dispositif
Textes sans narrateur. Non pas une histoire racontée, mais une mise en scène de voix, de forces, de formes. Ce qui compte n’est pas le fil narratif mais l’agencement : une voix qui ordonne, un chœur qui répond, des colonnes qui se font face. Le lecteur est placé dans ce montage, pris entre les flux, libre d’en construire le sens.
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Carnets | creative writing
déplacer le protocole
Transposer le protocole de JC Bailly de l'arpentage des paysages à la cartographie des œuvres littéraires . Coproduction de ce billet avec l'IA Deepseek pour la recherche de documentation. La pâleur de Bartleby. Je tombe sur le chiffre chez Andrew Delbanco : 85,05 dollars, versés par Putnam's à Herman Melville pour quatre textes, dont Bartleby. Quatre-vingt-cinq dollars et cinq cents. C’est le prix de cette nouvelle, en 1853. Le prix du « Je préférerais pas ». Melville, dans sa ferme de Arrowhead, est endetté. Moby Dick a sombré dans l’indifférence. Et voilà qu’il invente ce scribe, Bartleby, qui s’installe dans un bureau de Wall Street, face à un mur de briques. L’écrivain et son personnage sont dos à dos, séparés par la page, mais mirant la même impasse. Le chèque de Putnam's est la seule passerelle entre ces deux mondes, la preuve que le refus absolu, lui aussi, a un cours, dérisoire, sur le marché des histoires. Je lis chez Hershel Parker la description de la ferme d'Arrowhead. C'est une maison du XVIIIe siècle, en bois, sans fondations, constamment froide. Melville travaille dans son bureau du rez-de-chaussée. Par la fenêtre, il ne voit pas des champs, mais la masse sombre et obstinée du Mont Greylock. Le poêle ronronne. La table de travail est couverte de paperasses, les livres s'empilent sur le plancher. L'hiver, le vent s'engouffre par les interstices ; on gèle dans les chambres à l'étage. C'est dans cette atmosphère de confinement, de lutte contre le froid, les dettes, l'indifférence, que le « Je préférerais pas » prend forme. La fenêtre de Melville n'encadre pas un paysage, mais un mur de montagne, un horizon bloqué, une immense nasse de neige et de roc. Bartleby et son mur de briques sont déjà là, en gestation, dans le champ de vision même de l'écrivain. Il se lève tôt. Il allume la pipe. Il travaille dans le bureau froid, face au mont Greylock. Parfois, il va à Pittsfield pour le courrier, le tabac. Les gens le connaissent, mais de loin. Il rentre. Il reprend sa place. La page est là. Les dettes aussi. C'est dans ce va-et-vient entre le poêle et la fenêtre, entre l'espoir du courrier et la déception du retour, que la phrase a dû venir. Non pas comme une révélation, mais comme un constat. Une résistance. « Je préférerais pas ». Elle naît de la fatigue, du froid, du silence. Elle est le refus du bureau de Wall Street, mais elle est d'abord celui de la ferme du Massachusetts. Le même mur, des deux côtés de la page. « Je préférerais pas » est plus qu’un refus : c’est une retraite. Pour Bartleby, c’est le retrait du jeu social, du contrat de travail, de l’échange. Pour Melville, c’est le retrait face aux attentes du marché littéraire, au succès commercial, au rôle d’écrivain public. Aucun des deux ne dit « non » frontalement. Aucun ne se révolte. Ils se dérobent. La phrase est polie, irréprochable, mais absolue. Elle est le signe d’une lassitude si profonde qu’elle en devient une forme de résistance passive. Bartleby refuse de copier ; Melville refuse de reproduire les formules qui marchent. L’un meurt en prison, l’autre sombre dans l’oubli. Le « Je préférerais pas » est leur arme commune, une arme du faible, du las, de celui qui préfère disparaître que de se plier. l'œuvre ne parle pas que de cela. La posture du retrait est la colonne vertébrale du récit, son geste fondamental, mais la chair du texte est ailleurs : dans la folie raisonnante de Turkey, la nervosité de Nippers, la charité impuissante et ambiguë du narrateur-patron. Elle est dans la matérialité du bureau, le froid des murs, l'obsession du droit de propriété, la frontière ténue entre la compassion et le rejet. « Je préférerais pas » est le point de bascule qui rend tout le reste visible. C'est le grain de sable qui bloque le mécanisme bien huilé de Wall Street et qui, ce faisant, révèle la brutalité silencieuse de ce mécanisme. La nouvelle parle du travail, de la solitude urbaine, de l'échec de la charité, de la folie. Mais elle parle de tout cela à partir de ce refus. Le retrait de Bartleby est un puits noir autour duquel la ville, le droit et la psyché s'organisent et se révèlent.|couper{180}
Carnets | novembre 2025
10 novembre 2025
La maison avait une façade claire avec des volets toujours un peu fermés, une raideur tranquille qui convenait à la rue. On passait devant sans la remarquer, sauf les jours de marché, quand les marchandes accrochaient du linge au bord des camionnettes et que l’odeur de café brûlé venait de chez Duval, au coin. Dans l’entrée, il y avait un tapis élimé, un portemanteau de noyer et, posée sur une console, une boîte rectangulaire, laquée, qu’on n’ouvrait pas. C’était Marthe qui faisait visiter, un fichu sombre sur les épaules, un trousseau de clés accroché à sa taille. Elle disait que les chambres étaient modestes mais propres, que la cuisine donnait sur la cour, qu’on entendait à peine les cloches de Saint-Bernard, et qu’il y avait une seule habitude de la maison : —Ici, dès que tu arrives tu écris un nom sur un bout de papier, ça peut-être un sobriquet, un alias, un petit nom de l'enfance, un pseudonyme d'écrivan, un nom d'emprunt. Tu le mets dans cette boite et on ne t'embête plus avec ça. Elle disait ça simplement, sans mystère, comme on explique qu’on enlève ses chaussures dans un vestibule. Les locataires hochaient la tête. Ils arrivaient de partout, avec des valises souples et de petites carrières cassées. Un garçon timide qui se faisait appeler Polo à l’atelier, une secrétaire qui avait signé des poèmes sous le nom d’Héloïse, un serveur qui avait été « Nico » pendant deux étés sur la côte. Ils prenaient une feuille, écrivaient le nom à se défaire, pliaient le papier en quatre. Marthe ouvrait la boîte avec une clé fine, posait le feuillet à l’intérieur avec les autres. Elle disait : « Tant que vous dormez ici, la maison vous garde. Pas de cauchemars. Pas de portes forcées. Les voleurs ne passent pas le seuil. Vous verrez. » Et, de fait, on dormait bien. Le bruit de la rue s’arrêtait à la marquise, il y avait comme une tiédeur dans les couloirs. Les portes fermaient juste comme il faut, les robinets coulaient sans goutter, les soirs d’orage le toit tenait bon. Les habitants prenaient l’habitude de se croiser dans la cuisine, de se rendre de petits services, de ne pas poser de questions. À la Toussaint, après la soupe, Marthe essuyait ses mains, prenait la clé et disait d’une voix neutre : « C’est l’heure. » On la suivait dans l’entrée. Elle ouvrait la boîte, et il se passait quelque chose de léger, presque rien, une sorte de changement d'athmosphère. Et, dans