Autofiction et Introspection

Habiter n’est pas impossible, mais c’est un vrai problème pour le narrateur. Il occupe des lieux sans jamais vraiment y entrer. Maison, atelier, villes traversées : ils existent, mais restent comme à distance. Il imagine que peindre ou écrire l’aidera à habiter autrement, à investir un espace intérieur qui compenserait l’absence d’ancrage. Mais cela demeure du côté du fantasme. Le réel, lui, continue de glisser, indifférent.

C’est de ce décalage que naissent ces fragments. Écrire pour traverser l’évidence, pour examiner ce qui ne s’examine pas. Écrire comme tentative d’habiter, sans garantie d’y parvenir.

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Carnets | octobre 2025

31 octobre 2025

Impression d'accélération du rythme enthousiasme/dépression, mais je regarde ça de manière détachée, ce qui est assez inconfortable. Comme si je ne pouvais plus reprendre la main, observer seulement et patienter, attendre que ce rythme ralentisse. Ce qui procure une sensation bizarre d'être balancé contre les murs de la pièce dans laquelle je me trouve, que ce soit dans le bureau, dans l'atelier, dans la cuisine. À moins que ce texte ait besoin de débuter ainsi, par cette image. Car, dans le fond, derrière cette image, il pourrait y en avoir mille autres. J'imagine bien volontiers être battu, roué de coups, bringueballé par des gens ivres, cogné et recogné… sans pour autant broncher, les observant ainsi faire sans pouvoir agir, sachant pertinemment qu'il ne servirait à rien d'agir, sauf à envenimer encore plus les choses. Non, je regarde, je vois tout, je n'en loupe pas une seule miette. Cela pourrait se produire dans une prison, sur un champ de bataille, au pensionnat… Le point commun est quelque chose d'inscrit dans l'étroitesse de leur front. L'implantation basse de leurs cheveux, leurs regards hallucinés : ce n'est pas moi qu'ils rouent de coups, c'est eux-mêmes. Ils n'en ont aucune conscience. Et à cet instant, le silence atteint un degré extraordinaire. Aucun cri, aucune récrimination de ma part. Je m'enfonce dans ce silence comme dans un havre de paix en plein centre du cyclone. Tout le monde voudrait certainement agir. Quand je discute avec les quelques personnes que je croise, elles sont ulcérées. Il va falloir que ça change, disent-elles, puis soudain, interruption, et surgit un propos décalé comme : "Il faut vite que j'aille acheter le pain avant que ça ferme." Ou encore ça parle de sport, de tout, de rien. Puis le rictus revient, comme une ombre dans le regard. Il va falloir que ça change. Bonne journée. Ce n'est pas une critique de ma part. Je pense faire de même. Tenter de temporiser la rage, l'écœurement, le dégoût. Quand cela devient trop intense, j'entre en catalepsie, je me concentre sur une aspérité d'un mur, je m'introduis dans la moindre fissure, le moindre orifice, je m'enfouis. Bien que j'aie chargé tous les flux dans Feedly, que j'aie exporté l'OPML, que j'aie créé une page pour pouvoir déposer la liste des sites suivis en Markdown, je me refuse à la mettre en ligne. Au final, quelle intention se cache derrière cela ? Je n'en sais rien. J'ai l'URL et je peux l'entrer moi-même dans la barre de navigation. C'est plus rapide que les favoris ? Je ne sais pas. Je continue à publier sur Mastodon et Seenthis, je dépose mon post et je m'en vais, je ne cherche même plus à suivre le flux. De temps en temps, un message auquel je réponds, mais souvent via messagerie ou en privé. S'exposer à la fois entièrement et très peu est encore une sorte de paradoxe. Mais je crois que c'est surtout la peur de perdre du temps qui me fait agir ainsi. Et aussi le déjà-vu. La peur d'un certain ennui. Ce soir, tandis que je m'assoupissais devant un article de blog, j'ai eu une vision de rats serrés les uns contre les autres dans une presque obscurité. Je n'avais pas peur, j'étais seulement étonné d'être là, rat parmi les rats. Je pense que la chaleur humaine, si je puis dire, n'est pas l'apanage de sapiens.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | octobre 2025

30 octobre 2025

J’ouvre les yeux. Quelques secondes durant, le monde est neuf, propre, étincelant comme au premier jour. Puis quelqu’un ricane de ce que j’écris, et tout redevient terne, sale, puant. La petite vengeance de l’ordinaire sur l’intact. Le sacré. Se lever avant que l’une des trois gunas ne décide de sa victoire. Direction le café. J’ai pris un somnifère, au radar, pause, et je croise les doigts. Effectivement, il fait gris. Mais ça peut ne pas durer. La chatte réclame. Plaisir du rythme indéfectible des estomacs. Sinon, peu de choses à dire qui puissent intéresser « le monde ». Il est même possible que, bientôt, très bientôt, tous les carnets rejoignent leur anonymat primordial. En parcourant de nombreux sites hier : personne n’étale ses états d’âme comme moi. Je dois être une sorte de monstruosité, une anomalie littéraire. Je suis même étonné qu’on ne soit pas encore venu me tuer. À mort le boomer ! Tout ce que j'espère, c'est que l'autre côté ne soit pas exactement semblable à celui-ci. Parfois j'y pense. Je pense même qu'on peut mourir sans même s'en rendre compte. Pas tout de suite. Et puis, au bout d'un certain laps de temps, on assiste à une sorte d'absurdité généralisée, de plus en plus d'anomalies surgissent, et l'on comprend que quelque chose s'est produit. Difficile alors de géolocaliser notre position... Enfer, purgatoire. Tout ce que l'on peut dire, c'est que ça n'a pas l'air d'être paradisiaque.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | octobre 2025

