Juste un petit pas de côté

Monsieur Williams ce jour là se fiche comme de l’an 40 de la 5ème avenue. La seule chose qui le préoccupe est de parvenir à effectuer cet infime déplacement qui lui permettrait-si tant est que cela soit possible- de se voir en face, en toute objectivité. Parvenir enfin à se détacher de sa propre image, sans trop d’effort, Enfin glisser juste un petit pas de côté.

Cela fait quelques semaines qu’il s’entraîne, en vain. Et ça l’agace prodigieusement bien qu’il ne cesse d’afficher cette mine joviale, une sorte de posture qui a pour vocation de souligner l’empathie à la manière d’un choix depuis longtemps réfléchit.

Cela fait des jours qu’il se surprend régulièrement à penser le contraire de ce qu’il dit.

Bonjour chère madame la boulangère comment allez vous ce matin ? Comme votre boutique embaume ! Et ces croissants quel bonheur ! Mais vous n’auriez pas changé de coiffure ? Vous êtes radieuse !

( quelle conne celle là avec son brushing années 50 …qu’est ce qu’elle veut donc prouver ? Se trouve t’elle vraiment appétissante ? Et cette blouse dans laquelle elle est engoncée comme… ce parfum… une véritable catastrophe…)

Oh mais je sens que ma petite monnaie vous intéresse attendez voir, voici l’appoint ! Et votre mari va bien ? Et partirez vous en vacances et quand donc reviendrez vous, nous allons nous languir … etc etc

( regardez là se trémousser d’aise celle là décidément il en faut vraiment peu se dit Williams apercevant au delà du sourire commercial le petit endroit sensible où se niche l’orgueil féminin. Papillonnement infime des paupières, petit tremblement à la commissure des lèvres…redressement d’une buste pour faire saillir la poitrine avantageuse sous la blouse de nylon impeccable… c’est vraiment trop facile…)

Une fois son petit tour effectué chez les commerçants du quartier monsieur Williams s’octroie un espresso chez Didine le bar de l’angle. Depuis 6 mois qu’il s’est installé ici le rituel est le même, un bonjour sobre, puis il se dirige vers la même table, le patron lui apporte son café sans dire le moindre mot en prenant soin de poser la note à côté, puis il repart derrière son comptoir.

Monsieur Williams sirote son jus tout en observant la rue par les vitres poussiéreuses. Il a un don pour se raconter des histoires à partir d’un rien. Il reste ainsi une heure environ puis sort son porte-monnaie, choisit les pièces pour faire le compte juste, se lève puis ressort de l’établissement en adressant à Didine un bonne journée sonore auquel nul ne répond.

Cette absence de réponse l’enchante secrètement et c’est certainement la raison principale qui le fait revenir ici invariablement.

Et c’est aussi probablement ce lieu qui déclenche enfin la prise de conscience, cette volonté soudaine de parvenir à effectuer se détachement de sa propre image.

En se trouvant tout à coup face à face à lui-meme ce jour précisément ou la table n’était pas libre et qu’il doit se rabattre dans l’arrière salle. Face à la grande glace dont on aperçoit le tain tant elle est piquée par endroit, monsieur Williams se voit enfin comme s’il était un autre.

Presque un vieillard et comme il n’a pas à jouer la comédie il ne se trouve pas vraiment sympathique.

Quelle sale gueule ! Si je rencontrais dans la rue je n’aurais sûrement pas envie de m’adresser la parole.

Il esquissa une sorte de sourire bizarre pour tenter de modifier le cours ordinaire de sa vie, mais il n’y décela qu’une pauvre grimace, celle d’un pitre qui n’avait jamais eut de cesse de se réfugier dans le spectacle et il eut un haut le cœur.

Cette vision lui fut tellement odieuse insupportable qu’il se leva et se dirigea vers la sortie en oubliant de payer sa consommation.

C’est alors la voix du patron, Didine qui le réveilla de son étrange somnambulisme :

Dis donc l’avorton tu aurais pas dans l’idée de partir sans payer des fois ?

Monsieur Williams se confondit en excuses retrouvant comme par enchantement son sourire et sa fausse empathie, il sortit son porte-monnaie choisit avec soin l’appoint puis s’excusa encore un peu mais le patron avait déjà tourné les talons.