les pièces, on reconnaissait des airs. La cuisine se donnait des manières de mère. Le torchon s’installait qu’on eût dit deux mains, la bouilloire lançait un petit sifflement rassurant. Le couloir prenait l’odeur d’un vestiaire, on l’aurait appelé Caporal sans même connaître l’histoire. Une chambre de l’étage avait quelque chose d’égaré, la fenêtre restait ouverte un peu plus tard, comme si quelqu’un cherchait un signal au loin : Perdue, on disait en souriant. On ne se plaignait pas. C’était même agréable, entre chien et loup, de sentir que les lieux avaient des allures, des caractères, et que ces allures vous tenaient au chaud. Les noms déposés ne servaient plus à personne, on avait bien le droit de les laisser courir dans les murs. L’hiver où elle est arrivée, la nouvelle, la pluie avait commencé tôt. Elle avait un manteau trop fin, des mains rouges, un carton à dessins sous le bras. Elle s’appelait, d’après les papiers, Éléonore Prat. C’était ce qui figurait sur la carte qu’elle tendit à Marthe en tremblant un peu. Marthe lui fit visiter et, avant de lui remettre la clé de sa chambre, elle répéta l’habitude de la maison. La nouvelle resta un moment à regarder la boîte. On aurait dit qu’elle n’avait pas ce genre de nom-là en trop, pas de surnom d’école qui colle, pas de pseudo de réseau, rien qu’un nom régulier, celui qu’on vous donne au guichet, sur les relevés, au travail. Marthe, pour l’aider, dit qu’on pouvait se séparer de n’importe quel sobriquet tant qu’on ne l’utilisait plus. La nouvelle hocha la tête. Elle s’assit à la console, prit le stylo, écrivit sans lever la main, d’un geste rapide, son nom en entier, tel qu’il apparaissait sur la carte. Elle plia le papier en quatre, comme on l’avait dit. Marthe, qui ne lisait jamais, glissa le feuillet avec les autres. On entendit la pluie sur la cour, la bouilloire qui commençait à chanter. Le soir même, Éléonore s’installa dans la petite chambre sur rue, la seule qui n’avait jamais pris d’allure à la Toussaint, ni Maman ni Caporal ni Perdue. Elle sortit deux tee-shirts, un pantalon, une trousse avec trois crayons, posa le carton à dessins sous le lit. Elle s’endormit vite, ventre creux, les mains glacées. Le lendemain, la maison ne la reconnut plus. Si je n'apparais plus sur les réseaux, si je ne publie rien, ne partage rien, est-ce que quelque chose se désagrège sans que je n'en soies conscient. Quelle part de lui se désagrège vraiment se demande t'il, sinon celle-fictive qu'il avait construite patiemment durant des années. Irait-il jusqu'à oublier son propre nom, celui tout autant fictif de l'état-civil. Est-ce que te nommes toi-même quand tu es seul dans le noir. Est-ce que tu utilise ce prénom, celui dont on t'affuble, que tu n'as pas choisi. --Tu as toujours des idées à la con mon pauvre vieux. Qu'est-ce que c'est encore que cette histoire de nom, de prénom que tu pourrais choisir. --Autrefois j'aurais voulu que l'on m'appelle Philippe. --Tu n'as qu'à dire que tu t'appelles Philippe qu'est-ce que ça peut bien faire. --Mais tous les gens que je connais diront que ce n'est pas mon vrai nom. --histoire de borgne au royaume des aveugles. --c'est quoi l'identité, à quoi ça tient, à quel mensonge... --Tu penses qu'innombable tu seras plus dans le vrai ? L'obsession de s'enfuir le réveille la nuit, il pense que ses rêves sont des prisons. --Celui-là si on ne l'enferme pas, il déborde de la casserole, du lait qui bout. ---Laissez-moi, allez-vous en, partez, disparaissez, laissez-moi tranquille --Une fois j'ai dit : je vous tuerai tous. Je ne veux plus voir personne. Puis je suis monté à la salle-de-bains, dans la glace aucun reflet, j'avais disparu enfn, c'était bien. D'autres m'ont parlé de tout ce que j'allais rater de me conduire ainsi. J'ai senti cette peur qu'ils avaient tous de rater quelque chose, j'ai noté ça dans un coin de ma tête, c'était une bonne arme, ça pourrait servir. Cette femme assise a disposé les cartes d'une certaine manière devant elle, c'était une torah mais tout le monde a dit non on ne dit pas comme ça on dit tarot, et là encore tu as vu quelque chose disparaître dans un recoin de la pièce. Ils ont même allumé la lumière pour que tu sois bien sur que l'ombre avait disparue. Tu ne les as pas crus. Tu ne leur as pas dit. Tu as refabriqué une ombre en urgence.|couper{180}
Histoire de l’archiviste
Tallinn 1922
L’archiviste, appelons-le Martin, avait fini par se faire à l’idée que sa vie se déroulerait dans un rectangle de vingt mètres carrés, entre des murs couleur de temps arrêté. Il avançait dans le classement du fonds H11, un dossier épais qui sentait le béton sec et les conflits juridiques, lorsqu’il tomba sur une chemise beige, différente des autres. À l’intérieur, pas de plans, pas de factures. Juste une liasse de correspondances entre le cabinet d’architectes et le Musée de l’Homme, datant des années 70. On y parlait de vitrines, d’éclairage, de normes de sécurité pour des silex. Une note manuscrite, signée d’un certain Commissaire Roche, attira son regard : « Pour le hall d’entrée, vérifier l’accord de la Direction avec la famille Rosen concernant le dépôt du galet gravé. Pièce jointe : acte notarié. » Le galet gravé. Martin se souvint de la boîte Glozel, de cette pierre lisse où courait un renne stylisé. Il avait toujours trouvé curieux qu’un cabinet d’architectes conserve de tels documents. Comme si les murs qu’on dessine devaient aussi abriter les fantômes des cavernes. Il suivit la piste, machinalement. Le dossier Rosen le mena à l’état civil, microfilmé sur des bobines qui sentaient le vinaigre. Les Rosen, donateurs discrets, étaient nés Rosenthal. Changement de nom en 1950. « Pour raison d’assimilation », précisait une note administrative, d’une écriture ronde et sans histoire. Martin s’arrêta sur le prénom de la mère : Sarah. Et sur le lieu de naissance : Tallinn, 1922. Tallinn. Le nom fit un drôle d’écho, comme une pièce tombée d’un vieux meuble. Rien de personnel, non. Juste une capitale balte, un port sur la mer glaciale, une de ces villes dont on voit les photos en noir et blanc et qui semblent habitées par un silence particulier. Il fit défiler les images, le souffle un peu court. Les noms dansaient, les dates se chevauchaient. Et puis, soudain, ce fut là. Un acte de mariage, 1946. Sarah Rosenthal, née à Tallinn, épousait un certain Robert Le Gall. Le Gall, le nom de jeune fille de sa mère. Et là, en témoin, signature illisible mais adresse claire : le 14 rue des Écouffes, à Paris. Il recula son fauteuil roulant, qui grinça dans le silence. Tallinn, les Rosenthal, la rue des Écouffes. Autour de lui, les archives du cabinet, celles du musée, celles de l’état civil, formaient soudain un seul et même puzzle. Un puzzle dont il était, sans l’avoir demandé, la pièce centrale. Il regarda ses mains, posées à plat sur le bureau. Des mains d’archiviste, habituées à toucher le papier des autres. Tallinn. Il y avait eu des troubles là-bas, dans les années 20, il le savait vaguement. Des histoires de cosaques, de maisons brûlées. Des choses qu’on ne disait pas. Puis il se leva, alla se faire un café. La machine grogna longtemps avant de rendre son jus noir. Dehors, un camion de livraison bloquait la rue. Martin but une gorgée, trop chaude. Il faudrait bien, un jour, ranger la chemise beige. Mais pour l’instant, il la laissa ouverte sur le bureau, comme une porte entrouverte sur un paysage inattendu, un peu froid, un peu lointain, comme les brumes du golfe de Finlande. illustration : Cette photo capture un moment très précis de l'histoire estonienne. En 1920, l'Estonie était en pleine Guerre d'Indépendance (1918-1920) contre la Russie soviétique. Les Britanniques ont fourni un soutien militaire important aux États baltes, incluant des chars comme celui-ci.|couper{180}
