Que retenir

Jose Luis Borges

Sûrement pas ce que l’on considère important. La mort nous apprend cela non. Elle nous enseigne l’importance de l’anodin, de l’insignifiant. L’important est une distraction, un divertissement que nous inventons lorsque nous sommes par trop débordés par l’insignifiance. On se dit je vais faire une chose importante. Mais c’est un arbitraire. Quand Proust bute sur une pierre disjointe, il comprend cela parfaitement et tente de nous l’enseigner. Mais comme c’est difficile de lire Proust quand on a quelque chose d’important à faire. Quand nous voulons que cette chose rende notre vie importante. Peut-être qu’écrire commence véritablement ainsi, en établissant, à l’occasion d’un faux pas, une connection entre des événements, des choses, des êtres, que nous avions considérés insignifiants, au moment où ils sont advenus. Peut-être qu’écrire commence aussi avec le doute que nous commençons à entretenir vis à vis de ces deux mots, l’important et le non important.

Il ne s’agirait pas d’écrire selon un genre. D’ailleurs la notion de genre en littérature n’est qu’un terme marketing, un mot utilisé surtout par les éditeurs. Et par certains auteurs qui désirent séduire les éditeurs. La littérature est souvent là où on ne l’attend pas. Il n’est pas question de s’en prendre au récit, à la fiction, mais la littérature ce n’est pas cela. La littérature, est-ce le bon mot d’ailleurs. L’écriture est un mot qui va mieux. L’écriture c’est une affaire de temps. Le temps d’écrire et le temps que ce qui a été écrit soit lu. Parfois les deux ne coïncident pas du tout. Souvent. Toujours pour la même raison qu’on ne voudrait retenir que l’important d’un livre, et que nous ignorons souvent ce qu’il est. D’où l’intérêt de relire les livres plusieurs fois, les mêmes livres, ceux qui nous ont laissé une impression d’étrangeté, comme un doute. Peu de romans proposent cela. Il faut que le récit romanesque se cale sur un mouvement de l’écriture qui suit sa logique interne. C’est extrêmement rare. J’ai cité Proust, mais on pourrait citer aussi Cervantes, Melville, Homère, Borges, Joyce. L’important est rarement l’intrigue, pas même les protagonistes. L’important est ce à quoi on ne pense pas quand on lit ces chefs d’œuvre. L’important est le temps de l’écriture, son mouvement, ce voyage qui nous emporte sans même que l’on en soit conscient. On se souviendra de l’histoire des personnages, des divers rebondissements, mais de ce mouvement général, on ne conserve aucune trace. Souvent. Sauf si on commence à écrire. Et dans ce cas c’est tout l’inverse : on perçoit le mouvement de l’écriture avec une acuité extraordinaire, cependant qu’aussitôt l’on désire l’incarner dans un récit des personnages, nous nous égarons.

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Comme

Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}

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technique mixte 70x70 cm

mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}

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La ramener

Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}

La ramener