La forêt tient lieu de repli : odeur d’humus, écorce humide, lisière où la parole cesse et le souffle trouve sa cadence ; les lacs tiennent lieu d’écoute, surface lisse qui ne rend rien et pourtant garde tout. Le vélo trace une ligne pour se tenir vivant — non pas fuir, tenir au bord ; non pas héroïsme, l’allongement de la distance jusqu’à épuiser le nom ; chaque jour un peu plus, la route gagne sur la pièce. Ce qui serre revient, mais autrement : la colère n’est pas un cri, c’est un dépôt, une densité ; non pas un choc, une nappe qui monte, régulière, exacte. On voudrait disparaître, on reste ; on voudrait rester, mais autrement : pédaler jusqu’à n’être plus que jambes, souffle, goudron, et que la tête décroche, à peine tenue par la visière. L’envie de fuir et l’envie d’être là se tiennent ensemble — non pas contraires, tenons d’une même plaie ; le paysage accepte tout et ne répond de rien : les troncs se succèdent, la chaîne claque, un chien aboie sans insister. La haine gonfle, oui, mais non pas pour détruire : pour écarter, pour tenir l’aveu à distance ; on croit à la réparation, on reconduit ; on croit à la justice, on compte ; on compte, on compte encore, et l’on apprend que les nombres n’ouvrent pas. L’amour n’est pas cela ; ce n’est pas l’effort, ni l’excuse, ni la dette payée de plus ; ce n’est pas comprendre — c’est laisser être sans redresser. Alors on s’arrête au bord du lac : le vent plisse à peine la surface, la roue tourne encore dans le vide, et le cercle demeure privé de centre.