Il y a des paysages, des personnages qui n’attendent que toi pour exister.
Tout le monde s’agite et ne regarde plus. Les murs ce ne sont que des murs.
Il y a des paysages, des personnages qui n’attendent que toi pour exister.
Tout le monde s’agite et ne regarde plus. Les murs ce ne sont que des murs.
Carnets | septembre
Ce serait la première couleur, préexistante avant toutes les autres. Couleur associée à la phase de dissolution, de décomposition de la matière. Cette noirceur n’a pas d’autre qualité que celle qu’on peut lui attribuer. Elle est neutre de nature. Il y a de la boue, de la merde, des humeurs, du sang et du sperme mais ça ne sent rien de particulier en dehors de l’observateur la noirceur reste neutre scellée comme la nuit ou le vide cosmique. Cette noirceur, comment établir sa présence lorsqu’on a les yeux du quotidien, le regard du siècle et que tous les néons de la fête n’ont pour seule fonction que d’éclairer notre divertissement ? Comment savoir que sans celle ci , la « nigredo », nous ne sommes qu’enfants perdus dans la rêverie de Dieu à son 4 ème jour. Car bien sur on ne peut que le constater : la création n’est encore terminée et, si le Très haut nous a fait à sa ressemblance, nous avons encore 3 jours devant nous pour nous parfaire. Ou pas, n’oublions pas le libre arbitre. Tout peut encore basculer à l’aurore, et en dormant nous rêvons ou cauchemardons notre destinée inconnue. Englués encore dans la noirceur qu’il faut dissoudre jusqu’à la lie nous hurlons, pleurons, rions, courrons ,frappons, caressons alors que le silence nous couve de ses grands yeux sombres et brillants. Bob Dylan disait ‘écoute dans le vent’ et il avait raison. Il est bon de guetter le son de la nature et ce qu’elle laisse au vent porter jusqu’à nos oreilles souvent bouchées. Les forces de la noirceur et de la lumière ne l’oublions sont toujours associées et je mettrais bien ma main à couper ou au feu que ce n’est pas une association de malfaiteurs. Après sachant ce que donnent les paris, les plans sur la comète et les châteaux en Espagne… Féminin et masculin veillez l’une sur l’autre tandis que la lune danse dans la nuit noire ivre de souvenirs, engrossée par le vieux soleil.|couper{180}
Carnets | septembre
Le temps, quatrième dimension de notre espace, désormais appelé « espace-temps » est un paramètre incontournable en peinture. En combien de temps vais-je réaliser cette toile ? devrait être une contrainte que le peintre se donne pour calmer son excès de liberté et sa toute puissance créatrice. Il est logique de penser qu’une œuvre d’art nécessite des dizaines d’heures de travail et qu’a contrario trois lignes placées au fusain sur une feuille de papier ne prennent que quelques secondes, ce qui ne retire en rien à la beauté et à l’émotion que ces trois lignes peuvent susciter . En fait les deux se valent. L’un n’est pas plus « beau » ou « expressif » que l’autre dans l’absolu. Ces deux œuvres ne sont que des émanations du temps dont disposait leur auteur pour les exprimer. Dans mes cours de peinture cette contrainte du temps, j’ai finit par la proposer aux élèves qui malgré un plan de réalisation assez précis parfois pouvait étendre la réalisation d’un tableau sur plusieurs mois, suivant le format choisi, la technique utilisée, leur motivation comme leur assiduité. — Je veux faire ça ! — Ok mais en combien de temps ? Et là cette question oblige à prendre en compte quelque chose d’autre : Evaluer la durée. De là à imaginer un art du temps il n’y a pas bien loin. Lorsqu’on travaille à l’huile il est souhaitable d’entreprendre plusieurs tableaux en même temps suivant les temps de séchage assez longs. Plusieurs formats également, changer le format peut accélérer ou ralentir le temps. Choisir aussi des supports inédits qui font qu’on leur attribue une plus ou moins grande importance ( feuille de journal, carton, bristol récupéré, papier d’emballage etc ) car l’importance qu’on accorde ainsi permet de traverser des frontières inédites également. Celles du mental notamment dont la propriété est de tout passer au tamis de son contrôle. En Asie, l’art du temps est plus un art du temps présent, de l’immédiateté, mêlé à la contrainte du geste juste. Mentalité différente de la notre avide de résultats immédiats, les peintres travaillent d’abord la notion d’immédiat sans recherche de but. Il faudrait un jour qu’un peintre se fasse creuset et réunissent ces deux approches du temps… Peut-être Fabienne Verdier y parvient elle mais encore isolée son travail devrait attirer plus de peintres à tenter l’expérience alchimique. Dans cet art du temps il est d’ailleurs possible que le mental soit le cyclope à enivrer afin que l’intuition agile et ses compagnons l’audace, la fulgurance, la vitesse et la souplesse puissent enfin respirer à l’air libre. Sur la dissolution. La dissolution est un terme bien connu des alchimistes qui savent l’implication des actions effectuées du microcosme vers le macrocosme. Lorsqu’on chauffe un minerai à une certaine température on » ouvre » ce minerai c’est à dire qu’on libère celui ci d’une gangue brute, sans valeur particulière pour le transmuter en un autre état plus subtil. Avec les progrès de la physique quantique ou pas on commence à comprendre que l’observateur joue un rôle capital dans toute expérimentation qu’il effectue. Nous ne sommes pas extérieurs à ce que nous pensons, faisons, ressentons, expérimentons, nous sommes l’expérience. C’est pourquoi agir sur la dissolution du métal en le chauffant dissout aussi en nous quelques scories, et