Lorsqu’il rejoignit la rue les cris des enfants ressemblaient à des chants d’oiseaux et monsieur Williams se senti d’une légèreté prodigieuse. D’ailleurs au lieu de rentrer chez lui il rejoignit le fleuve et au bout d’un long moment qui pourrait ressembler à une méditation il regarda à gauche puis à droite, personne… il plongea et nul ne le revit jamais.

https://youtu.be/HDH4K0Xw7ss

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Carnets | août 2021

Inquiétude

Nous venions de faire l'amour et j'avais allumé une cigarette tout en examinant le papier peint de la chambre. Peu à peu je constatais la métamorphose des roses joufflues vers la flétrissure. C'était comme si le peintre Soutine était passé dans le quartier et qu'il avait pris plaisir à sagouiner le décor jusque dans le moindre détail. J'allais sur mes 30 ans à cette époque et je ne connaissais rien à la peinture. J'avais seulement amassé une somme considérable de savoir ce qui me donnait l'impression de compenser un manque originel. Parfois lorsque je cherchais à nommer ce manque je parlais d'affection, d'amour, et pour varier, ne pas fatiguer ma cervelle, pour me distraire un peu, j'évoquais mon manque d'argent. Mais tous ces mots, toutes ces images dans le fond provenait d'une inquiétude fondamentale que je cherchais à cerner maladroitement. Et avec les années il me semble que ce avec quoi je tentais de me l'expliquer ou de la masquer devenait de plus en plus important reléguant ainsi l'inquiétude en tant que sensation dans les couches profondes de mon inconscience. Je ne m'intéressais plus à la cause mais seulement aux effets dans une confusion sans doute nécessaire. La femme près de moi ne fumait pas. Mais la fumée ne la dérangeait pas avait t'elle ajouté lorsque je lui avais tendu le paquet de Lucky. Je n'arrivais pas à lui donner d'âge, juste une estimation entre 45 et 50. Elle n'était pas belle selon les canons de l'époque et je m'en moquais bien, l'émotion que ses rides et ses tâches avaient déclenchée en discutant à la terrasse du café- ce petit café au haut de la rue Saint-André des Arts- ne m'avait toujours pas quitté. Plus une lourdeur de la chair s'affaissant avec un je ne sais quoi de tendre. Plus que de sexe j'avais ce besoin de tendresse. Autant à donner qu'à recevoir. Mais je ne me rendais pas bien compte encore, juste par ci par là une intuition fugace qui passait comme ces aventures que j'enchainais. Elle peut-être n'en était plus là. elle regardait le plafond en me caressant doucement la main. On reprenait notre souffle en retardant le moment où il faudrait libérer la chambre. Il n'y avait plus rien à dire non plus. C'est à ce moment là que j'ai découvert que l'inquiétude était un mot comme de nombreux mots et que l'on utilise mécaniquement sans prendre la peine de se pencher dessus. La lumière de cet après-midi d'automne filtrait au travers des rideaux et les bruits de la rue devenaient presque palpables par la fenêtre entr'ouverte. On était là allongés tous les deux comme des naufragés sur une ile en plein milieu d'un couloir commercial. Et de mon coté je n'avais aucune envie d'être secouru. Juste se méfier de ne pas entrer en collision trop rapidement. La cigarette se consuma ainsi puis j'écrasais le mégot dans un cendrier Cinzano sur la table de nuit. J'ai faim pas toi ? Elle regarda sa montre bracelet et décida qu'elle n'avait pas le temps qu'il fallait qu'elle rentre. Nous nous sommes rhabillés en silence. Chaque pièce de vêtement supplémentaire avec laquelle nous recouvrions notre nudité était comme une distance que nous installions avec l'événement dont il fallait s'éloigner désormais. Se résigner à s'habiller. Se résigner à continuer. A la fin j'ai prétexté vouloir rester encore un peu dans la chambre je n'arrivais pas à me faire à l'idée d'arriver en bas et de nous dire au revoir ou adieu. Elle n'a rien dit juste un sourire fatigué une caresse sur les cheveux, un baiser dans le cou, puis la porte s'est refermée doucement. J'ai tenté de suivre son pas dans l'escalier puis le bruit de la rue a augmenter d'un coup comme si quelqu'un avait monté le son. Et j'ai su que je m'étais trouvé nu face à l'inquiétude pour la première fois de ma vie. L'inquiétude n'était pas si inquiétante que cela avais je noté. Et puis je suis sorti de la chambre à mon tour j'ai retrouvé illico tous les manques que je m'étais inventé depuis toujours. On ne se refait pas, c'est la vie.|couper{180}

