Ça ne cassera pas trois pattes à un canard, juste un délassement d’insomnie. Faire l’inventaire de ces expressions qui m’ont réjoui très tôt, réponse à l’auteur de ce blog que je recommande. Et voilà, sitôt que je me mêle de faire du tri, je me retrouve Gros-Jean comme devant. Plus rien ne vient. Brassens au secours, c’est un peu à cause ou grâce à toi que j’ai aimé les sacrebleu, cornegidouille, fichtre, foutre et diantre. Et toi aussi Rabelais, avec ta langue fleurie, ta verbocination qui canulait déjà mes parents. Comment relancer ce fichu biniou de la mémoire ? Parataxe, hypotaxe, les deux à la fois, sans mettre la charrue avant les bœufs. Les marchés parisiens, Totor qui me courait après pour me couper les oreilles en pointe. J’aurais fait un litre d’huile si on m’avait flanqué un grain de chènevis dans l’trou du cul tant j’avais les miquettes. Mais Totor avait le cœur sur la main. On ne se cassait pas le cul quand il était là. Ah Paris, Paname, la rue Jobbé-Duval, le balcon du 7e d’où je lâchais mes glaviots. J’avais du toupet, le diable au corps, disait la grand-mère. À force, j’avais le cul en fleur de toutes ces fessées. J’arrivais pas à m’asseoir. La danse de Saint Guy. Le trou du cul tenait une place centrale dans la famille. Le parler gras faisait loi. Un tremplin de l’imagination. Ce n’était pas encore le cul triste d’aujourd’hui. Il fallait tendre l’oreille pour capter les nuances. Le rond c’était la chance. S’ôter les doigts du cul. Tomber dessus un jour de grand vent. Être comme deux ronds de flan. Mon père me soufflait dans les poumons parce que je ne manquais pas d’air. On prenait la porte régulièrement, ma mère, mon père, mon frère et moi. On se carapatait au diable vauvert. Puis on revenait la queue entre les jambes. On n’en parlait plus. Ça me passera avant que ça me revienne.
Plus tard, j’ai rencontré Richard. Un vieux chanteur de cabarets, passionné par l’histoire des mots. Il avait une pièce pleine de dictionnaires, son lit entre les piles. On dormait peu. On parlait à bâtons rompus, on feuilletait le Bouillet. Il avait un talent fou. Il me trouvait timoré, sans doute voyait-il en moi un reflet de lui-même. Le jeudi, il tirait les cartes aux prostituées des rues Quincampoix et des Lombards. Je lisais dans la pièce d’à côté. J’ouvrais la porte, faisais le groom. Les parfums de ces dames ont nourri mon imaginaire. Richard déployait le tarot de Marseille. “Il faut traiter les putes comme des princesses, et les princesses comme des salopes”, disait-il. Il n’y eut jamais d’écart. Même les plus désirables me saluaient comme un gamin. Un interdit tacite me tenait. Elles dérouillaient assez. Pas besoin d’en rajouter. On devint copains. J’allais avec la bande au pèlerinage à Saint-Germain l’Auxerrois. Elles allumaient des cierges pour leur sainte. Puis on remontait la rue de Rivoli. Brassens chantait Villon : “Les dames du temps jadis, on a celles qu’on peut.” C’était très juste. Mes amours normales ne donnaient rien. À la fac, je me sentais à côté. Tous ces jeunes gens lisses me désespéraient. Je n’avais pas de plomb dans la cervelle, sauf à y voir une propension au suicide.
C’est drôle l’écriture. J’étais parti sur un inventaire de mots rigolos, et j’en suis là. Ces expressions sont une île perdue avant le langage froid d’aujourd’hui, langue de comptable. Je pense aux corporations disparues, à leur argot, à leur richesse. Même les clodos sont devenus muets. Et les gosses vont se cacher pour lâcher des trous du cul en sifflant du pinard. En lisant les textes d’un autre blog, ces expressions du Canada, je me dis qu’ils ont bien fait ceux qui sont partis. Ils ont gardé la flamme. Le mot comme braise. Félix Leclerc, Vigneault, Dufresne, leur langue portait encore l’esprit. Ce français est le nôtre. Peut-être plus riche que le nôtre actuel. Le créole de Chamoiseau me l’avait déjà soufflé. Il y a un massacre récurrent dans la langue. Un massacre d’enfants. Ce que j’entends dans le français, c’est l’effronterie, la spontanéité, la logique des cœurs légers. Mais il faut maintenant traverser les océans pour retrouver ce cœur-là.
J’ai jeté ces notes sans les reprendre. Un moment d’hiver, dans une pandémie sans fin.