« L’avait l’ don, c’est vrai, j’en conviens,
L’avait l’ génie,
Mais sans technique, un don n’est rien
Qu’un’ sal’ manie…
Certes, on ne se fait pas putain
Comme on s’ fait nonne.
C’est du moins c’ qu’on prêche, en latin,
A la Sorbonne… »
Ce morceau du « mauvais sujet repenti » du très regretté Georges Brassens trotte dans ma tête depuis ce matin, belle journée d’automne, sans courrier, sans accroc, sans même une tâche de peinture. En marchant vers le supermarché le plus proche de chez moi je siffloterais presque. Ce matin j’ai décidé, aussitôt posé le pied à terre, que ce serait une bonne journée. Et du coup ma démarche s’en ressent, même le dos semble moins voûté. Pas la moindre petite douleur articulaire non plus , ce sera vraiment une journée épatante. En marchant le cerveau est bercé comme un bébé, l’âme pendouille agréablement quand le mental étourdi de lumière n’a aucune invective particulière à formuler, sans contrainte tout en soi vagabonde. Donc un don sans technique ne serait qu’une sale manie …ne perdons pas le fil quand même. La fin de la strophe fait tout de même référence à la Sorbonne en gage de sérieux et c’est encore toute la force des textes de Brassens. Le non-dit qui se planque derrière le dit tout haut. Avoir un don et ne pas le travailler c’est mal ; rappelons nous qu’on nous enseigne au catéchisme que nous sera comptée l’utilisation bonne ou mauvaise de nos talents. Il doit bien y avoir quelque chose de vrai dans cette menace. Encore qu’il ne faille pas forcément atteindre le purgatoire le paradis ou l’enfer pour en faire l’expérience. Combien d’élèves avaient une facilité à dessiner et ont laissé tomber car il fallait pratiquer ? Sans la motivation un don ne vaut pas grand chose non plus on dirait bien. D’un autre côté le don ne procure pas que des conséquences agréables et je peux comprendre qu’on l’abandonne , qu’on ne veuille plus le montrer . Celle ou celui qui le cultive s’attire au mieux l’envie sous toutes ses déclinaisons y compris pécuniaires au pire une arrogance plus ou moins prononcée envers ceux qui en sont dépourvus. C’est que ce cadeau finalement, on pourrait le trouver louche, quelle contrepartie va t’il falloir donner ? On ne se fait pas putain comme on se fait nonne, ajoute le poète Et c’est l’avis de l’institution , la fameuse Sorbonne.
Mais la mienne peut bien différer. J’ai connu dans ma jeunesse des péripatéticiennes tout à fait convaincues d’être en lien avec le Très Haut et qui avaient élevé leur pratique à la hauteur d’un sacerdoce. Nous allions, joyeuse compagnie, tous ensemble à saint Eustache une fois l’an en pèlerinage de je ne sais plus quoi et de la Sorbonne on s’en cognait bien proprement.
Il fait plutôt frisquet ce matin là dans la Grande Galerie du Louvre que je traverse avec ma ventouse planquée comme une arme le long de ma cuisse. Les toilettes des dames étant encore bouchées. Il y a juste devant le très imposant Watteau, une jeune fille bien proprette qui a apporté un pliant et qui dessine le visage du Gilles. J’engagerais bien une conversation mais ma ventouse m’encombre et je me contente de faire un léger crochet pour apercevoir son travail. Copie conforme… mince me suis je dit un sacré coup de crayon et puis je suis parti vers mon labeur en esquivant presque une glissade tant le parquet était reluisant et lisse. Ils viennent souvent, les élèves des Beaux Arts et d’autres lieux sanctifiés pour se faire la main sur les beaux tableaux du grand temple quasi pharaonique parigot. Cependant ils copient tous bien fidèlement, j’en ai peu vu qui s’inspiraient, qui interprétaient à leur façon. Sauf un qui était tout chétif, dépenaillé et qui me rappelait Soutine. Lui ne regardait que sa feuille et pas du tout le tableau devant lequel il se trouvait. A priori on aurait pu penser qu’il cherchait un abri et que c’était une sorte de planque des mauvais jours . Mais non en regardant bien son travail , nous avions fini par sympathiser, il s’inspirait mais ne reproduisait pas. Il y avait un air de famille lointain avec les tableaux que je croisais tous les jours , comme une sorte de continuité d’un travail commencé bien avant lui. Je n’ai jamais su ce qu’il était devenu , un jour j’ai quitté le Louvre pour une autre aventure et je ne l’ai jamais revu.