Carnets | août 2021

Fleur bleue

Bien sur je tiens absolument à conserver mon coté "fleur bleue" même si vous considérez que c'est ridicule, inconvenant, tout ce que vous voudrez. C'est pour l'entretenir d'ailleurs que je regarde certaines séries sur Netflix. La dernière en date une série espagnole dont la traduction doit ressembler à "si je ne t'avais pas rencontrée" C'est l'histoire d'un homme qui imagine que sa négligence est la cause d'un accident de voiture dans lequel il perd sa femme et ses deux enfants. Il décide d'en finir et au moment où il s'apprête à enjamber le parapet d'un pont pour se faire écrabouiller par un train, il rencontre une vieille femme étrange qui lui propose un deal, celui de voyager dans des univers parallèles. chaque décision dans notre vie crée des univers parallèles qui permettent d'explorer toutes les versions de celle-ci. C'est une idée à laquelle j'ai souvent pensé. Hormis le scénario, je découvre dans cette série une vision de la famille espagnole avec en filigrane la distribution des comportements suivant le genre de chaque actrice ou acteur. L'image de la mère prend une place considérable alors que le père est souvent relégué au rôle de figurant. Lutter contre la castration que provoque évidemment la disparition de la famille que le protagoniste principal a fondé masque à peine son combat pour tenter de s'émanciper du cocon familial. Les deux personnages féminins principaux représentent toute l'ambiguïté maternelle vis à vis de la sensibilité masculine qui ne peut s'épanouir que dans l'étreinte, celle subit et celle qu'il réclame. On peut aussi remarquer l'ambiguïté de la notion de famille à la fois rassurante et oppressante tout en même temps. Les personnages des pères quant à eux sont comme effacés ce qui étrangement les rend importants dans l'imaginaire familial ou totalement falot. A croire que le père doit être décédé pour retrouver un ersatz de virilité contrairement à celui qui bien vivant est quasiment insignifiant. Ce qui est diffusé est une information importante : la famille est tout et chacune de nos décisions est bonne ou mauvaise en fonction qu'elle maintient ou non la cohésion de celle-ci que ce soit la famille dont on vient ou celle que l'on crée. Je pensais à tout cela est aussi à la Sicile. A ma première compagne et à son point de vue sur sa propre famille dont il était hors de question que je puisse attenter à la cohésion imaginaire en laquelle elle croyait. Jusqu'à me planquer dans un placard dans notre petit appartement de la Bastille sitôt qu'on toquait à la porte de peur que nous nous rencontrions son père et moi. Ce qui advint au bout du compte et nous devînmes mêmes très amis sans jamais nous le dire, il était architecte et peignait dessinait à ses moments perdus. C'est d'ailleurs drôle ce genre d'expressions " ces moments perdus" comme des réalités parallèles à une réalité maitresse. Comme j'étais photographe à cette époque je lui ai proposé de faire des clichés de tous ses tableaux afin qu'il puisse oser présenter son travail à une ou deux galeries que je lui recommandais. Jusqu'au bout nous jouâmes le jeu "du je ne sais pas quelle relation véritable tu as avec ma fille." Et par respect même au pires moments de notre rupture puis de notre séparation je n'ai jamais vendu la mèche. Le profil du type que ma compagne s'était dégotté était apparemment totalement à l'opposé du mien. Un battant qui faisait des études de médecine et qui habitait quelque part en Uruguay ou au Brésil. Il s'en suivi des mois difficiles pour avaler le fait d'avoir été répudié ainsi par ma compagne mais aussi par cette famille sicilienne et tout l'imaginaire qui allait avec de mon coté. Je passais de longues journées d'errances dans les rues de Paris courant d'aventure en aventure sans autre but que de salir ce fichu coté "fleur bleue" que je pensais être le responsable de mon exil. A cette époque je ne m'intéressais déjà qu'à l'art, à la philo, à la littérature. Autant de choses qui ne servaient à rien véritablement c'est à dire qui assurerait une existence difficile, une vie de galère. Je peux dire aujourd'hui que cette fille a fait le bon choix et que je suis content qu'elle l'ai fait. Sans doute m'en serais je encore plus voulu de l'entrainer dans les conséquences de mon refus d'effectuer le moindre choix de carrière. Je crois aussi que je regarde cette série à cause de Mercedes Sampietro, quelle actrice magnifique à tous points de vue ! Aujourd'hui il va pleuvoir, pas la peine d'arroser, ce qui tombe bien cela me laisse plus de temps pour peindre et écrire. C'est l'eau du ciel qui arrose toutes les fleurs, qu'elles soient bleues ou pas.|couper{180}

