6 mai 2022
Et bien même si j’ai beaucoup d’affection, de tendresse, tout ce que l’on voudra, en ce qui concerne la chatte , je crois qu’elle n’est pas plus avancée que je ne le suis sur le plan pratique.
Après quelques échanges avec le voisin l’autre jour, il a bien voulu placer une poubelle sous l’auvent de son toit afin qu’elle puisse sauter sur celle-ci et rejoindre la maison comme le ferait n’importe quel félin normalement constitué.
Mais c’est en vain. Elle tourne en rond dans la cour voisine en miaulant au secours aidez-moi, ou quelque chose que je traduis comme « viens me chercher » évidemment.
Ce que je fais en pleine nuit , avec cette fois un escabeau.
Je me retrouve à nouveau debout sur le compteur EDF dans la rue à vouloir basculer l’escabeau par dessus le mur du voisin. Mais l’engin est plus lourd que l’échelle que j’avais utilisée ( voir les épisodes précédents )
Donc je bascule le fichu escabeau qui pèse un âne mort, et je m’aperçois qu’il est trop court, que les pieds de l’autre coté ne touchent pas le sol.
La chatte est assise au milieu de la cour du voisin et me regarde faire en miaulant faiblement comme pour dire, c’est quoi ce bidule, tu comptes vraiment que je monte là dessus ?
j’essaie de l’appeler toujours avec au bout du bras l’engin en espérant qu’une lueur lui vienne pour sauter sur la première marche et me rejoindre. Mais non.
On se regarde dépités tous les deux.
Je ramène l’escabeau coté rue, je pousse un juron de plus. Car tout de même zut, elle pourrait faire un effort.
Le voisin a bien placé la poubelle sous son versant du toit. Il ne suffirait que d’un bond pour qu’elle grimpe dessus et de là revienne vers la maison. Mais non, rien à faire.
Penaud, désespéré, je reviens à la maison mon escabeau au bout du bras. Il ne faut pas faire de bruit car dans la chambre au rez de chaussée dort la petite fille. Ce serait la totale.
Je me resserre un café, allume une nouvelle cigarette. Puis je me dis que ça n’arrive qu’à moi ce genre de péripétie et que ce n’est surement pas par hasard. Qu’il y a quelque chose à comprendre, surtout lorsque cela se représente plusieurs fois.
Soit je me complique trop la vie, soit pas assez. Mais ce qui est sur de plus en plus c’est que pas plus la chatte que moi n’avons inventé le fil à couper le beurre, ni l’eau chaude.
On est aussi nigaud l’un que l’autre.
Ou peut-être que ça nous plait de nous sentir prisonniers, enfermés dans ce genre de situation à la noix.
Peut-être que c’est juste une caricature de prison qui nous permet de nous habituer à d’autres petit à petit, à mieux nous familiariser avec cette idée…
Enfin, je suis allé chercher le paquet de croquettes que j’ai froissé pour qu’elle reconnaisse le bruit par delà les murs et les toits.
L’appel du ventre…
Encore faut-il être suffisamment affamé pour y prêter la moindre attention.
Voilà peut-être la raison ultime, une faim véritable qui nous fera, à elle comme à moi, retrouver le chemin du bercail, en finir avec la stupidité, ce prétexte.
L’impression première de désordre sur la toile ne provient que d’une relation avec un ordre appris, ingurgité péniblement.
Un ordre qui serait commun mais étranger à une notion toute personnelle de ce que peut être véritablement l’ordre.
Et qui est d’ailleurs à terme un fantasme.
L’ordre est une idée, une injonction mentale qui se résume à vouloir contrôler, donner du sens, supprimer l’aléa, évincer le hasard tout en le faisant exister encore plus comme une entité gênante, ennemie.
Mais comment peut- on vraiment nommer un désordre sans effectuer le constat de notre ignorance ?
