10 mai 2022

acrylique sur papier, travail d’élève

La valeur est un mot important en peinture. En effet, la valeur est plus que la couleur elle-même, c’est elle qui crée l’illusion d’une profondeur, de par les différents types de contrastes que l’on distribuera dans les plans du tableau.

Lorsque j’évoque cette notion de valeur à mes élèves je leur conseille de ne pas en prendre plus de trois ou 4 en incluant parmi celles-ci les basses ombres et les hautes lumières. Au-delà de quatre, la confusion s’installe rapidement, un peu comme dans la vie.

Ce que nous nommons des valeurs dans la vie n’est-ce pas ce qui nous importe, ce qui nous guide et nous limite accessoirement. Avec le temps il est possible que le champs de ces valeurs pléthorique au début se réduisent drastiquement avec l’âge, au même titre que se restreignent le superflu, le divertissement commercial facile, l’inutile. Et bien que je n’ai pas encore atteint l’âge avancé où parviennent certains vieillards sages et malicieux il me semble que je peux déja prédire que le meilleur synonyme d’utile sera pour moi un jour le nécessaire.Car n’est-il pas le signe le plus flagrants que l’âge est enfin atteint. On a de moins en moins envie de complication, ni de perdre son temps L’idée que la fin est proche nous rend plus circonspect concernant les hypothèses de s’égarer avant même d’être mort.
On pourrait alors l’irrepressible envie, tout en invoquant le besoin de vouloir faire le point, comme un marin cherchant la meilleure route pour rentrer au port. Qu’est-ce qui compte vraiment ? Que dois -je retenir de cette expérience de vivre ? Que laisserai-je derrière moi ? Que me reste t’il de ce qu’autrefois et à tort bien souuvent, j’appelais mes valeurs ?
Et surtout ; comment est-ce que je veux vivre ces quelques heures jours, mois ou années qu’il me reste désormais s’il arrive soudain que j’ai enfin vue sur ce que je juge l’essentiel.

Même si je sais que l’essentiel fluctue tout au long de la vie bien souvent à force de confondre le but et la valeur.
A mon humble avis chaque but que nous nous fixons n’a de véritable raison d’être que pour mieux appréhender les valeurs qui nous fondent. Ou celles qui ne nous fondent en rien justement.

Et, cela sera bien sur unique, différent pour chacun.

Ainsi, pour explorer la valeur liberté qui m’a toujours été si chère je n’ai pas cessé de me mettre dans des positions d’esclavage. Il en est de même je crois de mon élan vers l’agitation pour étudier cette autre valeur importante qu’est la tranquillité.

J’ai étudié la vie comme la peinture de la même façon : par les contrastes. C’est à dire tout simplement en cherchant à percevoir la différence entre deux valeurs.

Comme si la seule vérité personnelle ( autre valeur importante) que je pouvais accepter raisonnablement comme follement d’ailleurs, se situait toujours à la jonction, à la frontière des opposés.

J’ai expérimenté la liberté ainsi que je l’ai comprise par moi-même seul et à différents âges de mon existence. Je sais parfois, je m’en souviens que la liberté m’ennuie tout autant que si je me retrouvais enfermé dans un cachot. J’ai expérimenté l’enfermement et j’y ai découvert une forme de liberté inédite qui a aiguisé ma curiosité.

Puis j’ai perdu de cette curiosité qui n’était poussée que par la volonté d’acquérir du savoir ou du pouvoir pour découvrir la compassion en voyant à quel point tout le monde se débat plus ou moins avec ces histoires de buts et de valeurs.

J’ai décidé d’être sans but et sans valeur et je suis devenu soudain plus discipliné et moral que jamais en découvrant le quotidien et la régularité.

Ainsi j’ai effectué mon travail de peintre jusqu’au bout je m’en rends compte à présent. Cela ne donne pas un résultat dont je puisse être fier outre mesure. La fierté d’ailleurs ne semble pas ou ne semble plus être une valeur nécessaire plus pas plus que l’orgueil qui se larve dans l’excès de mésestime de soi, son reflet inversé.

Au demeurant, remontent mes souvenirs de petit garçon qui s’interrogeait sur la vie, les questions essentielles : Qui suis-je ? d’où est ce que je viens et ou est ce que je vais ? Autant de questions qui font faire cette moue presque méprisante aux bouches adultes.

J’ai tenté de trouver maintes fois des réponses à ces questions et il faut bien aujourd’hui accepter le fait qu’aucune de celles ci n’est réellement satisfaisante. Et peut-être - est-ce seulement temporaire - il me semble que je perds peu à peu ce besoin de vouloir partager les réponses à ces vieilles questions. Je n’ai pas de honte, je n’en rougis pas, pas plus que je ne suis fier. Il n’y a pas là de défaite pas plus que de victoire.

Ce que j’ai appris je l’ai appris avec chacun de mes organes différemment que ce soit la cervelle, le cœur, le colon, les reins, le foie, les couilles, et bien sur le pénis sans oublier le trou du cul.

Chacun de ces organes possède une science particulière de la vie. J’aurais aimé pouvoir en rendre compte au travers de mes peintures et de mes textes. Mais même cela me semble inutile aujourd’hui.