29 octobre 2025

Je ne dors toujours pas. Il est bientôt trois heures. J’ai pu ôter mon pansement. Toujours aucune douleur, ça cicatrise bien. Néanmoins il faut s’abstenir de porter des charges lourdes. J’ai lu, une bonne partie de la soirée et de la nuit, quelques livres de Gustave Le Rouge. Je pense à FB, plongé de son côté, probablement au même moment, dans la vie de Lovecraft, 1925, à moins qu’il ne soit dans celle de Balzac, de Rabelais. Chacun faisant comme il peut pour échapper à l’imminence d’une catastrophe que nous pressentons tous. Et, à côté de tout cela, le rouleau compresseur du quotidien. Cette réalité implacable du temps qui passe. Sur les cinq cent quatre-vingt-dix euros gagnés au cours des trois derniers mois, cent vingt-six iront à l’URSSAF. Regarder froidement les faits. Information lue par hasard — qu’au mois de novembre deux mille vingt-six — les découverts autorisés seront soumis au même régime que les crédits à la consommation. C’est-à-dire que de nombreuses personnes, ne gagnant guère plus que le salaire minimum, se verront refuser ce pseudo-crédit : un pas de plus vers la paupérisation en France. Ce chaos, ces peurs que l’on ne cesse de nous brandir, ces sempiternelles diversions : quelles fonctions ont-elles, vraiment ? Tout cela, apparemment, ne semble avoir aucun sens. Pour ma part, je crois que cet immense théâtre de guignol montre à quel point le système est malade ; à cet instant il devient véritablement plus dangereux, réellement prêt à tout, à tous nous tuer au besoin pour se survivre à lui-même. Ce qui fait que j’ai retardé le moment de remonter au grenier pour descendre les cartons de livres paternels ; en fin de compte, j’ai décidé de scanner un par un les ISBN et de les refourguer sur des plateformes de vente d’occasion. Je n’ai plus le temps de lire des policiers, j’ai tellement d’autres livres à lire encore. Et puis j’ai peur qu’à la fin tout cela s’abîme. Le froid s’est déjà logé là-haut et j’ai bien peur que l’humidité n’arrive d’ici peu. S. s’est fait vacciner contre la grippe. Ses analyses reçues hier sont bonnes. C’est de mon côté que ça se corse. J’ai envoyé celles-ci à M. par l’entremise de l’espace Santé. Qu’on sache tout de moi à travers ces divers espaces — finance, santé, littérature — quelle importance. Je n’ai pas, de moi-même, une si haute idée d’importance pour que la peur me vienne d’être à découvert, pas en très bonne santé, vieux et un peu plus mauvais qu’hier. En cela, ce que je pense ou dis n’a guère d’importance dans l’immédiat, c’est juste un témoignage comme un autre de la vie de notre temps. Pansement d’urgence pour remplacer les flipbooks défaillants. Mais il faudra revenir dans les boucles SPIP, car les compilations, si elles restituent bien les articles par rubrique et mots-clés, conservent toujours le titre « carnet / mois ». Ce qui ne va pas pour les rubriques Lectures, Fictions, etc. Création d'un .htaccess spécial dans le dossier JS pour débloquer turn.js. Étudié le lecteur de flux RSS Feedly et commencé à créer ma liste de sites suivis, en fait celle qui existe déjà dans les favoris du navigateur. J’ai réussi à bricoler un outil de conversion via les fichiers de TC récupérés sur son Git. Reste à étudier le problème des fréquences, qui semble dépendre de mon usage. En fait, je ne me pose pas la question de combien de fois je vais visiter tel ou tel site dans une journée, une semaine, un mois. Ce sont de nouvelles questions inédites. Et, comme telles, certainement plus intéressantes en soi que toute réponse à leur apporter. Repris aussi deux textes sur la littérature de SF en Chine et en Inde dans Histoire de l’imaginaire. Ajouté une réflexion dans la rubrique Fictions/archives/Instituteur. En tirant parti de ma lecture de Le Rouge. C’est après coup, en me demandant soudain pourquoi Le Rouge, que j’ai compris ce lien avec mon arrière-grand-père. illustration île de la Platière, Saint-Pierre-de-Boeuf|couper{180}

Auteurs littéraires Autofiction et Introspection

Carnets | octobre 2025

28 octobre 2025

