Souvent la peinture s’arrête. Elle se tarit comme s’il s’agissait d’une source. Et c’est parce que j’imagine qu’elle est source qu’elle se tarit Il m’est alors impossible de la forcer et il me faut attendre. Les premières fois que ce phénomène s’est produit, c’était compliqué. Je me demandais ce qu’il se passait. En m’en souvenant, la naïveté qui me revient Une naïveté refuge. Il fallait que je revienne à cette naïveté pour ne pas me taper la tête contre les murs. Car, à ces moments là, je crois que je tombais dans le vide j’étais totalement impuissant, puceau, face à cet événement. Cette sensation de vide j’essayais de la combler comme je le pouvais à l’époque. Il y a eut la tournée des bars, les filles, la marche effrénée, la catalepsie où je restais allongé sur mon lit durant des jours et des nuits avec les rideaux tirés. La lecture également et bien sur la masturbation. J’étais totalement incapable d’affronter ce vide que la peinture laissait en moi lorsqu’elle se retirait. C’était la même sensation de vide, enfant lorsque ma mère surgissait et aussitôt repartait. Et je retrouvais sans même me rendre compte la même sensation de désolation avec la peinture. Quelque chose se répétait . Quelque chose d’intime et qui me paralysait. C’est à dire qu’à ces moments là je n’avais plus d’identité. La monde ne me renvoyait plus d’image. Le monde qu’enfant j’avais confondu avec un visage maternel, un regard maternel qui avait ce pouvoir de me faire exister ou disparaitre. La peinture possédait le même pouvoir je crois. C’était cette naïveté dans laquelle je pénétrais. Je n’étais pas l’acteur de ma peinture, je la recevais, je l’accueillais comme s’il s’agissait d’une grâce, d’une bénédiction, qui me propulsait alors dans un état second. Et c’est dans cet état alors seulement que l’action de peindre était possible. Parce que je crois que l’espace de l’intime enfin était retrouvé. Et parce que l’abondance ne pouvait venir que de cet état si particulier. L’abondance était directement issue du silence paisible, de l’absence soudaine de question. Peindre était cet acte qui provenait d’un silence sans questionnement. Je n’avais pas encore trouvé la régularité, ou bien je la refusais. Contraindre la peinture à venir dans un espace temps décidé, imposé me paraissait être une enfreinte à ce silence comme on se trouve face à une sore de tabou, une limite infranchissable. Si je tentais d’installer une discipline, elle ne durait que quelques jours et aussitôt tout ce que je pouvais peindre dans ce système m’échappait, devenait laborieux, ridicule. Parce que dans mon esprit la notion de miracle était toujours extrêmement forte. Et je me suis souvent dit que je ne peignais que pour éprouver cette sensation de miracle. Ce qui me procurait aussi une sensation de malaise alors. Comme si j’enfreignais encore une limite, un interdit. Comme si finalement j’insultais la peinture en la répudiant plus ou moins consciemment comme j’ai pu autrefois répudier la femme qui était ma mère quand le miracle s’évanouissait. Quand je n’avais plus aucun pouvoir pour faire apparaitre ce miracle. C’est à ce moment là sans doute que j’aurais du être logique. Comprendre que c’était seulement moi qui interprétais les choses ainsi et qui fabriquait cette nécessité de miracle pour éprouver quelque chose que je ne peux nommer qu’intime. Si l’intime ne m’était plus renvoyé par l’autre afin que je prenne conscience de mon être, alors il devait venir d’un miracle. Et si ce miracle n’existait pas il me faudrait l’inventer tout seul. Tout cela était inconscient bien sur, c’est pour cela que je dis que je me réfugiais dans la naïveté. Cette naïveté de croire en un extérieur tout puissant qui avait le pouvoir de me rendre tout puissant au même titre. La toute puissance du miracle crée depuis l’inconscience. Et c’est parce que justement je n’en étais pas conscient, que je confondais le destin, la fatalité, Dieu, l’univers avec cette inconscience que le miracle alors surgissait lorsque je me retrouvais devant ma toile. Parce que je m’abandonnais à cette inconscience. Cependant