J’aurais poussé l’absurdité à l’extrême de ce que je pouvais la supporter, et surement bien au delà de ce que les proches qui m’ont côtoyé l’acceptèrent ou l’acceptent encore.

Evidemment j’ai étudié aussi le proche et le lointain par la même occasion ainsi.

Au bout de ce périple, j’ai vraiment parfois la sensation très nette de parvenir à un bout, au bas du tableau, comme au bas de la page, à la marge ; mais peut-être n’est-ce encore qu’une peur ou un désir, au bout de ce périple donc, je m’aperçois qu’il n’y a pas de réelle différence entre deux valeurs que celle que l’on choisit de leur attribuer.

Dans l’absolu et sans ce choix aucune différence ne saurait les distinguer l’une de l’autre.

Il n’y a qu’une immanence face à l’immanence, une immanence face à elle-même et ce n’est restituable ni par la peinture ni par l’écriture évidemment. Ce que l’on restitue c’est sans le sentier que nous empruntons pour tenter d’y parvenir. C’est à la fois un secret et un silence que l’on emporte avec Soi pour rejoindre les feuilles dans le vent et les oiseaux du ciel.

Pour continuer

Carnets | mai 2022

15 mai 2022

Vachement bien ce plancher qui chante. 16h28 dimanche, enfin quelqu’un entre à l’étage. Je m’étais assoupi et grâce au plancher j’ai pu me recomposer une tête à peu près digne de ce nom. “Je vois un bébé” dit l’homme Et un peu plus loin on dirait un violoniste … est-ce que c’est bien ça un violoniste ? — c’est vous qui voyez ! Un dimanche de permanence. J’avais oublié tout ça pendant dans mon assoupissement. De permanence. J’ai écouté leurs pas qui tentaient de réduire le plancher au silence, en vain bien sûr. La gêne d’une pesanteur ça se met sous cloche.|couper{180}

Auteurs littéraires réflexions sur l’art

Carnets | mai 2022

13 mai 2022

En peinture la définition du contraste est la différence entre deux valeurs. Plus il y a de différence marquée entre le clair et l’obscur plus le contraste est fort et inversement moins on parvient à détecter de différence entre les valeurs moins il y a de contraste. En plaçant un contraste différent à chacun des trois plans d’un tableau, en jouant donc sur la différence des valeurs que l’on utilise pour ce faire on crée ainsi une illusion de profondeur. Cela fonctionne aussi bien pour la peinture dite figurative que pour la peinture abstraite. Maintenant que peut signifier le contraste dans la vie de tous les jours ? Que plaçons nous comme valeurs au premier plan de nos préoccupations et surtout comment les mettons nous en opposition afin qu’elles crèvent l’écran de ce que nous appelons notre réalité ? Peut-on imaginer aussi que certaines personnes ne se préoccupent que très peu des autres plans de l’existence à part le premier et encore que lorsqu’ils y sont acculés. Quels sont les trois plans d’une vie s’il fallait la peindre pour lui donner une profondeur ? Au premier plan on placerait donc les préoccupations quotidiennes comme se nourrir, se reproduire ou se perpétrer, se protéger, qui participent des besoins élémentaires de n’importe quel être vivant. Ces valeurs si on peut utiliser ce terme possèdent des contours, une netteté d’une précision indubitable. Puis une fois ces préoccupations réglées on s’intéresserait seulement au plan moyen, on ferait un pas de coté de cette situation d’urgence et on laisserait aller son esprit à estimer une durée, nécessaire pour effectuer des projets, anticiper l’avenir. Et enfin au troisième plan le contraste entre les valeurs deviendrait faible indiquant tout en même temps une notion de lointain comme de flou. Une sorte de « peut-être », ou encore un « je ne sais quoi », un « presque rien ». Chacun des plans est indissociable des deux autres. On ne peut pas vraiment donner une importance plus grande à l’un qu’à l’autre dans l’absolu. Ils sont interdépendants, on ne peut pas en supprimer un sans que le tableau soit réduit à néant. C’est à dire à de la boue, ce que Cézanne évoque très bien lorsqu’il parle d’un effondrement des plans les uns sur les autres. Comment alors prendre le recul nécessaire pour voir le tableau dans sa globalité ? Cette proximité de cœur ou d’âme, et pourquoi pas de peau. De peau serait plus sûr. Cette sensation qui naît à la lecture d’un poème qui fait mouche. L’espace s’en trouve agrandi comme le large et on peut entendre très précisément ce que murmure le monde et qu’on n’entend jamais. Parce que l’on dit c’est la mer, c’est un oiseau, parce qu’on a besoin de s’appuyer sur des rembardes durant les croisières. Hourra ! pour celles et ceux qui laissent passer au travers ce murmure et qui se désagrègent tout entier pour nous le restituer, intact. Hourra… j’utilise ce mot pour exorciser quelque chose je crois. Je l’ai entendu dire récemment lors d’un défilé guerrier, et encore ailleurs après une chasse à courre, la mort d’un grand cerf. Mais ces hourra là salissent le vrai hourra. Il n’y en a qu’un qui convienne c’est celui qui vient aussitôt aux lèvres à la lecture du poème. Peut-être qu’à la fin d’une vie, on peut avoir cette chance juste avant de mourir. Cependant qu’on ne peut plus rien modifier, on ne peut pas s’amener en pleine exposition, comme Turner avec son petit pot de rouge pour peindre une bouée afin de relever le premier plan. On ne peut pas le faire tant que l’on pense une durée, et que l’on est victime de celle-ci. Mais si on reste aligné, droit dans ses bottes jusqu’à son dernier souffle, on sait que tout ça n’est qu’une formidable illusion, un rêve ni plus ni moins. Alors même à ce moment là, à ce moment unique, bien sur que l’on peut prendre toutes les couleurs que l’on voudra pour réparer les valeurs ou les contrastes mal fagotés, ceux surtout qui ne nous conviennent pas à cet instant car ils gênent la lisibilité d’une profondeur. D’une justesse de cette profondeur. Ce ne sont pour autant pas les couleurs qui comptent le plus dans un tableau, mais leurs valeurs et le contraste subtil si possible dont on se servira pour créer les plans et en même temps leur donner le sens que nous avons saisit de la précision et du flou, de la proximité et du lointain, du dicible et de l’indicible. On parle aussi de personnages au caractères contrastés dans la littérature ou le cinéma c’est à dire avec des intentions souvent contradictoires, des conflits internes. Tout l’art de la narration alors consiste à ne pas tout déballer d’un seul coup concernant ce genre de personnage, mais au contraire d’amener progressivement le lecteur à trouver les indices qui peuvent justifier ou expliquer ce caractère contrasté. Les femmes souvent voient plus loin que le premier plan, c’est mon expérience. C’est à dire qu’au début elles ne veulent pas tenir compte des oppositions d’un caractère impossible, elles se situent presque aussitôt dans un plan moyen, dans un projet, un avenir qui mène leur regard embué vers un flou artistique finalement. Mais le problème de ce genre de caractère dans la vraie vie, c’est qu’il devient aussi prévisible que lassant. Et cette lassitude finit donc par oblitérer l’espérance. Ainsi le couple que formait mes parents d’après ce que j’en ai compris évidemment, et qui n’est que ma petite interprétation personnelle. A la fin on finit par ne plus se dire grand chose, il n’y a plus aucun plan sur la comète, plus de projet vraiment sauf d’attendre l’inéluctable pour encore avoir à créer de la différence, du contraste entre ce qui fut présent et ce qui ne l’est plus.|couper{180}

