Quelqu’un a dit que c’était un cauchemar et qu’on allait se réveiller. « Vous ne trouvez pas ? » m’a-t-il demandé alors que je comptais mes pièces en attendant mon tour. J’ai fait hmm, histoire de ne pas contredire. Quand les gens dorment debout, il ne faut pas les contredire ni les réveiller. Je ne sais pas, personnellement, si je ne dors pas profondément moi aussi. Mais ce dont je suis certain, c’est qu’on a toujours le choix de voir ça ou pas comme un cauchemar. Je veux dire qu’on est conscient de rêver, d’accord, que c’est une excellente chose d’être conscient d’être conscient, mais que ça ne résout pas tout. J’admets qu’en rêve, et dans les cauchemars particulièrement, prendre les jambes à son cou n’est pas évident : cela demande de l’entraînement ; il faut passer par une conversion pas toujours aisée, se dire : « Voici, ceci est un cauchemar dans lequel je ne peux rien faire, mais je peux me dire que c’est réel, et là il y aura les lois de la nature, la pesanteur, la gravité, et de nouveau je serai mobile », mobile comme vecteur fonçant à travers les illusions en tant qu’illusion consciente d’elle-même.

Au point où nous en sommes, l’étonnement, la surprise seraient encore des prétextes pour fabriquer du réel. Mais tellement cheap. Un étonnement, une surprise low cost, un ersatz, une combinaison générique de choses anciennes appartenant à des civilisations englouties. Un étonnement, une surprise de pacotille. Ce qui me rappelle, évidemment, ces grands cornets pointus très colorés, dans lesquels beaucoup de papier journal et un jouet chinois, déjà — de la came.

Bouffée délirante, j’allais dire. Puis je me suis repris. Délirant, pas tant que ça. Car un fou qui sait sa folie vaut bien deux sages s’ignorant. Et, souvent, une autre réalité, un drôle de sentiment de déjà-vu au fond même du pire cauchemar, du rêve le plus merveilleux, ce que je nomme la lucidité. Une lucidité qui peut vous péter entre les mains à tout instant, il faut ici le préciser. Un genre de lampe-torche pour se diriger dans les ténèbres et qui sert également de lunettes noires en cas de beau temps. Et là se dire : tout est possible, absolument tout, du surgissement d’un Léviathan au clin d’œil de cette nouvelle vendeuse à la boulangerie habituelle. Tout est possible, merde.

Illustration :The Pillars of Society by George Grosz (1926)