La mode est devenue fade, comme c’est l’usage pour celle-ci, mais il y a eu un temps où j’ai essayé de devenir positif.

Tout à commencé au boulot et bien sur comme il se doit : dans l’ennui.

Un de mes collègues, que j’avais connu sur un site parisien revenait sur Lyon et, le soir, nous finissions notre job aux alentours de 21h, nous nous mettions en quête d’un restaurant pour dîner et papoter avant de retourner chacun dans nos trous à rat respectifs.

P. n’était pas d’équerre mais faisait tout, au boulot, pour le paraître le mieux du monde. Il saquait, persiflait, chuchotait, relatait,trichait, mentait.. bref il s’était fabriqué une conduite impeccable dans ce cloaque professionnel dans lequel nous pataugions depuis potron-minet jusqu’à pas d’heure et souvent les week-end.

N’ayant encore rien compris à l’essentiel je me cantonnais à travailler en tentant d’améliorer certains process qui m’étaient aussitôt « empruntés », et avec lesquels mes « n+1, +2,etc » déclenchaient en leur faveur des « oh » et des « ah » admiratifs.

Je n’en avais pas grand chose à faire, l’anonymat ayant toujours été pour moi un refuge, si on ne m’avait pas dérangé de ma routine, sans doute, serais je encore là-bas. Mais la providence dans sa grande clémence en décida autrement.

Donc entre la poire et le fromage, P. me parla de ses lectures, dont les auteurs la plupart du temps m’étaient totalement inconnus. celles ci se situaient dans un lieu mental étonnant à mi chemin entre le New-age et le marketting , le développement personnel et la spiritualité.

Je me mis progressivement à ces lectures, curieux de nature, et aussi peu à peu à acheter des fleurs de Bach, des bâtonnets d’encens estampillés Sathya Sai Baba, et à refonder mon système de croyances sur de nouvelles bases. Et c’est aussi bien vite que je m’inscrivis à un stage de programmation neuro linguistique pour les prochaines vacances hivernales.

J’arrivais à Grenoble et rencontrai un petit groupe de personnes qui, pour la plupart comme moi, désireuses de changer leurs vies s’étaient payé à tempérament le montant conséquent de ce stage. Le postulat de devenir libre s’en trouvait légèrement effrité mais ce fait semblait passer inaperçu, y compris pour moi-même.

Ça sentait un peu des pieds. Dehors les chaussures , comme les ceintures qu’il valait mieux défaire, le mot d’ordre « d’être à l’aise » presque inscrit en rides grasses sur le front de notre animateur aurait du, au minimum m’inciter à me méfier mais trop tard, j’avais payé.

Nous passâmes 3 jours enchanteurs en tous cas. Ce qui est relativement facile lorsque tout le monde se fixe sur l’objectif de devenir meilleur. C’était à qui ferait le plus de compliments, le plus de bisous mentaux à ses compatriotes, et des vas-y que je te flatte, que je te caresse, que je te porte au pinacle j’en passe et des moins bonnes… évidemment le tout mué par l’espoir jamais déçu de réflexivité.

Et si, le cas échéant, ce retour sur investissement semblait un peu poussif, l’animateur prenait le relais et nous nous retrouvions dans le meilleur des mondes … oh Aldeus comment j’ai bien rigolé !

Le pire de tout c’est de se sentir différent du monde entier quand, muni de quelques croyances en la vertu des prédicats, on se met à ausculter les voix, à évaluer les regards, à croire qu’on a pigé le signal d’un croisement de jambes, à deviner de fait tout ce que l’autre ne dit pas.

De ce stage donc je sortais augmenté et aussitôt dans la foulée je m’inscrivis pour la suite, qui, encore plus onéreuse pour ma bourse modeste, se déroulerait cette fois en Belgique.

Je ne me souviens plus combien de stages en tout j’ai effectué dans ce milieu formidable des bisounours. Cependant je me souviens très bien comment je me suis sorti de cette illusion.

L’option « stage chamanisme » était à 50% si on prenait le package alors me frottant les mains j’en profitais.

Là, c’était le cran au dessus. Il devait y avoir une bonne cinquantaine de personnes. J »avais épluché le dépliant publicitaire et tout, pour une fois, était conforme à défaut d’être vrai !