si je repense à cette naïveté, à cette pauvreté qui me servait de refuge, si je regarde sans ciller le ridicule qui surgit soudain à ce souvenir. Je sens que quelque chose de juste se trouve au fond de ce ridicule. Cette intimité se trouve dans le ridicule. Cette intimité dont je ne peux me passer pour peindre. Pour traverser ce ridicule, l’explorer, j’utilise l’écriture. Je me dis que lorsque j’en aurai terminé avec cette notion de ridicule, le fait de livrer ainsi toutes mes pensées, mes états d’âme, mes élucubrations incessantes, mes fantasmes et mes défaites alors le job sera réalisé. J’aurai fichu dehors tout ce qui m’encombre, tout ce qui est inutile, tout ce qui n’est pas l’intime véritable. Je crois que c’est tout aussi naïf et ridicule d’utiliser le ridicule pour éjecter le ridicule. Parfois je me dis que je perds un temps fou à écrire pour rien. Comme d’ailleurs à peindre pour rien lorsque je n’éprouve pas cette sensation de miracle. Je me dis ça mais je continue. Parce qu’en creux quelque chose bouge, quelque chose remue je le sens parfois. J’imagine que les femmes enceintes doivent éprouver ce genre de sensation, à la fois effrayante et formidable. Porter l’intime en soi et rêver de le mettre au monde sans jamais probablement savoir vraiment qui il est, qui il sera au travers des pensées. Sans doute est ce pour cela que les femmes m’ont souvent dit qu’agir c’était plus juste que de penser. Que la pensée ne mène à rien. Sauf à recréer l’absence, l’absence de la peinture comme l’absence de la mère. C’est ma vision négative de l’intime qui se dérobe sans relâche par les pensées qu’on tente de jeter sur lui comme un filet de pèche. Parce qu’on voudrait comprendre, et bien sur contrôler. Mais l’intime ne peut pas être compris ou contrôlé tout comme cette sensation que j’éprouve lorsque je peins ou que je retrouve en moi le souvenir de ma mère. L’intime que j’écris n’a rien à voir avec l’intime. Et c’est un soulagement de m’en rappeler parce que j’ai de temps en temps l’obligation aussi de l’oublier pour créer tous ces textes que je place aussitôt dans la catégorie "récits de fiction". Cet intime est l’intimité du je, de l’égo, c’est un intime totalement fabriqué, artificiel, qui n’a rien du tout à voir avec l’intime, avec le silence profond de celui ci surtout. Un silence que je perçois pourtant avec de moins en moins de difficultés désormais derrière la peinture et les mots.
Quelque chose d’intime
Post-scriptum
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Huile sur toile 30x40cm
D’après une œuvre de Maurice Dermarkarian Réalisation juin 2023 Huile sur toile 30x40cm juin 2023|couper{180}
 
      
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Un peu plus loin près de toi
Photo de Letizia BattagliaMinime damorun minimum d'amour Toi c'est ce livre, quelque chose de moi s'y accroche encore. Pourtant il ne paie pas de mine, il convoque ce que je ne montre jamais vraiment, ce que je dissimule. Peut-être que c'est cela l'intime, peut-être que ça ressemble à ça, à ce que l'on retient, ce silence qu'on ne peut dire. Que l'on ne veut jamais dire. Parce qu'on sait bien que ça ne sert à rien. Essayer de le dire c'est riper à côté presque en même temps. C'est comme vouloir d'un Jésus économiser les tranches bien trop fines, la lame glisse sur le boyau devenu trop dur, ce n'est plus bien droit, plus bien régulier comme on voudrait. On fini par dépit à trancher de travers ou carrément de guingois. ça fini en charpie. Je ne t'ai pas repris dans les mains depuis des années, Tu est là sur un rayon de la bibliothèque, anonyme parmi les anonymes quand je n'ai pas les lunettes sur le nez. Les titres autrement sont devenus flous comme les auteurs, une bibliothèque floue comme mes souvenirs de lecture à présent peuvent l'être. Il me reste juste le même silence, une impression, quelques images récurrentes me permettant vaguement de me rappeler. De me rappeler celui que je fus à cette lecture, mais très vaguement. Un livre c'est un peu ça aussi, c'est une étape dans le temps, c'est du passé bien souvent. On pourrait se dire qu'il suffit de rouvrir la couverture, de remettre le nez dedans, on pourrait se dire tant de choses mais on se demande rarement à quoi ça servirait. A quoi ça servira vraiment. Pourtant toi, tu es toujours là, aussi longtemps que moi je serai là je crois que tu seras là. Il me reste cette pauvre croyance vois-tu. Ce que tu es, ce que je suis, on ne le sait pas, c'est juste du silence qui jour après jour se creuse un peu plus profondément, et qui n'est plus gênant on fini par être un peu plus domestiqué par ce silence de jour en jour.|couper{180}
 
      
