J’aime parfois m’arrêter sur un mot de notre langue, si précise et si belle, pour y penser. Aujourd’hui, le mot « admirer » a mis son clignotant et se gare non loin de chez moi ; j’en profite.
Superbe carrosserie, un peu désuète, car désormais on « kiffe » plus qu’on n’admire. Alors, admirer va-t-il disparaître, emporté par le corbillard d’une soi-disant « modernité » ?
L’extinction d’un mot, c’est toujours un peu triste, mais en même temps, cette fin correspond aussi à de nouveaux usages, à de nouvelles mentalités. Comme dirait Bob : « The times are changing » ; sacré Bob…
Je ne me souviens pas d’une seule femme qui m’ait dit : « Comme je t’admire », autrement que sur un ton coquin ou ironique. Par contre, je sais que bien des amis le pensent, mais ne le diront jamais, et c’est tant mieux, car c’est très gênant de se sentir admiré. C’est comme si on s’était trompé d’eau de toilette, ça laisse une trace olfactive plutôt désagréable. Enfin, je parle pour moi, évidemment, vous, je ne sais pas.
Si je prends un dictionnaire quelconque pour revenir à l’origine de ce mot, j’entends parler de considération, bien souvent. Celle-ci s’effectuant avec enthousiasme, voire de l’émerveillement, et participerait plus du domaine de l’émotion que du ciboulot. On « éprouve » de l’admiration dans un premier temps, comme on éprouve de la considération, de l’enthousiasme, et de l’émerveillement. C’est éprouvé par A+B, mais c’est un couple exceptionnel.
Alors, que dire de ce sentiment qui revient sans cesse, lorsque laissant aller ma playlist YouTube en boucle, je retombe sans cesse sur ces jeunes gens de moins de 30 ans, qui, armés d’un pragmatisme à toute épreuve et d’une créativité redoutable, cherchent à me vendre des formations de tout acabit que j’achèterais certainement, si je n’étais pas aussi certain d’être dubitatif.
Dubitatif, quant au fait que cela puisse m’apporter quelque chose, bien sûr.
Et pourtant, je vous l’avoue, je suis très souvent tenté, tellement c’est bien amené chez certains. Je ne citerai pas de nom, mais je suis sûr qu’ils se reconnaîtront.
Il y a là un art de la vente, de la persuasion, qui, pour être inné, ne manque pas d’avoir été énormément travaillé en long, en large, et sur les côtés.
Eux savent la valeur du mot « admirer » ; ils en ont fait leur carburant, leur schnouf, leur coco. Ils ont puisé chez leurs aînés des stratagèmes et des stratégies qu’on ne trouve guère dans les écoles de commerce, fussent-elles « hautes » et reconnues. L’art de la persuasion et de la vente ne s’apprend pas à l’école, et les jeunes loups du marketing digital dont je parle le savent très bien. Ceux qu’ils admirent leur ont enseigné que c’est l’échec qui forme le plus à l’art de vendre. Que c’est l’organisation du temps au quotidien qui fait fructifier le contenu comme un capital qu’on engrange pour l’avenir.
De plus, certains parmi eux flirtent avec le génie, lorsque, ayant compris précocement les faiblesses humaines, ils réduisent le cercle de leurs clients afin d’en extraire la substantifique moelle : la durée, la fidélité.
À les écouter en boucle, on jurerait des amis, et les amis véritables, de tout temps, ne peuvent se compter, à la rigueur, que sur les doigts d’une seule main.
Ah, la rigueur, c’est ce dont ils ne manquent pas, et de toupet non plus.
Une nouvelle manière de vendre, c’est de devenir ami avec son client. Lui offrir du contenu, et ça, le con tenu, surtout bien propre, ça n’a pas de prix.
On se rappellera peut-être que l’enthousiasme, chez les anciens, était considéré comme un délire sacré, inspiré par le divin, ou je ne sais quoi d’autre d’extraordinaire… alors, tout bien considéré, ne laissons rien en chemin, ne lâchons rien, comme il est dit dans « Top Chef ». Je ne peux m’empêcher d’éprouver de l’enthousiasme, et donc forcément de l’admiration, alors que je ne « kiffe » que du bout des lèvres.
Car le contenu, je veux bien, j’en produis moi-même en ce moment beaucoup, sans doute même trop. Et si le contenu peut en cacher un autre, tant pis pour vous, je vous aurais averti.
Pour conclure, il est donc possible d’admirer sans aimer et d’aimer sans admirer, c’est sûr, certain, évident. D’ailleurs, le véritable amour, ça ne nous regarde pas, nous, comme dirait Céline, des caniches et des étoiles, « on kiffe ».