ce faisant nous amène, en persévérant bien sûr, à une qualité différente de nous même, si tant est que l’or est plus précieux que le plomb ce dont je ne suis pas du tout certain, il est clair que les deux métaux sont d’une composition différente. En alchimie chercher l’or est une tarte à la crème, comme en notre époque chercher la sainteté ou la renommée revient à la même confusion des genres. D’ailleurs les chercheurs cherchent parfois longtemps alors que les anciens trouvères et autres troubadours trouvaient le mot juste pour illustrer une grande bataille, un haut fait ou bien juste rendre hommage à la beauté des filles . L’alchimiste, le peintre devraient se concentrer sur « trouver » plus que chercher car trouvant des miracles en l’extérieur, et il y en a grand nombre, ils en trouveraient par écho un grand nombre en eux mêmes. Encore que pour cela notre idole installée , fixe et rétive à tout changement laisse passer le courant. C’est en ce sens que le commencement demande de dissoudre l’idole gentiment, sans trop la heurter non plus car elle aurait tendance comme le Bernard l’Hermite à se recroqueviller sur elle même et à procurer à son possesseur des semelles de plomb sur son cheminement spirituel ou artistique.|couper{180}
Carnets | septembre
« L’avait l’ don, c’est vrai, j’en conviens, L’avait l’ génie, Mais sans technique, un don n’est rien Qu’un’ sal’ manie… Certes, on ne se fait pas putain Comme on s’ fait nonne. C’est du moins c’ qu’on prêche, en latin, A la Sorbonne… » Ce morceau du « mauvais sujet repenti » du très regretté Georges Brassens trotte dans ma tête depuis ce matin, belle journée d’automne, sans courrier, sans accroc, sans même une tâche de peinture. En marchant vers le supermarché le plus proche de chez moi je siffloterais presque. Ce matin j’ai décidé, aussitôt posé le pied à terre, que ce serait une bonne journée. Et du coup ma démarche s’en ressent, même le dos semble moins voûté. Pas la moindre petite douleur articulaire non plus , ce sera vraiment une journée épatante. En marchant le cerveau est bercé comme un bébé, l’âme pendouille agréablement quand le mental étourdi de lumière n’a aucune invective particulière à formuler, sans contrainte tout en soi vagabonde. Donc un don sans technique ne serait qu’une sale manie …ne perdons pas le fil quand même. La fin de la strophe fait tout de même référence à la Sorbonne en gage de sérieux et c’est encore toute la force des textes de Brassens. Le non-dit qui se planque derrière le dit tout haut. Avoir un don et ne pas le travailler c’est mal ; rappelons nous qu’on nous enseigne au catéchisme que nous sera comptée l’utilisation bonne ou mauvaise de nos talents. Il doit bien y avoir quelque chose de vrai dans cette menace. Encore qu’il ne faille pas forcément atteindre le purgatoire le paradis ou l’enfer pour en faire l’expérience. Combien d’élèves avaient une facilité à dessiner et ont laissé tomber car il fallait pratiquer ? Sans la motivation un don ne vaut pas grand chose non plus on dirait bien. D’un autre côté le don ne procure pas que des conséquences agréables et je peux comprendre qu’on l’abandonne , qu’on ne veuille plus le montrer . Celle ou celui qui le cultive s’attire au mieux l’envie sous toutes ses déclinaisons y compris pécuniaires au pire une arrogance plus ou moins prononcée envers ceux qui en sont dépourvus. C’est que ce cadeau finalement, on pourrait le trouver louche, quelle contrepartie va t’il falloir donner ? On ne se fait pas putain comme on se fait nonne, ajoute le poète Et c’est l’avis de l’institution , la fameuse Sorbonne. Mais la mienne peut bien différer. J’ai connu dans ma jeunesse des péripatéticiennes tout à fait convaincues d’être en lien avec le Très Haut et qui avaient élevé leur pratique à la hauteur d’un sacerdoce. Nous allions, joyeuse compagnie, tous ensemble à saint Eustache une fois l’an en pèlerinage de je ne sais plus quoi et de la Sorbonne on s’en cognait bien proprement. Il fait plutôt frisquet ce matin là dans la Grande Galerie du Louvre que je traverse avec ma ventouse planquée comme une arme le long de ma cuisse. Les toilettes des dames étant encore bouchées. Il y a juste devant le très imposant Watteau, une jeune fille bien proprette qui a apporté un pliant et qui dessine le visage du Gilles. J’engagerais bien une conversation mais ma ventouse m’encombre et je me contente de faire un léger crochet pour apercevoir son travail. Copie conforme… mince me suis je dit un sacré coup de crayon et puis je suis parti vers mon labeur en esquivant presque une glissade tant le parquet était reluisant et lisse. Ils viennent souvent, les élèves des Beaux Arts et d’autres lieux sanctifiés pour se faire la main sur les beaux tableaux du grand temple quasi pharaonique parigot. Cependant ils copient tous bien fidèlement, j’en ai peu vu qui s’inspiraient, qui interprétaient à leur façon. Sauf un qui était tout chétif, dépenaillé et qui me rappelait Soutine. Lui ne regardait que sa feuille et pas du tout le tableau devant lequel il se trouvait. A priori on aurait pu penser qu’il cherchait un abri et que c’était une sorte de planque des mauvais jours . Mais non en regardant bien son travail , nous avions fini par sympathiser, il s’inspirait mais ne reproduisait pas. Il y avait un air de famille lointain avec les tableaux que je croisais tous les jours , comme une sorte de continuité d’un travail commencé bien avant lui. Je n’ai jamais su ce qu’il était devenu , un jour j’ai quitté le Louvre pour une autre aventure et je ne l’ai jamais revu.|couper{180}