profération
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fictions
Veritas diei
Ils crient à la vérité, mais ce ne sont que des crécelles, des gueules fendues dégoulinant de certitudes creuses. Bourgeois, philosophes et curés, chacun y va de sa leçon, drapés dans leur hypocrisie. Dans ce pamphlet teinté d’une langue à la fois crue et érudite, la dénonciation est totale : des sachants au clergé, personne n’échappe à cette colère acerbe.|couper{180}
Carnets | septembre 2021
L’exagération
Une légère tendance à l'exagération m'entraine parfois à utiliser certains mots à tort et à travers m'a t'on déclaré solennellement il y a peu. Je me sens donc obligé de revenir sur celui de catastrophe dont j'aurais abusé parait 'il. C'est évidemment exagéré pour une exposition de peinture. C'est placer l'importance n'importe comment. Est-ce dont une tragédie qui se joue ici et dont le cinquième acte apporterait la sanction finale , le fameux dénouement ? Tout dépend encore une fois de l'idée que l'on s'en fait par rapport au point de vue que l'on veut adopter. Gilles Deleuze y est pour beaucoup quant à l'abus. Plus finement encore, mon interprétation personnelle sur ce que déclare Gilles Deleuze sur la peinture et notamment sur les peintres de la catastrophe. Lorsque Paul Cézanne détruit 3 fois minimum sa toile avant de commencer à songer à peindre vraiment, on ne peut plus vraiment parler de catastrophe. On parle de déviance, d'acharnement, de ténacité. Et si on ne parlait pas de Cézanne le mot bêtise nous viendrait plus facilement en tête. Ou le mot poésie en pensant à Tarkovski et à ce type qui dévaste une foret pour se frayer un chemin vers une inaccessible étoile. Ou à Cervantes et son Don Quichotte. La tragédie n'est plus à la mode. La grecque. On ne comptait déjà plus le nombre de spectateurs endormis durant la représentation de Britannicus en Avignon avant Covid, ça ne s'est surement pas amélioré depuis. D'ailleurs qui lit encore Jean Racine lorsqu'il n'y est pas obligé pour échapper à un zéro pointé ? J'ai été tenté d'utiliser le mot désastre, mais on ne le rencontre plus guère dans la langue vernaculaire d'aujourd'hui. Presque personne ne se soucie des astres, sauf entre deux pubs, lorsqu'il s'agit d'atteindre la planète mars ou d'expédier en orbite une brochette de milliardaires attardés. Et encore... J'aurais du dire accident j'aurais tout de suite été contemporain pour de vrai. D'ailleurs c'est ce mot là précisément que j'utilise en cours. Soyez attentifs aux accidents je dis. Soyez attentifs aux catastrophes, j'aurais l'air de quoi ? Bref revenons au titre : cette exagération maladive, ce réflexe prioritaire, ce préambule à toute pensée raisonnable. On n'exagère plus autant qu'avant. Et c'est bien dommage. Reste encore quelques traces dans les péninsules, Italienne, ou ibérique, peut-être en Russie, mais discrètement. Et me voilà presque aussitôt atteint de nostalgie à force d'exagérer sur l'exagération. Je peux renifler les odeurs de linge frais qui montent depuis les rues accompagnées de celles de pates à pizza croustillantes tirant la bourre au peppéroni, puis se mélangeant encore à des effluves de paëlla et de pirojkis. Ainsi l'exagération est t'elle une sorte de croisée des chemins , un carrefour olfactif en tout premier lieu et contre toute attente. Je ne sais pas si l'expression "avoir du flair" ou "avoir du nez" ne vient pas de l'exagération finalement. Peut-être qu'autrefois certains individus ayant à la fois la casquette de timbré local et de devin levaient t'il le nez au vent et se mettaient à exagérer abondamment peut-être même en bavant légèrement, pour prévenir leurs congénères affairés à leurs affaires des catastrophes à venir. Avoir l'exagération dans le sang ce n'est pas rien. C'est renouer intimement avec la tragédie du monde et son cortège de catastrophes en tous genres qui, si discrète se ferait t'elle désormais n'en est pas moins réelle. D'ailleurs quand je pense à l'exagération je pense facilement aux volcans, à