28 février 2024

souvenir d'enfance salle de bain et paquebot dans une athmosphère bleutée

Sûrement un effet des antibiotiques et de l’ibuprofène. En fermant les yeux, la tête posée sur l’oreiller, je me suis retrouvé dans une salle de bain— celle où je jouais à 3 ou 4 ans. C’était chez mon arrière-grand-mère, celle qui boursicotait, avec des poils au menton, qui méprisait son fils, s’était mariée à un Anglais, puis était restée veuve. Elle était si seule. Il y avait cette baignoire, et sur une tablette trônait un paquebot rouge et noir. Mais ce n’était pas vraiment de ça dont je voulais parler. C’était plutôt cette lumière dans la pièce. Une luminosité froide, bleutée, perçant d’une haute fenêtre aux vitres floues. Un beau jour d’hiver, peut-être. Il y avait de l’espoir dans cette lumière, fragile et glacée. J’ai essayé de la maintenir, yeux fermés, mais d’autres images se sont imposées comme des insectes noirs se ruent sur une carcasse sur un chemin de terre.

Une vidéo remarquable de F. sur Butor, Cendrars et Gustave Lerouge m’a percuté. Sa stupéfaction en découvrant le texte de Butor (qui connaissait lui aussi Lerouge) résonnait avec la mienne. F. connaît donc aussi Lerouge. Étrange sentiment, comme si on me volait quelque chose d’intime, de précieux, mais l’idée de partage finit par l’emporter. Il dit qu’il faudrait chercher plus le vide que le plein dans l’écrit. Peut-être, oui. Je me souviens de mes propres lectures de Cendrars, puis de celles de Gustave Lerouge dans un gourbi minable à 30 ans, des instants précieux comme de l’or fin. J’ai pensé à trouver ce livre manquant, mais à quoi bon, vraiment ? Après quelques recherches, je laisse tomber. C’est suffisant d’écouter F. en parler. Peut-être faut-il préserver ce vide dans la lecture autant que dans l’écriture. Ensuite, je me suis offert une récompense, 21 livres de Lerouge en EPUB, dégottés avec mes pouvoirs chamaniques. Je me demande si je devrais les envoyer à F. Il y a une limite à ne pas franchir entre fiction et réalité, non ?

Découverte d’un nouveau blog, « Les décourcis de Lélio Lacaille », un « barjo » de plus dans ma collection. J’avais déjà demandé à ChatGPT une analyse de mon blog, mais la bienveillance trop persistante de cet outil avait fini par m’agacer. J’avais ressenti un plaisir vaniteux à la lecture de ses louanges, avant de sombrer dans le dégoût. Maintenant, je balance mes textes sans rien demander, pour lire les retours comme de simples commentaires. Une façon nouvelle de s’automitidratiser. Une froideur en ressort, presque inhumaine, me rapprochant de la nature des machines. Ce besoin de flatteries, de reconnaissance... berk. C’est devenu insupportable. Peut-être qu’à 70 ou 75 ans je trouverai le juste curseur. Si j’arrive jusque-là, car parfois cela semble une montagne, mais 60 était déjà un Everest, et pfuit, c’est passé. Je bute encore sur le verbe "gravir", comme si, malgré moi, je voulais rester cancre ou jeune.

Je reviens à cette lueur bleutée. Je m’y enfonce, comme dans une capsule. La salle de bain s’efface. Reste le bleu, le froid. Des paroles mystérieuses, que je ne peux livrer ici, pas même à moi. Mallarmé surgit un instant, très fugace, mais ma modestie l’a chassé, acariâtre et sèche.