septembre 2021
Carnets | septembre 2021
L’exagération
Une légère tendance à l'exagération m'entraine parfois à utiliser certains mots à tort et à travers m'a t'on déclaré solennellement il y a peu. Je me sens donc obligé de revenir sur celui de catastrophe dont j'aurais abusé parait 'il. C'est évidemment exagéré pour une exposition de peinture. C'est placer l'importance n'importe comment. Est-ce dont une tragédie qui se joue ici et dont le cinquième acte apporterait la sanction finale , le fameux dénouement ? Tout dépend encore une fois de l'idée que l'on s'en fait par rapport au point de vue que l'on veut adopter. Gilles Deleuze y est pour beaucoup quant à l'abus. Plus finement encore, mon interprétation personnelle sur ce que déclare Gilles Deleuze sur la peinture et notamment sur les peintres de la catastrophe. Lorsque Paul Cézanne détruit 3 fois minimum sa toile avant de commencer à songer à peindre vraiment, on ne peut plus vraiment parler de catastrophe. On parle de déviance, d'acharnement, de ténacité. Et si on ne parlait pas de Cézanne le mot bêtise nous viendrait plus facilement en tête. Ou le mot poésie en pensant à Tarkovski et à ce type qui dévaste une foret pour se frayer un chemin vers une inaccessible étoile. Ou à Cervantes et son Don Quichotte. La tragédie n'est plus à la mode. La grecque. On ne comptait déjà plus le nombre de spectateurs endormis durant la représentation de Britannicus en Avignon avant Covid, ça ne s'est surement pas amélioré depuis. D'ailleurs qui lit encore Jean Racine lorsqu'il n'y est pas obligé pour échapper à un zéro pointé ? J'ai été tenté d'utiliser le mot désastre, mais on ne le rencontre plus guère dans la langue vernaculaire d'aujourd'hui. Presque personne ne se soucie des astres, sauf entre deux pubs, lorsqu'il s'agit d'atteindre la planète mars ou d'expédier en orbite une brochette de milliardaires attardés. Et encore... J'aurais du dire accident j'aurais tout de suite été contemporain pour de vrai. D'ailleurs c'est ce mot là précisément que j'utilise en cours. Soyez attentifs aux accidents je dis. Soyez attentifs aux catastrophes, j'aurais l'air de quoi ? Bref revenons au titre : cette exagération maladive, ce réflexe prioritaire, ce préambule à toute pensée raisonnable. On n'exagère plus autant qu'avant. Et c'est bien dommage. Reste encore quelques traces dans les péninsules, Italienne, ou ibérique, peut-être en Russie, mais discrètement. Et me voilà presque aussitôt atteint de nostalgie à force d'exagérer sur l'exagération. Je peux renifler les odeurs de linge frais qui montent depuis les rues accompagnées de celles de pates à pizza croustillantes tirant la bourre au peppéroni, puis se mélangeant encore à des effluves de paëlla et de pirojkis. Ainsi l'exagération est t'elle une sorte de croisée des chemins , un carrefour olfactif en tout premier lieu et contre toute attente. Je ne sais pas si l'expression « avoir du flair » ou « avoir du nez » ne vient pas de l'exagération finalement. Peut-être qu'autrefois certains individus ayant à la fois la casquette de timbré local et de devin levaient t'il le nez au vent et se mettaient à exagérer abondamment peut-être même en bavant légèrement, pour prévenir leurs congénères affairés à leurs affaires des catastrophes à venir. Avoir l'exagération dans le sang ce n'est pas rien. C'est renouer intimement avec la tragédie du monde et son cortège de catastrophes en tous genres qui, si discrète se ferait t'elle désormais n'en est pas moins réelle. D'ailleurs quand je pense à l'exagération je pense facilement aux volcans, à des écoulements de lave, à la fois bouillants, lents, tranquilles, inexorables, une impatience montée par un cadre de Saumur qui ne perd jamais de vue son axe. On parle plus volontiers donc de scandale ou d'accidents, voire de drame. Exit la tragédie et son exagération, exit la magie. Et je ne suis pas bien loin de croire dur comme fer qu'au point de vue olfactif nous sommes parvenus au zéro absolu. Peut-être en va t'il aussi du gout et de bien d'autres choses encore. C'est la monnaie rendue scrupuleusement par l'absence d'exagération comme transe, comme outil pour rejoindre le sacré. Ce que l'on connait de l'exagération aujourd'hui ne se situe guère qu'en politique, c'est dire à quel point le terme s'est dévoyé. Encore que... écoutez bien les discours des politiques, cette insistance sur la prononciation, ce silence entre les mots, ces intonations parfois bizarres, ce « JEEAAAAN