Insupportable, la moindre exigence administrative. Les courriers et formulations, notamment. Le terme exigé, les sommes dues, les menaces, tout cela provenant de quoi, si ce n’est de ces parasites vivant à nos dépens, grassement, se gobergeant, se moquant, nous traitant de sans-dents, de gueux — de peuple —, substantif devenu, dans leur bouche, un terme injurieux, ironique entre-soi. Toute cette morgue affichée, ces mines de componction, cette comédie, cette farce grotesque : jusqu’à quand durera-t-elle encore ? Nul ne sait. L’échéance deux mille vingt-sept n’est rien d’autre qu’un leurre. J’ai bien peur. Nous nous enfonçons dans l’automne, cheminons vers l’hiver, vers une sorte de nuit d’hiver glaciale, sans pitié. Les révolutions, ici, se font en mai, parfois en septembre, rarement en janvier ou février. Et quand bien même l’exception confirmerait la règle : comment remettre de l’ordre, de la justice, en tant qu’un seul, dans un tel merdier ? Comment lutter seul, en tant que pays, contre une Europe financière, c’est-à-dire contre une poignée de mafieux qui ont pour eux la police, les banques, les moyens de produire encore plus d’avanie — cette Europe injuste telle qu’elle nous a été imposée contre notre gré. Je n’arrête pas de penser que c’était une belle idée, l’Europe, comme la Suisse peut aussi paraître une belle idée de prime abord. L'Amérique, la confédération de Russie. Sauf que voilà : les idées ne sont pas les gens. Je suis de mauvaise humeur parce que j’ai peu dormi. Il ne faut pas que je rumine, il fait beau, les températures sont même remontées — économie de chauffage. Et puis, au nom de qui parles-tu, me demande le dibbouk. Est-ce que vraiment ça te touche, ça t’intéresse encore, tout ça ? me dit-il en examinant ses ongles douteux. On se regarde un instant, presque un fou rire, mais non, non ; enfin quoi, restons sérieux : on nous regarde à présent. — Tu veux parler des cinq personnes de plus qui lisent tes articles ? me charrie-t-il. — J’ai quand même doublé mon score en une seule journée, je rétorque. — Dispersion, tout ça, mon p’tit vieux ; tu as juste surfé sur une vague. Tes articles sur la ponctuation, c’est bien gentil, mais tu écris quand ton roman, ton œuvre ? Ah ah ah ! Là je ne dis plus rien, je sais qu’il n’a pas tout à fait tort. Toute cette dispersion durant ces dernières semaines ne vaut pas grand-chose, tout compte fait. Ce n’est pas tant du travail que de la distraction. — N’oublie pas d’inclure là-dedans tes histoires de code, surtout… C’est bien gentil, les flipbooks, les compilations, les vues de la même chose sous dix angles différents… Tu ne fais, en fait, que du recyclage, mon pauvre ; réveille-toi. C’est drôle, ce qu’il dit, j’y pensais justement hier. Je me disais : bon, d’accord, ça fait cinq personnes de plus qui lisent ; il est même probable que tu les connaisses, car tu t’es abonné à leurs newsletters, ce n’est pas du pur hasard comme tu aimerais que ce soit. Donc tu es de nouveau reparti dans le même genre d’interactivité que tu avais fuie ; c’est encore des réseaux sociaux déguisés, au final. Encore que ce soit beaucoup moins démonstratif. Encore que tu ne cesses de t’acharner à toujours vouloir voir cela comme négatif ou stérile, ainsi que tu le dis. Une pure perte de temps. Comme si le temps était le « précieux » de Gollum, qui te transforme en Gollum. Tu voudrais tout ton temps, comme une sorte de corne d’abondance intarissable, et gare à qui viendrait, ne serait-ce qu’en te suggérant d’en perdre quelques miettes. Accorder du temps aux autres, quelle générosité ! Vite prise, en retour, comme dispendieuse, comme hémorragie. Rester net. L’exigence, la nôtre : écrire. Mais écrire quoi, telle est la question, si ce ne sont parfois que quelques pauvres irruptions de dégoût, de colère, de tristesse, rien qui n’emporte vraiment le cœur et l’âme. — Ne me dis pas que tu vas te lancer dans une romance. Il éclate d’un rire affreux. — Et pourquoi pas ? je dis. Pourquoi pas écrire une romance ? Comme s’il y avait de bons et de mauvais sujets ; je ne te croyais pas si con, mon pauvre vieux. Sa bouche fait une sorte de huit, puis devient un bec de perroquet. — Tu veux parler de Flaubert, d’Un cœur simple ? essaie-t-il de se rattraper. Plus sérieusement. Il semble que je ne puisse plus utiliser le script turn.js ce qui règle momentanément le problème des livres à feuilleter. Cette nuit, remplacement par une solution de rechange, des compilations d'articles de rubrique et mots-clés. Rien de vraiment original mais lire la suite des textes ainsi présentée avec TDM et sans image s'approche contre toute attente un peu plus de ce que je veux. C'est à dire que je découvre ce que je veux en le voyant surtout, comme d'habitude. repense à l'utilisation de Feedly Un article lu ce matin alors que je cherche tout autre chose comme d'habitude dont je relève ce passage qui me paraît tout à fait opportun : Car si la pensée fait le penseur, le réseau social propriétaire fait le fasciste, le robot conversationnel fait l’abruti naïf, le slide PowerPoint fait le décideur crétin. ça va probablement m'occuper le reste de cette journée en tâche de fond.|couper{180}