Des locaux immenses, un restaurant, des chambres proprettes, le tout dans une abbaye magnifique avec un joli parc. Au moins cela ferait une semaine de vacances si le contenu n’était pas à la hauteur de mes espérances.

Porté par cette atmosphère magique, je repérai tout à coup une petite rouquine dans la quarantaine, et comme les exercices devaient s’effectuer souvent à deux elle devint peu à peu ma partenaire en chamaneries.

On allait main dans la main faire le tour des bâtiments en écoutant le vent nettoyer nos mauvaises ondes, et au besoin on aidait celui ci par des nettoyages énergétiques des hugh et des papouilles – dans ma paume à quelques cm de sa peau je pouvais sentir la chaleur, l’énergie, pas de doute ça dépotait grave.

Du coup c’est comme ça que nous fîmes le lien de l’Amérique vers l’Inde car il fut question de chakra..bon j’avais bien sur un peu lu là dessus, et je savais que le premier se situait aux alentour du trou du cul .. c’était le premier à s’éveiller, pour que la kundalini puisse monter …

Tout cela aurait pu finir en partouze gigantesque n’eut été le lieu, n’eut été les moines, n’eut été aussi le temps car ces quelques jours passèrent à une vitesse folle et je me retrouvais vite dans le TGV avec la petite rouquine sur le siège en face. Nous étions redevenus deux voyageurs dans un train qui les ramenait chez eux et rien de plus.

Sans doute évitions nous l’essentiel, rendus troubles et confus de par ce rapprochement intempestif. Bien sur nous n’allions quand même pas imaginer autre chose qu’une alliance spirituelle, on était nettoyé de tout pas question de déconner.

A la Part Dieu nous osâmes échanger nos coordonnées quand même et puis je m’engouffrais à nouveau dans le quotidien avec l’étonnante sensation de n’être à peine plus avancé que je ne l’étais avant de devenir « chaman ».

J’avais tout oublié comme d’habitude quand, à l’ heure du déjeuner quelques jours plus tard je recevais un SMS..

 « Ce soir au gros caillou ? »

C’était ma rouquine et je galopais comme un adolescent vers la croix rousse le soir venu. Nous dînâmes en éprouvant une excitation inextinguible à relever tous nos points communs. Et au moment de nous quitter elle s’accrocha à moi en me priant intensément de l’emporter vers mon 7ème étage sans ascenseur.

Je refusais tout de go prétextant le désordre inouï qui y régnait, me réfugiant derrière la honte d’être découvert brouillon et sale alors qu’en fait c’était une trouille bien plus profonde qui m’empêchait.

Nous eûmes une relation un peu houleuse durant quelques mois, deux mages féroces et potaches s’envoyant des sorts n’auraient pas fait mieux. Mais dans le fond des choses, ma rouquine, peut-être se sentait-t’elle vieillir et cherchait un compagnon en déployant comme les roses ses derniers artifices avant de se faner. Quant à moi je n’étais pas encore prêt à endosser la responsabilité d’une vie de couple à nouveau. On aurait pu faire durer le plaisir mais l’anticipation nous obsédait bien trop.

Une chose fut vraiment bonne et je dois remercier P. Finalement l’instigateur de ce parcours de vie, ou pion placé par le destin … je ne sais

Sans doute l’éveil du premier chakra dû à l’effort de vouloir changer de vie, restera-t’il durant longtemps, dans mon esprit, une notion bien confuse. Si je n’avais suivi scrupuleusement le parcours énigmatique chuchoté à voix basse mais o combien insistante par mon trou de balle accompagné de celle de mon nombril que serais je devenu ? je l’ignore totalement et finalement quelle importance ?

Ce qui n’était pas dit c’est que ce réveil allait m’emporter vers de nouvelles aventures, de multiples défaites, avant qu’enfin exténué par la bêtise toute bourse vide je lâche prise, abdique face à mes nombreuses résistances comme autant de fiefs illusoires pour que cette énergie enfin libérée continue de s’élever, et à atteindre le cœur.

Et c’est ainsi que je démissionnais de ce travail où j’étais depuis de trop longues années et m’agrippant à une nouvelle illusion je quittais tout à nouveau pour me rendre vers l’inconnu.