Histoire de l’archiviste
L’Héritage de l’Archiviste
Bien des années plus tard, devant la tablette de verre où s’allumaient les archives numérisées, l’archiviste se souviendrait de cet après-midi lointain où il avait découvert la boîte oubliée. Elle était cachée derrière les rayonnages métalliques, une caisse en bois marquée d’une étiquette à l’encre pâlie : Fonds Glozel – Don Roche, J.-B. Le nom n’avait d’abord éveillé en lui qu’un écho vague, une résonance scolaire. Mais en ouvrant le couvercle, une odeur de vieux papier, de cire et de temps suspendu s’était élevée. Il y avait là des carnets aux pages jaunies, une liasse de lettres, et, enveloppé dans un tissu, un galet plat sur lequel était gravée la silhouette fine et sauvage d’un renne. L’archiviste, dont la vie consistait à traquer la logique dans le chaos des dossiers, sentit immédiatement qu’il tenait autre chose. Ce n’était pas un dossier de plus à classer. C’était un piège à temps. Il commença par lire les carnets. L’écriture était ferme, celle d’un instituteur de la IIIe République. Jean-Baptiste Roche y décrivait non pas des faits, mais un vertige. Le vertige d’un homme pour qui le monde, auparavant ordonné par les manuels, avait soudain révélé ses fissures. Page après page, l’archiviste reconnut une sensation qu’il croyait personnelle et moderne : l’effondrement des certitudes devant la masse informe des preuves contradictoires. « On me demande une vérité unique, notait Roche, alors que la terre ne nous donne que des fragments. Je suis devenu l’instituteur du doute. » Ces mots frappèrent l’archiviste en pleine poitrine. Lui qui, chaque jour, devait extraire une ligne claire de kilomètres de dossiers de sinistres, lui qui s’échinait à reconstituer des puzzles dont l’image originale était perdue, il trouvait en cet homme mort depuis un siècle un frère d’arme. Il découvrit ensuite les lettres. Certaines étaient du docteur Morlet, pleines de fougue et de conviction. D’autres, de collègues enseignants, teintées de mépris ou de crainte. Une, émouvante de simplicité, était d’Émile Fradin, remerciant l’instituteur d’avoir « pris des risques pour la justice ». L’archiviste comprit que cette boîte ne contenait pas la réponse à l’énigme de Glozel. Elle contenait bien mieux : la chronique intime d’un homme qui avait appris à vivre avec l’énigme. Le soir, il resta tard dans la salle silencieuse, le galet gravé posé sur son bureau, à côté de son clavier. La lumière bleutée de son écran, où s’alignaient des dossiers numérotés, baignait la pierre ancienne. Deux mondes se touchaient : le sien, fait de données et de recherches par mot-clé, et celui de Roche, fait de boue, de intuition et de pierres disputées. Bien des années après, l’archiviste avait enfin trouvé le chaînon manquant. Non pas entre le Néolithique et l’Histoire, mais entre sa propre quête et celle de cet homme du passé. Ils étaient tous deux des passeurs. L’un tentait de faire passer un paysan illettré du statut de fraudeur à celui de témoin possible. L’autre tentait de faire passer des liasses de papiers du statut de déchets à celui de mémoire. Le lendemain, il ne classa pas la boîte. Il en fit un fonds à part, qu’il nomma « Fonds des questions ouvertes ». Il y joignit une note, non pas d’archiviste, mais d’héritier : « Jean-Baptiste Roche n’a pas résolu Glozel. Il a fait bien plus précieux : il a montré comment une énigme, lorsqu’on cesse de vouloir à tout prix la résoudre, peut devenir un compagnon de route, une lentille qui change la focale du monde. Ce galet n’est pas une preuve. C’est un rappel. Un rappel que derrière chaque dossier, il y a eu des vies, des doutes, et des histoires qui résistent à être mises en boîte. » En refermant la caisse, il sut qu’il ne regarderait plus jamais ses dossiers de la même manière. Ils n’étaient plus une masse à ordonner, mais un territoire à habiter, avec ses zones d’ombre et ses « vices cachés ». L’instituteur lui avait transmis le plus précieux des outils : non pas une solution, mais une posture. Celle de l’archiviste qui, désormais, savait que son travail n’était pas de clore les dossiers, mais d’en préserver les questions.|couper{180}
Carnets | Ateliers d’écriture
# Boost 2 # 06 | sept ouvertures de fiction à partir de rêves
Sept rêves avec un inconnu. Même matière, trois parcours possibles. Ci-dessous, l’ordre « canonique ». Les deux autres sont proposés en option. Sifflement · Porte · Dancing · Question · Voix · Trou noir · Atelier Parcours canonique Sifflement Porte Dancing Question Voix Trou noir Atelier Parcours alternatifs (ouvrir) Alternance dehors/dedans Porte Dancing Question Voix Trou noir Atelier Sifflement Logique d’enquête Voix Sifflement Porte Question Dancing Trou noir Atelier Sifflement Le son était encore lointain, mais suffisant pour me réveiller dans le rêve que je faisais ; c’était comme un appel — il fallait que ce soit un appel, un appel ou un signal. Il était temps de s’extraire d’un trop-plein de visions hypnagogiques assommantes. Quelqu’un avait émis un sifflement, et pas besoin de chercher longtemps, car ce sifflement m’était familier. Je me relevais comme après une nuit trop longue, le corps un peu ankylosé mais joyeux d’avoir été réveillé ainsi ; feignant la surprise, je me dirigeais sans hâte vers l’origine du son. Porte Parfois, il m’arrive encore de penser à lui et, ce faisant, je n’y peux rien, mon pas ralentit ; à moins que l’injonction mystérieuse de ralentir mon allure ne le fasse soudain ressurgir. Ou encore est-ce un peu de ci, un peu de ça, comme souvent. Enfin, il arrive régulièrement que je veuille me rendre quelque part et qu’au détour d’une rue mon corps soit poussé par je ne sais quel courant invisible, entraîné comme par force à bifurquer contre ma volonté, encore que je n’en aie pas beaucoup lorsque je déambule ainsi dans la ville. Et c’est ainsi que ce soir-là mes pas m’entraînèrent rue Germain Pilon et que je me retrouvai devant sa porte. Comme si revoir cette porte était une sorte de remède à mon errance. Cela ne servirait à rien que je frappe à cette porte, ni que je sonne. Je sais que, désormais, il n’est plus là, plus nulle part dans cette ville ni d’ailleurs sur cette terre. Alors je repars comme si j’avais fait le plein, que les niveaux