Autofiction et Introspection Technologies et Postmodernité

Carnets | octobre 2025

27 octobre 2025

À partir d’un document trouvé sur le net : Gertrude Stein on Punctuation signé Kenneth Goldsmith. Poursuivre une réflexion sur la ponctuation. J’hésite entre deux titres encore. Arrêter sans interrompre. Économie de la respiration. Le point selon Gertrude Stein : arrêter sans interrompre Chez Gertrude Stein, le point n’est pas un signal de fin mais un organe. Il n’indique pas « ça s’arrête ici », il permet plutôt au mouvement de continuer après une prise d’appui nette. C’est une différence de nature : là où beaucoup de signes servent l’économie du lecteur, le point, lui, sert l’énergie de la phrase. Dans ses conférences américaines, Stein explique que le besoin de going on — d’écrire sans s’interrompre — l’a conduite à éprouver chaque marque pour ce qu’elle fait au flux. Le point a gagné parce qu’il autorise la pause sans imposer le repos, une bascule franche qui clarifie la poussée au lieu de la diluer. On pourrait imaginer la phrase comme une marche en terrain accidenté : la virgule nivelle et tient la main ; le point plante un bâton dans le sol, prend l’appui, et relance. Ce renversement explique son aversion pour les signes « serviles » — son mot est dur, mais précis. La virgule, chez elle, sert d’abord une gestion assistée du souffle. Elle aide, donc elle affaiblit : on délègue à une petite prothèse typographique ce que la construction devrait faire sentir d’elle-même. Le point, à l’inverse, ne materne pas, il décide. Il ne « fait pas joli », il ne simule pas la nuance ; il tranche pour rendre à la syntaxe sa responsabilité. La conséquence stylistique est claire : plus la phrase se complexifie, plus le point devient un allié, parce qu’il oblige l’auteur à prendre position sur la structure, et le lecteur à se savoir en train de traverser un relief. Si l’on aime vraiment les longues périodes, dit Stein en substance, on préfère démêler que couper le nœud : le point marque le moment où l’on a vraiment démêlé. Ce n’est pas une morale de l’austérité pour l’austérité. Chez Stein, le point finit par acquérir une « vie propre ». Il n’est plus seulement un arrêt nécessaire ; il devient une force qui compose. Dans certains textes tardifs, la ponctuation pose ses jalons comme un motif rythmique indépendant, installant une logique de coupes qui n’obéit plus au seul découpage narratif. On n’est pas loin d’une prosodie : le point articule des blocs d’attention. Il ne sert pas la « clôture », il sert la forme — au sens où la forme est ce qui distribue la tension et gouverne la durée. C’est pourquoi, paradoxalement, l’usage radical du point n’éteint pas la durée, il l’invente : chaque arrêt permet que « ça reparte » en sachant mieux ce que l’on porte. En creux, ce parti pris fait apparaître l’ambiguïté du point-virgule et du deux-points. On peut les pousser du côté du point — gestes de décision — ou les laisser glisser vers la virgule — gestes d’assistance. Stein tranche : sous leurs airs imposants, ils restent de nature comma, plus décoratifs que structurants. Autrement dit, ils risquent de produire de la nuance en prêt-à-porter, sans nous obliger à faire le travail d’architecture. Le point, lui, oblige. C’est sa rugosité — et sa vertu. Les guillemets de distance ou l’exclamation spectaculaire, pour Stein, déplacent le sens hors de la phrase ; la virgule déplace l’effort ; le point, au contraire, recentre l’un et l’autre là où ils doivent se résoudre : dans la syntaxe. Qu’est-ce que cela change pour nous, aujourd’hui, dans l’écriture courante ? D’abord, de cesser de craindre l’arrêt net. Un point trop tôt n’est pas un échec si l’on a formulé un vrai nœud d’idée : il devient la condition d’une reprise plus exacte. Ensuite, d’accepter que la clarté n’est pas la multiplication de petites béquilles mais la netteté des décisions. Une page révisée « au point » n’est pas une page courte ; c’est une page où chaque unité d’énonciation est assumée comme telle. Enfin, de voir le point comme un test d’attention : si l’on ne parvient pas à placer un point, c’est souvent que la phrase n’a pas décidé ce qu’elle voulait faire — décrire, relier, conclure, renverser — et qu’on lui demande de tout faire à la fois. Le geste steinien n’ordonne pas de bannir la virgule ; il nous apprend ce qu’elle coûte. À chaque virgule insérée pour « aider », demander : est-ce une articulation logique indispensable ou un palliatif qui empêche la phrase de tenir par elle-même ? À chaque point posé, vérifier : relance-t-il vraiment ou sert-il d’écran de fumée à une idée qui n’ose pas se formuler ? En ce sens, le point est moins un signe de ponctuation qu’un instrument de responsabilité. Arrêter sans interrompre, c’est accepter que le sens naisse d’un enchaînement de décisions visibles, non d’un ruissellement d’effets. Et c’est rendre au lecteur non pas la facilité, mais l’attention : cette manière de marcher dans la phrase en sentant, sous le pied, la fermeté du terrain. Maintenant, il faut que je parle de la différence entre écrire pour le numérique et écrire pour l’objet-livre. Je ne me dis jamais, avant d’écrire, si je veux écrire pour le numérique ou faire un livre. Je ne pense pas à ça. Mais je suis plus attentif, ces derniers temps, à un dilemme qui pointe : écrire en me laissant porter par ce qui vient au moment où j’écris — appelons ça le hasard de l’écriture — ou bien élaborer une stratégie plus orientée « article ». Je dis rarement « article », je dis « texte » pour tout : il y a là une résistance. C’est-à-dire que ça ne me plaît pas de saucissonner l’écriture. Il y a surtout le mot « écriture ». Celui-ci, tant que je ne l’ouvre pas en deux, tout va bien ; c’est sans doute le seul à ne pas ouvrir. Pour le reste, me concentrer sur les poissons-pilotes — articles, textes, billets, rubriques, collections — sert à apprivoiser le format et à poser quelques rambardes de sécurité, afin de ne pas me laisser distraire de l’essentiel : l’économie de respiration. L’écriture est ma ligne de flottaison ; la tenir me rend plus présent aux miens. Tension descendue à 10. L’année passée, à la même période, j’étais à 16–17. En discutant avec l’infirmière, elle me dit que c’est plutôt pas mal d’avoir une tension basse ; il faut juste faire attention à l’essoufflement, prendre son temps pour gravir un escalier, pour se relever d’un siège… Mon Dieu, tout ce qu’il faut bricoler pour tenir, j’ai dit, elle s’est marrée. Je termine ici, avec cette histoire de tension qui descend et de marche à gravir sans bravade : écrire pour l’écran m’a appris la même chose que l’infirmière m’a rappelée ce matin, une économie de respiration. Des points comme des paliers, des virgules comme de courts soupirs, pas de signes qui crient pour donner l’illusion de courir plus vite que le sang. On tient mieux en posant l’appui puis en relançant, et ce que je bricole pour rester debout — me lever en trois temps, monter les escaliers sans me prouver quoi que ce soit — ressemble beaucoup à ce que je demande à mes phrases : décider, reprendre souffle, continuer. illustration Escaliers, Escher|couper{180}

