13 mars 2022

Si on se base sur une théorie déterministe ( pourquoi ne pas le faire ? ) le tableau est déjà réalisé avant d’être commencé. Et dans ce cas le « libre-arbitre » n’est qu’une illusion. Car en fait lorsque je prépare la couleur, que je l’étale sur la toile je ne fais que suivre un programme. Ce programme aurait pour fonction d’atteindre un objectif : le tableau achevé avec un certain nombre de critères qui indiqueraient cette finalité et qui seraient déjà paramétrés à l’avance.

Autrement dit lorsque je peins je suis dans un couloir temporel qui commence à un certain point et s’achève à un autre. Et malgré tout ce que je peux penser du hasard, de mes préoccupations du moment, de mon gout pour telle ou telle couleur, forme, ligne, tout serait déjà potentiellement gravé en amont et je ne ferais qu’exécuter ce programme dans une totale ignorance, et confondant cela avec des notions de choix, de créativité.

Comment prendre conscience de cela, et surtout en avoir la preuve dans un premier temps ?

En abandonnant l’idée du libre-arbitre, c’est à dire en me remettant totalement à ce que j’appelle le hasard. Ce qui laisse un sentiment mitigé à la fin car suis-je vraiment l’auteur d’un tel tableau ? C’est en tous cas ce que pense régulièrement l’ego et qui pour tenter de récupérer quelque chose de l’événement met en branle le jugement.

Ceci est bien ceci ne l’est pas, en se donnant la possibilité d’intervenir « plus consciemment » sur une partie ou la globalité du tableau. Ce qui provoque ce que j’appelle aussi une tricherie.

Ce sentiment de tricher avec quelque chose de l’ordre du hasard c’est sans doute pour moi là justement que se situe la possibilité de transformer le futur du tableau. Cependant qu’il ne faut pas que je m’en détourne, que je l’oublie, que je le dénigre.

Au contraire si j’éprouve à un moment donné cet écart, cela signifie que je ne comprends rien à l’intention d’origine. Car bien sur rien ne peut exister sans une intention.

Ce qui me renvoie encore une fois à cette tarte à la crème que représente encore ( pour moi toujours) le serpent de mer de la démarche artistique.

Puis je décider seul, c’est à dire moi le petit je d’être l’auteur pleinement de quoi que ce soit. C’est exactement sur cela que je n’ai jamais cessé de buter tellement je sens que cette décision est erronée.

Que je ne peux n’être qu’en partie, et de façon réduite parcellaire le créateur du tableau. Que toutes les informations qui me seront arrivées en amont, durant le processus de la peinture, et ensuite en constatant un résultat, ne m’appartiennent pas totalement. C’est une cocréation avec beaucoup de paramètres qui ne cessent de m’échapper sitôt que je tente de les identifier, pire vouloir les contrôler ou les maîtriser.

Ce qui oblige à une humilité immédiate que je ne maîtrise pas non plus. En général je suis assez énervé que l’on me dise que mon tableau est beau par exemple. Ou que l’on me considère avec du Monsieur, de l’artiste, et je ne sais quoi encore.

Mais je m’étale encore. Bref je me demandais si on peut intervenir sur le futur d’un tableau. Ce qui pour la plupart des gens qui liront ce texte relève certainement de la pure idiotie ou d’une perte de temps, ou d’une maladie mentale avérée.

Pour continuer

Carnets | mars 2022

31 mars 2022

La vérité et le mensonge sont les mots que nous employons dans cette dimension. Pourtant, ces termes nous éloignent souvent de ce point particulier où il est possible de demeurer en paix, à condition de rester silencieux, de ne pas penser avec des mots. Lorsque je fais attention à l’instant présent, je réalise que ce que je perçois n’a souvent rien à voir avec les notions de vérité ou de mensonge telles qu’on me les a inculquées. Dire sa vérité doucement, en la laissant d’abord émerger en soi, constitue le commencement d’une aventure extraordinaire. Mon erreur, sans doute, fut de la proclamer trop fort, à trop de personnes qui ne souhaitaient pas l’entendre. Je saisis donc cet instant pour leur demander pardon si elles estiment encore que je les ai blessées. Depuis toujours, ce qui me guide est une aversion viscérale pour l’injustice, une aversion qui n’a nul besoin du secours du raisonnement. Au contraire, chaque tentative de rationalisation me détourne de mes intuitions premières, de ce qui me paraît juste ou injuste. Je serais bien incapable de dire d’où me vient cette sensation. Elle est présente depuis le commencement. Parfois, je dirais même qu’elle précède ma propre existence, qu’elle appartient à l’être que je suis avant que celui-ci ne se confonde avec cet avatar que je suis contraint de reconnaître comme moi-même.|couper{180}