Et cette ignorance peut à la fois tenir à une incompréhension des règles sur lesquelles s’appuie une communauté et simultanément à ce refus de s’y attacher, puisque justement on, je, ne les comprend pas.
Le désordre peut donc provenir d’une révolte bien sur, comme d’un doute, d’une inaptitude à faire confiance au groupe.
Se démarquer par un désordre personnel et maintenir cet écart systématiquement et longtemps dans une durée exige plus que de la colère, de la tristesse, mais une ténacité qui vient d’un but dans l’avenir.
Ce but on ne le connait pas d’une origine. C’est juste la certitude qu’il y en a un qui joue le rôle de combustible.
Je remarque que ce blog est dans le même désordre que mon atelier et que ce désordre est toujours la porte d’entrée de chacun de mes tableaux.
Cependant lorsque je veux » ranger » c’est à dire la plupart du temps éliminer le superflu, résumer, simplifier, ça ne fonctionne que sur les tableaux. Parce que j’accepte que ce soit ma façon personnelle, naturelle si je peux dire de ranger les choses à ma sauce, sans me préoccuper des autres.
D’où pas mal de sueurs froides, de maux en tous genres sitôt que je dois mettre en place des expositions.
Le doute revient à la charge, surtout quand je ne dors pas suffisamment comme ces derniers jours.
Et si je m’étais trompé ?
Et si tout cela n’était que de la merde ?
Et si j’étais tout simplement une grenouille qui veut se faire aussi grosse qu’un bœuf ?
C’est bien ce que je disais plus haut, sans la foi rien n’est tenable.
Et il est probablement nécessaire aussi d’en douter fortement, par période, pour remettre un peu d’ordre aussi dans une confusion incessante entre attirance et répulsion.
Car s’extraire de la gravité, trouver le point exact où s’effectue la sortie, l’évasion… l’antigravité demande de se tenir à une certaine distance de ces deux trous noirs tout en faisant partie intégrante de l’observation.
On peut résumer les choses plus simplement.
Il n’y a que la conscience, mais sans le doute, sans le désordre elle ne peut asseoir aucune certitude quant à elle-même. Tout comme l’infini s’appuie pour s’élancer plus avant sur le fini.
Et quand le dialogue entre la toile et le peintre se nourrit comme par jeu de cette réalité c’est de la poésie en couleur. Une poésie personnelle qui ne se partage peut-être pas.
Il faut aussi beaucoup de ténacité pour accepter le fait qu’elle puisse ne pas se partager, qu’elle puisse ne jamais se partager et continuer.
La certitude qu’un tableau ne pourra jamais se partager totalement, que nul n’y trouvera ce que le peintre lui-même y a déposé et n’a pas trouvé.
Pour continuer
Carnets | mai 2022
15 mai 2022
Vachement bien ce plancher qui chante. 16h28 dimanche, enfin quelqu’un entre à l’étage. Je m’étais assoupi et grâce au plancher j’ai pu me recomposer une tête à peu près digne de ce nom. “Je vois un bébé” dit l’homme Et un peu plus loin on dirait un violoniste … est-ce que c’est bien ça un violoniste ? — c’est vous qui voyez ! Un dimanche de permanence. J’avais oublié tout ça pendant dans mon assoupissement. De permanence. J’ai écouté leurs pas qui tentaient de réduire le plancher au silence, en vain bien sûr. La gêne d’une pesanteur ça se met sous cloche.|couper{180}
Carnets | mai 2022
13 mai 2022
