Le temps, quatrième dimension de notre espace, désormais appelé « espace-temps » est un paramètre incontournable en peinture. En combien de temps vais-je réaliser cette toile ? devrait être une contrainte que le peintre se donne pour calmer son excès de liberté et sa toute puissance créatrice. Il est logique de penser qu’une œuvre d’art nécessite des dizaines d’heures de travail et qu’a contrario trois lignes placées au fusain sur une feuille de papier ne prennent que quelques secondes, ce qui ne retire en rien à la beauté et à l’émotion que ces trois lignes peuvent susciter . En fait les deux se valent. L’un n’est pas plus « beau » ou « expressif » que l’autre dans l’absolu. Ces deux œuvres ne sont que des émanations du temps dont disposait leur auteur pour les exprimer. Dans mes cours de peinture cette contrainte du temps, j’ai finit par la proposer aux élèves qui malgré un plan de réalisation assez précis parfois pouvait étendre la réalisation d’un tableau sur plusieurs mois, suivant le format choisi, la technique utilisée, leur motivation comme leur assiduité.
— Je veux faire ça !
— Ok mais en combien de temps ?
Et là cette question oblige à prendre en compte quelque chose d’autre : Evaluer la durée. De là à imaginer un art du temps il n’y a pas bien loin. Lorsqu’on travaille à l’huile il est souhaitable d’entreprendre plusieurs tableaux en même temps suivant les temps de séchage assez longs. Plusieurs formats également, changer le format peut accélérer ou ralentir le temps. Choisir aussi des supports inédits qui font qu’on leur attribue une plus ou moins grande importance ( feuille de journal, carton, bristol récupéré, papier d’emballage etc ) car l’importance qu’on accorde ainsi permet de traverser des frontières inédites également. Celles du mental notamment dont la propriété est de tout passer au tamis de son contrôle. En Asie, l’art du temps est plus un art du temps présent, de l’immédiateté, mêlé à la contrainte du geste juste. Mentalité différente de la notre avide de résultats immédiats, les peintres travaillent d’abord la notion d’immédiat sans recherche de but. Il faudrait un jour qu’un peintre se fasse creuset et réunissent ces deux approches du temps… Peut-être Fabienne Verdier y parvient elle mais encore isolée son travail devrait attirer plus de peintres à tenter l’expérience alchimique. Dans cet art du temps il est d’ailleurs possible que le mental soit le cyclope à enivrer afin que l’intuition agile et ses compagnons l’audace, la fulgurance, la vitesse et la souplesse puissent enfin respirer à l’air libre.
Sur la dissolution.
La dissolution est un terme bien connu des alchimistes qui savent l’implication des actions effectuées du microcosme vers le macrocosme. Lorsqu’on chauffe un minerai à une certaine température on » ouvre » ce minerai c’est à dire qu’on libère celui ci d’une gangue brute, sans valeur particulière pour le transmuter en un autre état plus subtil. Avec les progrès de la physique quantique ou pas on commence à comprendre que l’observateur joue un rôle capital dans toute expérimentation qu’il effectue. Nous ne sommes pas extérieurs à ce que nous pensons, faisons, ressentons, expérimentons, nous sommes l’expérience. C’est pourquoi agir sur la dissolution du métal en le chauffant dissout aussi en nous quelques scories, et ce faisant nous amène, en persévérant bien sûr, à une qualité différente de nous même, si tant est que l’or est plus précieux que le plomb ce dont je ne suis pas du tout certain, il est clair que les deux métaux sont d’une composition différente. En alchimie chercher l’or est une tarte à la crème, comme en notre époque chercher la sainteté ou la renommée revient à la même confusion des genres. D’ailleurs les chercheurs cherchent parfois longtemps alors que les anciens trouvères et autres troubadours trouvaient le mot juste pour illustrer une grande bataille, un haut fait ou bien juste rendre hommage à la beauté des filles . L’alchimiste, le peintre devraient se concentrer sur « trouver » plus que chercher car trouvant des miracles en l’extérieur, et il y en a grand nombre, ils en trouveraient par écho un grand nombre en eux mêmes. Encore que pour cela notre idole installée , fixe et rétive à tout changement laisse passer le courant. C’est en ce sens que le commencement demande de dissoudre l’idole gentiment, sans trop la heurter non plus car elle aurait tendance comme le Bernard l’Hermite à se recroqueviller sur elle même et à procurer à son possesseur des semelles de plomb sur son cheminement spirituel ou artistique.