Au 39 avenue Bertrand Barère — juriste, politicien sachant habilement barrer sa carrière en se barrant au bon moment, 1024 interventions lors de la Convention, rendu célèbre par ses Carmagnoles, sans précision s’il s’agit de vestes, de chansons, ou de charrettes poussées vers la guillotine — puis évasion vers l’Empire. La Force, son côté sombre, ou la force l’ayant quitté ou la foi, l’intérêt toujours primant, il fait bien 39 degrés. Mais il y a la clim. Ne pas utiliser celle de la chambre, c’est écrit en rouge sur crème, seul document d’accueil. Mais peu nous chaut, ce n’est pas un château, juste un appart. Une étape.On laissera les portes ouvertes en grand. N’en mourrons pas. Lever du bon pied, vers 5 h, fais les cent pas en quête d’un café. Ici trône une super cafetière de marque L’Or Barista, mais que des capsules de thé.
Donc, un verre d’eau glacée à la place, et visite de la terrasse, charmante., m’assois, écris, jouissant de me livrer en toute impunité au vice. Puis nous marchons, il est à cette heure sept heures, pour trouver une boulangerie, un jus. Ce qui nous mène aux halles Brauhauban . Une plaque indique que riche industriel, aurait fait cadeau du terrain et de la construction de l’édifice à la fin du XIXe siècle. On reconnaît encore (un peu, car très rénové) le style Eiffel, avec ses poutres métalliques et ses verrières. Les croissants sont mous comme de la chique. Si tu avais bien voulu attendre huit heures, mais tu es toujours si impatient… Pour adoucir, j’offre mon petit gâteau servi avec mon double expresso. Bien tenté, la discussion dérive vers le programme de la journée. Il faut faire quelque chose, même le dimanche. Ce sera le musée Massey. Mais cet après-midi, flânons, paressons, au moins jusqu’à 10 h. Tu as vu, on a de la chance, il y a même l’Intermarché d’ouvert.
En digérant mon croissant mou, des pensées me viennent sur l’époque actuelle. Hier soir, arrivant, cette sensation étrange d’une ville fantôme : personne dans les rues, presque aucun trafic, et puis la place de Verdun (qui se situe tout au bout de l’avenue Barère). Aperçu de ces commerces de bouche en vogue : tacos et tapas, sans oublier les sempiternelles pizzerias. Mais où donc aller pour ne serait-ce que lire sur un menu “poule & porc de Bigorre” ? Pas ici en tout cas. Ce n’est même pas pour en manger, je ne m’attache qu’à la verdure, aux salades, mais même ça, s’il n’y a pas dedans un je-ne-sais-quoi de japonisant, des ingrédients exotiques, ça ne va pas. Ce qui fait que le goût d’hier n’est plus du goût d’aujourd’hui, même dans l’étendue d’une vie, drôle de mystère. C’est comme pour dire que le monde, le temps lui-même, subissent ce genre de fatigues : de la langue, du palais, des yeux et de l’ouïe. Il leur faut toujours en changer, parfois en bien, souvent en pis. L’impérialisme américain, avec sa fast-food, nous déglingue peu à peu l’appétit pour le Bigorre, et pas seulement. On finira par la pilule au goût unique, comme la pensée unique, l’odeur unique, le spectacle unique, la position unique pour faire l’amour. Plus de vie privée, y en a-t-il même jamais eu vraiment ? Il faut tant que tout se sache, se décrypte, se classe, s’enregistre… ce tout qui ne durera qu’un déjeuner de soleil dans l’histoire générale du silex et des comètes.
Même gros doute soudain sur la culture, on s’y aggrippe tant que ça en devient suspect. Et pourtant comme j’aimerais ne faire que cela de mes journées, de mes nuits, lire et écrire, écrire et lire. Flâner encore, rêvasser, lire et écrire à partir de ces rêveries de ces flâneries. Si n’etais obligé de traverser autant d’âneries d’épuisantes noirceurs encore pour y parvenir.
Pas déçu puisque je n’espère rien quand poussant la porte du musée Massey la petite dame derrière le comptoir éplorée nous informe que niet, vous pourrez pas voir l’exposition d’Antonio Saura ( prononcer ça aura, en roulant légèrement le r ) et comme pas envie de voir des hussards vêtus de pieds en cape sans oublier leurs grosses toques de toqués du sabre, on ressort. Profitons pour visiter le grand parc peuplé de paons. On y découvre des essences aussi fabuleuses qu’insolites avec des fûts démesurées ( notamment un magnolia gigantesque ) et des écorces jamais vues jusque là. Un bien beau parc avec une statue de Jules Laforgue, né à Tarbes. Et puis des années vraiment que pas gouté une glace caramel beurre salé, ( artisanale le mot est précisé ) ce qui clôture agréablement la ballade. Reste de la journée passé à relire autobiographie des objets, et drôle comme marchant mieux lis mieux, enfin, plus fluide. Demain nous partirons de bonne heure, la valise déjà bouclée près de l’entrée. La météo annonce des nuages, un temps gris sur Bilbao, ça tombe bien car fatigué de tout ce ciel bleu et soleil.
Clin d’oeil du monde invisible, ce petit arbre orangé mis en lumière, et cette sensation qu’on y retrouve comme à la reconnaissance d’ un visage