Un jour que j’en avais par dessus la tête, que je piétinais, que je faisais des bonds, que je m’allongeais des heures sur mon lit à écouter ma respiration, un jour donc je me suis levé et je me suis dit : » bon ça va merde je reviens en enfance ! »
Alors j’ai virer toute la paperasse qui traînait sur la table ronde de la chambre, j’ai tout enfoncer d’un grand coup de talon dans un carton.
J’ai scotché, plutôt 5 fois qu’une pour être bien sûr.
Et je me suis étiré en baillant un bon coup.
C’est à ce moment là que je me suis mis à dessiner et à peindre comme un enfant
A la gouache sur de petites feuilles de papier bon marché.
Ce fut une révélation vraiment, toutes ces lignes maladroites, ces erreurs, ces pâtés quelle jouissance ! C’était juste pour moi, pour m’amuser comme un enfant.
Chaque fois que je terminais une de ces petites peintures je les déposais sur le rebord de la cheminée de ma chambre d’hôtel et je m’asseyais devant pour les regarder.
Je me souviens que j’avais pris comme idée de départ le joueur de flûte de Hamelin .. allez savoir pourquoi.. en tous cas ça a fonctionné
j’ai tenté plusieurs techniques différentes gouache, aquarelle, acrylique, toujours comme un gamin jusqu’à peindre même avec les doigts. Des dizaines de petits tableaux en quelques journées.
C’était juste à un moment où l’écriture m’avait tellement terrassé que je n’en pouvais plus de voir le monde au travers de son filtre.
Le retour à l’enfance par la peinture m’a lavé de quelque chose de mortifère , peut être d’une adolescence qui n’en finissait pas se s’achever.
Evidemment j’ai tout égaré de ces dessins et peinture dans mes multiples déménagement, on avance à condition de rester léger.
Une chose me stupéfie encore quand j’y repense : pourquoi avoir choisi ce thème du joueur de flûte de Hamelin … ? Je n’en sais toujours fichtre rien et au fond peu importe.
Et vous savez quoi ? en voulant retrouver le livre je vais sur Google et je ne trouve pas même pas en vente chez Amazon.. bizarre non ?
Un peu plus tard Tagore et moi
Nous nous retrouvions le soir et dans la nuit d’été.
Lorsque dans le couloir j’entendais son pas léger je coupais la télé et brûlais de l’encens dans ma tasse vide.
Alors nous nous serrions ensemble sur le lit défait et il me racontait les mystères sans trop les dévoiler.
Rabindranath était de Calcutta, bien plus âgé que moi qui passait mon temps à m’abîmer dans l’idée de vieillir, sa souplesse physique n’avait de pendant que l’habileté de son discours concis . Je me souviens encore : sa langue limpide et ses mots simples pénétrant mon cœur comme la lame d’un scalpel.
Enivré par Tagore je devenais fou.
Il fallait jaillir, retrouver urgemment la rue.
Jaillir de la boite étroite que représentait la chambre, que représentait mon corps, que représentait mon cœur, oui jaillir comme un diable à ressort, s’élancer à à sa poursuite.
Tagore marchait à grand pas et je me demande encore s’il ne lévitait pas …
Irrémédiablement et ce malgré toute ma mauvaise volonté, je me retrouvais devant un comptoir. Je comptais mes pièces en lorgnant l’échanson.. la marche donne soif alors je buvais.
Je buvais à Tagore, à mon insignifiance, à l’indicible toujours renouvelé, et à la fin je crois bien que je buvais tout bêtement pour boire.
C’est tout proche de l’aube que je rentrais chez moi , les premiers camions- poubelle jetaient leur lueurs bleutées sur l’asphalte mouillé, alors je remontais lentement l’escalier , rejoignais mes boites, me rangeais en vrac, et pour tout oublier enfin j’allumais la télé.
Et encore après, la nuit de Noël
Malgré le froid piquant j’avais ouvert la fenêtre pour écouter battre le pouls de la ville affolée. C’était ce soir réveillon, rien n’était à louper.
En bas le clodo gueulait comme un beau diable, sur sa litière cartonnée. Sa voix légèrement gutturale escaladait les façades et se perdait dans le crépuscule. Des passants passaient comme des poux tout en bas, ça me grattait la peine, ça me grattait l’ennui.
J’avais refusé l’offrande obligatoire. Non que j’eusse un manque de disponibilité, comme disent les banquiers. Non ça m’écœurait tout ce raffut, cette fête à neuneu, cette fabuleuse orgie alimentaire, ce désastre d’hypocrisie familialement partagé.
Cela faisait plus de 8 ans que je n’avais vu mes parents. Pas de coup de fil, pas de lettre, rien. La coupure totale et franche sans bavure.
J’imaginais noël la bas et ça ne m’enchantait pas. Ces montagnes de bidoche, de pâtés, de foie gras, d’ortolans ou de dindes additionnés d’un ou deux gros chapons …non, ça ne me disait pas d’entendre en tâche de fond pour éviter de se parler les chansons d’Henri, les conneries de Jacques, à la télé et la voix de ma mère ajoutant » il est bien bon ce petit Sauternes » en se réservant copieusement.
J’avais choisi l’exil par nécessité vitale, à rester au chaud là-bas rien n’aurait jamais poussé, une fatalité stérile, et une putain d’odeur de renfermé et de tabac froid mélangée aux non-dit, à ce qui jamais ne se dit, à ce qu’il ne peut se dire.
Et depuis chaque jour je pensais à eux, ils n’avaient pas quitté ma tête ni mon cœur, à croire que le Génie des familles m’avait bien eut. Je l’entendais ricaner, allongé sur un profond canapé de cuir.. fallait bien faire avec, y a toujours un prix à payer. C’est comme ça.
Difficile à comprendre cette banalité. Mon inaptitude crasse m’avait éreinté.
J’allumais une cigarette et regardais encore en bas. Les gens l’enjambaient sans même s’excuser tant ils semblaient pressés.
J’avais un peu de soupe en boite et deux trois pommes de terre alors j’eus une idée dingue, comme ceux qui osent tout je me dépêchais de passer à l’acte avant qu’une autre idée aussi fameuse la supplante et annule ce bel empressement.
Je descendis les escaliers de l’hôtel pour apporter un bol de soupe et deux patates chaudes au clodo.
Evidemment celui ci m’envoya chier copieusement et je remontais dans ma boite la queue entre les jambes tout penaud voir même en colère contre le bougre.
Quel con il a pas voulu de ma soupe… c’est pourtant le soir de noël merde !
Et là je crois que j’ai appris plusieurs choses d’un coup.. dont je vous ferai l’économie bien sur.