Il n’y a pas eu qu’une seule fenêtre, mais des milliers. Non pas une ouverture unique sur le monde, mais une infinité d’échancrures, chacune traçant son périmètre sur l’immensité du jour. Une fenêtre donne sur l’aube, une autre sur le crépuscule ; l’une sur la rue déserte, l’autre sur l’arbre qui déploie ses rameaux, toutes ouvertes, battant sous le vent, s’ouvrant et se refermant comme autant de paupières.

Voir ainsi le spectacle du monde au travers de cette diversité de points de vue, c’est consentir à une forme d’effacement. Le réel, fragmenté, n’appartient plus à personne. Le regard, épars, disséminé, émiette la certitude d’une présence continue. La multiplicité des visions gomme l’impression d’absence comme de présence. On n’est plus là vraiment. C’est un point de vue qui occupe l’espace, une perception flottante, détachée. Quelque chose regarde, oui, mais c’est autre chose que soi.

Au loin, par la fenêtre entrouverte, montent les cris des enfants. Ils semblent jaillir de la terre comme les chants des oiseaux au printemps, une rumeur ascendante, heurtée, qui s’élance et retombe. On pourrait croire que cela dure toujours, que le cri est là depuis l’origine, vieux comme le mobilier empoussiéré, aussi immobile que l’arbre oublié qui dessine son ombre sur le parquet usé.

Et pourtant, on n’est peut-être que dans ces cris, dans leur vibration fugitive. Être là, c’est épouser l’éphémère du cri, devenir ce souffle qui emplit l’air un instant et s’éteint, dissipé dans la lumière du matin.

Sensation double, tenace, incertaine. On est là sans y être. On pourrait croire être enraciné, antique comme le bois ciré, mais tout aussi bien on pourrait être dans cette volée de sons qui tournoie puis se dissipe, dans l’élan brisé d’un cri d’enfant, aussi passager qu’un battement d’ailes.