Carnets | mai 2022

12 mai 2022

Entamer un jeûne suite à la perception d’un trop plein ou d’un trop vide, ce qui revient à la même chose. Un pingouin peut tenir 100 jours. On démarre par le glucose, puis les lipides, il faut s’arrêter à temps pour ne pas taper de trop dans les protéines et l’usine se remet en route. La mémoire des cellules c’est quelque chose… 3 petits jours pour passer le cap de l’inconfort, puis ensuite s’installe une stratégie d’économie d’énergie. On ne se nourrit que de l’intérieur. On s’abstient de parler, on esquive les conflits, on se déplace sur coussins d’air, on zigzague entre la réalité et la rêverie dans un état second. On ne jeûne pas pour maigrir évidemment. On jeûne parce qu’on éprouve cette nécessité impérieuse de l’inconnu encore une fois de plus. Et on fait un bras d’honneur à la gabegie organisée, celle de la bouffe, des gadgets qui ne servent à rien, des bavardages et des querelles inutiles. On peint, on écrit un minimum comme de temps à autre on boit un verre d’eau en appréciant la gorgée. L’expérience est une chose, l’expérience d’une experience c’est autre chose. On peut extraire des conjonctures de la première mais la seconde nous échappe. Elle est en tant que principe, elle n’est pas un objet pas plus que rien. Cette évidence nous n’en prenons conscience que dans un présent où quelque chose s’absente, une volonté personnelle de “tirer profit” qui s’évanouit. On ne peut rien en faire ni en dire qui ne nous apparaisse pas aussitôt erroné, voire stupide et en tous cas inutile. Peindre un tableau est une expérience qui produira le tableau, mais l’expérience de cette expérience nous reste étrangère, comme une évidence qui nous aveugle. Que le tableau soit réussit ou raté ne change rien à cet aveuglement. Et c’est peut-être lorsqu’on se dispense de ces deux mots, que l’on s’en délivre ou débarrasse qu’alors la sensation est pour nous la plus “vraie” Il peut exister un plaisir simple de ne rien voir du tout. Que cette volonté au dessus de notre volonté se laisse enfin percevoir de façon fugace. Et que cette nécessité de fugacité s’oppose notre volonté de durée elles seront l’une comme l’autre tout aussi nécessaires Il est nécessaire qu’une œuvre dure pour éprouver en même temps la fugacité, sans doute, de celle ou celui qui en est l’instrument. Et que ces deux nécessités ou volontés, en apparence contraires, dansent dans le moment présent est un mystère pour toujours.|couper{180}