Carnet 19
Exercice : Interactions d’une journée
Le thermomètre questionne le fondement, sonne, puis indique 39. Elle dit aller va reste au pieu bien au chaud. Oui mais non en sueur déjà je dis. mince encore une journée de fichue. Va à la pharmacie elle dit. Oui encore faut il être certain que les tests soient infaillibles. Il pleut tout est moche. Bonjour c’est pour quoi, un test, vous pourriez tout de même venir avec un masque. Merde je pense, oublié. Air penaud. Asseyez vous là-bas on vous appellera. Une cliente. Oh je suis confuse Monsieur, je suis passée avant vous. Non non je dis. Je souris pas sous mon masque prêté. Vu les talons des bottines décorés avec des espèces de perles. Très propres les chaussures. Le monsieur attend pour un test lui dit-on de l’autre côté du plexiglas. vous avez votre carte vitale madame. Non je l’ai oubliée chez moi, mais je viens tous les jours elle dit. Mouchez-vous à fond me dit-on avant de m’enfoncer une tige armée d’un coton dans la narine droite. Puis la gauche. Quelle merde ce truc je pense. Allez vous rasseoir, faut attendre le résultat. Cinq minutes. Négatif. Donc c’est quoi cette fièvre cette toux. On dirait que vous êtes déçu de ne pas l’avoir. Rire des pharmaciennes. Pourtant mon épouse l’a bien eut elle pas plus tard que la semaine passée. Y a pas que le covid comme virus me répondra t’on. Je l’ai pas, je dis en rentrant. Il va falloir consulter un médecin. Oui mais non. Pas envie de me rendre à Lyon comme je suis. Le téléphone sonne. Bonjour monsieur Patrick ravit de vous avoir au téléphone. Je raccroche aussitôt que j’entends le brouhaha de la plate-forme. Tu as pensé à signer la convention d’exposition pour Amberieu. Hummm. Tu as envoyé les visuels pour x et y. Hummm. Fais chier cette fièvre aller je vais peindre, pas se laisser aller, pas s’écouter. Et si je tombe dans les pommes ce sera le pinceau à la main. Grandiloquent. Tiens et si je te flanquais de la terre d’ombre brûlée toi. Et du bleu. Et si je te barbouillais en étudiant ce que c’est de peindre dans la fièvre.
50x50 huile sur toile
40x50cm huile sur toile
Mon gros livre tout tâché. Celui de l’exposition de Bram et Geer Van Velde au musée des Beaux-Arts de Lyon Je le prends toujours quand ça ne va pas. Il suffit de voir une ou deux toiles de Bram pour reprendre un peu de hargne. A chaque fois je glisse un œil le plus bienveillant possible pour le boulot de Gérard. Mais à chaque fois non, ça ne le fait pas. Trop appliqué, vide de vie. Un peu plus tolérant aujourd’hui malgré tout. Le téléphone encore. Ravi de vous avoir au bout du. Raccroché. Les gens ravis me gonflent le boudin.
La touche de pinceau comme une écriture sauvage. Une écriture vivante.
Retour à Victor Hugo dans l’après-midi. Admiratif de l’utilisation des virgules et points virgules. « Choses vues » c’est un carnet, un journal. Mais je ne peux le lire que sporadiquement. Ce sont de gros volumes qui appartenaient à mon aïeul. Des reliures en cuir avec à l’intérieur des marbrés. Sans doute des éditions originales. Mais qui pèsent un poids d’âne mort à lire allongé. Il y a toujours une interaction avec un ou deux morts dans la journée, c’est obligé.

Post-scriptum
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Comme
Comme la mer qui cavale vers le mont Saint-Michel comme si elle allait lui faire sa fête, l'engloutir tout entier en deux coups les gros. L'air du temps me rattrape et je me mettrais bien à courir comme un dératé dans l'espoir de trouver une hauteur. En vain. C'est comme Waterloo morne plaine dans le coin. Encore pire depuis qu'il fait beau. Le soleil ne rend pas le monde plus beau il nous aveugle c'est tout. Pire je courre mais je fais du sur-place. La poisse comme le sable, la poisse comme les sables mouvants. Et la mer monte bon sang comme elle monte vite et je m'enfonce lentement. Comme un ange passe en tutu qui joue de la trompette mais mal. La fausse note m'excite me fait dresser les poils. Ta gueule l'ange je dis et ça m'extrait d'un coup des sables. Me v'la qui lévite. Comme par enchantement. L'ange se marre. Genre t'inquiète j'ai toujours raison, le con. Que t'aies la foi ou pas n'a aucune espèce d'importance. Comment on en est arrivé là ? Aucune idée j'ai juste dit comme au début et puis ensuite j'ai laissé filé pour arriver à la fin.|couper{180}
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technique mixte 70x70 cm
mai 2023 technique mixte 70x70 cm mai 2023|couper{180}
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La ramener
Il la ramenait sans arrêt. Pour un oui, un non. Sans qu’on ne lui demande quoi que ce soit. Pour passer le temps je l’imaginais aux toilettes pendant qu’il la ramenait. Son gros cul posé sur la lunette. Ou encore accroupi la tête rouge en train de pousser dans des turques. Il pouvait la ramener tant qu’il voulait. Je pouvais même le regarder dans le blanc des yeux sans ciller cependant . Il y avait même en chœur tout un raffut de sons foireux qui appuyait les images mentales. Quand il avait terminé, il disait — alors t’en pense quoi ? C’est un sale con n’est-ce pas, ou encore une belle salope tu trouve tu pas ? J’en pensais rien bien sûr, je le laissais avec sa question en suspens. Puis je me dépêchais de prétexter une course urgente avant que ça ne lui reprenne, qu’il la ramène encore sur un autre sujet. En gros toujours le même. Lui aux prises avec les dangers infinis du monde extérieur peuplé d’idiots, d’idiotes écervelées. Je me tirais au même moment où il commençait à entrouvrir la bouche de nouveau le laissant là planté comme un poisson en train d'étouffer C'était un miroir qui devait au moins faire sept mètre de long et qui faisait face au bar. Un jour qu'il la ramenait j'ai chopé un tabouret et je l'ai envoyé valdinguer dans le miroir. Il ne l'a plus ramené, c'était fini.|couper{180}