Auteurs littéraires Autofiction et Introspection Narration et Expérimentation

Carnets | octobre 2025

26 octobre 2025

Reçu M. et C. hier soir. Bonne soirée. À peine ont-ils franchi la porte que M. et S. se ruent sur le sujet des petits-enfants. C., à qui je demande des nouvelles de sa santé, m’arrête dans la cuisine : il me parle de sa chimio et m’annonce qu’en fin de compte il y renonce. « Quatre-vingts ans, je n’ai plus envie d’y retourner », me dit-il, et, pour se rassurer sans doute, ajoute que si ça repart, le temps que la maladie se propage à nouveau, ce sera sans doute lent, se rassure-t-il à voix haute. Je ne sais quoi répondre. La maladie et la mort sont pour moi des sujets tellement terrifiants que je les expédie presque aussitôt dans l’indicible. J’arrive assez bien, je crois, à les écrire, mais non à en parler dans le vif. Cela me ramène encore une fois à Henri-Mondor, Créteil. Cette salle d’attente où j’attendais des nouvelles de l’opération de mon père : l’ablation d’une partie de son pancréas. Je me souviens à tel point de cet instant que je pourrais décrire cette pièce dans les moindres détails ainsi que les expressions des visages qui la peuplaient. Une famille était là, une famille turque : une vieille femme et ses enfants. Il y avait des larmes, des corps prostrés, des mains serrées dont les jointures blanchies formaient comme de petites montagnes enneigées. Il y avait le rythme des sanglots, des reniflements, des raclements de semelles sur le carrelage ; la ponctuation d’un néon défaillant ; les bips lointains des appareils ; le va-et-vient du personnel derrière une porte coulissante, peut-être une cloison de plastique dont chaque froissement était à la fois l’espoir d’avoir des nouvelles et la déception de n’en pas obtenir. C’est là que s’est évanoui quelque chose que je croyais être la réalité. J’étais arrivé en imaginant une opération bénigne — je voulais surtout continuer à y croire —, que mon père ressortirait tel qu’il avait toujours été dans mon esprit, indestructible, hélas. Or non. Ce jour-là, en le découvrant vulnérable comme tous les autres, je me suis retrouvé face à ma propre fragilité : ce que je nommais « la réalité » devait tenir à cela. En relisant, je suis tenté d’ajouter ce « hélas » après indestructible, parce que, s’il avait continué de l’être, il est possible que j’aie moi-même continué à me laisser leurrer par ce mot. En ce sens, puis-je encore me leurrer sur cette notion d’indestructibilité, à plus de cinquante ans ? Je ne le crois pas. C’était sans doute l’enfant que j’avais été, battu, qui prit alors le relais de l’homme, cet enfant qui voyait le sujet de sa haine risquer de s’évanouir. Et ainsi, voyant cette hargne disparaître en même temps que son sujet, sa cause, cette sensation d’être soudain dans une ignorance totale du monde, de la vie, de soi-même, dans la carcasse d’un homme de cinquante ans. Je revois le jeune médecin m’annoncer le peu de chances qu’avait mon père de s’en sortir. Il débitait lentement ses mots, d’un ton clinique. Quel âge pouvait-il avoir ? Moins de quarante ans. Qui était mon père pour lui ? Un patient comme un autre ; et moi, un interlocuteur parmi des centaines, sans doute. Je comprenais que cette froideur était une manière de se protéger derrière la blouse blanche, qu’il était difficile d’adopter pour chacun une attitude vraiment personnalisée. Je le comprenais parfaitement à ce moment-là ; mais, la haine n’ayant soudain plus d’objet à l’annonce de cette nouvelle, je sentais que ce jeune médecin, puis le corps médical tout entier, l’administration hospitalière, la ville de Créteil elle-même, pourraient bien devenir le nouvel objet de cette haine. M. et C. sont repartis vers vingt deux heures. Et, oui, nous passâmes une bonne soirée. Ces réflexions, notamment au sujet du bonheur et de la liberté, me reviennent. C. est issu d’une famille de huit enfants ;Il dû assez vite travailler chez Rhône-Poulenc. Il me raconte qu’il aurait pu poursuivre des études ; des bourses lui étaient accessibles, bon élève qu’il était ; mais le trousseau, le départ pour Saint-Étienne, devenir instituteur, auraient coûté trop cher à la famille. Seul l’aîné put aller un peu plus loin. Jusqu'à Lyon. Il n’en fut pas malheureux, dit-il ; il accepta d’aller travailler sans rechigner, ne perdit pas son temps en ressentiments ni en rancœurs, pas davantage en jalousies. Au contraire, il suivit des cours du soir, tenta de s’élever à force d’efforts et d’obstination. Il monta ainsi en grade et ne s’en glorifie pas pour autant, car c’était, tout compte fait, le seul choix possible à ce moment-là. Les choses étaient ainsi : pas d’autre choix qu’accepter le « c’est comme ça ». Nous évoquâmes alors des moments communs où quelque chose se passait entre collègues de travail : ces petits moments partagés, parfois même des solidarités inattendues entre « petites gens », que j’ai moi-même eu la chance de connaître. La vie était différente, c’est certain : on ne cherchait pas tant à être libre et heureux qu’à assumer des responsabilités et à être en paix, à conserver un cœur léger. En l’écoutant raconter, je ne pouvais m’empêcher de penser à quel point ma génération, comme tant d’autres, avait pu être bernée par le déversement de grands idéaux, déjà produit par une élite à la solde des fabricants de réalité. Cette fabrication d’une réalité, inscrite au fronton des mairies — « Liberté, Égalité, Fraternité » —, avait subi tant de modifications subtiles, imperceptibles, tant d’amendements inaperçus, qu’elle s’en était trouvée totalement changée en à peine quelques décennies. On nous rabattait encore les oreilles avec de grands mots ; ils tournaient pourtant de plus en plus à vide, ne voulaient plus dire grand-chose pour les nouvelles générations, qui, comme il se doit, étaient tenues — et maintenues — dans l’ignorance, au nom de l’éternelle antienne : « n’a pas su, n’a pas souffert ». Prêt d'un livre à C. "Soleil Hopi". Collection Terres Humaines Décision de se rendre au cinéma tous les quatre une fois par mois, le mardi ? Peut-être à Annonay aussi pour festival premier film. Anniversaire de M. 30/08.|couper{180}

Autofiction et Introspection

Carnets | octobre 2025

25 octobre 2025

Le code et la composition des textes se répondent : qu’une seule classe CSS soit modifiée et tout l’édifice, silencieusement, se déplace ; la marge d’un paragraphe s’agrandit, une grille se resserre, un contraste s’atténue, et me voilà forcé de remonter, de balise en balise, le fil du HTML, comme on remonte une généalogie pour comprendre de quelle branche vient l’inclinaison de la bouche. J’ai parfois l’impression de me réfugier dans le code par crainte — crainte de quoi, je l’ignore — tout comme jadis je me réfugiais dans l’écriture pour ne pas regarder en face ce que la peinture, d’un seul aplat franc, m’aurait montré. Est-ce bien de la peur ? C’est sans doute plus proche du désir : je veux quelque chose et je redoute de l’obtenir, car une fois le désir satisfait, il faudrait lui trouver un successeur, et l’on n’ose pas toujours priver sa journée de ce moteur si commode. J’ai essayé d’écarter le désir ; l’effet fut imprévu et, disons-le, déprimant : le plus attristant fut la disparition de l’humour, car sans désir on perd aussi cette ironie légère qui sauve la gravité du sérieux ; ne restait qu’une peur nue, embarrassante, à laquelle je ne savais que faire, faute même d’un désir de lui résister. Alors je me surprenais à singer l’énergie — taper du pied, trépigner, m’emporter — comme on imite un dialecte sans en comprendre la syntaxe ; j’ai vu tant de gens s’en tirer à grand renfort de trépignements que ce pastiche de résolution est devenu une langue commune. À quoi bon, me dis-je à présent ; mieux vaut, dans ce marasme, chercher à faire quelque chose de la peur, lui prêter attention plutôt que de la fuir, lui demander de parler au lieu de la réduire au silence. Il faut que je me souvienne aussi que je « détestais » le code, et que je ne puis plus le dire avec la même bonne foi : je ne l’aime ni ne le hais ; il m’est indifférent comme tout outil auquel la crainte avait prêté un affect. De quoi avais-je peur ? De me tromper, de casser le site — bagatelles si on les mesure à la misère du monde, tracas tout au plus, puisqu’il faudra comprendre d’où vient la panne et la réparer : juste cela. Le code, au fond, est reposant : binaire, il marche ou ne marche pas, et c’est peut-être pour cela qu’on s’y reclus, parce qu’on n’y attend pas de surprise autre que celle, très franche, du succès ou de l’erreur. La peinture, l’écriture, elles, réservent de vraies surprises, dont la beauté même inquiète. Et pourtant je me fais encore des idées : il n’y a peut-être rien à attendre de rien, et la sécheresse même de l’énoncé lui donne sa chance de vérité. Alors je continue, pas à pas, à examiner ces dépendances qui font qu’un détail dérange l’ensemble, et j’essaie, plutôt que d’ajouter de l’agitation à l’agitation, de mettre un peu d’ordre — non pour « représenter » quoi que ce soit, mais pour réparer l’écart entre ce que je cherche et ce qui, sans bruit, cherche en moi.|couper{180}