des écoulements de lave, à la fois bouillants, lents, tranquilles, inexorables, une impatience montée par un cadre de Saumur qui ne perd jamais de vue son axe. On parle plus volontiers donc de scandale ou d'accidents, voire de drame. Exit la tragédie et son exagération, exit la magie. Et je ne suis pas bien loin de croire dur comme fer qu'au point de vue olfactif nous sommes parvenus au zéro absolu. Peut-être en va t'il aussi du gout et de bien d'autres choses encore. C'est la monnaie rendue scrupuleusement par l'absence d'exagération comme transe, comme outil pour rejoindre le sacré. Ce que l'on connait de l'exagération aujourd'hui ne se situe guère qu'en politique, c'est dire à quel point le terme s'est dévoyé. Encore que... écoutez bien les discours des politiques, cette insistance sur la prononciation, ce silence entre les mots, ces intonations parfois bizarres, ce " JEEAAAAN MOUUUULIN" de Malraux, hein .... bah ce sont les reliefs d'un banquet extraordinaire qu'on n'imagine pas. La déclamation est une branche de l'exagération, que l'on retrouve encore parfois en poésie, encore que la mode du minimalisme oblige à ne plus en faire des tartines de ce coté là. Sans oublier les nouvelles théories sur le jeu de l'acteur. On nous empêche d'exagérer voilà ! C'est une censure qui s'est mise en place progressivement sans loi ni décret. Rien dans le journal officiel. Et à mon avis tout à du commencer en même temps que les congés payés, les fameuses vacances. C'est toujours à ce moment là qu'on passe les réformes les plus importantes si vous avez remarqué. Il auront pris le temps, de décennie en décennie. Qui donc ? Mais les avides de pouvoir, les affamés de l'ordre, les obsédés de la gestion tout azimuts. Et comme ils sont malins, ils ont cantonné l'exagération dans un périmètre facilement contrôlable. Les actualités télévisées, les "talk Show" le jeu des milles francs de feu Lucien Jeunesse, le feu d'artifice du 14 juillet et le Tour de France, sans oublier les grands messes du football. Autant de petits camps retranchés mais totalement administrables. Donc oui c'est vrai j'ai une légère tendance à l'exagération mais comprenez bien que cela fait partie d'un processus global de résistance au même titre que de s'emparer du pinceau et de barbouiller du papier ou de la toile. Certains disent encore je pense donc je suis, je les plains. Ils devraient essayer j'exagère donc je vibre j'élève ma fréquence ! ça ne rapporte pas plus, soyons clairs ! mais c'est plus fun comme on disait encore y a pas si longtemps.|couper{180}
Carnets | mars
13 mars 2019_2
Back to the trees, criait le vieux, perché haut dans le feuillage, quand il a vu ses congénères descendre, un à un, avec leurs outils, leurs promesses, leurs petites raisons proprettes. Curiosité, confort, avidité, mensonge, hypocrisie : les mêmes mots déguisés en progrès. Ils n’ont pas écouté. Et nous en sommes là. Nous mangeons le plastique que nous fabriquons. Il revient par la mer, par les poissons ouverts sur les étals, par les moules gonflées d’eau sale, par l’huître et le bigorneau, par les mammifères marins qui dérivent avec le ventre plein de fragments transparents. On avale nos propres déchets en croyant encore être au-dessus du cycle. La nature n’a pas besoin de se venger : elle se contente de renvoyer. Tout ce qu’on jette retombe, et cette fois dans nos bouches. Nous avons conquis la planète comme on mène une rafle, avec l’assurance sacrée de celui qui se croit élu. On a mis des noms nobles sur des gestes bas. On a parlé de civilisation, de mission, d’économie, de destin. Et pendant ce temps-là, on a dressé les bêtes comme on dresse des mines : par milliards. On les parque, on les coupe, on les passe à la chaîne, on se sert. Le dimanche, on déchire l’agneau tendre au printemps, on essuie la graisse au coin des lèvres, et on va dormir ensuite comme si cela n’avait pas de poids. Nous appelons ça normal. Nous appelons ça humain. Et nous osons encore parler de beauté, d’art, de