Notule 64

Peine à jouir. C’est le terme que l’on donne à ceux qui ne sont jamais satisfaits, qui ne peuvent afficher sur leur visage ce contentement béat provoqué par le plus petit achèvement, sans qu’aussitôt la peur du vertige les étreigne.
Le renoncement à manger du fruit remonte à loin désormais.
Dans la coupe ils pourrissent.
Un peu moins depuis que je suis marié, et que j’avale des litres de compotes.
Sous forme de purée, de jus et de salades l’ingestion s’effectue sans accroc.
Sans oublier une dentition pourrie qui s’oppose à toute envie de mordre, de croquer, de déchiqueter.
Une carence entretenue pour maintenir l’équilibre probablement aussi. Une astuce de vieux sioux.
Ne pas trop jouir, surtout pas. Et dans le même temps ne pas lâcher la purée du regard. Se souvenir des vieilles coutumes Inuites.
Et ce dégout des fêtes ! j’ai beau me raisonner rien n’y fait, ça ne vient pas de là.
Mais d’ailleurs plus profondément dans la faille de vivre.
Cet ailleurs qui m’attirait tant autrefois avant que je n’y renonce. Pour essayer de me faire à l’ici, en vain évidemment.
Ni tout à fait dans l’ailleurs ni tout à fait dans l’ici. Dans un entre deux, un no man’s land.
Peine à jouir parce qu’une fois que c’est fait que reste t’il franchement ? Rien sinon la répétition. La fatigante répétition et la nécessité de l’oubli pour s’extraire de la fatigue.
Quelqu’un m’a dit que j’étais un ingrat, que je ne savais pas recevoir. Et que tout ce que je donnais je ne le donnais qu’à la manière des poulpes ou des pieuvres sous forme de nuage d’encre, en me carapatant ensuite à toute vitesse.
Plusieurs m’ont dit et donc c’est à partir de ces dits qu’on vit aussi. Entre une valeur perçue et une valeur imaginaire. C’est pour cela que je n’accorde pas vraiment de valeur à la valeur en général. Que je ne la place pas au "bon endroit". Que tout ce que je dis est tellement "déplacé" pour la plupart de ceux à qui je le dis.
C’est que lorsqu’on est écrivain on ne l’est pas qu’à une table de travail, on l’est h24 comme disent les mômes.
Quand on a enfin compris qu’on ne parlait pas pour quelqu’un en particulier pas plus que pour tout le monde non plus. Encore une fois où va se nicher l’entre deux ?
Profite de cette occasion, profite du moment, des carpe diem comme des pancartes publicitaires partout, des mots d’ordre et des slogans qui envahissent la cervelle, la colonise et la contraigne.
Saprophyte voyez le dictionnaire, ce n’est pas vraiment jojo.
C’est même dégoutant autant que la fête.
Donc, on me ridiculise facilement et je me laisse faire facilement aussi. Sinon pas de lien.
On me dit grognon, ronchon, jamais content dans les pires cas.
C’est moi seul qui me traite tout seul de peine à jouir finalement.
Parce qu’un fois qu’on a jouit il ne se passe plus grand chose qui soit à la hauteur de ce jouir. On se fatigue même du souvenir de ce jouir qui ne cesse de murmurer -recommence, encore et encore, plus loin, plus profond, plus fort.
Il y a un lapin avec des piles dans le cul qui traverse mon esprit à ces moments là, vous voyez...
Les meilleurs piles du monde, increvables.
Wonder full.
Ce qui est totalement absurde dans cette époque où tout tombe en quenouille, où la terre se craquelle, se déchire, par soif comme par manque d’eau.
Lars Von Trier devrait s’abonner à mon blog, ça relèverait probablement l’aspect tragique de ses films d’un zest d’humour.
Quitte à expérimenter la fin de tout il faut savoir aussi en jouir, pas trop, juste ce qu’il faut évidemment. Et pour ça se donner un peu de peine, ne pas gaspiller toute son énergie à se demander comment en obtenir toujours un peu plus.
Peine à jouir c’est aussi se donner cette peine de ne pas jouir inconsidérément de cette futilité d’être comme de ne pas être.
Post-scriptum
hautPour continuer
import
Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
import
technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
import
La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}