
L’obligation se heurte presque toujours au dégoût lorsque je pénètre dans un supermarché. Cet empressement à s’emparer de toutes ces denrées accessibles dans les rayons me navre et m’enivre. Parfois, je peux remplir tout un caddie de produits qui, si je me mettais à réfléchir vraiment, remettraient totalement en question mes illusions, mes croyances en matière de peur et de besoin. Il y a quelque chose de profondément désespérant dans la sensation d’avoir toutes ces choses que l’on pousse devant soi, dans ce chariot, jusqu’à la caisse. À ce moment-là, je me sens comme un animal. Un écureuil apeuré dont les petits yeux noirs examinent le paysage. oscillations saccadées, convulsions, petits sautillements avant-coureurs d’une panique. Le danger peut jaillir de partout. Notamment au moment de placer la carte bancaire sur la borne sans-fil ou dans la fente obscure. Toujours la trouille que le paiement soit refusé. Mais, si ça fonctionne, pas d’’alléluia,, pas d’hourra, il n’y a même plus d’explosion de joie. Je pousse le caddie plein jusqu’à mon véhicule et remplis le coffre machinalement en songeant déjà à autre chose, principalement à tout ce que je ne possède pas, à tout ce manque encore qu’aucun supermarché ne pourra jamais combler aussi aisément que celui dont je m’enfuis, la queue entre les jambes. Je ne me rassasie jamais de cet ersatz d’opulence. Ce qui me rend louche toute idée d’opulence. Le poison est dans mes veines, voilà.