Honte sociale
seconde série de textes sur la honte ( extraits) cette fois la honte sociale
1284 — Chercher un emploi (2021-12-26)
Dans le fond chercher un emploi demande une dose certaine de pragmatisme, tout à fait comme créer un personnage de nouvelle ou de roman. Il faut poser un cadre strict et avoir un minimum d’exigences. Et généralement il faut que les choses se passent mal pour apprendre grâce à l’expérience et ainsi réduire la voilure.
Angle : humiliation administrative + perplexité (“comment ce monde tient-il debout avec ça ?”).
Dispositif : montage de dialogues (phrases d’entretien) + pensées en italique qui ne répondent jamais aux dialogues.
235 — 21 août 2024 (2024-08-21) ( à revoir )
Lecture de Penser librement d’Hannah Arendt cette nuit et matin, notamment l’essai sur Nathalie Sarraute et travail, l’oeuvre, l’action. Ce qui me ramène à la lecture très ancienne de Dostoievsky- notamment à partir d’un livre de René Girard ( peut-être critique dans un souterrain ) et bien sûr de Kafka, le Journal puis, sans enchaînement à 2019, à la pandémie de Covid. Le fait est que je commence vraiment à reprendre l’écriture quotidienne régulièrement à partir de ce moment-(octobre 2019 ?) Le résultat sera la publication de Propos sur la peinture, un ensemble de textes mis bout à bout rédigés sur peinture chamanique entre 2018 et 2019. Ouvrage mal fagoté, qu’il faudrait reprendre et améliorer ou bien complètement oublier. L’isolement social obligeant à « faire » absolument quelque chose de soi pour ne pas sombrer. Il y a aussi eu les vidéos sur la chaîne YouTube, plusieurs fois par semaine parfois. Une sorte de fébrilité, d’euphorie. Surtout lors du tout premier confinement. Dès le second, la lassitude, l’angoisse, notamment liée au fonctionnement de l’atelier, aux charges, me tombent dessus. Au troisième confinement, j’ai arrêté de publier des vidéos, me suis retiré des réseaux sociaux.
Angle : beaucoup de matière “atelier / cadre / règle / groupe” : parfait pour un récit sur la honte dans un dispositif collectif.
Dispositif : récit en “tours de parole” (comme AA/Zoom) : chaque tour avance d’un millimètre, et c’est ça l’action.
1878 — Bilan (2022-09-17)
Depuis le passage de la Covid, les diverses canicules, la crise, l’atmosphère mortifère qui en résulte nous a tous affaibli. Que l’on trouve de plus en plus insupportable la moindre injustice, la moindre mesquinerie ? Enfin, je m’en aperçois de mon côté. Peut-être parce que l’on a tant espéré. Que tous ces événements surtout, n’interviennent pas de manière insensée, qu’ils puissent permettre de réfléchir à notre façon de vivre et de travailler, de tirer un certain enseignement de tout cela ? Mais, on voit bien que la déception, une fois encore, remplit l’espace laissée par ces espoirs.
Angle : honte diffuse = addition de petites lâchetés (sans “grand crime”), donc perplexité : “où est la faute ?”.
Dispositif : comptabilité (colonnes invisibles) : “entrées” / “sorties” / “reste à payer” — sans chiffres, juste le vocabulaire.
2461 — Le temps d’une rencontre (2023-02-14)
-Je vous ai vu tout à l’heure au Parc Guell, répondit-t’elle , comme mise en garde il y a mieux, vous m’avez plutôt effrayée. j’ai vu que vous m’aviez suivie jusqu’ici. Pourquoi ne pas m’aborder plus tôt, j’ai pensé à un détraqué ou à un dragueur ajouta t’elle. Elle s’exprimait dans un français impeccable sans accent.
-Je suis désolé je ne voulais pas vous effrayer je cherchais seulement une façon de vous aborder qui ne soit pas ...ambiguë...
Angle : la rencontre comme piège moral : on croit agir librement, mais on est déjà en train d’obéir à un rôle.
Dispositif : récit à deux voix, mais l’une des voix n’apparaît que par les formules (“bonjour”, “merci”, “comme convenu”).
