Je regarde la vidéo de François Bon, mais quelque chose cloche. La trame, la cadence, les mots qu’il prononce – tout cela m’apparaît comme un reflet brouillé, un écho de quelque chose de plus ancien, un fichier corrompu dans l’infrastructure de mon cerveau. Il faut que je vérifie. Je mets en pause, j’ouvre un éditeur, et les mots se déversent sur l’écran, un flot automatique, comme s’ils avaient déjà été tapés ailleurs, il y a longtemps.
Subversion. Latin : subvertere : renverser, bouleverser. C’est ce que dit Wikipedia, c’est ce que dit la troisième entrée de la requête Google. Une définition qui n’a aucun sens, ou plutôt, qui en a trop. Un protocole de dissolution, un virus programmé pour miner un système de l’intérieur, une ligne de code injectée dans l’organisme de la société pour l’amener à s’autodétruire. Mais alors, qui l’a écrit ? Qui a planté l’idée dans mon cortex ?
C’est là que l’image du mot explose, se fissure. Et ce qui en sort, ce n’est pas une insurrection, ni un manifeste, mais quelque chose de plus insidieux, une reprogrammation douce. La subversion, ce n’est pas brûler des drapeaux ou saboter des systèmes. C’est altérer imperceptiblement la structure même du réel, jusqu’à ce que plus personne ne puisse dire avec certitude ce qui est vrai et ce qui est simulé. L’effet Mandela, les fausses mémoires, les glitchs dans le langage – tout cela fait partie du même champ d’action.
Je me souviens d’une époque où la création était censée être authentique, où l’artiste était une entité isolée, presque divine, créant ex nihilo. Une fiction romantique. Aujourd’hui, nous ne faisons que recycler, resampler, copier-coller. Jonathan Lethem le sait. Kenneth Goldsmith le sait. Ils ont compris que l’originalité est un bug dans le système, un reliquat d’une époque obsolète.
J’essaie de visualiser un monde où l’information est accessible à tous sans restriction, sans contrôle. Mais immédiatement, un protocole d’urgence s’active dans mon esprit. Une voix me souffle : la propriété intellectuelle est une illusion nécessaire. Qui me parle ? Est-ce moi ou est-ce un fragment d’un texte absorbé inconsciemment, une ligne de code infiltrée dans ma conscience ?
Je cherche un point d’ancrage. Une rencontre. Quelque chose de tangible. Mais la seule chose qui me vient en tête, c’est une file d’attente à la cafétéria, une transaction banale, un échange de monnaie physique – une relique. L’agent en face de moi, un homme en uniforme avec une étiquette portant un nom générique, me tend ma monnaie et me regarde une fraction de seconde trop longtemps. Dans ses yeux, je crois voir un clignement imperceptible, comme un écran qui se rafraîchit.
Il sait.
Et je sais qu’il sait.
Illustration : Magritte, le fils de l’homme