Plus j’avance en âge plus je suis pris d’un vertige quand je pense à tout ce que je ne sais pas faire et que probablement je ne ferai sans doute jamais. Je ne piloterai jamais un avion de chasse, je ne jouerai jamais de premier rôle dans un film d’aventure, je n’épouserai pas Marylin Monroe et le soufflé au fromage, je le crains, restera à tout jamais une énigme. En fait, plus je réfléchis à ma vie, plus je me dis que jamais je n’ai rien su faire vraiment de mes dix doigts. Je veux dire par là, en y croyant vraiment, car bien sur j’ai fait trente six mille métiers j’ai connu des maîtresses qui valaient bien Marilyn et j’ai aussi sauté en parachute à défaut de conduire un Mirage. Mais ce n’était toujours que moi comprenez vous ..? Bien sur la malédiction de » l’a quoi bon » pourrait expliquer en partie une telle inaptitude à l’appropriation franche et massive de mes actes passés et dans ce cas sans doute je pourrais me lamenter sur mon sort en me réveillant à presque 60 ans d’une crise d’adolescence un peu trop prolongée. Cependant ce malaise s’envole aussitôt dès que je me retrouve attablé devant vous à écrire ces mots. Se mettre à table dans le cadre policier est un aveu, alors soit, puisque j’ai décidé d’utiliser ce cadre je vais avouer. Je vais avouer que j’ai toujours pensé être bien plus malin que les autres pour commencer. Plus malin que mes parents que j’ai regardé trimer toute leur vie en cherchant à les faire sortir d’eux même de nombreuses fois par mes écarts de conduite répétés. Je n’avais pas de haine, pas de colère, non juste une envie persistante de les voir eux , en tant qu’êtres humains et non comme des stéréotypes de ne je sais quelle feuilleton de série B. Alors pour cela j’ai utilisé de nombreux stratagèmes, pour commencer envers moi-même afin d’oublier le but de mes actes, de mes erreurs, de mes errances. Il fallait que tout soit enfoui au plus profond de moi que je ne m’en souvienne plus. Donc oui j’ai éprouvé de la haine, de la colère, oui et j’ai fait largement de mon mieux pour bien comprendre l’entourloupe, le vol et le massacre. Et si cela vous parait contradictoire c’est que vous avez encore pas mal de chemin à faire pour être vraiment vous. Je veux dire au delà de moi. Moi, éternel insatisfait tremblant de trouille et de rage.
Moi capable de toutes les petitesses pour ne jamais dire je t’aime.
Moi hypertrophie des neurones sur pattes
Moi gros con attendrissant et désarmant pour mieux vous planter par derriere
Moi le salaud, l’horrible, l’insupportable.
Ce sale petit gamin qui se cache derrière un masque en espérant être découvert un jour. Ce petit garçon envahit par toute l’ignorance du monde à un tel point qu’il s’invente un rasoir de lucidité tranchante pour le découper, le déchiqueter, l’entendre se dégonfler hurler gémir. Tout ce que je ne sais pas faire et que je ne saurai jamais faire : c’est être sans faille, lisse et poli comme un beau galet avec lequel
le vent et l’eau jouent en se déchirant, dans le cri de la mouette, la naissance des ruches.
Pourquoi pas le silence ?
Oui tu es froid et blanc sans accroc et sans rêve,
l’haleine des rivières à l’aube embrume tes lointains
et mon bouchon sur l’onde tremble,
taquineries des algues
ici pas de lourd brochet ni de fine ablette
à ferrer
Pas de ploiement de scion aucune tension de fil
Juste le long cri de l’hirondelle là haut qui s’apprête à rejoindre
les vents chauds du sud.
Alors pourquoi pas le silence
Total assourdissant comme un arbre qui tombe
Et laisse derrière lui le blanc d’une trouée
Et laisse derrière lui l’amitié des racines, la voix de l’étoile pâle jusqu’à la pierre enfouie.
Pourquoi pas le silence
Un chevreuil est passé près de lui une biche
Les deux m’ont regardé
J’étais au bord de dire au bord de leur parler
quand soudain je ne sais plus je me suis rappelé
Pourquoi pas le silence
Alors je suis rentré.
Puis ceci sur la Dombe :
Quand je traverse la Dombe, je guette l’envol des grues, la pâleur des marais, le bruissement des herbes et tout m’appelle vers toi.
Garce magnifique, amère comme une pinte dont le souvenir reste
après qu’on t’ait baisée , si peu qu’on t’ait aimée…
« Être vivant, c’est être prêt. Prêt à ce qui peut arriver, dans la jungle des villes et de la journée. D’une prévoyance incessamment et subsconciemment ajustée. L’état normal, bien loin d’être un repos, est une mise sous tension en vue d’efforts à fournir… Mise sous tension si habituelle et inaperçue qu’on ne sait comment la faire baisser. L’état normal est un état de préparation, de disposition vers les gouffres »
« connaissance par les gouffres » Henri Michaux.