Autofiction et Introspection Technologies et Postmodernité

Carnets | octobre 2025

24 octobre 2025

Il est des heures où, sans rien décider encore et comme si l’âme, laissant s’ouvrir d’elle-même une porte que l’habitude tenait close, revenait vers ce penchant si ancien que je n’ai jamais su lui donner un autre nom que celui, si simple et pourtant si chargé dans ma mémoire, de ne rien représenter ; et ce mot, qui pour d’autres n’est qu’un terme d’atelier, prend chez moi une résonance singulière, parce que mon père, représentant de son état, avait inscrit dans notre langage domestique une ambiguïté dont je me défiais, de sorte qu’à chaque fois que j’entendais « représenter » je ne pouvais m’empêcher d’y entendre à la fois la politesse des apparences et la fatigue d’un métier, comme si, au moment même où je refusais d’orner mes toiles ou mes pages d’une image trop prompte, je refusais aussi, sans l’avouer, la répétition d’un geste filial ; car il m’a semblé bien souvent que nous n’héritons pas tant d’objets ou d’idéaux que d’une manière d’habiter les mots, et que c’est cela, plus encore que les biens, qui pèse, et que j’appellerais volontiers un anti-héritage, non point par esprit de défi mais parce que ce qui nous est transmis, si l’on n’y prend garde, nous représente à notre place. Lorsque vint le moment de vider la maison, je crus d’abord que la décision serait aisée, qu’il suffirait de séparer ce qui devait être gardé de ce qui pouvait être donné, mais chaque chose — l’horloge qui battait un temps que nous n’entendrions plus, les nappes repassées dont l’odeur était celle de dimanches éteints, les livres aux marges où survivait la patience d’un regard — se mit à parler d’une voix douce et têtue, si bien qu’il m’était également impossible de garder et de jeter, et que même la charité, qui eût pourtant délivré ces objets de mon scrupule, me paraissait encore une manière de les désavouer ; mon frère prit ce qu’il jugea nécessaire (et j’en fus soulagé comme on l’est, les jours d’orage, d’un air soudain respirable), mais le reste, quoique vendu, partagé, dispersé, ne cessa pas de demeurer en moi, non comme un remords mais comme cette poussière claire qu’on découvre le lendemain sur un meuble qu’on croyait propre, signe que le temps, plus que la possession, a laissé son manteau sur nous. Et peut-être ce refus de suivre une voie tracée, que j’aurais voulu croire libérateur, n’était-il que la forme la plus obstinée d’une fidélité dissimulée, car il arrive que se détourner de la route des pères soit encore se régler sur elle, avec l’exactitude revêche de ceux qui, pour ne pas faire comme tout le monde, s’astreignent plus durement que lui aux commandements de l’esprit ; on oublie d’ailleurs combien le cadre, le décor, l’air du temps, qui semblent n’être rien, instruisent nos humeurs plus sûrement que notre corps même, et qu’une pensée que nous croyons nôtre n’est bien souvent qu’une alliance de souvenirs et de rencontres, ces coïncidences qu’un regard trop pressé tient pour du hasard alors qu’elles sont, au contraire, les rendez-vous pris par des causes anciennes. De là vient qu’on rejette un jour, sans savoir pourquoi, le plus proche, le semblable, comme si la ressemblance nous exposait à une lumière trop crue, et qu’on cherche, dans l’extérieur, l’étranger, non pas une nouveauté véritable mais le détour grâce auquel on supportera de se retrouver ; si l’on connaissait le secret de ce mouvement qui nous emporte, peut-être en ririons-nous, mais d’un rire qui aurait la pureté d’une évidence enfin reconnue, tandis que celui qui vient après coup, quand tout est déjà joué, n’est qu’un sourire de convenance, tardif et mince, où l’on sent qu’on a voulu être léger pour ne pas avoir à être juste. Je m’étais jusqu’ici arrêté au seul mot « représenter », comme si, l’ayant éclairé, j’avais pour autant dissipé ce que sa famille de termes — « commerce », « échange » — traînait d’ombres autour de lui ; or ces mots-là, dans notre maison, n’étaient pas des abstractions d’école mais des choses presque matérielles, avec leur odeur (âcre de disputes rentrées, sucrée de réconciliations intéressées), leur grain (rude sur la langue quand il fallait les prononcer), et la honte bue jusqu’à la lie d’avoir vu ce que représenter, commercer, échanger pouvaient produire de violence minuscule et quotidienne, de mesquinerie patiente autant que de brusques injonctions, si bien qu’ils me sont restés à jamais en travers, non que je n’aie dû, plus d’une fois, par simple nécessité de vivre, endosser ces rôles dont je savais d’avance qu’ils me siéraient mal — le col me serrait, la manche me battait, je marchais de travers — au point qu’à la longue la place devenait intenable, parce que je ne savais plus lequel, du représentant, du commerçant ou de moi-même, tenait la parole et lequel ne faisait que prêter sa voix ; et pourtant, si j’essaie de comprendre sans me défausser ce malaise persistant, je reconnais qu’il tient moins à une moralité que je me serais donnée qu’à une manière, propre au temps où j’ai vécu, d’imaginer la « chose vraie » comme une marchandise rare qu’on arracherait d’autant plus jalousement au monde que tant d’autres choses, partout, se révélaient fausses, et que mon refus, qui se croyait désintéressé, n’était peut-être que la forme scrupuleuse d’un même commerce avec l’illusion, de sorte que tout mon effort aura consisté non à condamner ces mots mais à me soustraire à leur circulation — représenter, commercer, échanger — où l’on finit, si l’on n’y prend garde, par être à son tour représenté, marchandé, échangé à la place de soi-même.|couper{180}