étaient revenus à la normale, et me dirige franchement vers mon but, cette fois. Dancing Ce type me fait penser au renard de la fable chantonnant devant son corbeau. Il n’est de toute évidence pas roux et moi je n’ai pas de fromage dans le bec. Mais, néanmoins, ce soir-là nous entrons dans cet établissement étrange, un dancing. Presque aussitôt, il disparaît dans la pénombre au bras de rombières qui lui sont familières. La salle est vraiment sombre, la musique sirupeuse, ça sent la sueur, le parfum et, je crois bien, encore un peu le tabac. C’est une rêverie qui doit remonter de loin. Je m’assois à une table avec un verre qui arrive comme par enchantement et j’observe les silhouettes, les gens attablés, beaucoup de rombières. Du genre dévergondées, si vous voulez tout savoir. Je ne suis pas loin du haut-le-cœur quand, soudain, juste à côté de moi, une est là dans l’obscurité et me demande du feu, une cigarette entre les lèvres. Je me sens vraiment seul et, si je me dis que je vais me réveiller, c’est certain, je me réveillerai, mais où ? Question Nous marchons, lui et moi, dans une rue ; nous parvenons à la Butte-aux-Cailles et nous bavardons. C’est une fin d’après-midi d’automne ; des oiseaux volent très haut au-dessus des platanes du boulevard proche, et leurs cris stridents zèbrent l’air. Nous traversons des nappes d’ombre et des clartés aveuglantes tout en conversant de choses absolument banales, et soudain ma question reste sans réponse : il a encore disparu. Voix Encore une fois, ce cimetière avec ses pierres tombales de guingois, et, tout à fait lucidement, je me rendais compte de ma manie, de mon obstination, et je me demandais comment parvenir à m’en extraire. « Tu n’as qu’à penser à autre chose », me dit la voix familière du plus profond de mon rêve. C’était difficile de penser à autre chose à cet instant précisément ; cela demandait une sorte d’effort insensé, comme celui nécessaire pour courir en faisant du surplace ; et surtout, on pouvait, à cet instant, prendre conscience de tout le ridicule de cette situation, comme rarement on en avait pris conscience. — C’est déjà bien de t’en rendre compte, continua-t-il d’un ton complice. Trou noir Dieu merci, j’ai conservé mon carnet de rêves, que j’entretiens depuis des années. Il m’arrive encore d’y écrire, mais seulement les rêves lucides ; les autres ne m’intéressent plus vraiment. Sauf, évidemment, s’ils font référence à lui, quelles que soient, souvent, les voies détournées que le rêve peut prendre pour le faire ressurgir. Nous avions en commun du sang slave. Il n’est alors pas rare que, dans mes rêves les plus foutraques, j’aie à pénétrer dans des yourtes mongoles, à me gaver de beurre de yak, à faire rouler du pied des têtes de mouton avec les gamins du coin. Et il est là, il est toujours quelque part, à observer la scène. Des fois je le vois ouvrir la bouche, je crois qu’il va se mettre à parler, mais je vois un trou noir qui s’élargit de plus en plus ; va-t-il crier ? Non : il semble avoir des difficultés à respirer, il essaie d’aspirer de l’air, puis la bouche se referme et j’entends son rire, très doux, comme celui de quelqu’un qui, encore une fois, a vaincu la mort. Atelier Il a allumé le poêle à gaz dans l’atelier et la chaleur a progressivement repoussé le froid. Il s’est frotté les mains puis il a préparé son médium à peindre ; l’huile était presque gelée, lourde et visqueuse. Je l’ai regardé faire un long moment ; il était vieux, désormais, pas très en forme si vous voulez mon avis. Il a pris une nouvelle toile et l’a badigeonnée de terre de sienne, diluée avec de l’essence de térébenthine ; je ne sais pas ce que j’aurais donné à ce moment-là pour respirer cette odeur, mais nous en sommes privés, pas plus que nous n’avons chaud ou froid, à vrai dire. Tout ce que nous pouvons capter, nous l’attrapons à la volée sur la peau des vivants.|couper{180}
Carnets | octobre 2025
19 octobre 2025
assumer la rétractation Par curiosité, je suis allé voir l’étymologie de « suffoquer » : du latin suffocare, sub- (« sous ») et focare (« exposer à la chaleur », de focus). D’abord « étouffer par la fumée », puis « priver d’air », enfin « troubler, oppresser ». Cela m’a ramené à l’enfance, aux jeudis et dimanches trop longs où nous braquions le soleil dans une loupe pour voir l’herbe grésiller, noircir, s’embraser, pendant que l’ennui commençait, lui, à suffoquer. De cette petite combustion à une plus vaste, le mécanisme tient : une chaleur se concentre, l’air se raréfie, puis vient l’inflammation. Peut-être que l’empilement des taxes et des injustices, cette convergence obstinée sur les plus vulnérables, produira le même effet et fera lever une parole qui dise clairement non. Par « peuple », j’entends l’ensemble dispersé des vies ordinaires aux contraintes communes, non un bloc mythique. Reste à savoir si cet ensemble tient encore : je vois surtout des communautés, des chapelles qui s’oxygènent entre elles et s’étouffent entre elles, comme un budget sans recettes d’air. À ce point, on voit bien ce qu’il manque : non une manne providentielle, mais faire quelque chose qui change quelque chose. « Travailler » se glisse aussitôt, et ne dit rien ; produire — de l’usage, du commun — semblerait moins vain. Aussitôt écrits, ces mots m’appauvrissent encore. L’individualisme qui me gouverne — comme, je le crains, nous tous — m’inciterait à tout raturer, à feindre une douleur, un regret, un remords, pour tromper le même vieil ennemi. Et voilà : une parole qui s’avance en sachant qu’elle retiendra son souffle. Tenir l'appel Par curiosité, je suis allé voir l’étymologie de « suffoquer » : du latin suffocare, « étouffer par la fumée », puis « priver d’air », enfin « oppresser ». L’image m’a renvoyé à l’enfance : la loupe, l’herbe qui grésille, le point de chaleur qui concentre la lumière jusqu’à l’embrasement, et l’ennui qui, un instant, suffoque. Le mécanisme est simple : la chaleur se concentre, l’air se raréfie, vient l’inflammation. Aujourd’hui, l’accumulation des taxes et des injustices concentre à son tour : l’iniquité converge sur les plus vulnérables. Peut-être cela suffira-t-il à faire lever une parole qui dise non. Par « peuple », j’appelle l’ensemble dispersé des vies ordinaires, pas un bloc mythique. Tient-il encore ? Je vois surtout des chapelles, antagonistes, qui ferment l’air comme on ferme un budget sans recettes. Ce qui manque n’est pas la manne : c’est faire quelque chose qui ouvre l’oxygène commun. « Travailler » ne répond pas à la faille ; produire — de la valeur d’usage, des lieux, des liens — y répond mieux. Écrire ces mots m’expose à leur appauvrissement, je le sais, mais je ne les rature pas. Qu’ils fassent au moins ce qu’ils disent : rouvrir un peu d’air, assez pour un nous ténu qui ne s’étouffe pas.|couper{180}
Carnets | creative writing
Joy Sorman, Eric Lapierre : L’inhabitable
