les lignes de temps seront remises à zéro, une bonne fois pour toutes. À partir de là on verra si on a envie de dire je à nouveau. Tout sera court, il le faudra, ce sera dur, peu y arriveront et le reste ne gagnera rien par chance. Je me tairai. La lumière viendra à l’heure prévue. Je me tairai. On saura bientôt ce que nous saurons bien plus tard, ce que nous regretterons de ne pas savoir avant. L’oiseau chiera. La merde choira. La gravité sera élucidée. Une fois. Pour toutes. Tu carabistouilleras avec allégresse la lèche-frite qu'on te tendra en t'implorant de goûter aux délices de papouilles. Non, ce sera peau de balle et balayette. À la pire aînée tu souhaiteras de trouver la fève, de coiffer la coiffe, tandis que tu agiteras ta trompe et tes larges oreilles, esclave de toi-même, t'aérant avec un masque aquatique et une paire de palmes. On retournera le matelas. Le monde sera neuf. La fraîcheur pénétrera l’insomnie. On saura bientôt ce qu’on saura plus tard. Ce qu’on regrettera de ne pas savoir avant. Nous reviendrons nous asseoir sur ce banc, il y aura un jeune homme, nous ferons semblant de ne pas le reconnaître et lui de nous ignorer. Le seul moyen de dépasser la gêne sera de ne rien dire, surtout pas. Tu bigueuleras, ténu, soulogrèphe. Tu sautilleras jusqu’à la nef. Le bouffon tendra sa coiffe. Tu seras élu capitaine. Dispensé de ramer. Tu diras : Cap au Nord ! Qui m’a piqué mes mitaines ? Tu carabistouilleras la lèche-frite. On t’implorera : Capoue. Tu répondras : peau de balle, balayette. À la pire aînée, la fève, la coiffe. Et toi : trompe agitée, palmes aux pieds, esclave de toi-même sous masque aquatique. Tu re-sucreras les fraises. Une fois sera déjà trop. Tu t’entêteras jusqu’à perdre la tête. Enfin : doigt vengeur pointé vers l’infini. Qui bâillera avec ta bouche close, là-bas, sur la mousse d’une vieille souche. CONJURATIONS 2 Se beurrer le front de beurre fondu tiédi, faire craquer les phalanges, écarter les doigts de pied en accordéon, puis, lassé, reprendre ses vieux oripeaux d'épouvantail, retrouver ses potes corbeaux. Gratter jusqu'à l'os la peau de ce vieux rêve ancien, mort depuis des lustres au fond d'un vieux grenier, le voir protester, geindre, ricaner, laisser tomber sans oublier de se sucer les doigts. Péter dans la soie, s'en vanter avec un porte-voix et descendre l'avenue en amassant derrière soi la foule des badauds, puis soudain disparaître, rouge de honte, au coin d'une rue. Déboucher le champagne à l'arrivée des fourmis dans la cuisine, fêter ça dignement sans aller jusqu'à être pompette, prendre des nouvelles de la reine : les petits vont-ils bien ? et votre époux ? et votre cour, toujours Versailles ? puis mettre tout ce monde à la porte en disant : désolé, ma patience a des limites. Puis expédié tard le soir car lu un peu de China Miéville encore et me suis fait happer. Le lendemain tôt. Elle afficha ce mépris qui me rappela un vieux lapin à piles jouant des cymbales. Mépris déjà vu mille fois, ce mépris de ceux, de celles qui savent, vous savez. Ils et elles savent tellement. Il y eut un petit pincement de cœur. Je mesurai soudain, à proportion inverse à la taille de ma trotteuse absente, à quel point la vitesse de la lumière est différente pour chacun, contrairement à l'idée de constante. J'avais le choix d'en rire, peut-être encore d'en pleurer. Vieux système binaire qui nous gâche toujours la joie de s'en foutre. Et encore un peu plus tard je décidai de m'enterrer, à mains nues, tout cela décidémment n'avait aucun sens. {Le dibbouk releva la tête à cette pensée il eut l'air de vouloir rajouter quelque chose, mais il estima que ça n'en valait pas la peine.} Illustration : PB merde au bleu Acrylique 2025|couper{180}
Carnets | mars 2025
23 mars 2025
Écrire le premier chapitre de Gor (titre provisoire). Problème : créer la continuité avec le prologue déjà publié. Idée d'une page « index » avec les liens au fur et à mesure. Aussi un article « Agenda » pour que les visiteureuses puissent, d’un coup d’œil, voir la politique de publication du site. Ajout, en bas de page, d’une licence Creative Commons restrictive (car elle interdit la modification et l’usage commercial). Bien que la plupart des textes ici ne soient souvent que sous forme de brouillon, cela freinera l’assaut des IA, peut-être… Avons dîné chez C et M. Discussion sur les lectures, ils se sont lancés dans le sanskrit. Des piles de livres sur une table basse. Mais quand même, à un certain moment, C m’a brusquement parlé de Fitzcarraldo, de l’acteur Klaus Kinski, de Werner Herzog... Ce qui contrastait bizarrement avec la posture sereine qu’il avait jusqu’à cet instant. Yoga oblige, mais jusqu’à un certain point. Ils ont quatre-vingts ans cette année, tous les deux. J’ai pensé à un poisson sur l’herbe de la berge, en train de se démener pour revenir à l’eau. Fitzcarraldo. Merde. Des années que je n’avais pas entendu ce mot. Puis, vite : ce type, Klaus Kinski, est cinglé — sa fille aussi, d’ailleurs. Et puis, parler de la télévision qu’ils regardent peu, car ils s’endorment devant. S n’a pas aimé la truite dans le gratin. Je la regardais dépiauter son assiette, en rangeant tous les morceaux qu’elle jugeait suspects sur le côté. La tomme de Savoie en a pris un coup par la suite. Cette