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Danger et merveille
Le danger et la merveille de lire est que nous sommes tentés de devenir les héros plus ou moins heureux de ces histoires qu’un inconnu nous raconte. A la surface du miroir que fait surgir toute lecture tant de reflets de nous-mêmes naissent et meurent de livre en livre. Danger de rester le front collé à la surface de ce miroir, merveille d’obtenir le laisser-passer pour le traverser. Lire est comme vivre d’après l’expérience vécue des deux. Au tout début une naïveté, une inconscience quasi totale, puis un éclair bref qui jaillit presque toujours sur le tard et qui éclaire nos propres ombres recroquevillées dans l’obscurité. Alors on voudrait rattraper un temps qu’on estime perdu, le temps de vivre ou le temps de lire, et on se rend compte qu’il est trop tard. Cette prise de conscience bien que tragique en apparence ne l’est que si l’on croit à de vieilles superstitions, que si la vieillesse est le reflet entraperçu sur le visage de nos aïeux, de nos parents et grands parents, une image de la vieillesse telle un vieux cliché en noir et blanc. Mais la vieillesse comme la jeunesse ne sont que différents états de la même chose, c’est à dire de l’être nécessaires l’un comme l’autre à sa complétude. Et je crois aussi qu’on peut réinventer ce que nous plaçons dans ces mots, que chacun d’entre nous est bien libre de le faire. Par exemple qu’un jeune est souvent vieux avant de l’être et qu’un vieux peut avoir un regard pur de nouveau né parfois. Il suffit seulement d’ouvrir les yeux et de voir au delà de ce que nous pensons voir comme on nous aura appris à penser voir et non à voir. De tous les livres que j’ai lus, il m’est si difficile d’en isoler un seul puis de dire je vais seulement parler de celui-là. C’est comme demander à un père de choisir un seul de ses enfants, c’est le sacrifice demandé à Abraham, et auquel seuls les plus vaillants ou les plus fous, les plus pieux obtempérerons. C’est demander un amour surhumain envers une chose surhumaine qui flatte à mon goût bien trop le risque de l’orgueil. Avec le temps je me suis mis à aimer tous les tableaux, tous les livres, comme tous les êtres qui surgissent sur ma route. Ça ne veut pas dire qu’à chaque fois je tombe dans l’effusion, la sensiblerie, non sûrement pas. Je sais seulement ce qu’il en coûte d’écrire comme de vivre, du moins je suis parvenu à l’âge où les idées ne changent plus guère ou changent moins vite sur les choses. Les idées qui valent la peine d’être nommées ainsi surtout. Les héros comme les anti héros ne sont plus aujourd’hui matière à admiration comme autrefois. Je ne le regrette pas plus que ça ne m’enchante. C’est un fait. Seulement un fait. Derrière chaque protagoniste il n’y a jamais un homme seul, mais toute une époque avec ses façons de penser voir, sa permissivité et sa censure, une société. C’est ce que l’on ignore quand on commence dans la vie dans le costume de singleton facile à endosser au début, lourd à conserver au fur et à mesure que l’on progresse que ce n’est qu’un costume. Que la comédie humaine se joue sur le théâtre sociétal et que ses coulisses sont bourrés d’accessoires, à priori divers et variés en apparence, mais qu’au bout du compte tout pourrait se résumer à bien peu. Tout pourrait se résumer en un seul mot : “l’amour” et son grand mystère. Dont j’ai espoir qu’à la fin, nu totalement, chacun puisse se réjouir d’aborder ses rivages puis partager la nouvelle sans la moindre ambiguïté.|couper{180}