📓 Fiche Obsidian — Joy Sorman, Eric Lapierre L’inhabitable Objectif : extraire des procédés narratifs et de style réutilisables en exercice d’écriture. 1) En deux lignes Cartographie narrative de l’insalubrité urbaine. Montage alterné entre définitions, chiffres, adresses précises, et micro-scènes au présent, pour faire sentir sans pathos. 2) Geste d’écriture Observer, décrire, inventorier. Coller au concret. Laisser les faits produire l’éthique. Aucun plaidoyer frontal : la critique passe par la précision matérielle, la toponymie, et le cadrage des corps dans les lieux. 3) Architecture Découpage par lieux : chapitres titrés par adresses réelles (ex. 31 rue Ramponneau, 10 rue Mathis, 23 rue Pajol, 72 rue Philippe-de-Girard, 73 rue Riquet, 46 rue Championnet). Alternance : Fiches (définitions juridiques, historiques, statistiques) Scènes (pièces, couloirs, cages d’escaliers, hôtels sociaux, cuisines, murs, odeurs). Progression : du général au minuscule. Retour régulier au lexique administratif pour relancer. 4) Procédés narratifs clés Toponymie comme ancrage : un lieu ouvre et gouverne la séquence. Présent descriptif dominant, passé bref pour l’arrière-plan. Inventaires concrets : objets, surfaces, fluides, nuisibles, températures, bruits. Chiffres et seuils : pourcentages, loyers, normes, dates, arrêtés. Discours rapporté minimal : guillemets rares, préférer l’indirect libre discret. Focalisation témoin : un “je” parcimonieux, fonction d’interface. Transitions sèches : par liste, par deux-points, par reprise d’un mot pivot. Effet dossier : alternance “document”/“terrain” sans commentaire évaluatif. Ethos : empathie froide, précision clinique, refus du pathos. 5) Syntaxe, rythme, ponctuation Phrases courtes à moyennes (≈ 20–25 mots). Deux-points pour définir, exemplifier, inventorier. Parenthèses et chiffres pour cadrer sans digresser. Anaphores discrètes sur un nom concret (mur, porte, odeur) pour la cohésion locale. Verbes d’état et de perception + lexique technique → stabilité, netteté. 6) Lexique récurrent insalubrité, relogement, arrêté, plomb, saturnisme, cafards, humidité, murs, couloir, pièce, hôtel meublé, loyer, euros, foyer, cage d’escalier, odeur, fuite, moisi, peinture écaillée, Paris, arrondissement, immeuble, appartement, chambre, fenêtre, matelas, chaudière. 7) Cadrages et motifs Cadre : seuils et passages (portes, cages, paliers). Motifs matériels : murs qui suintent, peintures qui cloquent, bruit de tuyauterie, odeur de gaz ou de café, ampoules nues. Figures sobres : métonymie et synecdoque (la “pièce” pour la vie entière), métaphore minimale. 8) Scènes-types (réutilisables) Ouverture-adresse : annonce d’une rue + impression de densité + premier objet saillant. Couloir-diagnostic : inventaire des défauts + norme rappelée + chiffre. Pièce-corps : un geste banal (faire du café, ouvrir une fenêtre) révèle l’habitat. Entrailles-immeuble : sous-sol, colonnes, compteurs, conduites → matérialité du risque. Sortie-constat : retour au trottoir, replacer l’adresse dans la ville. 9) Gabarits syntaxiques (copier-adapter) Définition + seuil : « [Terme] : est dit [terme] tout lieu où [critère 1, 2, 3]. » Adresse + densité : « [N° rue Lieu]. [Nom du lieu] est [qualificatif mesuré] : [éléments]. » Inventaire : « [Objet 1], [surface 2], [bruit 3], [odeur 4]. » Chiffre + visage : « [x % / x €], et pourtant [geste précis d’une personne]. » Constat sans morale : « [Détail concret], rien d’autre. » 10) Contraintes d’écriture (checklist) [ ] Une adresse réelle en titre. [ ] Présent pour les faits, passé bref pour l’avant. [ ] 1 chiffre minimum (%, €, année, surface, seuil). [ ] 1 norme citée ou paraphrasée (définition/arrêté/seuil). [ ] 8–12 éléments d’inventaire matériel. [ ] Zéro pathos, zéro jugement explicite. [ ] Clôture par un détail concret, sans commentaire. 11) Micro-atelier “à la manière de” Durée : 20–30 min. Longueur : 180–300 mots. Choisis une adresse (vraie). Écris 3 phrases de définition paraphrasée d’un problème (humidité, plomb, nuisibles). Ajoute 1 chiffre et 1 seuil. Décris une pièce par inventaire. Conclus par un détail neutre. Modèle # [N° RUE NOM-DE-RUE, QUARTIER] [Phrase 1]: [définition paraphrasée + seuil]. [Phrase 2]: [densité, matériaux, lumière]. Inventaire: [objet], [surface], [odeur], [bruit], [trace], [eau]. Chiffre: [x % / x € / année] + [effet local]. Geste: [action minuscule d’une personne]. Clôture: [détail concret], rien d’autre. 12) Variations possibles Bascule de focale : plan d’ensemble → gros plan sur une main ou une tache. Chrono-variation : matin vs nuit, même adresse, deux inventaires. Dossier : encadré chiffres intercalé entre deux scènes. 13) À éviter Métaphores appuyées, hyperboles, indignation verbale. Dialogues longs. Psychologisation. Conclusion morale. 14) Indices quantitatifs utiles (sur l’ouvrage analysé) Temps dominant : présent. Longueur moyenne des phrases : 23 mots. Marqueurs : nombreux deux-points, chiffres, toponymes. “Je” discret : narrateur témoin, non héroïsé. 15) Fiche “copier-coller” Obsidian --- type: "Fiche style" auteur: "Joy Sorman" oeuvre: "L’inhabitable" focus: "Procédés réutilisables" tags: [style, documentaire, urbain, inventaire, toponymie] --- ## Geste [Résumé en 2–3 phrases] ## Procédés - Toponymie: - Alternance doc/terrain: - Présent descriptif: - Inventaires: - Chiffres/Seuils: - Focalisation: - Transitions: ## Lexique utile [20–30 mots concrets] ## Gabarits 1) Définition + seuil: 2) Adresse + densité: 3) Inventaire: 4) Chiffre + visage: 5) Clôture: ## Atelier (20 min) [Adresse] — [Inventaire] — [Chiffre] — [Geste] — [Clôture] Remarque : l’autrice est Joy Sorman. La fiche cible son dispositif dans L’inhabitable et le rend opératoire pour d’autres textes.|couper{180}
Carnets | octobre 2025
12 octobre 2025
On dit vivre au présent. Le présent n’a pas lieu. Il se soutient d’une lacune qu’on nomme instant. Une époque répond à une autre, sans rencontre. Revenir ne rejoint rien. Cela répète. Nommer l’instant le retire. Ce qui se montre se défait. Rien à retenir. Aller sans objet. Passages. Lire. Relire. Couper. Laisser le reste. Parfois l’écriture a lieu dans le sommeil. Au réveil, rien. Mieux, peut-être. Se soustraire au présent nommé n’éclaire pas. Une ouverture a lieu, sans lieu. Exposé au neutre. Sans accueil, sans refus. L’inquiétude prévaut sur l’assurance. Il y a, peut-être, urgence. Non à comprendre. À sortir. Un pas se fait, sans direction. Pourquoi, comment, en suspens. Rien n’est décidé. Le présent n’a pas lieu. S’il n’a pas lieu, il oblige. Tenir l’écart. Suspendre l’assentiment. Reporter le jugement. Réduire la phrase. Épreuve minimale. L’horloge passe de 12:00 à 12:01. Rien n’a eu lieu. Le fichier porte une date. Rien ne s’est passé. Différence constatée sans événement. Conséquence. Conduite basse intensité. Ne pas conclure. Laisser ouvert. Geste minimal. Sortir plutôt que comprendre. Risque. Séparation. Silence pris pour refus. Perte d’usage. Ce que cela sauve. Attention. Possibilité d’entendre. Place pour quiconque. Il y a, peut-être, urgence. Un pas se fait, sans destination. Ni adhésion ni déni. Le neutre travaille. Rien n’est décidé. illustration : Whistler, nocturne en bleu et or, 1872-75, huile sur toile, Tate, Londres.|couper{180}