lenteur avec laquelle elle ajuste le couteau pour trancher d’un coup sec, soudain. Sommes partis tôt. 22h. Ce qui laissait encore du temps pour lire et écrire, jusqu’à 3h ce matin. J’ai ouvert un bouquin de China Miéville. Très étonné, je n’arrive plus à le lâcher. Sans doute que le prologue et le premier chapitre de Gor en seront imbibés, mais avec d’autres idées, et mon propre style. Aujourd’hui dimanche, stage sur le minimalisme. Je me prépare à une plongée en apnée, de 10h à 17h. Difficile de penser à autre chose que cette fiction en ce moment. Mais allez — il fait beau, les gens qui viennent sont sympas, espérons que la journée passera vite. Hâte de m’y remettre. Commande reçue pour ma plaque d’immatriculation. Content au début, jusqu’à ce que je voie l’erreur dans l’immat. Envoyé mail illico, blablabla... J’espère qu’ils ne me feront pas payer leur erreur. Un tableau réalisé sans conviction, à coups de couches successives d’acrylique. Pas terrible pour le moment, c’est beaucoup trop fermé. J’ai découpé une forme dans du papier peint pour la répercuter plusieurs fois par-dessus, et les colorer ensuite. Effet bizarre... Pourquoi faut-il que j’accepte autant le fait qu’il me faut passer par mille couches, par mille brouillons, avant de franchir enfin le seuil... Ne plus penser, agir, m’en foutre totalement...|couper{180}
Carnets | mars 2025
22 mars 2025
Seuil Hier après-midi, j’ai rangé l’atelier. Pas un simple nettoyage, non : un déplacement minutieux des objets, un tri des pots, des tubes, des pinceaux, des restes de projets passés, un froissement d’archives techniques et affectives. Dans le silence qui suivit, une évidence : j’allais créer un sous-domaine OVH, installer un Spip supplémentaire. Le geste était net, presque doux. Il s’agissait de proposer une aide, des services pour fabriquer des sites – Spip, ou autres, mais je préfère Spip. Cela va sans dire. Le soir, je me suis lancé en local. Tailwind, des logos surgis de DALL·E 3, un squelette de site sobre, discret, qui tenait debout sans effort. Rien de clinquant. Juste un espace. Quelque chose de stable, de calme. J'aimerais proposer mes services à des artistes essentiellement. Mais en vérité, ce n’est pas de code que j’avais envie. Et il faut que j'arrive à faire la part des choses. C’était de fiction. Quelque chose insiste, là, depuis quelques nuits. L’idée d’un seuil, un vrai. Un seuil qu’on ne franchit pas en pensant mais en glissant. Pas de pensée. Juste écrire. Depuis le corps. Depuis cette sensation de presque-sommeil. Les images viennent quand on les oublie. Elles clignotent, elles apparaissent-disparaissent selon qu’on les regarde ou non. Ce n’est pas un monde. C’est une intermittence. Nécessité d'un emploi du temps plus drastique, se resserrer sur l'horaire, les tâches à faire, celles détestables ou moins appréciées les premières, et le reste ensuite. Sauf que je n'ai jamais fait ça. Tous les poncifs des gourous de l'organisation m'ont toujours paru risibles. Et jeudi matin, il y a eu ce moment précis, ce basculement imperceptible mais décisif avec le groupe d’élèves. Quelque chose s’est passé – un passage, une bascule, un seuil franchi ensemble, sans qu’on s’en rende compte immédiatement. Je dois le noter ici, dans cette rubrique des seuils. Ce sont eux qui comptent. Même si on ne les reconnaît qu’après. Hier, j’ai reçu une réponse – un message effaré, presque agressé – parlant de ce moment comme d’un truc « intolérable », avec les mots KO, « je suis sur le cul » et autres formules stupéfaites. L’idée fait son chemin, c’est déjà ça. Surtout dans ma tête. Ce qui m’a frappé, c’est que je ne me suis même pas rendu compte, à la première lecture, que le message ne m’était pas directement adressé. Que j’étais sur WhatsApp, dans un groupe, et que le message a été supprimé quelques secondes plus tard. Alors j’ai pensé : Y s’est trompée d’appli, elle écrivait ça pour d’autres, dans le dos, ou plutôt dans l’interstice. Et moi, j’ai répondu du tac au tac, sans prêter attention non plus à l’interface, mais moi je n’ai pas supprimé mon message. Si d’autres l’ont lu, tant mieux. C’est curieux, ces déplacements d’espace, ces seuils-là aussi : technologiques, sociaux, invisibles, mais très réels. Plus ça va, plus je sens qu’il faut que je me réinvente. Trouver de nouvelles ressources, peindre autrement, faire entrer un peu d’argent sans y perdre l’élan. La routine, ça va un moment, mais ça fatigue tout le monde. Les élèves, moi. J’estime que tout ça a assez duré. Et puis j’ai visionné quelques vidéos de Philippe Annocque. Le rythme de sa voix, son calme, son retrait apparent – tout cela me donne envie de lire à voix haute aussi. Pas mes textes, pas encore. Ceux d’autres, surtout des récits de new weird, à lire dans le noir, au bord du sommeil, quand la pensée lâche prise. Il y a là un désir de plus en plus impérieux : celui d’installer un nouvel univers. Dans l’atelier. Dans l’écriture. Dans le code. Dans les services que je pourrais proposer et monnayer sans trahir ce que je cherche. Quelque chose veut prendre forme. Et peut-être que cette fois, je le laisserai faire. Illustration : PB Seuils acrylique sur toile 40x40 2025|couper{180}
Carnets | mars 2025
21 mars 2020
Ce que la fiction peut encore|couper{180}