L’espace global : le lot

Un lot de 200 mètres carrés, inscrit au cadastre. Ce lot est divisé en plusieurs espaces :

  • Une maison à deux étages avec un grenier.
  • Deux caves.
  • Une cour.
  • Une partie de l’ancienne scierie, devenue écurie, puis atelier.
  • Le grenier est devenu un débarras. Aux poutres du plafond sont suspendus des harnais et des licous qui racontent encore leur passé équin. L’odeur persiste. Depuis que j’ai arrêté la cigarette, je peux la percevoir plus nettement, cette odeur, une odeur de cheval, à la fois douce et brute, qui me réjouit. Une odeur qui fait le lien entre ce qui était et ce qui est.

-La pièce : l’atelier

C’est une pièce de travail.
C’est une pièce de désordre.
C’est une pièce où l’on peint, où l’on réfléchit, où l’on hésite.

Elle contient une table, ou plutôt un ensemble de tables juxtaposées. Elles forment un rectangle irrégulier : 4 mètres de longueur, 2 mètres de largeur. La hauteur moyenne est de 80 cm, mais les plateaux varient, parfois de deux centimètres. Cela ne gêne pas, car ici, rien n’est parfaitement aligné.

Ce rectangle de bois n’est pas une table à manger, ni une table ronde de réunion. Ce n’est pas une console élégante. C’est une table de travail, un plan de travail.

Elle est au centre de la pièce, mais la pièce elle-même est incluse dans un espace plus vaste, et cet espace plus vaste dans un espace plus vaste encore. Tout cela se tient, emboîté comme des poupées russes.

La table : le support

Chaque table a une histoire. Certaines sont des bureaux recyclés, hérités, transformés en surface de travail. Une jonction d’histoires personnelles et collectives. Ensemble, elles constituent une surface unique, pourtant inégale.

Sur cette surface, des objets s’entassent, se déplacent, se répondent. Ils changent de place, glissent d’un mètre ou deux sans prévenir. Le soir, la configuration n’est plus tout à fait celle du matin. L’inventaire devient un défi, car les objets bougent comme s’ils avaient une vie propre.

Les objets : un inventaire ajourné

Les objets posés là, sur cette table, ont tous un lien avec la peinture. Mais leur inventaire est repoussé. Je parle d’autre chose pour éviter d’y arriver. Est-ce la honte du désordre ? Ce désordre que l’on cache, même à soi-même ?

Il y a des pinceaux. Ils ne sont pas tous propres. Certains reposent dans un pot, la tête en bas, d’autres à plat, comme abandonnés après une bataille.

Il y a des tubes de peinture, leurs bouchons mal vissés, les couleurs sèches se figeant sur leurs rebords.

Un carnet de croquis, ouvert, ses pages marquées de taches, comme si elles avaient absorbé des éclats d’un moment.

Un pot en verre rempli d’eau trouble, témoin silencieux des coups de pinceau d’une journée.

Une méthode ajournée : la photographie

Prendre une photographie de cette table, deux fois par jour. Une le matin, une le soir. Toujours avec le même angle, sans déranger le mouvement quotidien de l’atelier. Capturer les déplacements invisibles des objets, leur chorégraphie silencieuse.

Le résultat pourrait ressembler à un film en stop motion. Les objets deviendraient des personnages, les déplacements leur histoire. Un film sur le désordre et l’ordre, sur le visible et l’invisible.

Une réflexion : l’inventaire et la honte

Faire l’inventaire des objets, c’est affronter leur existence, mais aussi leur désordre. Ce désordre me ressemble, et c’est peut-être cela qui provoque un léger malaise. Une honte vis-à-vis de soi-même, aussi humaine que la satisfaction excessive que peut procurer un travail accompli.

Mais il faut y aller, il faut commencer. Faire l’inventaire sans enjeu, sans crainte, sans imaginer qu’il s’agit d’une opération surnaturelle ou fantastique. Laisser cela aux stakhanovistes du récit. Ici, dans cet atelier, ce n’est qu’une table et quelques objets.

Le lot comme espace narratif

Le lot, avec ses 200 mètres carrés, devient une matrice. Les objets, les odeurs, les dimensions se croisent, formant un espace de travail, de mémoire et d’hésitation. Faire l’inventaire, c’est écrire, et écrire, c’est toujours repousser quelque chose : un début, une fin, ou un ordre qui n’existe jamais vraiment.
texte original