994 — La procrastination va se développer. (2020-05-24)
Personnage, seul en scène. (Lumière crue. Une chaise. Un cendrier plein. Silence au début.)
J’allume. (Il tire.) Rien. La fenêtre. Le ciel. Rien.
(Il tourne en rond.) Je monte. Je descends. Je remonte. Je redescends. La chaise. (Il montre.) Toujours la chaise. Tu la vois ? Tu la vois, toi ? Moi je la vois trop.
Facebook. Mails. Slogans. Rien. Branler ? Même pas ça. Mais toi, qu’est-ce que tu branles ? Lui, qu’est-ce qu’il branle ? Moi, qu’est-ce que je branle ? Rien.
(Lent, presque chuchoté.) L’olivier bourgeonne. Le figuier crève. Deux arbres. Deux destins. Et moi, planté entre les deux.
Angle : procrastination = honte anticipée + peur d’être réduit à une fonction (ton thème “mission”).
Dispositif : monologue-scène unique (théâtre) avec un seul accessoire récurrent (chaise / cendrier / ticket) = “preuve”.
596 — 31 décembre 2024 (2024-12-31)
Mon habit est fait de cambouis, de boue, de baves et de buées. Il pèse. Il poisse. Il bat. Est-ce que je choisis de le porter ? Peut-être. Mais le choix, c’est quoi ? Ce n’est rien d’autre que se souvenir qu’il n’y a pas d’autre chemin. Revêtir ces oripeaux, tissés par des mains de femme, par la souffrance d’un homme. Par les perdrix, les faisans, les corbeaux. Par les cumulo-nimbus, les tornades, les ouragans, les cyclones. Et par ces petits matins clairs, aussi, où l’on regarde par la fenêtre et l’on découvre la neige sur les toits de terre cuite. Angle : fin d’année = inventaire, donc honte possible ; mais tu peux la traiter comme une météorologie de décisions.
Dispositif : inventaire “sans opinion” (comme tu l’aimes) puis, à la fin, une seule phrase qui trahit l’opinion.
3123 — 15 juin 2025 (2025-06-15)
Il mit la vidéo en pause et descendit se chercher un café. Tout cela était encore tellement confus. Sans doute faudrait-il visionner une seconde puis une troisième fois le film pour s’extraire de l’hypnose. Cette hypnose née du mélange de souvenirs d’enfance que les images en noir et blanc rappelaient. Façades d’immeubles, intérieurs de café, taches de vin rouge sur les tables, vêtements déjà vus jadis ou plutôt entrevus. Ces vestes, mon dieu, ces vestes qui vous posaient là. L’entraperçu devenant meilleur vecteur soudain que ce qui un jour fut vu. Sous la vidéo, les commentaires s’entassaient.
Angle : format court idéal pour une fiction “mission minuscule” : un acte simple qui te fait basculer.
Dispositif : protocole (étapes numérotées) qui se dérègle à l’étape 4 — et c’est là que la honte surgit.
246 — 1er septembre 2024 (2024-09-01)
Ce n’est pas facile, on pourrait le croire, ça va chercher quand même très loin à l’intérieur du ressort humain, c’est forcément des reliquats très anciens, des choses qu’on dirait ésotériques, une sorte d’enseignement caché réservé aux initiés, le reste étant en gros des béotiens, quand on ne vous traite pas de con tout à fait ouvertement désormais. C’est l’époque, on navigue ainsi entre félicitations pour rien et mépris pour tout. Un vieux manichéisme mal digéré, du nazisme, ni plus ni moins, très fatiguant de s’en rendre compte. On s’en rend de plus en plus compte, je ne sais pas si vous le remarquez, ça devient d’une limpidité aveuglante, une tarte à la crème, un poncif, un cliché. Angle : anniversaire / seuil / “ça fait un an” → parfait pour articuler perplexité active : “qu’est-ce qui a changé, exactement ?”.
Dispositif : trois dates, même scène, trois interprétations incompatibles.
Illustration Nord-africains aux portes de la ville (Tryptique de la honte I), 1953. Huile sur toile, 195 x 130 cm, Musée de l’Histoire de l’immigration