Inventer, traduire, réarranger, que ce soit dans la peinture, dans l’écriture, dans la vie de tous les jours, s’oppose. Cet élan est une lutte de chaque instant. Ce qui s’oppose est en même temps ce qui attire et que l’on repousse. La culpabilité qui en résulte est directement reliée à la responsabilité que j’ engage dans cette lutte. Est-ce que je ne vais pas trop loin, est-ce que je suis prétentieux, fou, imbu de ma petite personne. Parfois je me sens comme un rat dans un labyrinthe, je ne sais plus si c’est le morceau de fromage qui m’attire ou l’issue. Et toujours cette petite voix qui ne cesse de dire "ne te berne pas toi-même". Il faut tendre l’oreille au début. Lui faire confiance. Elle enseigne ce que Castanéda ou Don juan nomment "l’impeccabilité". Ce n’est pas une idée de perfection, ce n’est pas un but fixé dans l’avenir. On ne peut pas vouloir devenir impeccable. Quand on l’est, on est présent à soi, à cette toute petite voix presque inaudible tant le flux des pensées, du ressentiment, de l’amertume, du désir, tout ce qui s’oppose est puissant.
impeccabilité

Version originale
hautEn tant que peintre, il suit une voie qu’il n’a pas choisie. L’envie de créer ne lui a apporté que des problèmes. Longtemps, il lutte contre elle. Il culpabilise quand ce plaisir l’éloigne de ce que l’on appelle « la vie active ». Il met des années à se débarrasser de cette culpabilité. C’est sans doute l’un de ses travaux les plus importants.
Il ne sait pas exactement ce qui l’aide à assumer ce rôle. C’est un peu comme un rat dans un labyrinthe : au début, il se cogne partout, puis il comprend. Une seule voie mène à l’assiette. Il explore beaucoup, mais rien ne mène directement à soi. Pourtant, c’est l’ensemble de ces détours qui lui révèle qui il est. Et cela aussi, il le refuse. Une petite voix murmure : « Ne te berne pas toi-même. » Il apprend à l’écouter. Il l’appelle l’impeccabilité. L’impeccabilité n’est pas la perfection. Elle ne s’atteint pas. On ne peut que vouloir l’être. Pour cela, deux outils : devenir excellent et maîtriser son art. Il faut cesser d’obéir. Non seulement aux autres, mais aussi à nos propres convictions. Elles finissent par nous emprisonner. Plus il se déleste, plus la petite voix devient claire. Elle n’a pas besoin d’emphase. « La petite voix », cela suffit. Être impeccable, ce n’est pas vivre en ermite. C’est être pleinement engagé. On peut vivre dans la société en gardant ce son en soi. Il y a un humour dans cette voix, comme dans la vie. On apprend à le savourer. Il enseigne l’humilité. Il faut parfois serrer les dents, avaler des couleuvres. Et si l’on tente de s’éloigner, la vie nous ramène. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Mais mieux vaut ne pas rester cancre trop longtemps. Il y a un but à tout cela.