Carnets | mars 2022

24 mars 2022

Parmi tous les personnages de cette histoire abracadabrante, il est temps d’évoquer le professeur. Et si possible sans porter préjudice à celui-ci. C’est à dire en pesant le pour et le contre comme on le fait d’ordinaire pour se faire une idée à peu près juste de quoique ce soit. Impossible donc de pénétrer dans les extrêmes. Il n’y aura ni louange ni accablement. Juste l’observation la plus objective possible des faits. A très exactement 10h52 minutes le professeur commence à s’agacer et sort précipitamment pour fumer une cigarette. Dehors il fait encore un peu frais mais il fait beau temps. Un bref coup d’œil sur l’ampélopsis squelettique du mur ouest de la cour et qui commence à se peupler de longs bourgeons, inspire au professeur un bref réconfort. Il en profite pour faire le point rapidement car il se trouve aux prises avec un os. Avec cette élève là, la magie du professeur n’opère pas. Elle ne cesse de clamer qu’elle ne sait pas où elle va, que le tableau qu’elle est en train de faire ne veut rien dire, que tout est moche et qu’elle ne sait pas si elle reviendra le mois suivant. A partir de là le professeur a le choix. Soit il rentre à nouveau dans la pièce et il dit : — Effectivement c’est mieux que tu ailles voir ailleurs car tu me gonfles le boudin prodigieusement. ou bien Il peut aussi revenir dans l’atelier en disant : — C’est super ! l’ampélopsis commence à bourgeonner c’est vraiment le démarrage du printemps. Autre possibilité encore : — Tu sais c’est tout à fait normal de se sentir perdu au début, ce n’est que ta troisième séance, accroche-toi. Et même, il pourrait s’asseoir, prendre une feuille et lui montrer comment lui, le professeur, réalise un tableau abstrait sans réfléchir. En ajoutant en guise de préface peut-être : « l’important c’est de bien préparer ses couleurs sur la palette pour ne pas se freiner ensuite ou s’interrompre lorsqu’on peint et qu’il faut en refabriquer dans l’urgence. » Eureka se dit le professeur en éteignant son mégot. Et il fait effectivement ce qu’il a décidé en dernier recours sous le regard de son élève récalcitrante. Elle a les larmes aux yeux la bichette. Puis il dit ; — à toi de jouer ! en ajoutant un petit clin d’œil bienveillant, ça ne mange pas de pain se dit le professeur. Désespoir de l’élève qui reste les yeux rivés sur le tableau du professeur. — C’est vraiment pas compliqué dit encore le professeur. Tu prends le pinceau, tu le trempes dans la peinture et tu peins sans y penser, en t’amusant à poser la couleur. — … — Quels sont les trois mots importants ici et maintenant ? se sent contraint d’ajouter encore le professeur, je vous les rappelle : Accepter Plaisir Enthousiasme. — Maintenant si vous tenez à souffrir absolument, libre à vous, mais sachez que ce n’est pas du tout nécessaire pour réaliser cet exercice. — Moi je ne peux toujours pas m’empêcher de souffrir quand je peins dit une autre élève comme pour rassurer sa voisine éplorée. — c’est parce que tu crois que souffrir te préservera de faire « n’importe quoi » , parce que tu crois que souffrir est la seule solution pour un but une destination, un accouchement… Dit le professeur. Puis il s’adresse au groupe dans son ensemble : — Ce que vous appeler une destination un but c’est du déjà vu, c’est un cliché auquel vous vous accrochez comme une moule à son rocher. Oubliez ces choses idiotes, peignez et surprenez vous.|couper{180}

Carnets | mars 2022

23 mars 2022

Détruire, construire, respiration de peintre|couper{180}