
En carte postale, c’est bien. Ça fait plaisir cinq minutes, surtout s’il y a du texte écrit derrière, un interligne qui semble dire « je pense à toi », ou plutôt « je te fais croire que je pense à toi » pour maintenir le lien, la relation. En réalité, la plupart des cartes postales sont comme des œuvres de charité ; elles ne visent qu’à se donner bonne conscience. Ensuite, on peut aller baiser, se balader, faire du shopping le cœur serein, l’âme en paix, autant que possible.
Mais pour comprendre vraiment, il faut vivre quelque temps dans un pays ensoleillé toute l’année. C’est aussi chiant que les pays où il pleut toujours, où il fait toujours froid. Passé les premières impressions fugaces, l’étonnement, on retombe inévitablement dans l’habitude. On revient à cette façon obsédante de voir les choses du fond d’un ennui personnel dont on n’arrive plus à se défaire.
Car autrement, si on est véritablement occupé, si on a un but, si on s’y attelle avec ferveur, jour après jour, quelle importance qu’il fasse beau ou pas ?
C’est pareil pour tout : un job, une rencontre, une passion. Passé le cap de la surprise et de l’excitation, l’amygdale ne cesse de créer des lassitudes, des peurs, des hantises. Saleté de glande, toujours aux aguets, avec pour seule obsession l’arrivée aussi imminente que plausible du pépin.
Le bruit du courrier dans la boîte à lettres a remplacé le grognement du tigre à dents de sabre. C’est toujours une jungle peuplée de dangers. Il faut que ce soit une jungle, sinon ce ne serait pas drôle, pas palpitant. Il ne resterait que cette impression étrange d’être un navet planté là, dont le destin est de finir au mieux dans la soupe.
Pas question de devenir poireau ou tomate, non non non. L’image obsédante de ce légume fade, accompagnée du fameux bon sens, nous en empêche. Croyez-vous pouvoir changer à votre guise ? Imaginez l’effort, la transmutation du plomb en or. Les scientifiques savent faire, avec un appareillage qui s’étend sur des kilomètres. Il suffit de bombarder, de créer des collisions, pour qu’un atome de plomb lâche quelques protons et neutrons par lassitude, et devienne un atome d’or. À quel prix ? Franchement, est-ce que ça vaut vraiment la peine ?
Si tout ce qui brille n’est pas de l’or, ce qui ne brille pas n’est pas pour autant de la merde, voulais-je dire.
On ne pense pas au courage qu’il faut pour être seulement ce que l’on est, et s’y tenir. Mais avant cela, il faut être persuadé d’être quelque chose, ou quelqu’un. C’est le plus difficile, sauf si on croit que tout ce qu’on nous dit est vrai depuis le début. Sauf si l’amour est là. Et on met aussi un temps fou à comprendre qu’il est toujours là. C’est un sacré parcours que tout le monde n’a pas vraiment l’envie, le courage d’effectuer. Et pourtant, on l’effectue peu ou prou, comme aller vivre dans ce pays où il fait toujours beau.
Car même si l’on s’habitue aux éléphants roses, si on commence à les entretenir, à les nourrir, il serait étonnant qu’on ne soit pas rattrapé par un fantôme d’éléphant gris. Celui-ci dirait en barrissant : « Assassin ! Tu me relègues dans la catégorie des fossiles, des cadavres du placard, et pourtant j’ai vécu moi aussi. J’ai existé, je n’ai pas été qu’une illusion, une belle ou une sale histoire ! »
Savoir qui on est, peut-être que cela commence par admettre que tout est à sa place, que le gris et le rose ont autant leur place dans la farandole que les jours de pluie et les jours ensoleillés. Ce qui nous empêche de nous en apercevoir, c’est cette idée de confort et de sécurité qui accompagne obstinément l’ennui.