Ateliers d’écriture Autofiction et Introspection Narration et Expérimentation

Carnets | octobre 2025

22 octobre 2025

Vu la vidéo de F. B. hier soir et j’ai écrit sept petits textes d’affilée que j’ai rangés pour l’instant dans la rubrique Ateliers. Encore une fois, il faut que je parle de l’intention. Quelle intention était à cet instant la plus forte ? Me débarrasser une première fois de l’exercice, puis, comme je le fais souvent, y revenir, comme on dit que l’assassin revient toujours sur les lieux de son crime. Ensuite, lever la main pour dire « je sais » alors qu’il y a probablement de grandes chances que ce soit tout le contraire. Dans ce cas, l’intention, encore une fois, d’apparaître parfaitement ridicule. Il se peut aussi que cela ait un rapport avec le mot sept comme avec le mot rêves. Étant donné que j’ai vraiment cette sensation pénible d’être dans une suite incessante de rêves s’emboîtant les uns dans les autres comme des poupées russes. À chaque fois, l’illusion d’entrer dans un nouveau rêve me procure une sorte de joie très vite contrariée par l’étroitesse que propose la lucidité quant à l’étroitesse des parois de ce nouveau décor onirique. C’est-à-dire que, plus le rêve avance, plus il faut se courber, se mettre à quatre pattes dans les passages intermédiaires, sortes de boyaux nauséabonds, qui souvent inspirent l’effroi, parce qu’on imagine facilement qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’impasses. Et qu’on peut y rester bloqué durant des années. Cela, pour l’avoir déjà vu ou vécu, peut-être dix, cent, mille fois. La solution est alors d’obéir à l’injonction inconsciente en premier lieu : écrire ce qui vient, dicté par cette urgence loufoque. Ensuite, il se peut que le publier soit pour s’en débarrasser, comme on retourne un tableau contre un mur pour ne plus le voir, se laver les yeux. À ce stade, je ne pense pas que l’envie de lever un doigt, d’être bon élève, soit le propos. J’ai toujours eu une sorte de haine viscérale pour les « bons élèves ». Ensuite, je me suis demandé : une fois qu’on a cette matière plein les mains, qu’en fait-on ? Et là, j’ai interverti l’ordre des textes, pour commencer. Je ne sais pas du tout où ça mène. Sans doute à une impression de mouvement qui se dissipera devant une autre, comme d’habitude. Pour en revenir au code il suffisait d'aller regarder les statistiques et logs sur le site de l'hébergeur. Pas difficile de comprendre qu'un robot référenceur s'était baladé dans tout le site et avait touché 4100 articles en une journée. La solution était donc de le tempérer en ajoutant deux lignes de code sur le robot.txt :User-agent : AhrefsBot Crawl-delay : 5 à suivre...|couper{180}

Ateliers d’écriture Autofiction et Introspection resonance rêves

Carnets | octobre 2025

21 octobre 2025

J’ai tenté de saisir les premières images hypnagogiques surgissant derrière mes paupières, mais le produit anesthésique m’a pris de vitesse ; au moment même où j’essayais de tirer parti de la mauvaise posture dans laquelle je me trouvais, je crois l’avoir juste effleuré et puis plus rien, noir total — ou plutôt blanc total —, car les lumières que je fixais à cet instant précis étaient totalement aveuglantes. Dommage. J’aurais aimé voir apparaître les falaises d’Étretat. Il paraîtrait qu’elles, ainsi que tout le calcaire de la côte environnante, sont constitués de fossiles végétaux et animaux, peut-être même de fossiles remontant à bien au-delà de ce que nous savons reconnaître à présent comme des fossiles « classiques ». Mais la science ne peut pas trouver ce qu’elle est incapable d’imaginer. Les faits, rien que les faits, toujours les faits, et qui vont dans le sens d’un narratif bétonné depuis… la naissance de la science. Quand je me suis réveillé, il y avait un plafond crème au-dessus de ma tête, un plafond assez laid, si toutefois on peut émettre des avis esthétiques à l’hôpital. Et pourquoi ne le pourrait-on pas, comme dans les toilettes turques d’une pizzeria, au demeurant fameuse, de la rue Franklin à Lyon. Dégueulasse, ce décor, m’étais-je ainsi surpris à penser tout haut après avoir savouré une des meilleures pizzas de ma vie. Vie qui est ainsi faite : le pire et le meilleur se côtoyant sans cesse. Il paraît aussi — je l’ai lu dans une chronique de jenesaisplusoù — que l’univers n’a pas seulement de l’humour, il serait aussi conscient. Et à part ça, à part le plafond crème, les toilettes à la turque et l’univers, je ne trouve guère d’autre sujet pour continuer ce billet déjà très ennuyeux. Mais si on ne pointe pas l’ennui, comment savoir qu’il s’agit d’ennui ? Encore une journée d’ennui traversée. Mais ce dont je suis à peu près certain, c’est qu’il n’y a pas que l’univers dans la vie ; je ne sais même plus où j’ai relevé cette phrase, il est impératif que je me donne à fond dans l’entraînement au rêve lucide, car j’ai bien peur que l’Alzheimer me guette. Toutefois, en fin de journée, un peu de code ne peut pas faire de mal. Mon hébergeur m’avertit par email qu’ils ont bloqué 1 200 requêtes vers mon site et qu’il faut que je fasse de toute urgence quelque chose, sinon, il se pourrait que mon site subisse des ralentissements, voire qu’il soit mis hors service… Une simple histoire de cache et des boucles un peu plus resserrées feront sans doute l’affaire, et, pour le moment, je n’obéirai pas à l’injonction de m’abonner à leur service Webcloud. Surtout qu’il y a de ça plusieurs mois, ne les avais-je pas interrogés sur la possibilité qu’ils puissent bloquer ainsi le site s’ils voyaient des requêtes affluer ? Que nenni, m’avaient-ils répondu… Donc je subodore presque une sorte de stratégie mercantile de leur part en envoyant ce genre de missive, et je préfère retrousser les manches, soulever le capot, me salir les mains, seul.|couper{180}

