Si on se base sur une théorie déterministe ( pourquoi ne pas le faire ? ) le tableau est déjà réalisé avant d’être commencé. Et dans ce cas le « libre-arbitre » n’est qu’une illusion. Car en fait lorsque je prépare la couleur, que je l’étale sur la toile je ne fais que suivre un programme. Ce programme aurait pour fonction d’atteindre un objectif : le tableau achevé avec un certain nombre de critères qui indiqueraient cette finalité et qui seraient déjà paramétrés à l’avance.
Autrement dit lorsque je peins je suis dans un couloir temporel qui commence à un certain point et s’achève à un autre. Et malgré tout ce que je peux penser du hasard, de mes préoccupations du moment, de mon gout pour telle ou telle couleur, forme, ligne, tout serait déjà potentiellement gravé en amont et je ne ferais qu’exécuter ce programme dans une totale ignorance, et confondant cela avec des notions de choix, de créativité.
Comment prendre conscience de cela, et surtout en avoir la preuve dans un premier temps ?
En abandonnant l’idée du libre-arbitre, c’est à dire en me remettant totalement à ce que j’appelle le hasard. Ce qui laisse un sentiment mitigé à la fin car suis-je vraiment l’auteur d’un tel tableau ? C’est en tous cas ce que pense régulièrement l’ego et qui pour tenter de récupérer quelque chose de l’événement met en branle le jugement.
Ceci est bien ceci ne l’est pas, en se donnant la possibilité d’intervenir « plus consciemment » sur une partie ou la globalité du tableau. Ce qui provoque ce que j’appelle aussi une tricherie.
Ce sentiment de tricher avec quelque chose de l’ordre du hasard c’est sans doute pour moi là justement que se situe la possibilité de transformer le futur du tableau. Cependant qu’il ne faut pas que je m’en détourne, que je l’oublie, que je le dénigre.
Au contraire si j’éprouve à un moment donné cet écart, cela signifie que je ne comprends rien à l’intention d’origine. Car bien sur rien ne peut exister sans une intention.
Ce qui me renvoie encore une fois à cette tarte à la crème que représente encore ( pour moi toujours) le serpent de mer de la démarche artistique.
Puis je décider seul, c’est à dire moi le petit je d’être l’auteur pleinement de quoi que ce soit. C’est exactement sur cela que je n’ai jamais cessé de buter tellement je sens que cette décision est erronée.
Que je ne peux n’être qu’en partie, et de façon réduite parcellaire le créateur du tableau. Que toutes les informations qui me seront arrivées en amont, durant le processus de la peinture, et ensuite en constatant un résultat, ne m’appartiennent pas totalement. C’est une cocréation avec beaucoup de paramètres qui ne cessent de m’échapper sitôt que je tente de les identifier, pire vouloir les contrôler ou les maîtriser.
Ce qui oblige à une humilité immédiate que je ne maîtrise pas non plus. En général je suis assez énervé que l’on me dise que mon tableau est beau par exemple. Ou que l’on me considère avec du Monsieur, de l’artiste, et je ne sais quoi encore.
Mais je m’étale encore. Bref je me demandais si on peut intervenir sur le futur d’un tableau. Ce qui pour la plupart des gens qui liront ce texte relève certainement de la pure idiotie ou d’une perte de temps, ou d’une maladie mentale avérée.