Fuite d’eau, vers quatre heures du matin. Une canalisation, dans la cave. C’est le bruit qui m’a réveillé, ce glouglou lointain venu s’inviter dans mon sommeil. Je suis descendu une fois la trappe ouverte, et j’ai entendu l’eau filer au fond de la cave. Il a fallu pousser le vaisselier pour libérer l’accès, dans la cuisine — là où repose le général, nom de guerre de cette trappe.

Un fond de café d’hier a suffi. Réchauffé au micro-ondes. Je me suis assis avec mes pilules : la jaune pour l’hypertension, la blanche pour le cholestérol. Puis j’ai tout laissé en plan pour écrire. Parce que c’est comme ça que je suis. Et de toute façon, il fallait attendre huit heures pour appeler le plombier.

M. ne va plus en classe. Chaque matin, douleurs réelles ou pas, il se replie dans la salle d’eau. Sa mère parle d’internat, son père tente de jongler entre son poste et L., en fauteuil roulant depuis sa fracture. Chez leur mère, plus personne ne va à l’école. Trop compliqué. Moi, j’en reste mi-figue, mi-raisin. L’école est une usine à maux de ventre — on l’oublie trop. Je ne vais pas jusqu’à l’admiration, mais presque.

S. est à cran. Parfois, elle me fait penser à ces femmes méditerranéennes — italiennes, juives, marocaines — qui semblent porter tout le monde dans leur ventre. Une agitation permanente, comme une forme d’hystérie. Un miroir du monde, en fait. J’ai parfois l’impression qu’elle agit selon un script, les mêmes mots, les mêmes intonations. Et moi, suis-je un autre programme ? On s’imbrique. On s’exécute. On bugue. L’affection se situe peut-être ailleurs. Comme un code source oublié. Ou un mème qu’on se répète pour éviter de voir la tuyauterie, les raccords, les fuites.

Le plombier est arrivé vers dix-neuf heures. Frontale vissée sur le crâne. On est descendus ensemble. Je pensais qu’il allait constater, reporter, revenir. Non. Réparation immédiate. Cinq minutes. Et moi de penser que j’aurais dû être plombier. Plus utile. Moins précaire. Mieux payé.

Les C. sont arrivés en même temps. Problèmes de caravane, de jardin, de propriétaire à bout de souffle. On a partagé une quiche. Invité le plombier à boire un verre. Il a raconté, tout sourire, comment il s’était brûlé le visage en soudant sous un lavabo — lunettes de ski à la place du casque. Personne n’a trouvé ça étonnant. Ah bon. Eh ben. On a resservi du blanc. Des chips. Des phrases convenues.

Les C. ont défendu les écolos lyonnais, S. a repris la main. Vignette Crit’Air, œufs impropres à la consommation, femmes enceintes inquiètes à Pierre-Bénite. Conversation typique. Ni plus ni moins. Et nous, sommes-nous si différents ? Moins dans la forme, peut-être, mais sur le fond, nous aussi, on tourne en boucle. Le mouvement perpétuel de la distillerie de la douleur. Chacun fait comme il peut.

J’ai bien avancé sur Gor. Douze chapitres. Deux ou trois versions chacun. Cette page "Agenda", où j’ai noté mes dates de publication, me file une trouille saine : elle me pousse à courir devant. J’ouvre un document, j’y balance mes idées en rouge ou en bleu, et je m’en sers pour réécrire. Je ne sais pas où ça va. Je préfère ne pas y penser.

Ce matin, les élèves du jeudi passent récupérer leurs toiles. Fin de cycle. Après quelques SMS échangés, ils restent fâchés, moi têtu. Pas d’explication. Pas d’excuse. Je ne suis qu’un prestataire. Si ça ne va plus, on change. Après sept ans, on me dit que c’est triste. Moi je pense qu’on aurait dû le faire plus tôt. Trois ans avec un prof, c’est un maximum. Après, ça devient un salon de thé. Il faut une éthique, même si elle ne plaît pas à tout le monde.

Je ne reçois plus de nouvelles de cette femme. Il y a quelques jours, j’hésitais entre tristesse et soulagement. Finalement, ce sera ni l’un ni l’autre. Les engouements me désespèrent. Les miens comme ceux des autres. Ce qu’il reste est assez simple : lire, écrire, photographier les fuites, partager un bon moment entre amis, parfois. Et attendre que le printemps s’installe. Mais aujourd’hui, ce n’est pas encore le jour.