De mes peintures de cette époque j’ai tout jeté qui n’était que vulves,mamelles,matrices, fellations exagérées et sodomies intempestives. La projection si l’on veut du résultat de mes obsessions grandiloquentes de découvrir le mystère de la vie, de l’univers prenaient à cette époque naissance dans le trou de balle et je ne sais pourquoi je songe tout à coup au poème de Rimbaud « Le dormeur du val » :

« C’est un trou de verdure où chante une rivière,
Accrochant follement aux herbes des haillons
D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons. »

….

« Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. »

Le premier mensonge

Ce devait être un matin, j’ai un peu de mal à situer l’heure, mais je jurerais que c’était vers 7h30 du matin, juste quand il faut se lever, prendre la douche, se brosser les dents et déjeuner.

C’est vers 7h30 que je commis mon tout premier mensonge. J’ai inventé une maladie, et je me suis glissé comme un acteur dans la peau de celle ci tellement profondément que j’ai même pu en ressentir les effets. Maux de gorge, toussotements, fébrilité..

Tout cela je suppose pour éviter les lacis et quolibets que j’essuyais à l’école.Car pour inventer un mensonge la première fois il me semblait qu’il fallait une excellente raison.

Prévoyant la catastrophe universelle que je n’avais pas manqué de déclencher, je mis pendant plusieurs mois un point d’honneur, tous les jours à me le rappeler. A la fin j’avais même tellement peur de l’oublier que je l’avais noté sur un petit bout de papier que j’avais enterré au fond du jardin entre deux clapiers.

C’est que ce premier mensonge en déclencha tellement d’autres, que tenir un registre me paraissait non seulement fastidieux mais en outre complètement inutile. Seul le premier valait-t’il que je ne l’omette pas, que j’entretienne son souvenir comme la flamme d’une première victime inconnue. En l’occurrence moi-même tombé au champ d’honneur des vérités muettes, non assumées.

Ainsi peu à peu m’enhardis je et du mensonge passais-je au vol avec une facilité déconcertante. Ma toute première victime fut ma mère qui laissait traîner son porte monnaie sur la table de la cuisine.Elle fit semblant de ne pas voir que je me servais dedans. Oh ce n’était pas grand chose à chaque fois, de quoi juste acheter quelques bonbons chez le buraliste prés de l’école, négocier une ou deux billes ou un calot, et puis je ne pouvais prendre que de la ferraille , nous ne roulions pas sur l’or ce se serait vu.

Et puis il y eut les vacances à Paris, mes grands parents habitaient encore dans le 15eme et j’accompagnais grand-père le matin de bonne heure pour aller aux halles, charger le camion de lourds cageots de volailles. Nous passions les matins sur les marchés des boulevards environnants. Chaque jour un nouveau, avec ses têtes particulières tant chez les marchands que chez les chalands.

Un crayon sur l’oreille et un tablier blanc un peu trop grand je poussais la réclame à tue tête : « venez acheter mes beaux oeufs tout frais, 13 à la douzaine, aller ma petite dame c’est pas le moment d’hésiter dans une heure y en aura plus et vous le regretterez… »

J’avais développé là aussi un talent d’acteur consommé pour toucher le cœur des clientes et les faire acheter à peu près tout ce qui se trouvait sur l’étalage, car une fois ferrées, grand-père prenait le relais lui son truc c’était la gaudriole et l’affabilité.

Vers 11h le grand Totor s’amenait , et en me voyant il soulevait un peu sa casquette en me toisant de sa hauteur de géant.

Mais voyez vous ce sale petit menteur voleur disait il je m’en vais lui couper les oreilles en pointe, et il sortait de sa poche un opinel gigantesque comme pour mieux me montrer son aptitude à passer bientôt à l’acte.

J’en tremblais, non pas que je ne l’adorasse pas ce Totor, mais son acuité à lire mon âme par le menu, dans sa noirceur, m’avait ébranlé, et je courrai alors dans les jupes de grand-mère qui à cette heure ci nous avait rejoint.

Enfin, ce petit rituel achevé nous allions , grand père, Totor et moi au bistrot pour prendre un apéro bien mérité. Je crois que c’est au marché du boulevard Brune que je préférais aller, il y avait le perroquet.

