À la fin. Quelle fin ? La fin d’un voyage. Et ce voyage est toujours une métaphore, qu’il dure une heure, une journée, une vie. Ce qui compte, c’est cette fin. C’est à partir de la fin que l’on sait si le voyage a été agréable, pénible, enrichissant ou non. Les outils pour le savoir, je ne les connais pas. J’ai toujours ce doute : peut-être que mes outils ne sont pas les bons, que ma vision est déformée, erronée. Car toute certitude serait synonyme de fin véritable. Alors, je mets fin à beaucoup de choses, régulièrement, pour explorer la fin en général, la fin d’une vie. Y a-t-il une autre fin, en fin de compte ? Je ne sais pas. Même la fin d’un livre, d’un film, d’un tableau, d’une journée, d’une nuit : toutes représentent la même fin. La fin d’un article de blog, la fin de ce blog lui-même. En finir à chaque fois avec l’espoir enfantin de pouvoir recommencer ensuite. Alors, autant que la fin, débuter devient obsédant. Conserver cet élan perpétuel qui pousse à recommencer à partir de rien.

Recommencer quoi ? La même chose, toujours. On dirait qu’on ne peut pas changer la chose elle-même, seulement les outils, les moyens, la manière.

L’âme se confond, à tort ou à raison, avec la conscience d’en posséder une — chaotique, abstraite, inutile dans les circonstances du monde actuel.

En revisitant mes deux blogs, en revoyant mon travail de peinture, rien de concret ne m’apparaît. Tout reste vague, outrageusement introspectif, résolument singulier, abscons, proche de ne servir à rien, à personne, sauf à ma propre exploration. Une fin purement personnelle.

Le flou, le vague, le brouillard. J’avance à tâtons, de façon aveugle. Je crois que je ne veux surtout pas voir. Ne pas voir de valeur, d’objectif : je ne sais pas ce que c’est. Ça ne m’a jamais vraiment intéressé. Peut-être suis-je en train d’arriver à la fin de cette détestation aussi. C’est mon anniversaire aujourd’hui. Je pourrais prendre cette date comme une sorte d’achèvement, encore une fois me résoudre à cet arbitraire. Voilà, c’est la fin, et maintenant ? Je ne sais pas, pas plus qu’avant, pas plus qu’hier. Je ne sais rien.

Rimbaud, à un moment, se détourne de la poésie : c’est la fin. Hugo disait qu’en littérature, le plus sûr moyen d’avoir raison, c’est d’être mort. Et moi aussi, je fais souvent ce rêve, c’est un désir sans doute : assister à mon propre enterrement. Voir leurs têtes, à chacun, tout autour de la bière. Entendre ce qu’ils se disent, sans espoir ni déception de ce qu’ils pourraient dire. Il y a quelque chose de fondamentalement incompréhensible à ma propre vie, et à ma mort aussi, sans doute. Même moi, cela m’échappe. Comment pourrais-je en vouloir aux autres, si ça leur échappe aussi ? Cette construction fictive, la mienne, la leur, ne tiendra pas bien longtemps. Elle assistera à la mise en terre, accompagnera les fossoyeurs encore un instant, verra la dissipation des badauds, mais elle ne les suivra pas vers le bistrot, l’auberge, le dernier repas. Elle se dissipera dans l’air, rejoignant son élément principal, et ce sera dans l’ordre des choses, mieux : cela renforcera cet ordre des choses.