voix d’os
Souffle dans un tibia. Suis l’intention d’origine. Va plus loin. Attrape l’os, brise-le. Vois s’il reste un peu de moelle. Quelle est l’espérance de vie de la moelle dans l’os ? Bonne question. Mais pense : plus de soixante-cinq ans ont passé. La moelle s’est durcie, desséchée, recroquevillée. Ce n’est plus que poussière. Un fantôme de moelle. Et même une fois la comédie traversée, au-delà du vrai, il faut encore descendre. Sous la parole, sous le ridicule, sous l’inertie, sous la mort. S’il te reste un peu de force dans les doigts, dans les poignets, utilise-la pour briser les os encore intacts. Hume la moelle. Goûte-la si tu veux. Cendre ? Ou bien une étincelle, vaine ? Prends ce risque. Ouvre l’œil. Sans comédie. Même si ça en devient une. Ça l’est toujours, pour ceux de dehors. Et dehors, ce n’est que ça : la comédie. Un pansement sur une jambe de bois. Personne n’est dupe. On sent bien. C’est le naufrage collectif dans le ridicule. Tu crois t’en sortir. Plus tu t’agites, plus tu es risible. Pauvre chose. Regarde-toi. Tu te débats. Ne cligne pas. Ne bouge pas. Devient inerte. Tu crois savoir ce que c’est ? Tu n’as encore rien vu. Tant que tu n’es pas un tas d’os brisés, tu n’as rien vu. Il faudra être prêt à tuer encore, encore. Combien de bains de sang ? De nausées ? Pourquoi ? Que veux-tu résoudre ? Le savoir ? La gloire ? Non. Trouve une pierre. Assieds-toi. Attends. Essaie le minéral. Pas de jeu de mots, je t’en prie. Ça ne compte plus. Les jeux, les blagues, les calembours : finis. Il ne reste que ça : le corps, la pierre, l’attente. Et quand tu y seras, dans ce futur rêvé depuis des décennies, tu seras déçu. À cause de tous tes espoirs. Des espoirs comme des girls, distractions bourgeoises pour tromper l’ennui de ton ventre. L’Amérique, le Nouveau Monde : toujours cette idée sale de découverte. De ne pas supporter la virginité. De tout vouloir déflorer. Ignorance insupportable, mystère misérable. Tu flottes dans le vide, entouré de graines muettes. Chaque graine : un monde que tu n’atteindras jamais. Ton temps s’épuise. Il s’achève. Il est fini. Il faut encore tuer cette tendance-là : la psychologie. Tu l’as encore plein la bouche. Crache-la. Vomis-la. Sors toute ta psychologie de bazar. Entre dans l’idiotie. Danse avec elle. Baise-la. Meurs en elle. Laisse-la t’emporter. Te dissoudre. Entièrement. Idiot. Le réel nu, comme un corps, de chair, de sang, d’os. Désir incarné. Tangible. Non réconfortant, mais violent. Répugnant. Vomitif. Hors de toi. Fusion. Totalité. Juste une fois : pousse un cri de bête. Laisse-le sortir. Qu’il envahisse l’espace. Que le son se rue vers la limite, l’enclos, le mur. Regarde ce qui se passe là, au pied du mur. La trompette n’est pas ce qu’on croit. Ni Jéricho. Ni ce qu’elle contient. Peut-être rien, qu’un vide cerné de murs. Souffle dans un tibia. Ne joue pas du clairon. Va vers la flûte, le fifre. Deviens bois mort, déjà silex avant même d’avoir été tourbe. Souffle dans le creux, dans le vide. Remplis-le de ton propre vide.
blow into a tibia
Blow into a tibia Track the original intention. You’ll still have to go further. Grab the bone. Break it. See if any marrow’s left. What’s the life expectancy of marrow inside bone ? Good question. But think : it’s been over 65 years. The marrow has hardened, dried, curled inward. It’s powder now. Marrow dust. A ghost of marrow. And even once the comedy’s been crossed, even beyond truth, you still have to go down. Beneath speech. Beneath ridicule. Beneath inertia. Beneath death itself. If there’s still any strength left in your fingers, in your wrists, use it to shatter the bones still intact. Sniff the marrow. Taste it if you must. Is it all ash, really ? Or is there still some vain flicker left ? Risk that risk. Open your eye. Without comedy. Even if it becomes one. It always is one—for anyone on the outside. And the outside is nothing but comedy. Comedy, that bandage on a wooden leg. Nobody’s really fooled. We feel it clearly. Collective shipwreck in ridicule. You think you’ll make it out. The harder you try, the more ridiculous you get. Poor thing. Look at yourself. You’re flailing. Don’t even blink. Don’t move. Go inert. You know inertia. Or you think you do. Wait. You haven’t seen anything yet. Until you’re a pile of broken bones, you haven’t seen anything. You’ll have to be ready to kill again and again. How many more bloodbaths ? How many more nauseas ? What for, exactly—what is it you think you’re solving ? Knowledge ? Glory ? Of course not. Find a stone. Sit on it. Wait. Try the mineral. No wordplay, I beg you. I know, it was tempting. But it doesn’t matter. It doesn’t do anything anymore. Wordplay, jokes, grubby spoonerisms—over, finished. Nothing left. Just that : the body, the stone, the waiting. And once you’re there, in that future you’ve dreamed of for decades, you’ll be disappointed. Because of all the hopes you entertained. Hopes like showgirls. Bourgeois pastime to smother the boredom of lugging around your fat belly. America, the New World. Always that filthy idea of discovering something else. Of finding virginity unbearable. Of deflowering everything that moves. Intolerable ignorance, miserable mystery. You float in the void, surrounded by mute seeds, and you know each is a world you’ll never reach, because your time is running out, your time is ending, your time is done. You still have to kill off that tendency. Psychology. Your mouth’s still full of it. Spit it. Vomit it. Heave out all your dime-store psychology. Enter idiocy. Dance with idiocy. Fuck idiocy. Come, die in it. Let it take you. Let it unmake you. Entirely. Idiot. The real, naked, like a body of flesh and blood and bone, incarnated desire, tangible, not comforting in the least but instead stunning, triggering disgust, vomiting, outside-yourself, union, totality. Just once—scream like an animal. Let it out. Let it flood the space. Let the sound rush toward the boundary, the fence, the wall. See what happens, there, at the foot of the wall. The trumpet isn’t always what you think. Nor Jericho. Nor whatever Jericho contains. Maybe there’s nothing in Jericho but emptiness surrounded by walls. Blow into a tibia. Don’t play the bugle. Lean toward the flute, the fife. Become dead wood, truly dead, already flint before ever having been peat. Blow into that hollow, that void. Fill it with your own emptiness.