Carnets | octobre 2025
11 octobre 2025
nommer Ordinateur, lumière bleue ; café froid, amertume. Page nue, marge large, blancs bloqués. Frisson, angoisse, joie, ivresse (courte). L’éditeur, au guet ; contre l’effacement. Barre d’outils ; onglets ouverts ; dossiers en enfilade : dates, numéros, étiquettes. Papier mental, grain fin ; écran mat, reflets ; poussière de bord d’écran. Silence de pièce ; tic sec du trackpad ; souffle mesuré. Groupe nominal en charpente : tasse, paume, fenêtre, nuit ; le jour, au rebord. Blancs porteurs ; seuils ; interlignes ; marges en garde. Atlas du site : rubriques, mois, fil d’Ariane ; cartes, épingles, toponymes. Inventaire d’objets : porcelaine, stylo, carnet, câble ; odeur d’encre, métal tiède. Étude, protocole, gabarits ; sobriété typographique ; hiérarchie de titres. Progressivité : l’indéfini d’abord, la précision ensuite ; singulier en préférence. Maison d’édition : poutre, paille, joints ; toit au-dessus des pages. Paroi du temps : versions, sauvegardes, bornes. L’angoisse, ici ; la règle, là ; le blanc, entre. Maison plutôt qu’édition ; page plutôt que phrase ; relation plutôt que mot. agencer Un ordinateur, d’abord — bleu d’écran. L’ordinateur, ensuite, veille froide ; cet écran, lumière serrée. Café, froid ; amertume, au bord de la tasse. La page, nue ; la marge, large ; blancs, bloqués ; le blanc de marge, de page, de nuit ; ce blanc-ci, charpente. Frisson, angoisse, joie, ivresse (courte). Un éditeur, au guet ; l’éditeur, dans le courant ; cet éditeur, contre l’effacement. Navigation : dossiers, onglets, seuils ; dates, numéros, étiquettes ; versions, sauvegardes, bornes. Étude : d’abord ; étude, encore ; contre l’angoisse, l’étude. Une grammaire : invention ; groupe nominal contre groupe verbal ; nom, avant ; verbe, relégué. Appositions : tasse, paume, vitre ; fenêtre, nuit ; jour, au rebord. Génitifs en chaîne : silence de pièce, de souffle, de doigt ; poussière de clavier, de câble, de livre. Maison d’édition : poutre, paille, joints ; toit au-dessus des pages ; la maison, plus que l’édition. Règle visible : fil d’Ariane, cartes, rubriques ; les mois, en frise ; titres, corps, interlignes. Progressivité : un blanc, le blanc, ce blanc-ci ; une page, la page, cette page. Hypothèse, retrait, reprise ; fragments ; séries. L’oubli, dehors ; l’effacement, repoussé aux bords. Le texte : objet ; la page : surface ; le regard : passage. Un coup de page : l’espace : phrase ; la relation : sens. paratexte, l’écart, le rapprochement Ici, j’ai supprimé les verbes pour éprouver l’hypostase du nom. J’expose la règle afin qu’on lise l’agencement : progressivité (un/le/ce), chaînes génitives, deux appositions longues, blancs opératoires. La page sert d’unité, non la phrase. On voit ce que gagne la précision déplacée. Plus tard, je remettrai un verbe, un seul, pour mesurer l’écart. Revenir sur les lieux par l’imagination — quels lieux, et pourquoi l’insistance de certains plutôt que d’autres — ce ne sont pas des questions à trop creuser, au risque de ne plus savoir remonter le mécanisme. Rester dans l’ignorance et s’y tenir, non dans l’accablement mais au guet. Rester dans l’ignorance et s’y tenir, non dans l’accablement mais dans la tenue. Rester dans l’ignorance et s’y tenir, non dans l’accablement mais dans la disponibilité. Attention brève : surgissement, mine, raclage, succion, éponge. S’éloigner, revenir, s’éloigner. Accommoder. Ce blanc-ci, seuil.|couper{180}
Carnets | octobre 2025
10 octobre 2025
Je dis que je reconnais la façade parce qu’elle n’a jamais tenu que par trois signes simples : un vieux numéro vissé de travers, un joint de silicone jauni autour d’une fenêtre, une tache plus claire là où pendait autrefois un store. Je dis que c’est incontestable, que ces trois signes suffisent pour dire “c’est ici”, et je retire ma certitude puisque le numéro a pu être revissé par le nouveau propriétaire, que le silicone a pu être refait à l’identique, que la tache claire n’est peut-être que l’ombre récente d’une enseigne d’agence qui aurait pris la maison pour un bureau. Je soutiens que l’entrée était à gauche, qu’on poussait une porte lourde avec un ressort fatigué qui revenait trop vite, que la béquille marquait la peinture d’un arc gris, et j’annule aussitôt : la mémoire adore les trajets courts et les gestes ronds, elle met des ressorts partout pour tenir, elle invente le couinement comme on invente une échelle, je n’en ai pas la preuve, je ne possède que cette conviction qui réarrange. Je dis que le gravier du devant était grossier, mélange de blanc et de clinker, que la roue du vélo s’y plantait, que c’est pour ça que je descendais toujours avant, et je défais : la roue plantée c’est peut-être autre part, un autre été, une autre cour ; je confonds les granulométries et les chutes. Je déclare que la boîte aux lettres, normalisée avec un petit tambour pour les journaux, portait notre nom écrit au marqueur noir qui bavait sous la pluie, et je retire : le marqueur pourrait appartenir à une époque où nous n’étions déjà plus là, le bavement être celui des nouveaux, leurs lettres à eux, leur manière d’exister sur la porte. Je dis que la campagne n’était pas vide, qu’elle posait seulement des distances trop égales : entre les poteaux électriques, entre deux fermes, entre un talus et la bande blanche de la route, une égalité qui fatigue l’œil et apaise les voix, et je dis que c’est précisément cette égalité qui est devenue une chambre intérieure, un système de repères pour respirer, et je me contredis : je sais très bien que j’importe ici des mots appris plus tard, que je donne à la plaine une syntaxe qui lui est étrangère, que la chambre intérieure n’existait pas ; il y avait des ronces au mauvais endroit, un fossé plein d’eau brune, une signalisation qui se décolorait sans élégance, un abribus qui sonnait creux quand on le touchait du poing. Je dis que je peux atteindre la maison en me fiant au panneau “Vallon-en-Sully” et au tournant juste après la rivière, pont étroit, bordures griffées par les camions, et je retire : tout pont se ressemble quand on parle au passé, on lui prête toujours la même fatigue, la même rature de pneus, on l’amène où l’on veut pour y faire passer nos phrases. Je dis que dans la maison on se parle encore à voix basse, que l’acoustique de la cage d’escalier remonte les mots et les renvoie comme dans un entonnoir, que j’entends “descends”, “pose ça”, “pas maintenant”, et j’annule : ces mots sont des étiquettes collées depuis, l’intonation est fabriquée, je fais venir des voix pour habiller un volume. Je dis que la cuisine faisait chaud sans raison parce que la fenêtre donnait plein ouest et que personne ne pensait à baisser le store, que le carrelage avait un défaut d’alignement sur trois rangs, qu’on butait dessus sans le dire, et je retire : cet ouest obstiné appartient peut-être à un autre plan, une autre façade, un croquis mental qui a rangé toutes les pièces sur