Les premières masses et couleurs d’une toile, janvier 2023

Tu peux t’exercer à l’arborescence comme on vide une possibilité du choix. Du choix tel qu’on l’entend généralement : un pauvre choix, un choix paresseux. Ensuite, ce que ça donne, c’est une suite de mots, de concepts, de couleurs, que l’hyperlien ou l’hypertexte peut réunir dans de nouvelles formules. Non pour aller en quête d’une originalité – ce n’est pas ça, et tu n’y crois pas de toute façon –, mais pour dire une chose ancienne autrement. Pour créer de nouveaux possibles afin que cette chose soit compréhensible dans un instant T, dans une époque, dans une culture qui a oublié ses racines, sa raison d’être. Pourquoi la Torah et le Talmud existent-ils, sinon justement pour rester optimistes quant à ces possibilités de réorganiser le même en autre chose ? Autre chose qui serait à l’image de l’infini, c’est-à-dire qui ne s’arrêterait jamais, sauf pour repartir à chaque fois. Un mouvement perpétuel.

Te voici, en ce moment, en train de travailler six tableaux en même temps. Tu passes de l’un à l’autre quand tu cales sur l’un. Quand le coup de pinceau de trop te semble menaçant : celui de trop en dire ou trop en faire. Et cette énergie que tu interromps, plus ou moins volontairement, retrouve un nouveau souffle sur une autre toile, et ainsi de suite. Ce qu’il te faut accepter, c’est le temps comme donnée fondamentale dans laquelle tu peux déployer une certaine quantité d’énergie par tableau. Mettons une heure. Une fois celle-ci achevée, une autre temporalité devient de nouveau possible – une heure neuve. Ce qui ne change pas, c’est la gamme de couleurs que tu utilises. Pour l’instant, c’est elle qui crée le lien. Les possibilités d’agencer ces couleurs sont elles aussi infinies. Sauf que tu dois tenir compte, à chaque fois, de l’espace, des autres couleurs qui environnent une couleur, des valeurs, du contraste que tout ce puzzle produit.

Et parallèlement à cela, une multitude de sujets, d’idées sont là, qui pressent pour sortir, comme un troupeau de moutons ou de brebis. Ça bêle dans tous les sens à l’intérieur, mais tu ne les écoutes pas, tu t’en fous : une chose après l’autre. Et puis, ce pari dont tu n’oses pas vraiment parler : que le sujet viendra quand il devra venir. Une fois l’assemblage achevé, tous les gestes successifs réalisés dans ce que tu nommes probablement à tort « l’aléatoire ». Aléatoire tant que tu n’as pas confiance aveuglément en ce qui se passe : voilà la vérité. Et intuition que, confiance ou pas, ça ne changerait rien. Qu’en allant ainsi ton bonhomme de chemin, il faut continuer d’écarter les faux buts, se laisser cueillir par ce qui, de toute façon, arrivera.