Carnets | août 2021

En écrivant j’oublie ce que je voulais dire

Je viens d'écrire un texte sur le renouveau et puis je m'aperçois que je suis totalement passé à coté de ce que je voulais dire au début. C'est quelque chose qui m'arrive tout le temps. Lorsque je peins c'est pareil. J'ai une idée et on dirait que je prends une sorte de plaisir particulier à éviter de la faire surgir. Comme si ce qui m'intéressait ce n'était pas tant l'idée que la galaxie souvent nébuleuse qui l'accompagne dans son sillage. Une histoire de synesthésie mentale en quelque sorte. Je voulais parler du renouvellement de mon abonnement à Wordpress au début. Cela fait plusieurs mails qu'ils m'envoient pour m'inciter à renouveler avant la date limite qui doit se situer à la mi septembre. Je m'interroge depuis quelques jours sur mon envie de renouveler le bail. Cela me rappelle ma jeunesse quand tout baignait dans l'huile, que les choses s'emboitaient l'une dans l'autre parfaitement. On renouvelle ton contrat d'intérim ? Pourquoi pas ... et puis peu de temps après cette sensation de regret d'avoir lâchement dit oui. Comme une lâcheté, comme si je prenais aussi un malin plaisir à passer à coté de ma soi disant "vraie vie" totalement imaginaire évidemment. Comme si c'était toujours les circonstances qui devraient l'emporter bien plus que ma décision. D'ailleurs chaque décision est une sorte d'accouchement. J'imagine que lorsqu'on devient mère on se sent quasiment obligé de renoncer à tout le reste. Lorsqu'on devient peintre c'est pareil, ou écrivain, ou champion de tir à l'arc, ou cuisinier, peu importe. La sagesse semble nous parvenir par un courant d'air glacial passant sous les portes. Si on fait le moindre écart on imagine la bourrasque nous emporter presque aussitôt. Mais dans la jeunesse je me battais contre moi-même, contre ma couardise. C'est pour cette raison que soudain de façon intempestive je disais merde à un patron, à une boite d'intérim, à une relation . C'était pour ne pas renouveler ce bail de ce que j'imaginais être l'ennui, la torpeur. Ce qui advenait par la suite était souvent terrible de solitude et d'incertitude mais j'y gagnais en fierté et curieusement aussi en confiance et en amour en moi. En haine aussi souvent. Ce refus du renouvellement n'est rien d'autre qu'une envie de faire pencher le fléau de la balance dans l'autre sens pour voir ce qui peut advenir. Et dans l'absolu l'ennui m'était certainement nécessaire pour me sentir vivre à rebours de tous ceux que je voyais s'agiter en vain. s'ennuyer et souffrir comme un chien de la solitude, je voyais en cela une sorte d'entrainement para militaire. Quelque chose qui aurait pour but de faire de moi un guerrier invincible, quasiment déjà un héros. Et puis ça m'est passé, avec le temps. Peut-être pas tant que ça si j'y pense vraiment. C'est un peu comme les effets des thérapies brèves, on se tire d'une phobie pour pénétrer aussitôt dans une autre sans même sans rendre compte. Rien ne vaudra une analyse véritable sur le long terme. Chose que j'ai soigneusement évité de réaliser bien entendu. Il aura fallu toute l'ironie du monde pour que la vie m'offre soudain tout ce groupe d'amis, psys pour la plupart y compris mon épouse. Et le pire ou le meilleur c'est lorsqu'ils me disent : tu aurais fait un excellent psy ! Ce que l'on refuse le plus est souvent ce que l'on désire le plus, c'est ce que j'aurais appris par des détours labyrinthiques. Alors cette histoire de renouvellement où donc en suis je ? Vais je accepter sans broncher le cours normal du monde ? vais je encore faire le malin rien que pour éprouver de nouveau cette petite poussée d'adrénaline provoquée par le refus, le plaisir de s'opposer sans raison ? A l'heure où j'écris ces lignes je n'en sais rien du tout. J'assumerai voilà tout c'est aussi ce que j'ai appris de tous les actes inconsidérés que j'ai effectués. Dans un certain sens ce que l'on pouvait considérer comme de l'immaturité à une certaine époque de la vie se renouvelle et devient le sens des responsabilités. Que celles ci n'aient d'intérêt que pour moi seul me permet aussi de ne pas regretter celles qui me paraissaient mécaniques et collectives enseignées par les mots d'ordre de la morale ou de l'éducation.|couper{180}