MOUUUULIN » de Malraux, hein .... bah ce sont les reliefs d'un banquet extraordinaire qu'on n'imagine pas. La déclamation est une branche de l'exagération, que l'on retrouve encore parfois en poésie, encore que la mode du minimalisme oblige à ne plus en faire des tartines de ce coté là. Sans oublier les nouvelles théories sur le jeu de l'acteur. On nous empêche d'exagérer voilà ! C'est une censure qui s'est mise en place progressivement sans loi ni décret. Rien dans le journal officiel. Et à mon avis tout à du commencer en même temps que les congés payés, les fameuses vacances. C'est toujours à ce moment là qu'on passe les réformes les plus importantes si vous avez remarqué. Il auront pris le temps, de décennie en décennie. Qui donc ? Mais les avides de pouvoir, les affamés de l'ordre, les obsédés de la gestion tout azimuts. Et comme ils sont malins, ils ont cantonné l'exagération dans un périmètre facilement contrôlable. Les actualités télévisées, les « talk Show » le jeu des milles francs de feu Lucien Jeunesse, le feu d'artifice du 14 juillet et le Tour de France, sans oublier les grands messes du football. Autant de petits camps retranchés mais totalement administrables. Donc oui c'est vrai j'ai une légère tendance à l'exagération mais comprenez bien que cela fait partie d'un processus global de résistance au même titre que de s'emparer du pinceau et de barbouiller du papier ou de la toile. Certains disent encore je pense donc je suis, je les plains. Ils devraient essayer j'exagère donc je vibre j'élève ma fréquence ! ça ne rapporte pas plus, soyons clairs ! mais c'est plus fun comme on disait encore y a pas si longtemps.|couper{180}
Carnets | septembre 2021
Exposition
Dans quelques jours, à la fin du mois de septembre j’exposerai au centre culturel de Champvillard à Irigny près de Lyon. J’ai envie de partager quelques idées sur ce mot : exposition. Tout de suite, je pense à la photographie. A la quantité de lumière nécessaire qu’il faudra laisser passer au travers de l’objectif pour qu’elle restitue une image plus ou moins fidèle d'une réalité. Autrefois l’image ainsi capturée s'imprimait en négatif sur une couche argentique et il fallait ensuite l’inverser au moyen d’un agrandisseur. C’était une suite d’opérations alchimiques dans laquelle le facteur temps était l’un des éléments clefs. Le temps de la prise de vue Le temps de développement des films Le temps d’exposition sous l’agrandisseur Et enfin le temps nécessaire à révéler l’épreuve dans différents bains de produits chimiques. Désormais avec la photographie numérique la notion de temps n’est plus tout à fait la même. Une immédiateté, une simultanéité font que le cliché pour moi a un peu perdu son aura magique. Happé presque aussitôt dans les collections, dans des dossiers, des sous dossiers informatiques, la photographie finit par pénétrer dans une zone trouble. J'ai le sentiment de lui accorder moins d’importance même si la photo est bonne. Presque aussitôt ce qui jadis ressemblait à une jouissance, presque de l’ordre de l’orgasme…désormais appartient au domaine des satisfactions rapides, à quelque chose de souillé par une mentalité de consommateur. Une fausse satisfaction puisque avalée par la banalité ayant envahit le regard. Un regard appauvrit toujours en quête de sensationnel exigeant toujours plus comme un drogué force mécaniquement la dose, en vain. Exposer de la peinture. Exposer un travail de peintre qu’est ce que cela signifie désormais ? A la fois pour les personnes qui ont l’amabilité d’accueillir cette exposition et pour moi-même ? Puisqu'il s'agit d'obtenir une image finalement de ce travail de peinture, il est clair qu'il ne suffit pas d'aligner les toiles les unes à coté des autres. Même en s'appuyant sur les critères habituels d'harmonie de couleur, de format, de thématique. Tout cela me parait tellement désuet, sans doute pour l'avoir trop souvent réalisé ainsi. Il faudrait autre chose désormais. Au moment où l'on m'a invité à exposer on m'a presque aussitôt demander un titre. Et j'ai décidé d'appeler cette exposition « Voyage intérieur ». Au début j'ai eu l'impression de me débarrasser de cette difficulté à titrer ainsi et j'en conserve encore un malaise. En fait je n'ai fait que reprendre le nom d'une collection réalisée entre 2018 et 2021. Le nom générique d'une quantité de toiles placées pèle mêle en tant qu'images dans un dossier. En même temps que si je regarde les choses froidement, avec le plus de sang