Et bien même si j’ai beaucoup d’affection, de tendresse, tout ce que l’on voudra, en ce qui concerne la chatte , je crois qu’elle n’est pas plus avancée que je ne le suis sur le plan pratique.

Après quelques échanges avec le voisin l’autre jour, il a bien voulu placer une poubelle sous l’auvent de son toit afin qu’elle puisse sauter sur celle-ci et rejoindre la maison comme le ferait n’importe quel félin normalement constitué.

Mais c’est en vain. Elle tourne en rond dans la cour voisine en miaulant au secours aidez-moi, ou quelque chose que je traduis comme « viens me chercher » évidemment.

Ce que je fais en pleine nuit , avec cette fois un escabeau.

Je me retrouve à nouveau debout sur le compteur EDF dans la rue à vouloir basculer l’escabeau par dessus le mur du voisin. Mais l’engin est plus lourd que l’échelle que j’avais utilisée ( voir les épisodes précédents )

Donc je bascule le fichu escabeau qui pèse un âne mort, et je m’aperçois qu’il est trop court, que les pieds de l’autre coté ne touchent pas le sol.

La chatte est assise au milieu de la cour du voisin et me regarde faire en miaulant faiblement comme pour dire, c’est quoi ce bidule, tu comptes vraiment que je monte là dessus ?

j’essaie de l’appeler toujours avec au bout du bras l’engin en espérant qu’une lueur lui vienne pour sauter sur la première marche et me rejoindre. Mais non.

On se regarde dépités tous les deux.

Je ramène l’escabeau coté rue, je pousse un juron de plus. Car tout de même zut, elle pourrait faire un effort.

Le voisin a bien placé la poubelle sous son versant du toit. Il ne suffirait que d’un bond pour qu’elle grimpe dessus et de là revienne vers la maison. Mais non, rien à faire.

Penaud, désespéré, je reviens à la maison mon escabeau au bout du bras. Il ne faut pas faire de bruit car dans la chambre au rez de chaussée dort la petite fille. Ce serait la totale.

Je me resserre un café, allume une nouvelle cigarette. Puis je me dis que ça n’arrive qu’à moi ce genre de péripétie et que ce n’est surement pas par hasard. Qu’il y a quelque chose à comprendre, surtout lorsque cela se représente plusieurs fois.

Soit je me complique trop la vie, soit pas assez. Mais ce qui est sur de plus en plus c’est que pas plus la chatte que moi n’avons inventé le fil à couper le beurre, ni l’eau chaude.

On est aussi nigaud l’un que l’autre.

Ou peut-être que ça nous plait de nous sentir prisonniers, enfermés dans ce genre de situation à la noix.

Peut-être que c’est juste une caricature de prison qui nous permet de nous habituer à d’autres petit à petit, à mieux nous familiariser avec cette idée…

Enfin, je suis allé chercher le paquet de croquettes que j’ai froissé pour qu’elle reconnaisse le bruit par delà les murs et les toits.

L’appel du ventre…

Encore faut-il être suffisamment affamé pour y prêter la moindre attention.

Voilà peut-être la raison ultime, une faim véritable qui nous fera, à elle comme à moi, retrouver le chemin du bercail, en finir avec la stupidité, ce prétexte.


L’impression première de désordre sur la toile ne provient que d’une relation avec un ordre appris, ingurgité péniblement.

Un ordre qui serait commun mais étranger à une notion toute personnelle de ce que peut être véritablement l’ordre.

Et qui est d’ailleurs à terme un fantasme.

L’ordre est une idée, une injonction mentale qui se résume à vouloir contrôler, donner du sens, supprimer l’aléa, évincer le hasard tout en le faisant exister encore plus comme une entité gênante, ennemie.

Mais comment peut- on vraiment nommer un désordre sans effectuer le constat de notre ignorance ?

Et cette ignorance peut à la fois tenir à une incompréhension des règles sur lesquelles s’appuie une communauté et simultanément à ce refus de s’y attacher, puisque justement on, je, ne les comprend pas.

Le désordre peut donc provenir d’une révolte bien sur, comme d’un doute, d’une inaptitude à faire confiance au groupe.

Se démarquer par un désordre personnel et maintenir cet écart systématiquement et longtemps dans une durée exige plus que de la colère, de la tristesse, mais une ténacité qui vient d’un but dans l’avenir.

Ce but on ne le connait pas d’une origine. C’est juste la certitude qu’il y en a un qui joue le rôle de combustible.

Je remarque que ce blog est dans le même désordre que mon atelier et que ce désordre est toujours la porte d’entrée de chacun de mes tableaux.

Cependant lorsque je veux » ranger » c’est à dire la plupart du temps éliminer le superflu, résumer, simplifier, ça ne fonctionne que sur les tableaux. Parce que j’accepte que ce soit ma façon personnelle, naturelle si je peux dire de ranger les choses à ma sauce, sans me préoccuper des autres.

D’où pas mal de sueurs froides, de maux en tous genres sitôt que je dois mettre en place des expositions.

Le doute revient à la charge, surtout quand je ne dors pas suffisamment comme ces derniers jours.

Et si je m’étais trompé ?

Et si tout cela n’était que de la merde ?

Et si j’étais tout simplement une grenouille qui veut se faire aussi grosse qu’un bœuf ?

C’est bien ce que je disais plus haut, sans la foi rien n’est tenable.

Et il est probablement nécessaire aussi d’en douter fortement, par période, pour remettre un peu d’ordre aussi dans une confusion incessante entre attirance et répulsion.

Car s’extraire de la gravité, trouver le point exact où s’effectue la sortie, l’évasion… l’antigravité demande de se tenir à une certaine distance de ces deux trous noirs tout en faisant partie intégrante de l’observation.

On peut résumer les choses plus simplement.

Il n’y a que la conscience, mais sans le doute, sans le désordre elle ne peut asseoir aucune certitude quant à elle-même. Tout comme l’infini s’appuie pour s’élancer plus avant sur le fini.

Et quand le dialogue entre la toile et le peintre se nourrit comme par jeu de cette réalité c’est de la poésie en couleur. Une poésie personnelle qui ne se partage peut-être pas.

Il faut aussi beaucoup de ténacité pour accepter le fait qu’elle puisse ne pas se partager, qu’elle puisse ne jamais se partager et continuer.

La certitude qu’un tableau ne pourra jamais se partager totalement, que nul n’y trouvera ce que le peintre lui-même y a déposé et n’a pas trouvé.