Autofiction et Introspection Technologies et Postmodernité

Carnets | octobre 2025

20 octobre 2025

L’accumulation des rêves lucides de ces derniers jours semble corrélée à la nourriture, notamment aux soupes maison que je confectionne. En effet, certains légumes riches en vitamine B6, tels que la carotte et la pomme de terre, en contiennent. Intéressant aussi de constater que, pour ne rien perdre des vertus de la B6, il est préférable de mixer la soupe, ce que je fais naturellement. À noter aussi la consommation de légumineuses comme les lentilles et les pois chiches, et, en ce moment, des châtaignes. Mais c’est certainement le poulet qui en contient le plus (environ 0,5 à 0,6 mg de B6 pour 100 g cuits, soit près d’un tiers des besoins journaliers ; le foie de volaille monte encore plus haut). Tout ceci découlant des ennuis dentaires, évidemment. Un mal pour un bien, comme on dit. Je note aussi que, au-delà de la B6, certaines épices que j’utilise ces temps-ci — romarin, sauge, curcuma — pourraient jouer un rôle d’arrière-plan : leurs composés ralentiraient légèrement la dégradation de l’acétylcholine (rien à voir avec la force d’une galantamine, mais assez pour compter au quotidien). Et puis il y a les œufs, riches en choline, ce précurseur de l’acétylcholine qui nourrit la machinerie elle-même. Disons que la cuisine fait sa part : elle ne “provoque” pas la lucidité, mais elle prépare le terrain, et le terrain aide — surtout quand je combine ça avec mes routines de réveil léger et de prise de notes au matin. J’écris ces lignes dans la nuit du dix-neuf au vingt octobre ; je n’aurai pas la possibilité d’écrire beaucoup demain puisque je dois me rendre à l’hôpital pour une intervention (bénigne). Ensuite, si tout va bien, le prochain rendez-vous médical sera au mois de décembre, ce qui me laissera un peu de répit. Je réfléchis à tous ces textes et à la forme, aux formes dans lesquelles les organiser. Aujourd’hui, j’ai pu améliorer le flipbook — Livre à feuilleter — associé aux différents mots-clés du site. Notamment la table des matières, qui désormais fonctionne correctement, bien que la mise en page ne me satisfasse pas encore complètement. Lorsque je vois l’étendue de mon ignorance en matière d’outils informatiques, il arrive que je me déprime. Plus je découvre, plus je m’enfonce dans l’inconnu : à la fois excitant et déprimant, car l’horloge tourne ; je me dis : pourquoi ne t’es-tu pas intéressé à tout cela plus tôt ? Et pourtant c’est un plaisir, toujours, presque charnel, de se gratter les croûtes. Je crois que ce fonctionnement remonte à l’origine du monde — ou de moi —, ce qui est globalement une sorte de pléonasme. Cela fait aussi réfléchir sur la notion de monde et de moi. Ce qui, en outre, permet certaines perspectives inédites sur la manière de déplacer le point d’assemblage, c’est-à-dire cette soi-disant séparation entre le monde et soi. De là, s’engouffrer dans la fiction corps et âme. Car, ainsi que le dit Conrad, l’imagination peut aller beaucoup plus loin dans la réflexion que la réflexion seule. Cependant, il est terriblement difficile de s’y engouffrer comme je le voudrais. L’ennemi principal est le dérangement : ne jamais être certain d’avoir quelques heures de répit devant soi. La contingence est résolument l’ennemie numéro un. Et, en même temps que j’écris ces mots, je sens bien que c’est faux : ce n’est pas ainsi, de manière binaire, que se produit l’événement. La contrainte permet aussi de mieux utiliser le temps, une fois certain que nous n’en avons pas beaucoup : une fenêtre spatio-temporelle pour s’engouffrer dans l’onirisme de tout son saoul, rêver, écrire des fictions. illustration Salvador Dali, le bateau papillon|couper{180}

Autofiction et Introspection imaginaire Temporalité et Ruptures

Carnets | octobre 2025

19 octobre 2025

assumer la rétractation Par curiosité, je suis allé voir l’étymologie de « suffoquer » : du latin suffocare, sub- (« sous ») et focare (« exposer à la chaleur », de focus). D’abord « étouffer par la fumée », puis « priver d’air », enfin « troubler, oppresser ». Cela m’a ramené à l’enfance, aux jeudis et dimanches trop longs où nous braquions le soleil dans une loupe pour voir l’herbe grésiller, noircir, s’embraser, pendant que l’ennui commençait, lui, à suffoquer. De cette petite combustion à une plus vaste, le mécanisme tient : une chaleur se concentre, l’air se raréfie, puis vient l’inflammation. Peut-être que l’empilement des taxes et des injustices, cette convergence obstinée sur les plus vulnérables, produira le même effet et fera lever une parole qui dise clairement non. Par « peuple », j’entends l’ensemble dispersé des vies ordinaires aux contraintes communes, non un bloc mythique. Reste à savoir si cet ensemble tient encore : je vois surtout des communautés, des chapelles qui s’oxygènent entre elles et s’étouffent entre elles, comme un budget sans recettes d’air. À ce point, on voit bien ce qu’il manque : non une manne providentielle, mais faire quelque chose qui change quelque chose. « Travailler » se glisse aussitôt, et ne dit rien ; produire — de l’usage, du commun — semblerait moins vain. Aussitôt écrits, ces mots m’appauvrissent encore. L’individualisme qui me gouverne — comme, je le crains, nous tous — m’inciterait à tout raturer, à feindre une douleur, un regret, un remords, pour tromper le même vieil ennemi. Et voilà : une parole qui s’avance en sachant qu’elle retiendra son souffle. Tenir l'appel Par curiosité, je suis allé voir l’étymologie de « suffoquer » : du latin suffocare, « étouffer par la fumée », puis « priver d’air », enfin « oppresser ». L’image m’a renvoyé à l’enfance : la loupe, l’herbe qui grésille, le point de chaleur qui concentre la lumière jusqu’à l’embrasement, et l’ennui qui, un instant, suffoque. Le mécanisme est simple : la chaleur se concentre, l’air se raréfie, vient l’inflammation. Aujourd’hui, l’accumulation des taxes et des injustices concentre à son tour : l’iniquité converge sur les plus vulnérables. Peut-être cela suffira-t-il à faire lever une parole qui dise non. Par « peuple », j’appelle l’ensemble dispersé des vies ordinaires, pas un bloc mythique. Tient-il encore ? Je vois surtout des chapelles, antagonistes, qui ferment l’air comme on ferme un budget sans recettes. Ce qui manque n’est pas la manne : c’est faire quelque chose qui ouvre l’oxygène commun. « Travailler » ne répond pas à la faille ; produire — de la valeur d’usage, des lieux, des liens — y répond mieux. Écrire ces mots m’expose à leur appauvrissement, je le sais, mais je ne les rature pas. Qu’ils fassent au moins ce qu’ils disent : rouvrir un peu d’air, assez pour un nous ténu qui ne s’étouffe pas.|couper{180}

Autofiction et Introspection dispositif Narration et Expérimentation