un même soleil, parce que c’est plus simple de tenir un souvenir comme un plan. Je dis que l’odeur là-bas n’était pas “foin”, n’était pas “linge propre”, n’était pas “confiture”, mais quelque chose d’industriel et de discret : la colle d’un stratifié, le plastique d’une nappe, l’encre d’un journal qui sèche ; et je retire : si je précise à ce point c’est que la précision m’arrange, je place des produits chimiques pour éviter l’histoire, pour me protéger du roman, je remplace la famille par des solvants et je demande qu’on me croie. Je dis que la douleur de ne plus savoir vrai ou faux tient à un détail bien localisable : le compteur au mur, boîte grise, plombs bleus, chiffres qui tournent derrière un verre rayé, j’affirme que c’est là que la mémoire se grippe, parce que je le vois si nettement que c’en est suspect, et je défais : un compteur est toujours un compteur, c’est ce qu’il y a de plus interchangeable, il suffit d’un drap de poussière et d’un plomb tordu pour qu’on dise “c’est celui-là”, je pourrais l’avoir importé de n’importe quelle remise. Je dis que l’extérieur a été refait propre, gouttière PVC, crépi à grains serrés, clôture grillagée aux piquets vert bouteille, et je retire : ce propre m’a servi d’argument contre le passé, un alibi commode pour dire “on nous remplace”, or personne ne remplace personne, on retrouve seulement le chantier là où on l’a laissé, on découvre qu’on n’a jamais signé de réception des travaux. Je dis que la campagne aujourd’hui est plus vide, que la ligne de car ne passe plus, que la supérette a replié son rideau et laissé ses stickers comme des écailles, que le lavoir est comblé, et je me contredis : à force de compter les manques, je fabrique une méthode, une manière d’avoir raison en empilant des absences ; ce n’est pas une preuve, c’est une playlist. Je dis que la façade se souvient mieux que moi, qu’elle conserve dans ses rectangles ce que j’essaie de dire, que les décalages des percements, les proportions, l’inclinaison des tuiles disent ce qui fut sans pathos, et je retire : je prête à des angles le pouvoir de me parler parce que c’est moins douloureux que d’admettre que la voix qui manque est la mienne. Je dis que j’accepte de ne pas savoir si le tilleul était un tilleul, si le banc était un banc, si la marche était fendue en deux ou en trois, et je retire jusqu’à cette acceptation, car j’entends très bien la petite musique de l’époque : je me vois arrangeant mes ignorances comme on classe des vis ; je m’offre des pauses nobles, je baptise mon incertitude pour ne pas passer pour négligent. Je dis que je possède au moins un point fixe : l’angle de vue depuis la route, parce qu’il impose son horizon et sa perspective indépendamment de moi, que c’est la géométrie qui me tient quand je flotte, et j’annule : je n’ai jamais regardé que depuis mes chevilles et mes épaules, et mes chevilles et mes épaules ont changé ; il n’y a pas d’angle objectif, seulement une posture qu’on répète pour se convaincre qu’on revient quelque part. Je dis que la preuve de l’enfance, c’est la hauteur des poignées par rapport à la main, que je me souviens précisément de lever le bras pour atteindre, et je retire : ce geste est un cliché internalisé, tout enfant lève le bras, je lui donne un statut d’archive parce qu’il est exportable, parce que je peux l’écrire sans me brûler. Je dis que je peux reconstituer la table du matin grâce au bruit des verres quand on les pose sur la toile cirée : un son mat, un peu collant, suivi d’un petit arrachement, et je retire : j’ai appris ce bruit dans d’autres cuisines, j’en fais revenir un sample ici, je fais de l’ingénierie du sonore pour recoller un lieu. Je dis que ce qui reste, c’est un geste extérieur : la main sur le verrou du portail, la friction légère, le clac sec, le retour contre butée, que je le tiens, que ce geste prouve une résidence, et je retire : un verrou est un verbe transitif, il ferme ce qu’on ne dira pas, il n’ouvre rien. Je dis que je vais quitter la route, que j’avance, que je m’aligne sur la fenêtre du rez-de-chaussée, que je compte jusqu’à quatre pour atteindre le coin, et je retire : je tourne autour d’un rectangle mental comme autour d’une planche à dessin. Je dis, pour finir en le défaisant, que la vérité de ces souvenirs tient dans la manière même dont ils m’échappent, et je retire le mot vérité parce qu’il m’aide trop ; il reste une pratique : dire, enlever, dire encore, rayer, remettre une vis, en enlever deux, revenir le lendemain sans excuses. Je dis que je n’ai plus besoin des images attendues, et je retire : j’en aurai besoin demain, parce qu’elles sont pratiques pour ne pas sombrer dans le blanc. Alors je t’indique seulement ceci, sans y mettre autre chose : il y a une façade qui a changé de mains, un bout de route trop droite, un panneau qui promet une commune avant que la rivière ne tourne, et entre tout ça et moi une série de corrections que je n’arrive pas à finir.|couper{180}
Carnets | creative writing
Conversation — Gabarits syntaxiques (09/10/2025)_02
📘 Fiche récap — Raymond Carver, Débutants (focus littérature) 1) L’ouvrage en deux lignes Vies ordinaires au bord de la casse : cuisines, motels, garages, hôpitaux, parkings. Diction simple, dialogues secs, détails concrets qui font remonter l’émotion sans explication ; fins ouvertes. 2) Thèse / geste d’écriture Montrer le drame par l’ordinaire — l’objet, le geste, la réplique — plutôt que par l’analyse. Laisser circuler la dignité des personnages : peu de psychologie, beaucoup d’indices (odeurs, matières, habitudes). Le sous-texte (manque, peur, désir) travaille en silence sous la surface descriptive. 3) Les 5 principes majeurs (pour lire / imiter) Phrases courtes + dialogues : déclaratives simples, verbes usuels ; répliques qui portent le sens implicite. Focalisation proche : un “je” ou “il/elle” discret ; temps passé/imparfait descriptif ; angle domestique (cuisine, salon, voiture). Concret sensoriel : listes d’objets, matières, marques ; peu de métaphores. Montage sobre : alternance narration/dialogue ; ellipses, transitions minimales. Clôtures non morales : fin sur un objet/geste/regard, pas de sentence. 4) Gabarits syntaxiques (patrons réutilisables) + exemples tirés de Débutants (≤ 25 mots) Énoncé concret simple « [Lieu], [personnage] [action brève]. » Ex. : « Il y songea en sirotant le whisky. » Inventaire prosaïque « [OBJET], [MATIÈRE], [TAILLE/ÉTAT]… » (enchaîner 3–4 éléments) Ex. : « La batterie de cuisine d’aluminium brillant occupait une partie de l’allée. » Ex. : « Une nappe de mousseline jaune… recouvrait la table et pendait sur les côtés. » Constat + rectification (sec) « Pas [X] ; rien que [Y]. » Ex. : « Il n’y eut aucun échange d’amabilités…, rien que le minimum de mots requis. » Question-réplique (dialogue porteur) « — [Question simple] ? — [Réponse brève]. » Ex. : « — Vous voulez la photo de votre maison, ou pas ? » Ex. : « — Ça, c’est une autre histoire, il a dit. » Gnomique discret (trait de caractère) « [Prénom] n’aimait pas [X]. » Ex. : « Jerry n’aimait pas qu’on lui dise ce qu’il avait à faire. » Clôture sur geste/objet « [Geste matériel] ; [silence/attente]. » Ex. : « Il gardait les yeux baissés sur les photos et la laissait parler. » 5) Feuille de style “Carver — Débutants” Amplitude : 1–3 phrases courtes par paragraphe ; nombreux dialogues. Connecteurs : et / mais / puis / alors ; éviter les tournures abstraites. Verbes : verbe d’action/usage (verser, poser, regarder, dire, prendre). Détails : viser 6–10 éléments (objets/matières/bruits) par scène. Motifs : alcool/café ; voiture/route ; argent/travail ; télé/hôpital/cuisine. Voix externes : 2–3 répliques brèves qui déplacent la scène. Clôture : finir sur un objet/geste/regard, pas d’effet “morale”. 