On ne se contraint pas à sept. On se laisse la possibilité d’ajouter à tout moment des développements à ces embryons. Parcours alternatif : alternance dehors/dedans. Même matière, autre rythme.


Porte- Version A — coupe nette

Parfois, il m’arrive encore de penser à lui et, ce faisant, je n’y peux rien, mon pas ralentit ; à moins que l’injonction mystérieuse de ralentir mon allure ne le fasse soudain ressurgir. Ou encore est-ce un peu de ci, un peu de ça, comme souvent. Enfin, il arrive régulièrement que je veuille me rendre quelque part et qu’au détour d’une rue mon corps soit poussé par je ne sais quel courant invisible, entraîné comme par force à bifurquer contre ma volonté, encore que je n’en aie pas beaucoup lorsque je déambule ainsi dans la ville. Et c’est ainsi que ce soir-là mes pas m’entraînèrent rue Germain-Pilon et que je me retrouvai devant sa porte. Comme si revoir cette porte était une sorte de remède à mon errance. Cela ne servirait à rien que je frappe à cette porte, ni que je sonne. Je sais que, désormais, il n’est plus là, plus nulle part dans cette ville ni d’ailleurs sur cette terre. Alors je repars comme si j’avais fait le plein, que les niveaux étaient revenus à la normale, et me dirige franchement vers mon but, cette fois. Je ne sais jamais vraiment ce que je cherche à atteindre ou à esquiver ; sans doute est-ce cette ignorance, conservée comme un avare conserve son trésor, qui me propulse en avant. Et voici que, tout en rêvant, mes pas me ramènent une fois encore devant cette porte alors que j’étais parti à l’opposé : je suis revenu par la rue des Abbesses ; il ne me reste plus qu’à descendre vers le boulevard — rejoindre Clichy ne me prendra qu’une bonne demi-heure. Mais à peine ai-je vu cette pensée surgir que je le vois assis derrière la vitre de ce café qui fait l’angle ; il me voit passer, il me fait un geste de la main ; je ne réponds pas..

Porte- Version B — méta assumée

Parfois, il m’arrive encore de penser à lui et, ce faisant, je n’y peux rien, mon pas ralentit ; à moins que l’injonction mystérieuse de ralentir mon allure ne le fasse soudain ressurgir. Ou encore est-ce un peu de ci, un peu de ça, comme souvent. Enfin, il arrive régulièrement que je veuille me rendre quelque part et qu’au détour d’une rue mon corps soit poussé par je ne sais quel courant invisible, entraîné comme par force à bifurquer contre ma volonté, encore que je n’en aie pas beaucoup lorsque je déambule ainsi dans la ville. Et c’est ainsi que ce soir-là mes pas m’entraînèrent rue Germain-Pilon et que je me retrouvai devant sa porte. Comme si revoir cette porte était une sorte de remède à mon errance. Cela ne servirait à rien que je frappe à cette porte, ni que je sonne. Je sais que, désormais, il n’est plus là, plus nulle part dans cette ville ni d’ailleurs sur cette terre. Alors je repars comme si j’avais fait le plein, que les niveaux étaient revenus à la normale, et me dirige franchement vers mon but, cette fois. Je ne sais jamais vraiment ce que je cherche à atteindre ou à esquiver ; sans doute est-ce cette ignorance, conservée comme un avare conserve son trésor, qui me propulse en avant. Et voici que, tout en rêvant, mes pas me ramènent une fois encore devant cette porte alors que j’étais parti à l’opposé : je suis revenu par la rue des Abbesses ; il ne me reste plus qu’à descendre vers le boulevard — rejoindre Clichy ne me prendra qu’une bonne demi-heure. Mais à peine ai-je vu cette pensée surgir que je le vois assis derrière la vitre de ce café qui fait l’angle ; il me voit passer, il me fait un geste de la main ; je ne réponds pas, je sais que tout cela fait partie intégrante du rêve de ma vie.

Dancing

Ce type me fait penser au renard de la fable chantonnant devant son corbeau. Il n’est de toute évidence pas roux et moi je n’ai pas de fromage dans le bec. Mais, néanmoins, ce soir-là nous entrons dans cet établissement étrange, un dancing. Presque aussitôt, il disparaît dans la pénombre au bras de rombières qui lui sont familières. La salle est vraiment sombre, la musique sirupeuse, ça sent la sueur, le parfum et, je crois bien, encore un peu le tabac. C’est une rêverie qui doit remonter de loin. Je m’assois à une table avec un verre qui arrive comme par enchantement et j’observe les silhouettes, les gens attablés, beaucoup de rombières. Du genre dévergondées, si vous voulez tout savoir. Je ne suis pas loin du haut-le-cœur quand, soudain, juste à côté de moi, une femme est là dans l’obscurité et me demande du feu, une cigarette entre les lèvres. Je me sens vraiment seul et, si je me dis que je vais me réveiller, c’est certain, je me réveillerai, mais où ?