De son oeil rond il me regardait en inclinant un peu la tête et pendant que je sirotais ma grenadine ou mon diabolo menthe il commençait à éructer des menteur , menteur, picoteur qui me glaçaient le sang et rire à gorge déployée.

Cela faisait aussi beaucoup rire les hommes autour de me voir sursauter. Mais ils recommandaient leurs verres, chacun payant sa tournée ça pouvait durer un bon moment, et on nous oubliait le perroquet et moi..

C’était d’une évidence limpide que j’étais un menteur pour tout à chacun et surement aussi un voleur. Même s’ils n’avaient pas de preuve, ils savaient tous.

Et le plus étrange pour moi c’est qu’ils en rigolaient.Tout comme le perroquet.

Aussi ai je commencé à dérober des butins plus conséquents. Dans la caisse les billets s’amoncelaient, grand père n’avait pas vraiment l’air de tenir des comptes précis alors j’en piquais un et le cachais au fond de mes poches.

Quand nous faisions la sieste aussi , je me levais en catimini et allais inspecter les poches de sa cotte de travail noire, il n’avait pas de porte monnaie lui, et toutes les poches tintaient car toutes étaient chargées de ferraille.

Une poignée d’un coup que j’enfouissais dans les miennes et je retournais me coucher.

Un matin, alors que nous rentrions du marché, je fis tomber les billets que j’avais amassés peu à peu toute la semaine juste devant grand mère, dans la rue, je me baissais et d’un air innocent et étonné je lui montrais mon butin.

Elle rit et s’exclama que j’étais un fameux chanceux, et ainsi pu je valider sans soucis mes dépenses à venir.

Cette longue cohorte de méfaits non sanctionnés dans l’œuf produisit de lourds effets collatéraux.

Tout d’abord je pris l’habitude de prendre les adultes pour des idiots, et par conséquent de me croire réciproquement malin. Et puis comme nul ne m’arrêtait jamais j’ai continué, en m’améliorant bien entendu et comme dépendant d’une drogue dure, j’ai commis des larcins de tout acabit envers la droiture et l’honnêteté.

Celle du moins que je leur attribuais inconsciemment par ricochet de ma sensation d’être tordu et faux.

Un jour, après des années d’exil, m’en revenant de je ne sais plus quel bagne je revins chez mes parents.

Rien n’avait changé.Tout était comme je l’avais laissé en partant. Aucun meuble n’avait bougé.. et puis je demandai soudain : et grand mère ?

Ils m’apprirent qu’elle avait perdu la tête depuis longtemps déjà dans la petite maison de retraite qui leur coûtait si chère chaque mois, aussi le lendemain nous primes la décision d’aller la visiter.

Elle ne me reconnut pas , pas plus que mon père qui les larmes aux yeux sorti de la chambre et s’en alla fumer dans le parc. C’était l’heure du ménage de la chambre aussi l’installa t’on dans une salle au bout du couloir.

Là devant un écran bleu de télévision, tous ces visages hébétés tournés vers une émission débile de jeu , me serrèrent le cœur.

Même à l’antichambre du néant il fallait qu’on avait encore droit à ces conneries.

Je posais la main sur la tête de celle qui avait été ma grand mère, lui caressant les cheveux, la chaleur que je sentais sous mes doigts était réelle, c’était un être humain bien plus qu’une idée, c’était une rencontre magistrale qui arrivait bien tard.

C’est bon ce que vous me faites ricana t’elle d’une voix de petite fille, et puis tout de suite après : Mais vous êtes qui jeune homme je ne connais aucun barbu..?

Alors je me suis tu cette fois, j’ai compris que c’était mon tour de faire semblant, et j’ai continué à caresser ses cheveux sans dire un mot.

Le lendemain très tôt le médecin de la maison de retraite téléphona, elle était partie et je pleurais toutes les larmes de mon corps.

Ainsi je crois que je parvins à l’art par la fatigue du mensonge inutile et des larcins médiocres. Ayant confusément détecté en moi une sorte d’habileté à travestir les faits et les êtres vis à vis de moi-même en tout premier lieu, j’ai du me dire naïvement que je pourrai donner le change au travers d’une oeuvre quelle qu’elle soit.

La grande difficulté qui me restait à résoudre, c’était de trouver ce qui ne se montre pas , l’ellipse magistrale, le non dit au delà de ce qui est posé comme évidence, comme autorité.