6) Procédure de réécriture (7 étapes) Cadre : définir un lieu concret (cuisine, voiture, salle d’attente). Noyau(≤ 15 mots) : geste + objet + tension (« elle fait le café, il prépare sa valise »). Inventaire(10) : objets, matières, sons, odeurs du lieu. Dialogues (3) : trois lignes utiles (question, esquive, fait). Motifs (2–3) : un objet qui revient, une habitude, un bruit. Déploiement : 1–2 paragraphes alternant inventaire → réplique → rectification. Affinage : couper l’explication ; garder le détail qui fait basculer. 7) Exercices rapides Inventaire aveugle : décrire un lieu par 8 objets + 3 bruits/odeurs (0 métaphores). Une page / 100 mots : 70 % de phrases ≤ 8 mots ; 3 répliques. Dialogue sans incises : 6 répliques en ping-pong, aucune didascalie ; sens par sous-texte. Déplacer la fin : récrire la dernière phrase sur un objet (pas d’explication). Argent/Travail : glisser 1 signe matériel (facture, badge, horaires) qui révèle l’enjeu. 8) Prompt prêt à l’emploi Réécris le passage suivant dans l’esprit de Raymond Carver (Débutants), en appliquant : phrases courtes ; dialogues qui portent l’émotion ; inventaire concret (objets/matières/sons) ; 2–3 motifs simples ; clôture sur un geste/objet (sans morale). Paramètres : [Lieu]=… ; [Noyau ≤15 mots]=… ; [Inventaire 10]=… ; [Dialogues x3]=… ; [Motifs 2–3]=… ; [Temps]=passé/imparfait ; [Amplitude]=1–2 paragraphes. Texte source : « …[ton texte]… » 9) Note éthique Personnages/lieux réels → anonymiser si besoin ; pas de misérabilisme ni de sensationnalisme. Regarder juste (objets, gestes, contraintes matérielles) ; la pudeur fait place à la vérité du détail. le titre original est Beginners À noter : ces textes sont le manuscrit rétabli des nouvelles que Carver avait livrées avant les coupes de Gordon Lish ; la version publiée en 1981 portait le titre What We Talk About When We Talk About Love|couper{180}
Carnets | creative writing
Conversation — Gabarits syntaxiques (09/10/2025)
📘 Fiche récap — Maurice Blanchot, L’Écriture du désastre (focus littérature) 1) L’ouvrage en deux lignes Fragments qui pensent la limite : dire l’indicible par retrait, ouvrir un dehors sans récit. La phrase brève, paradoxale, substitue à l’événement un concept mobile (désastre, nuit, séparation). 2) Thèse / geste d’écriture Écrire au bord de ce qui défait l’expérience : non pas raconter mais dés-œuvrer la narration, laisser parler l’absence. La forme fragmentaire et l’énonciation impersonnelle déplacent le sujet, substituant à l’aveu la réserve et au pathos une exactitude négative. 3) Les 5 principes majeurs (pour lire / imiter) Période brève, aphoristique : points nets, deux-points, tirets, parenthèses ; rectifications fréquentes (“non pas…”). Voix impersonnelle : “il / on” gnomiques ; adresse rare, si elle surgit, c’est un impératif de retrait. Lexique abstrait & images simples : cercle, centre, nuit, seuil, loi, dehors ; peu d’objets concrets, forte charge conceptuelle. Montage par fragments : blocs autonomes reliés par motifs et reprises (anaphores, variations). Clôtures ouvertes : image ou paradoxe final, jamais de morale ni de conclusion explicative. 4) Gabarits syntaxiques (patrons réutilisables) Rectification paradoxale « [X], non pas [Y], plutôt [Z]. » Ex. : « Quand le désastre survient, il ne vient pas. » Définition déplacée « [Concept] : [prop. 1], et pourtant [prop. 2] qui l’annule. » Ex. : « Le désastre ruine tout en laissant tout en l’état. » Gnomique « On [verbe] quand [condition], sauf quand [exception] — et c’est alors [déplacement]. » Ex. : « On ne peut y croire. » Seuil / image géométrique « [Motif] tient au bord : cercle sans centre, droite qui revient à son origine. » Ex. : « … un cercle éternellement privé de centre. » Clôture sans morale « Alors [image nue] — rien d’autre. » Ex. : « Le désastre est séparé, ce qu’il y a de plus séparé. » 5) Feuille de style “Blanchot — L’Écriture du désastre” Amplitude : fragments de 1 à 3 phrases. Ponctuation : deux-points pour définir, tirets pour déplacer, parenthèses pour révoquer. Verbes : être, venir, ôter, ruiner, séparer, croire, demeurer. Motifs (2–3) : désastre / nuit / centre-absent (leur valeur doit glisser au fil du texte). Références externes : 1 voix d’autorité (nom propre) éventuellement, aussitôt déplacée. Interdit : psychologie explicite, morale, lyrisme décoratif ; privilégier précision négative et réserve. 6) Procédure de réécriture (7 étapes) Adresse : en principe aucune ; si nécessaire, un impératif bref (“laisse…”, “n’insiste pas”). Noyau (≤ 15 mots) : remplacer l’événement par un concept-noyau (séparation, attente, effacement). Inventaire (10) : cercle, centre, ligne, seuil, nuit blanche, voix, silence, loi, dehors, passivité. Voix du dehors (3) : doxa (“on croit…”), maxime, auteur (nom). Motifs (2–3) : désastre, nuit, centre ; les faire revenir déplacés. Déploiement : 2 fragments enchaînant définition → rectification (“non pas…”) → question ou parenthèse → image. Affinage : couper les explications, resserrer aux paradoxes ; veiller aux deux-points et aux tirets. 7) Exercices rapides Non pas… : écrire 5 rectifications (“non pas X, mais Y”), chacune suivie d’une image. Fragment gnomique : 3 phrases au présent gnomique sur un même motif (nuit / centre / seuil). Image géométrique : traduire un affect par cercle / droite / centre manquant (2 phrases). Déplacement d’autorité : citer un nom (philosophe, auteur) et déplacer sa thèse en 2 lignes. Retour de motif : faire revenir un même mot à trois endroits avec une valeur différente chaque fois. 8) Prompt prêt à l’emploi Réécris le passage suivant dans l’esprit de Maurice Blanchot (L’Écriture du désastre), en appliquant : fragments brefs ; voix impersonnelle ; rectifications paradoxales (“non pas…” / “plutôt…” / “et pourtant…” ) ; 2–3 motifs (désastre / nuit / centre) qui glissent de valeur ; une image géométrique en clôture ; aucune morale. Paramètres : [Noyau ≤ 15 mots]=… ; [Inventaire 10]=… ; [Voix x3]=… ; [Motifs]=… ; [Amplitude]=2–4 fragments ; [Temps]=présent gnomique. Texte source : « …[ton texte]… » 9) Note éthique Si le texte touche au traumatique : anonymiser ; refuser la spectacularisation ; préférer la retenue (déplacement, silence, image) à l’éclat. La forme ouvre un sens, elle n’exonère pas la responsabilité.|couper{180}