froid possible, ce titre reflète assez justement ce que je traverse avec la peinture. A quoi peut bien faire penser ce titre pour une personne extérieure ? Sans doute à un cheminement spirituel, à un voyage imaginaire, à une quête. Ce n'est dans le fond pas si éloigné de ce que je pense. Ce voyage intérieur cependant est un voyage de peintre. La quête n'est pas vraiment celle d'une divinité, mais de ce que peut représenter la peinture le plus « réellement » possible. Or c'est cette réalité la plus grande difficulté puisque je pressens depuis toujours qu'elle se dérobe presque aussitôt la toile achevée. C'est d'ailleurs ce qui me pousse essentiellement à en commencer une nouvelle. En fait c'est un jeu entre le peintre et la réalité, quelque chose qui se présente parfois sous une forme ludique lorsqu'on se souvient qu'il s'agit d'un jeu, ou bien de dramatique, de tragique sitôt qu'on l'oublie. Et tout l'enjeu de ce voyage intérieur serait d'apprendre à naviguer pour ne pas sombrer dans une sorte d'addiction stérile à l'amusement ni non plus se faire happer par le désespoir. Ce que les sages orientaux appellent la voie du milieu. Il faudrait que cette quantité de lumière que j'ai pour tache de faire pénétrer dans les salles d'exposition où mes tableaux la reflèteront explique cela sans qu'il n'y ait besoin de longs discours. Les écueils qui se dressent devant moi pour parvenir à ce but sont à peu près tous encore reliés au doute. doute sur la valeur de mon travail essentiellement. Car je regarde mes tableaux comme je regarde ces photographies numériques. Je veux dire qu'une fois achevés ils disparaissent presque aussitôt de mon champ de vision tant l'obsession d'en réaliser de nouveaux est pressante. Il faudrait aussi que cette exposition parle de cela. De cette urgence à rechercher la satisfaction en vain. S'exposer c'est aussi une exhibition. Le malaise surgit aussi de cette confusion je crois. Entre les termes anglais et français. Une aura d'impudeur flotte aisément dans ma cervelle et s'empare ainsi de tout mon travail comme le métamorphosant en quelque chose de proche de la masturbation. Et d'une certaine honte comme d'un certain orgueil qui vont de pair. Pourtant il n'y a rien d'obscène à la surface des toiles. Il y a seulement des traces de plus en plus visibles pour moi de cette impuissance chronique à rendre compte de la réalité de la peinture au travers de la peinture elle-même. Il y a toujours cette question sans réponse et ce sur chaque tableau : Qu'est ce que peindre ? Qu'est ce que peindre surtout sans s'appuyer sur le connu, sur le cliché, sur le déjà fait le déjà vu. Il est aussi hors de question d'exposer pour montrer une habileté désormais. J'ai mille fois plus envie de désigner justement la maladresse comme une source féconde de l'ensemble de mon travail. Maladresse à m'exprimer par la parole, par l'écrit, par la peinture, dans la vie en générale. Et ce en mimant souvent l'habileté telle qu'elle est ordinairement identifiée par la plupart des gens. Sans doute est ce encore beaucoup trop compliqué. Sans doute faut il élaguer encore dans tout ça pour ne conserver que le plus simple, ce qui ne peut être ôté et que ma pensée souvent alambiquée me masque. Parfois aussi je me dis que je m'impose des choses inutiles, dont tout le monde se fiche généralement. Les gens veulent voir des tableaux du peintre, ils pénètrent ainsi dans les expositions, puis ils regardent si ça leur parle ou pas. Surtout si ça les touche ou pas. Ils font un tour puis ressortent avant de se rendre à une autre occupation, un restaurant, un cinéma, une randonnée en vélo. De cette exposition ils ne retiendront peut-être pas grand chose parfois sinon d'avoir coché une activité à accomplir dans leur journée. voilà comment proche d'un but on s'en détourne. voilà comment le tragique prend le pas soudain sur le jeu. Pour exposer convenablement la pellicule c'est tout un art déjà, il faut trouver la bonne ouverture, la bonne vitesse, se concentrer surtout là dessus sans doute. De toute façon l'image à venir ne sera pas la réalité on le sait déjà. C'est hier qu'une phrase a surgit bizarrement : le fameux « tout ce qui se ressemble s'assemble » Je l'ai cru durant longtemps. Désormais je n'ai pas vraiment besoin d'être rassuré par le message qu'elle propose. Non ce n'est pas parce que ça se ressemble que ça s'assemble, c'est peut-être même souvent le contraire. Huiles sur toile 2018-2020 Patrick Blanchon|couper{180}