Question

Nous marchons, lui et moi, dans une rue ; nous parvenons à la Butte-aux-Cailles et nous bavardons. C’est une fin d’après-midi d’automne ; des oiseaux volent très haut au-dessus des platanes du boulevard proche, et leurs cris stridents zèbrent l’air. Nous traversons des nappes d’ombre et des clartés aveuglantes tout en conversant de choses absolument banales, et soudain ma question reste sans réponse : il a encore disparu.

Autoroute

Et tandis que je m’éloigne, je vois le monde s’embuer ; la ville tout entière devient impressionniste, les façades deviennent de plus en plus indistinctes, les feux arrière des véhicules laissent de longues traînées rougeâtres. Décalage temporel entre le monde, la ville et moi. La seule chose vraie, c’est le mouvement de la marche : mettre un pied devant l’autre. Et, ce faisant, je sors soudain de la ville : je me retrouve avec lui sur une aire d’autoroute, à moins que ce ne soit devant une barrière de péage. Je tourne la tête vers lui, il est impassible, selon son habitude. Et je me demande si Buster Keaton ne lui aurait pas emprunté son comique sérieux, car il semble là, présent sur le seuil d’un rêve depuis toujours, et il a l’air de dire : « tout cela n’est pas bien grave, allez. »

Voix

Encore une fois, ce cimetière avec ses pierres tombales de guingois, et, tout à fait lucidement, je me rendais compte de ma manie, de mon obstination, et je me demandais comment parvenir à m’en extraire. « Tu n’as qu’à penser à autre chose », me dit la voix familière du plus profond de mon rêve. C’était difficile de penser à autre chose à cet instant précisément ; cela demandait une sorte d’effort insensé, comme celui nécessaire pour courir en faisant du surplace ; et surtout, on pouvait, à cet instant, prendre conscience de tout le ridicule de cette situation, comme rarement on en avait pris conscience. — C’est déjà bien de t’en rendre compte, continua-t-il d’un ton complice.

Trou noir

Dieu merci, j’ai conservé mon carnet de rêves, que j’entretiens depuis des années. Il m’arrive encore d’y écrire, mais seulement les rêves lucides ; les autres ne m’intéressent plus vraiment. Sauf, évidemment, s’ils font référence à lui, quelles que soient, souvent, les voies détournées que le rêve peut prendre pour le faire ressurgir. Nous avions en commun du sang slave. Il n’est alors pas rare que, dans mes rêves les plus foutraques, j’aie à pénétrer dans des yourtes mongoles, à me gaver de beurre de yak, à faire rouler du pied des têtes de mouton avec les gamins du coin. Et il est là, il est toujours quelque part, à observer la scène. Des fois je le vois ouvrir la bouche, je crois qu’il va se mettre à parler, mais je vois un trou noir qui s’élargit de plus en plus ; va-t-il crier ? Non : il semble avoir des difficultés à respirer, il essaie d’aspirer de l’air, puis la bouche se referme et j’entends son rire, très doux, comme celui de quelqu’un qui, encore une fois, a vaincu la mort.

Atelier

Il a allumé le poêle à gaz dans l’atelier et la chaleur a progressivement repoussé le froid. Il s’est frotté les mains puis il a préparé son médium à peindre ; l’huile était presque gelée, lourde et visqueuse. Je l’ai regardé faire un long moment ; il était vieux, désormais, pas très en forme si vous voulez mon avis. Il a pris une nouvelle toile et l’a badigeonnée de terre de sienne, diluée avec de l’essence de térébenthine ; je ne sais pas ce que j’aurais donné à ce moment-là pour respirer cette odeur, mais nous en sommes privés, pas plus que nous n’avons chaud ou froid, à vrai dire. Tout ce que nous pouvons capter, nous l’attrapons à la volée sur la peau des vivants.

Sifflement-

Le son était encore lointain, mais suffisant pour me réveiller dans le rêve que je faisais ; c’était comme un appel — il fallait que ce soit un appel, un appel ou un signal. Il était temps de s’extraire d’un trop-plein de visions hypnagogiques assommantes. Quelqu’un avait émis un sifflement, et pas besoin de chercher longtemps, car ce sifflement m’était familier. Je me relevais comme après une nuit trop longue, le corps un peu ankylosé mais joyeux d’avoir été réveillé ainsi ; feignant la surprise, je me dirigeais sans hâte vers l’origine du son.
ajout
— Du feu, jeune homme, une voix dans l’ombre me retient à ma place, je fouille dans mes poches et ne trouve pas de briquet.
— Désolé je ne fume pas. Je ments pour pouvoir m’échapper au plus vite. Mais il est déjà trop tard, le dancing est surpeuplé, j’ai du mal à me frayer un chemin dans la foule, je ne le vois pas. Je décide de sortir sur le boulevard. Pluie fine. Reflets partout. LEs feux arrière des véhicules laissent des trainées terre de sienne. J’admets être à la fois déçu, énervé, un peu en colère, mais pas spécialement contre lui.