En peinture la définition du contraste est la différence entre deux valeurs. Plus il y a de différence marquée entre le clair et l’obscur plus le contraste est fort et inversement moins on parvient à détecter de différence entre les valeurs moins il y a de contraste. En plaçant un contraste différent à chacun des trois plans d’un tableau, en jouant donc sur la différence des valeurs que l’on utilise pour ce faire on crée ainsi une illusion de profondeur. Cela fonctionne aussi bien pour la peinture dite figurative que pour la peinture abstraite. Maintenant que peut signifier le contraste dans la vie de tous les jours ? Que plaçons nous comme valeurs au premier plan de nos préoccupations et surtout comment les mettons nous en opposition afin qu’elles crèvent l’écran de ce que nous appelons notre réalité ? Peut-on imaginer aussi que certaines personnes ne se préoccupent que très peu des autres plans de l’existence à part le premier et encore que lorsqu’ils y sont acculés. Quels sont les trois plans d’une vie s’il fallait la peindre pour lui donner une profondeur ? Au premier plan on placerait donc les préoccupations quotidiennes comme se nourrir, se reproduire ou se perpétrer, se protéger, qui participent des besoins élémentaires de n’importe quel être vivant. Ces valeurs si on peut utiliser ce terme possèdent des contours, une netteté d’une précision indubitable. Puis une fois ces préoccupations réglées on s’intéresserait seulement au plan moyen, on ferait un pas de coté de cette situation d’urgence et on laisserait aller son esprit à estimer une durée, nécessaire pour effectuer des projets, anticiper l’avenir. Et enfin au troisième plan le contraste entre les valeurs deviendrait faible indiquant tout en même temps une notion de lointain comme de flou. Une sorte de « peut-être », ou encore un « je ne sais quoi », un « presque rien ». Chacun des plans est indissociable des deux autres. On ne peut pas vraiment donner une importance plus grande à l’un qu’à l’autre dans l’absolu. Ils sont interdépendants, on ne peut pas en supprimer un sans que le tableau soit réduit à néant. C’est à dire à de la boue, ce que Cézanne évoque très bien lorsqu’il parle d’un effondrement des plans les uns sur les autres. Comment alors prendre le recul nécessaire pour voir le tableau dans sa globalité ? Cette proximité de cœur ou d’âme, et pourquoi pas de peau. De peau serait plus sûr. Cette sensation qui naît à la lecture d’un poème qui fait mouche. L’espace s’en trouve agrandi comme le large et on peut entendre très précisément ce que murmure le monde et qu’on n’entend jamais. Parce que l’on dit c’est la mer, c’est un oiseau, parce qu’on a besoin de s’appuyer sur des rembardes durant les croisières. Hourra ! pour celles et ceux qui laissent passer au travers ce murmure et qui se désagrègent tout entier pour nous le restituer, intact. Hourra… j’utilise ce mot pour exorciser quelque chose je crois. Je l’ai entendu dire récemment lors d’un défilé guerrier, et encore ailleurs après une chasse à courre, la mort d’un grand cerf. Mais ces hourra là salissent le vrai hourra. Il n’y en a qu’un qui convienne c’est celui qui vient aussitôt aux lèvres à la lecture du poème. Peut-être qu’à la fin d’une vie, on peut avoir cette chance juste avant de mourir. Cependant qu’on ne peut plus rien modifier, on ne peut pas s’amener en pleine exposition, comme Turner avec son petit pot de rouge pour peindre une bouée afin de relever le premier plan. On ne peut pas le faire tant que l’on pense une durée, et que l’on est victime de celle-ci. Mais si on reste aligné, droit dans ses bottes jusqu’à son dernier souffle, on sait que tout ça n’est qu’une formidable illusion, un rêve ni plus ni moins. Alors même à ce moment là, à ce moment unique, bien sur que l’on peut prendre toutes les couleurs que l’on voudra pour réparer les valeurs ou les contrastes mal fagotés, ceux surtout qui ne nous conviennent pas à cet instant car ils gênent la lisibilité d’une profondeur. D’une justesse de cette profondeur. Ce ne sont pour autant pas les couleurs qui comptent le plus dans un tableau, mais leurs valeurs et le contraste subtil si possible dont on se servira pour créer les plans et en même temps leur donner le sens que nous avons saisit de la précision et du flou, de la proximité et du lointain, du dicible