poésie, d’amour. « L’amour, c’est l’infini à la portée des caniches », disait Céline : il y a dans cette cruauté une lucidité qui gêne. Les tranchées l’ont appris avant nous. Ceux qui en sont revenus n’étaient pas seulement sourds aux obus ; ils étaient sourds à autre chose, à la découverte brutale de notre bassesse ordinaire, de ces ordres vides, de ces slogans pour marcher au casse-pipe la tête haute. Beaucoup se sont tus pour toujours. Rien n’a changé depuis que nous avons quitté les arbres. Ce que nous appelons intelligence sert surtout à donner des raisons à notre prédation, à la polir, à lui mettre un costume. Si nous étions intelligents autrement, il faudrait se lever, une bonne fois, et dire : assez. Non comme un vœu d’enfant sage, mais comme un réflexe de survie. Alors, peut-être, on remonterait vers les branches, pas pour y rejouer un âge d’or, mais pour retrouver un geste simple : vivre sans se croire séparés du vivant, respirer dans le même monde, et s’y tenir. illustration Porcs sur une décharge|couper{180}
Carnets | janvier
Cri pour vivre : sortir de la survie et des poncifs sociaux
Cassez-vous. Je ne parle pas à la foule abstraite, je parle à vos visages précis : le type au guichet qui a levé les yeux au ciel quand j’ai bégayé, la voix neutre au téléphone qui a récité “procédure” pendant que je suffoquais, le petit chef qui sourit en coin au moment où il appuie, le banquier qui me tutoie pour mieux me tenir, celui qui me regarde comme une ligne de dossier au lieu d’un corps. Vous, et la petite musique que vous traînez derrière vous, celle qui dit : reste à ta place, fais profil bas, remercie encore. Je vais vivre. À coups d’ongles d’abord, parce que c’est avec ça que je suis là, les mains, la peau, le souffle ; à coups de barre à mine si vous me coincez dans un angle ; à coups de couteau si vous passez la limite ; à coups de bite, oui, s’il faut que le désir me tire hors du trou. Vivre, pas tenir jusqu’à demain, pas ramper en espérant une pause, pas sourire pour qu’on me lâche. Vivre comme on se redresse après la gifle, vivre comme on crache ce qu’on a avalé de travers, vivre en laissant sortir le trop-plein et le trop-vide que vous avez versé en moi quand j’étais trop jeune pour fermer la porte. Centimètre par centimètre, en passant sous vos fils barbelés, vos leçons, vos “il faut”, vos manières de me faire croire que je suis coupable d’exister. Je vais vivre, oui, vivre sans demander pardon, vivre sale s’il le faut, vivant comme un cochon avant l’abattoir — pas héroïque, pas propre, pas sage : en couinant quand ça fait mal, en riant quand ça déborde, en chiant quand il faut vider, en bouffant quand j’ai faim, en jouissant quand ça vient, et que ça vous plaise ou non, parce que c’est ça, finalement : être là, entier, et ne plus vous laisser décider de la place de mon souffle. illustration Huile sur toile ébauche, pb 2019|couper{180}
Carnets | janvier
Confession d’un salaud repenti (mais pas trop)
Purée, comme j’étais bien. Je grugeais sans scrupule, pas par bravade : par facilité, par faim de vitesse. Je trichais comme un cochon — expression débile, au fond : un cochon, lui, ne triche pas, il vit. Moi je trichais, et j’aimais ça. Bouffer comme un salaud, rire quand ça passait, dormir tranquille après. Purée que c’était simple : bander, baiser, repartir, tournant dans ma petite roue comme un hamster content de sa cage, chaud, planqué avec son magot. Je volais vraiment, tu sais, et ce n’était pas que des portefeuilles : je volais du temps, de l’attention, je te volais toi. Puis ton cœur en chocolat et tes lèvres trop belles ont fini par me donner la nausée. Trop de sucre, trop de cinéma, trop de mensonge même dans la tendresse. Alors j’ai lâché : stop, allô, assez. Pas par vertu — par hygiène. Pour raison de santé, je vais tâter l’honnêteté, voir si ça tient debout. C’est con, oui : j’aimais bien quand j’étais juste un salaud. Mais je commence à croire que ça me tue à petit feu. illustration Acrylique sur papier pb 2007|couper{180}