et de l’indicible. On parle aussi de personnages au caractères contrastés dans la littérature ou le cinéma c’est à dire avec des intentions souvent contradictoires, des conflits internes. Tout l’art de la narration alors consiste à ne pas tout déballer d’un seul coup concernant ce genre de personnage, mais au contraire d’amener progressivement le lecteur à trouver les indices qui peuvent justifier ou expliquer ce caractère contrasté. Les femmes souvent voient plus loin que le premier plan, c’est mon expérience. C’est à dire qu’au début elles ne veulent pas tenir compte des oppositions d’un caractère impossible, elles se situent presque aussitôt dans un plan moyen, dans un projet, un avenir qui mène leur regard embué vers un flou artistique finalement. Mais le problème de ce genre de caractère dans la vraie vie, c’est qu’il devient aussi prévisible que lassant. Et cette lassitude finit donc par oblitérer l’espérance. Ainsi le couple que formait mes parents d’après ce que j’en ai compris évidemment, et qui n’est que ma petite interprétation personnelle. A la fin on finit par ne plus se dire grand chose, il n’y a plus aucun plan sur la comète, plus de projet vraiment sauf d’attendre l’inéluctable pour encore avoir à créer de la différence, du contraste entre ce qui fut présent et ce qui ne l’est plus.|couper{180}
Carnets | mai 2022
12 mai 2022
Entamer un jeûne suite à la perception d’un trop plein ou d’un trop vide, ce qui revient à la même chose. Un pingouin peut tenir 100 jours. On démarre par le glucose, puis les lipides, il faut s’arrêter à temps pour ne pas taper de trop dans les protéines et l’usine se remet en route. La mémoire des cellules c’est quelque chose… 3 petits jours pour passer le cap de l’inconfort, puis ensuite s’installe une stratégie d’économie d’énergie. On ne se nourrit que de l’intérieur. On s’abstient de parler, on esquive les conflits, on se déplace sur coussins d’air, on zigzague entre la réalité et la rêverie dans un état second. On ne jeûne pas pour maigrir évidemment. On jeûne parce qu’on éprouve cette nécessité impérieuse de l’inconnu encore une fois de plus. Et on fait un bras d’honneur à la gabegie organisée, celle de la bouffe, des gadgets qui ne servent à rien, des bavardages et des querelles inutiles. On peint, on écrit un minimum comme de temps à autre on boit un verre d’eau en appréciant la gorgée. L’expérience est une chose, l’expérience d’une experience c’est autre chose. On peut extraire des conjonctures de la première mais la seconde nous échappe. Elle est en tant que principe, elle n’est pas un objet pas plus que rien. Cette évidence nous n’en prenons conscience que dans un présent où quelque chose s’absente, une volonté personnelle de “tirer profit” qui s’évanouit. On ne peut rien en faire ni en dire qui ne nous apparaisse pas aussitôt erroné, voire stupide et en tous cas inutile. Peindre un tableau est une expérience qui produira le tableau, mais l’expérience de cette expérience nous reste étrangère, comme une évidence qui nous aveugle. Que le tableau soit réussit ou raté ne change rien à cet aveuglement. Et c’est peut-être lorsqu’on se dispense de ces deux mots, que l’on s’en délivre ou débarrasse qu’alors la sensation est pour nous la plus “vraie” Il peut exister un plaisir simple de ne rien voir du tout. Que cette volonté au dessus de notre volonté se laisse enfin percevoir de façon fugace. Et que cette nécessité de fugacité s’oppose notre volonté de durée elles seront l’une comme l’autre tout aussi nécessaires Il est nécessaire qu’une œuvre dure pour éprouver en même temps la fugacité, sans doute, de celle ou celui qui en est l’instrument. Et que ces deux nécessités ou volontés, en apparence contraires, dansent dans le moment présent est un mystère pour toujours.|couper{180}
